Clinic n° 01 du 01/01/2025

 

Dentisterie

Préventive

Caroline MOCQUOT*   Emmanuelle VIGARIOS**   Lucie RAPP***   Delphine MARET****  


*Université de Rennes, CHU de Rennes (Pôle odontologie), Laboratoire des Multimatériaux et Interfaces (LMI), UMR CNRS 5615, Lyon
**Département de Médecine Orale, Oncopole Claudius Regaud, Institut Universitaire du cancer Toulouse-Oncopole
***Département d’Odontologie, Faculté de Santé, Université de Toulouse III, CHU de Toulouse, Laboratoire CERPOP, Toulouse Lucie RAPP Département
****Département d’Odontologie, Faculté de Santé, Université de Toulouse III, CHU de Toulouse, Laboratoire CAGT, Toulouse

Traditionnellement, lorsqu’une lésion carieuse était détectée cliniquement, une intervention chirurgicale unique était le premier choix de traitement. Il était souhaitable d’éliminer l’ensemble du tissu carieux. Cependant, au fil du temps, la profession a assisté à une transformation de la gestion des lésions carieuses, provoquée par un changement dans la compréhension de leur étiologie et de leur pathogénie, et de la prise en charge de la maladie carieuse et non pas...


Résumé

La maladie carieuse étant multifactorielle, le chirurgien-dentiste doit investiguer, interroger et rechercher afin de poser un diagnostic. En effet, la prise en charge en cariologie ne se limite pas au traitement des lésions cavitaires causées par les bactéries. La recherche de la maladie carieuse et les thérapeutiques préventives permettent d’agir en amont de l’apparition des lésions. Nous ne pouvons pas évoquer la « maladie carieuse en 2025 », sans présenter la philosophie des soins bucco-dentaires à intervention minimale (MIOC). Elle repose sur une approche globale à travers quatre domaines : l’identification (l’entretien clinique, l’examen clinique et les examens complémentaires), la prévention, la restauration et la réévaluation. La recherche de la maladie carieuse s’intègre dans le domaine « identification ».

Il s’agit ici de promouvoir une méthode contemporaine préventive de la gestion de la maladie carieuse centrée sur le patient et tenant compte de son risque carieux.

Traditionnellement, lorsqu’une lésion carieuse était détectée cliniquement, une intervention chirurgicale unique était le premier choix de traitement. Il était souhaitable d’éliminer l’ensemble du tissu carieux. Cependant, au fil du temps, la profession a assisté à une transformation de la gestion des lésions carieuses, provoquée par un changement dans la compréhension de leur étiologie et de leur pathogénie, et de la prise en charge de la maladie carieuse et non pas uniquement des lésions carieuses, séquelles de la maladie [1].

Le processus de prise de décision concernant la gestion de la maladie carieuse n’est plus influencé uniquement par l’hypothèse selon laquelle la maladie carieuse est une maladie infectieuse. L’approche est globale.

• Les bactéries impliquées dans le processus carieux sont désormais reconnues comme faisant partie du microbiote commensal, comprenant un microbiome central qui s’enrichit dans une situation dysbiotique au sein du biofilm pour finalement causer des dommages tissulaires, une lésion carieuse [1-4].

• La consommation accrue d’hydrates de carbone alimentaires a un impact sur la composition, la richesse et la diversité du microbiote buccal. Le métabolisme des glucides des bactéries du biofilm de la plaque modifie le pH en un environnement plus acide. Par conséquent, la croissance de certaines espèces aciduriques/acidophiles augmente, tandis que d’autres s’appauvrissent. Cet état dynamique peut provoquer des déséquilibres dans le processus de déminéralisation et de reminéralisation, entraînant le développement de lésions carieuses [1-4].

Sur cette base, il est désormais clair que les traitements chirurgicaux traditionnels des lésions carieuses ne peuvent pas être considérés comme un remède au processus de la maladie. La philosophie des soins bucco-dentaires à intervention minimale (Minimum Intervention Oral Care - MIOC) repose sur ces nouvelles connaissances et la démarche diagnostique de la maladie carieuse s’inscrit désormais dans ce nouveau concept [5].

