CONCLUSION LA PRÉVENTION, AU CŒUR DE LA PRATIQUE CLINIQUE EN CARIOLOGIE
Conclusion
Sophie DOMÉJEAN* Guillaume SAVARD**
*PU-PH Université Clermont Auvergne, Centre de Recherche en Odontologie Clinique EA 4847 et département de dentisterie restauratrice et endodontie, UFR d’Odontologie, Clermont-Ferrand Service d’Odontologie, CHU Estaing, Clermont-Ferrand
**Maître de conférences associé Université de Tours, département de dentisterie restauratrice et endodontie, UFR d’Odontologie
En conclusion de ce numéro spécial Cariologie qui aborde tous les points clefs d’une gestion actuelle et raisonnée de la maladie carieuse et de ses lésions, il paraît intéressant de relier tous ces points sous la bannière générale de la prévention qui peut s’envisager tant à l’échelle des populations que du patient. Bien que la prévention apparaisse trop souvent déconnectée de la clinique et associée à l’aspect technocratique de la santé publique, elle est pourtant...
En conclusion de ce numéro spécial Cariologie qui aborde tous les points clefs d’une gestion actuelle et raisonnée de la maladie carieuse et de ses lésions, il paraît intéressant de relier tous ces points sous la bannière générale de la prévention qui peut s’envisager tant à l’échelle des populations que du patient. Bien que la prévention apparaisse trop souvent déconnectée de la clinique et associée à l’aspect technocratique de la santé publique, elle est pourtant le cœur même de la pratique clinique en odontologie en général et en cariologie en particulier [1].
Trois niveaux de prévention sont classiquement décrits en médecine - de primaire à tertiaire. Une notion transversale - la prévention quaternaire - a été décrite au milieu des années 1990 par Jamoulle et coll. [2] puis revisitée vingt ans plus tard par Brodersen et coll. [3]. Elle vise à protéger les patients des interventions médicales qui pourraient faire plus de mal que de bien et à de réduire la surmédicalisation (surdiagnostic et surtraitement) et les dommages iatrogènes. Il est d’ailleurs décrit en médecine que surdiagnostics et surtraitements seraient, entre autres choses, liés au manque d’attention, d’écoute ou de connaissance, mais aussi à l’inadvertance, l’anxiété ou l’intérêt financier des praticiens [4], et à Widmer et coll. de préciser de plus que « Choisir soigneusement les investigations appropriées est tout l’art de la prévention quaternaire : entre le souhait d’un patient de « tout savoir » et l’inquiétude du médecin de manquer quelque chose de grave, il faut établir des priorités » [5]. Il apparaît clairement que les quatre niveaux de prévention et ces réflexions peuvent également intéresser l’odontologie et la cariologie.
En cariologie, la prévention primaire est centrée sur les stratégies qui visent à empêcher l’initiation de la maladie et de ces lésions. Elle comprend la prévention de la contamination précoce par les bactéries cariogènes, les conseils visant à réduire la consommation de sucres libres, les conseils d’hygiène orale, mais aussi l’utilisation des topiques fluorés (dentifrices et vernis) et les scellements préventifs. La secondaire ambitionne un diagnostic précoce et la stabilisation de la maladie et ses lésions grâce notamment à la gestion des facteurs de risque. La tertiaire vise à traiter les lésions et prévenir les complications ; elle intègre tous les soins ultra-conservateurs (non invasifs, micro-invasifs ou invasifs a minima) à adapter en fonction de la lésion considérée et de la possibilité d’implication du patient. Plus récemment, Doméjean et Muller-Bolla ont donc proposé de considérer la prévention quaternaire dans le domaine de la gestion de la maladie carieuse [1]. En effet, il paraît nécessaire d’éveiller les consciences à propos de la prévention quaternaire et de la nécessité d’éviter surtraitements et dommages iatrogènes :
- le sondage en tant qu’outil de détection doit être abandonné en raison de son manque de sensibilité et de spécificité, mais également de sa iatrogénicité ;
- toutes les options préventives et thérapeutiques ainsi que leur place dans le gradient thérapeutique doivent être connues ;
- la notion de suivi/surveillance doit savoir être envisagée ;
- les stratégies restauratrices doivent être discutées lésion par lésion - l’option restauratrice, même a minima, ne doit être indiquée que lorsque les non invasives (reminéralisation fluorée, scellement thérapeutique, vernis fluorure diamine d’argent) ou micro-invasives (infiltration résineuse) ont été écartées ;
- le curetage sélectif (partiel en parapulpaire, complet sur les parois en rapport avec l’angle cavo-superficiel) doit être privilégié dans le cas de lésions carieuses parapulpaires des dents ne présentant pas d’implication pulpaire ou pulpo-parodontale ;
- la dent adjacente à une préparation proximale (préparation cavitaire occluso-proximale ou préparation périphérique prothétique) doit être protégée d’un coup de fraise malheureux à l’aide d’une bande matrice métallique.
L’intégration de la prévention quaternaire en pratique clinique implique une attitude nouvelle, ouverte sur la santé du patient, informée des progrès des sciences et de la clinique, mais aussi prompte à s’interroger et faire face à cette part d’inconnu qu’est l’incertitude médicale, trame de fond de tout exercice médical. Dans un contexte où les résultats sont parfois aléatoires ou indéterminés, où les informations sont parfois ambiguës ou manquantes, où la multiplicité des causes et des interrelations génère une grande complexité, il semble primordial de savoir tolérer et gérer sa propre incertitude [6].
Intégrer les quatre niveaux de prévention en pratique clinique fait écho au concept global d’intervention minimale prônée tout au long de ce numéro spécial ; reconnaître la notion d’incertitude, condition inhérente au soin, pour y faire face rationnellement est la plus éthique des positions dont nous pouvons faire preuve dans un monde d’évolutions et bouleversements accélérés.
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêts.