Clinic n° 02 du 01/02/2021

 

Évaluation

Thibaud CASAS  

DU Implantologie orale, Faculté de chirurgie dentaire, Nantes. Praticien attaché, Service de chirurgie maxillo-faciale, CHU de Nantes. WorkFlows Institute, Référent technologies numériques appliquées à la chirurgie et à la prothèse. Exercice libéral, Orvault.

L’empreinte optique n’est pas une technologie récente. Elle date des années 70 avec, pour la partie dentaire qui nous concerne, les travaux de thèse du Professeur François Duret (figure 1). Depuis lors, elle n’a cessé son expansion dans de nombreux domaines : ingénierie (figure 2), aérospatial, art, médecine et, bien sûr, dentisterie. Les technologies...


Résumé

Welcome to the jungle ! L’offre en termes de scanners intra-oraux devient de plus en plus pléthorique. Pas simple de s’y retrouver : taille, poids, connectivité, performances, licences annuelles, intégration et ouverture… autant de sujets qu’il convient de décrypter et synthétiser pour mieux comparer.

L’empreinte optique n’est pas une technologie récente. Elle date des années 70 avec, pour la partie dentaire qui nous concerne, les travaux de thèse du Professeur François Duret (figure 1). Depuis lors, elle n’a cessé son expansion dans de nombreux domaines : ingénierie (figure 2), aérospatial, art, médecine et, bien sûr, dentisterie. Les technologies d’acquisition sont nombreuses et le plus souvent adaptées à l’usage pour lequel le scanner est destiné. En dentisterie, on utilise principalement la triangulation, le parallèle confocal, l’AWS (Active Waves front Sampling) et la stéréophotogrammétrie.

Toutes ces technologies d’acquisition ne sont rien sans un traitement informatique puissant des données enregistrées : ce sont ces fameux algorithmes de traitement. Ce sont eux qui vont assembler les diff érentes images entre elles pour créer un volume tridimensionnel. Le plus souvent, ces traitements informatiques sont couplés à de l’intelligence artificielle pour aider l’utilisateur dans sa numérisation, notamment pour éliminer les zones indésirables (gants, joues, langues, etc.) (figure 3).

Ainsi, on comprend aisément que deux scanners utilisant la même technologie de capture d’images peuvent donner des résultats très diff érents en fonction des traitements informatiques appliqués aux données brutes, d’autant que la surcouche d’intelligence artificielle (IA) de certains scanners est parfois plus artificielle qu’intelligente et tend à faire disparaître des zones d’intérêt. C’est l’exemple typique du crochet de plaque base métal scanné pour réaliser une couronne ajustée mais qui est systématiquement supprimé par l’IA.

Fait important à noter : la technologie d’acquisition impacte directement la taille des scanners intra-oraux. Par exemple, les systèmes confocaux sont beaucoup difficiles à miniaturiser que les systèmes de triangulation.

Il existe aujourd’hui environ 15 modèles de caméras de prise d’empreinte optique adaptées à la dentisterie. Nous allons nous concentrer sur les caractéristiques techniques des 12 principales, mettant de côté des scanners asiatiques très récents ayant fait l’objet de très peu d’essais et que nous n’avons pas pu manipuler. Dans le tableau 1 récapitulatif, on retrouve des scanners portant le nom original du fabricant : c’est notamment le cas de la caméra Aoralscan (Shining 3D, Chine) qui est rebadgée tantôt sous Euromax, tantôt sous d’autres marques ou en marque blanche mais qui, in fine, reste exactement la même machine.

QUELLES CARACTÉRISTIQUES ALLONS-NOUS COMPARER ?

Configurations

C’est un point important à appréhender car ce choix doit être motivé par les besoins en mobilité et en ergonomie propres à chaque cabinet. On retrouve deux configurations principales : soit les systèmes tout-en-un, soit les systèmes devant être connectés à un ordinateur fixe ou portable par USB ou Wifi.

Systèmes à poser type POD (Put On Desktop)

Un scanner intra-oral peut être livré seul et requérir l’achat d’un ordinateur sur lequel le brancher pour l’utiliser. On parle alors de système POD. C’est un critère important à prendre en compte car bien souvent, sur les modèles de scanners filaires, cela implique d’investir dans un chariot informatique (figure 4) et d’y installer tout le matériel dessus et, éventuellement, d’y adjoindre un onduleur si l’on fait le choix d’un ordinateur de type tour. A contrario, une caméra POD sans fil pourra se connecter aisément en Wifi entre les salles composant le cabinet sur les ordinateurs déjà présents.

