Clinic n° 02 du 01/02/2025

 

Dossier

Fiona HU*   Matthieu PÉRARD**   Tatiana CARON***   Alix JERBI****   Doriane CHACUN*****   Brigitte GROSGOGEAT******   Franck DECUP*******  


*Chirurgien-Dentiste Pratique privée, Paris
**MCU-PH, Université Rennes Laboratoire INSERM, LTSI-UMR 1099, CHU, Rennes
***CCU-AH Université Lyon 1, UFR Odontologie, Laboratoire Multimatériaux et Interfaces (UMR CNRS 5615), Hospices Civils de Lyon
****Chirurgien-Dentiste
*****MCU-PH Université Lyon 1, UFR Odontologie, Laboratoire Multimatériaux et Interfaces (UMR CNRS 5615), Hospices Civils de Lyon
******PU-PH Université Lyon 1, UFR Odontologie, Laboratoire Multimatériaux et Interfaces (UMR CNRS 5615), Hospices Civils de Lyon
*******MCU-PH Université Paris Cité, UFR Odontologie Laboratoire Santé Orale (UMR 1333) Hôpital Charles Foix, APHP

La Tomographie Volumique à Faisceau Conique (CBCT) est devenue un dispositif clé en odontologie, offrant une vision tridimensionnelle précise des tissus durs. Son utilisation croissante, notamment en endodontie, parodontie et implantologie, est souvent dictée par la nécessité de confirmer des diagnostics complexes.

L’intégration de l’intelligence artificielle (IA) dans l’analyse des CBCT ouvre la voie à une nouvelle ère de prise en charge optimisée. Cet article explore par une revue de littérature, les implications de l’IA dans l’analyse des CBCT, ses applications cliniques, ses performances diagnostiques et ses limites.

De nombreuses pathologies orales impliquent les tissus minéralisés de la cavité orale. Lors de leur diagnostic, l’examen clinique est souvent complété par des imageries bidimensionnelles (2D) ou tridimensionnelles (3D), qui permettent d’identifier ou de confirmer des lésions pathologiques, des altérations structurelles, ou des complications liées à des traitements antérieurs.

LA TOMOGRAPHIE VOLUMIQUE À FAISCEAU CONIQUE (CBCT)

Le CBCT, ou Cone Beam Computed Tomography, constitue une avancée majeure en imagerie tridimensionnelle. Il repose sur l’utilisation d’un faisceau de rayons X conique et pulsé, associé à un détecteur qui tourne autour de l’objet examiné en suivant un trajet circulaire (de 180 à 360° selon les appareils). Cette rotation génère plusieurs projections transmises à un ordinateur, qui reconstruit un volume 3D composé de voxels (unités élémentaires de mesure volumique) (figure 1). Le champ de vue détermine la zone anatomique couverte par l’acquisition allant d’une dent unique au crâne entier.

Bien que la radiographie 2D demeure l’examen de première intention en dentisterie, elle souffre des limitations inhérentes à la projection bidimensionnelle. Dans certains cas, l’acquisition de multiples incidences ou le recours à un CBCT devient nécessaire pour obtenir des informations plus détaillées.

L’adoption du CBCT par les chirurgiens-dentistes s’accroît grâce à sa capacité à fournir des données diagnostiques précieuses. Cependant, son utilisation doit rester justifiée selon le principe ALARA (As Low As Reasonably Achievable), en raison des doses de rayonnements ionisants plus élevées qu’il implique par rapport aux radiographies conventionnelles. Par conséquent, une analyse bénéfice/risque positive est indispensable, et un usage systématique de cette technologie est à proscrire.

La Haute Autorité de Santé (HAS) encadre l’usage du CBCT en endodontie, soulignant son intérêt dans les situations où les informations fournies par l’examen clinique et les radiographies classiques ne suffisent pas. Dans ces cas précis, une imagerie 3D peut améliorer la prise en charge et le pronostic des dents concernées [1]. Le rapport 172 de la Commission Européenne, publié en 2012, constitue à ce jour la référence internationale la plus exhaustive pour justifier les actes d’imagerie CBCT [2].

DOMAINES D’APPLICATION CLINIQUE DU CBCT

Selon le volume des champs explorés, les indications du CBCT en odontologie couvrent un large éventail de situations, parmi lesquelles (exemple figure 2) :

- la localisation de dents incluses et évaluation des résorptions externes associées ;

- l’analyse des fentes palatines ;

- la planification des ancrages orthodontiques temporaires (mini-implants) ;

- l’évaluation du parodonte et des lésions péri-apicales ;

- le diagnostic des lésions carieuses ;

- la recherche des résorptions ;

- l’analyse en endodontie ;

- la planification implantaire et chirurgicale ;

- la détection des fractures radiculaires et des traumatismes faciaux ;

- l’exploration des sinus maxillaires.

Toutefois, l’utilisation du CBCT n’est pas justifiée pour le diagnostic de routine des lésions carieuses en raison de sa faible balance coût/bénéfice/sécurité. La radiographie bitewing reste l’examen de choix pour ce type de diagnostic. En revanche, dans les examens réalisés pour d’autres motifs, le CBCT peut permettre d’identifier des lésions carieuses grâce à sa plus grande précision [1].

AVANTAGES SPÉCIFIQUES EN ENDODONTIE

Le CBCT surpasse les radiographies péri-apicales pour détecter des résorptions radiculaires internes importantes, souvent déterminantes dans les choix thérapeutiques (extraction ou conservation) [1, 3]. Il est également précieux pour identifier les fractures radiculaires verticales lorsque les tests cliniques et radiographiques conventionnels échouent à fournir un diagnostic. Néanmoins, les fêlures fines restent parfois invisibles sur CBCT [3].

En endodontie, le CBCT permet de visualiser de manière significative :

- les racines et leurs canaux accessoires (notamment MV2). Une étude comparative in vitro a montré que le CBCT était plus sensible et spécifique que les radiographies intra-orales dans la détection de canaux MV2 et canaux accessoires [4] ;

- les lésions péri-apicales, avec une sensibilité presque deux fois supérieure à celle des clichés rétro-alvéolaires [2] ;

- les structures anatomiques complexes, influençant directement les décisions de traitement et leur pronostic.

Il est également utile dans la planification préopératoire de traitement endodontique non chirurgical et chirurgical et dans le suivi cicatriciel des lésions péri-apicales par possibilité de réaliser des mesures quantitatives [2].

LIMITES ET PERSPECTIVES GRÂCE À L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE

Bien que le CBCT facilite le diagnostic, la planification préopératoire et le suivi cicatriciel, son interprétation reste chronophage. L’intelligence artificielle (IA), par ses capacités de reconnaissance d’image, intervient pour automatiser les étapes répétitives et améliorer la précision des analyses (figure 3).

Dans l’optique d’optimiser le temps clinique, l’efficacité de la prise en charge, et de réduire les erreurs dans l’interprétation des images issues du CBCT, des recherches intégrant l’IA ont été menées. Le temps requis pour la segmentation dentaire (individualisation de chacune des dents) par le réseau IA se situe entre 0,126 secondes et 5 min [5], et la détection des lésions péri-apicales par le modèle U-Net prend seulement 22 secondes [6]. Le gain de temps réalisé peut permettre aux chirurgiens-dentistes de se concentrer sur des tâches cliniques et décisionnelles plus complexes.

L’IA se développe très vite en imagerie médicale et en radiologie dentaire. Des logiciels intégrés au CBCT existent déjà avec des performances intéressantes [7]. L’analyse d’une image radiographique par l’IA est très rapide et ne prend que quelques minutes pour une image 3D [8]. Cependant, la qualité des informations restituées doit être validée scientifiquement et approuvée individuellement par le professionnel de santé.

La revue de la littérature présentée ici explore les performances de l’IA par la reconnaissance d’images issues du CBCT, pour l’identification diagnostique des lésions au niveau des...