Systèmes intégrés type CART (chariot)

D’autres scanners sont livrés avec une tablette ou un chariot intégrant déjà un ordinateur, un écran (tactile ou non) et éventuellement une batterie : on parle alors de système CART. Ces systèmes où tout est intégré ont l’avantage d’être souvent plus compacts et esthétiques (figure 5) que les chariots destinés aux systèmes POD mais ils sont plus onéreux et ne permettent pas de faire évoluer l’informatique embarqué sans faire sauter la garantie du constructeur.

Ergonomie : mensurations, connectivité, filaire ou wireless, interface tactile

C’est probablement un des points clés dans le choix d’un scanner intra-oral : sa vocation est d’être l’extension naturelle de nos mains et de se faufiler aisément dans les grandes comme dans les petites cavités orales. N’oublions pas que, à la différence des modèles Typodont largement utilisés lors des démons trations, nos patients disposent d’une langue et de joues parfois toniques. Ils salivent de manière parfois importante, ont des dents bien souvent versées, des réflexes nauséeux plus ou moins prononcés… Bref, nous le savons tous, la bouche est un milieu hostile ! Tous ces éléments plaident en la faveur d’un scanner ayant un poids contenu et un embout idéalement sans vitre le rendant agile en toute situation. La technologie sans fil est un plus, tant dans l’étape de numérisation que dans les déplacements dans l’espace de soin. Les interfaces logicielles simples et tactiles apportent du confort au quotidien.

Numérisation : vitesse, fluidité, IA, facilité d’utilisation, détection de caries

C’est un des points les plus complexes à objectiver car il est très opérateur-dépendant. Chaque scanner nécessite une courbe d’apprentissage qui lui est propre. Même un praticien expérimenté en numérique peut se faire surprendre et ne pas réussir à tirer dès les premiers essais la quintessence d’un scanner.

La précision d’un scanner est la somme de la technologie de numérisation utilisée, du traitement informatique des données brutes mais aussi du respect des préconisations d’utilisation et notamment du respect du chemin de scannage. L’intelligence artificielle nous aide dans de nombreux cas mais peut aussi nous desservir dans certaines situations : élimination de crochets métalliques, élimination de corps de scannage implantaires…

Enfin, certains systèmes embarquent des technologies de détection carieuse par fluorescence (figure 6) ou par réflexion/transillumination (NiRi).

Pour avoir testé 10 des 12 scanners répertoriés ici, nous remarquons des disparités importantes entre ce qu’il est possible de faire sur un modèle dentaire hors bouche et la réalité clinique en bouche. En effet, certains scanners sont peu tolérants quant à la distance aux dents, à l’angle du scanner, à la profondeur de champ, mais aussi aux réflexions des surfaces métalliques ou de certaines céramiques.

Nous nous sommes attachés ici à nous glisser dans la peau de l’utilisateur novice, qui cherche simplement à numériser une arcade complète de la manière la plus efficiente possible. Les notations reprises dans le tableau incluent donc la vitesse mais aussi la fluidité des étapes de scannage et du logiciel.

Intégration et ouverture : applications intégrées, ouvertures

Tous les scanners ne sont pas totalement ouverts, ou du moins pas forcément de la manière la plus simple qui soit. Pourtant, aujourd’hui, l’ouverture est la clé pour permettre à chaque praticien et à son laboratoire d’édifier une chaîne numérique qui leur permettra la meilleure efficience.

Certains fabricants intègrent au sein du logiciel de numérisation des modules additionnels permettant par exemple de réaliser de la CAO dentaire, des aligneurs orthodontiques, de la planification implantaire ou, tout simplement, des comparatifs de scans dans le temps, de la prise de teinte, des simulations orthodontiques ou du Smile Design. En revanche, d’autres n’autorisent que la numérisation et l’export vers un laboratoire ou un logiciel tiers.

Coût initial, options, redevances annuelles

Dans ce domaine, les disparités sont grandes : du simple au quadruple en termes de prix d’achat, des options gratuites ou couteuses… mais aussi l’épineux sujet des redevances annuelles avec blocage du système en cas de non-paiement ! Il est certain que, sur ces aspects, certains majors vont devoir revoir leur copie pour rester attractifs.

De nouveaux venus, considérés comme outsiders il y a peu, ont plus développé en un an que des mastodontes de la dentisterie ces dix dernières années, les plaçant aujourd’hui à des niveaux proches des grands du domaine.

Communiquer avec son laboratoire

C’est un point crucial à étudier : la plupart des systèmes proposent aujourd’hui leur plateforme cloud clinique/laboratoire sécurisée, comme le 3Shape Communicate ou le Medit Link par exemple. Certaines sont totalement gratuites et simples, d’autres plus complexes ou payantes ou intégrées directement dans les logiciels de CAO côté laboratoire. Dans tous les cas, il faut prévoir d’avoir une discussion importante avec son partenaire prothésiste car il s’agit d’un outil de communication quotidienne essentiel qui doit être simple et efficace.

Une histoire de data

Cela devient un point critique : le partage et le stockage des données numériques mais aussi la sauvegarde et la relecture à long terme.

L’arrivée du digital dans les cabinets bouscule certes les habitudes de travail traditionnelles mais aussi et surtout la façon dont on doit penser l’informatique qui l’accompagne. Les scanners intra-oraux sont gourmands en ressources matérielles tant pour l’acquisition et le traitement des données numérisées que par le volume occupé par ces mêmes données qui devient vite exponentiel.

Il est donc important de penser au préalable à la façon dont sera utilisé le scanner : un appareil unique en partage dans le cabinet ou plusieurs scanners connectés en réseau ? La sauvegarde des données est aussi un point crucial tant on devient dépendant de ces outils mais aussi d’un point de vue médico-légal. Des solutions de sauvegarde automatique en local sur des appareils type NAS sont essentielles (figure 7) mais des solutions de réplications dans le cloud sont aussi nécessaires pour palier le risque local de destruction ou de vol des supports de stockage.

Formation

Choisir un scanner intra-oral, c’est choisir de basculer dans le monde de la dentisterie digitale. C’est donc accepter de porter un regard neuf sur ses protocoles cliniques et de repenser ses séquences de traitement pour tirer la pleine quintessence de ces formidables outils. La formation est essentielle, tant celle initiale délivrée par certains distributeurs que celle de perfectionnement.

Les efforts considérables des industriels en matière de développement des logiciels et matériels ont certes permis aujourd’hui de réduire fortement les courbes d’apprentissage mais elles sont toujours bien présentes et plus ou moins abruptes en fonction des cliniciens ! Il faut accepter de perdre un peu de temps au départ pour en gagner énormément par la suite.

Support

C’est là aussi un élément clé. Basculer dans le monde digital, c’est accepter de se soumettre aux aléas de l’informatique. Il est indispensable de se tourner vers des distributeurs ayant des supports techniques intégrés extrêmement réactifs et disponibles car les pannes sont bien souvent d’origine purement logicielle. Pensons notamment aux mises à jour des systèmes d’exploitation Windows qui, en une itération, peuvent faire basculer des parcs entiers d’utilisateurs dans la panique.

CONCLUSION

On comprend à la lumière de ces éléments que le choix d’un scanner intra-oral est loin de n’être qu’une question tarifaire ou de technologie d’acquisition ; c’est au contraire une réflexion globale qui doit être menée.

À qui se destine ce scanner : un praticien seul ou un cabinet de groupe ? Le cabinet nécessite-t-il un seul scanner ou plusieurs ? Peuvent-ils être fixes ou doivent-ils être aisément déplaçables ? Les données seront-elles isolées ou mises en commun sur un serveur ? Quelles sont les indications cliniques envisagées à court, moyen ou long terme ? Si la plupart des scanners du marché sont capables aujourd’hui de donner des résultats reproductibles en enregistrements sectoriels, il n’en est pas de même en arcade complète et encore moins en arcade complète sur implants. De même pour la prothèse amovible complète et, a fortiori, encore plus en prothèse amovible partielle combinée. La réflexion est similaire pour les besoins futurs en termes d’évolutions logicielles : planification implantaire, chirurgie guidée, orthodontie ? Autant de facteurs à déterminer précocement sous peine de se retrouver rapidement équipé d’une usine à gaz nécessitant des manipulations de fichiers en permanence, avec tous les aléas et pertes de temps inhérents.

À qui vais-je envoyer ces fichiers numériques ? Mon laboratoire est-il équipé ? Quelles sont ses recommandations ? Nos laboratoires de prothèse en France sont bien en avance sur nous autres chirurgiens-dentistes. Leur niveau d’équipement digital est bien plus important et ce depuis de bien plus nombreuses années. La standardisation des formats de fichiers numériques simplifie grandement les choses, les plateformes cloud des fabricants de scanners aussi. Pour les laboratoires non équipés, ce peut être une occasion formidable que de sauter le pas concomitamment avec les praticiens souhaitant s’équiper. On a souvent entendu dire que le digital allait tuer la relation praticien/prothésiste mais, en réalité, il n’en est rien. C’est tout l’inverse et l’expérience nous montre même que les liens se renforcent.

Liens d’intérêts

Thibaud Casas déclare n’avoir aucun lien d’intérêts et que le contenu de cet article ne présente aucun conflit d’intérêts.