La prise en charge des MIOC se compose de quatre domaines interdépendants [5] :

- le « domaine d’identification » (l’entretien clinique, l’examen clinique et les examens complémentaires) comprend la recherche des facteurs de risque et la détection des lésions précoces ;

- le « domaine de prévention/contrôle » englobe des stratégies non invasives adaptées et axées sur le patient, telles que le régime alimentaire, le contrôle du biofilm et l’utilisation du fluor. Dans ce domaine, l’équipe de soins bucco-dentaires joue un rôle d’éducateur et de promoteur de la santé ;

- le « domaine restauration » correspond aux interventions chirurgicales minimalement invasives pour la prévention des maladies tertiaires (traiter et éviter les complications) [5, 6] ;

- le domaine « rappel/révision/réévaluation » et vise à maintenir la santé bucco-dentaire du patient en établissant des visites de suivi en fonction de ses besoins spécifiques [5].

De nombreux guides et outils (CAMBRA, CarioGram, CariesCare International™, MIOC…) sont disponibles pour accompagner les praticiens dans la recherche de la maladie carieuse. Nous proposons ici de guider cette recherche à travers une série de questions permettant de réaliser un premier entretien clinique fiable et reproductible dans le but de poser le diagnostic du Risque Carieux Individuel (RCI) : faible ou élevé.

L’objectif de cet article est d’intégrer la démarche diagnostique en cariologie (la recherche de la maladie carieuse) dans le contexte de prise en charge des soins bucco-dentaires à intervention minimale. Une approche basée sur la prévention n’est envisageable qu’après une démarche diagnostic précise et reproductible puis la pose et l’explication du diagnostic [7].

DÉMARCHE DIAGNOSTIQUE

L’entretien clinique - la première étape pour diagnostiquer une maladie carieuse : que cherche-t-on ?

La démarche diagnostique est une approche médicale globale. Il s’agit de comprendre pourquoi les données que nous allons collecter vont permettre d’obtenir les bonnes informations. Le chirurgien-dentiste est un enquêteur à la recherche de renseignements permettant d’orienter le diagnostic.

En effet, il est essentiel de comprendre que le diagnostic de la maladie carieuse va bien au-delà du simple comptage des lésions ou de cavités. C’est pourquoi il est nécessaire de réaliser une anamnèse approfondie et minutieuse afin de rechercher les facteurs de risque (consommation de sucre, hyposialie, hygiène bucco-dentaire défaillante…) et les facteurs protecteurs (fluor).

Lors de l’entretien clinique, nous allons donc rechercher des informations concernant l’environnement du patient, sa santé, ses habitudes alimentaires et bucco-dentaires. Pour cela il est nécessaire de répondre aux questions suivantes (figure 1) :

- quels sont les éléments de l’environnement du patient pouvant influencer la maladie carieuse ?

- en quoi la santé générale et la prise de médicaments peuvent impacter le risque carieux ?

- quelles sont les caractéristiques individuelles influençant le développement de la maladie carieuse ?

L’objectif, de cette première rencontre est également d’établir une relation de confiance, une alliance thérapeutique avec le patient. Cela grâce, en particulier, à une écoute attentive et sans jugement.

Quels sont les éléments de l’environnement du patient pouvant influencer la maladie carieuse ?

• La profession

- Apport en sucre ? Les boulangers-pâtissiers et les individus exerçant des métiers de bouche sont plus à risque de développer une maladie carieuse. Ils évoluent dans un environnement spécialement sucré et avec un rythme de travail favorisant le grignotage.

- Horaires et lieux de travail atypiques ? Pour certaines professions aux horaires décalés (infirmiers, pilotes, hôtesses de l’air…) et/ou avec des lieux de travail en extérieur, il peut être compliqué de maintenir une hygiène alimentaire saine et une routine de brossage adaptée.

• Les loisirs

- Apport en sucre ? Pour les sportifs, les suppléments alimentaires riches en sucres, la fréquence des ingestions et les boissons énergisantes acides peuvent provoquer des lésions carieuses.

- Influence sur le flux salivaire ? L’intensité de l’effort sportif provoque une diminution du flux salivaire. La salive ne peut plus assurer son pouvoir tampon, donc son rôle protecteur. Une déshydratation non compensée, mais aussi une respiration courte due à un effort prolongé ou une respiration buccale peuvent également induire une diminution du flux salivaire.

• Le profil socio-démographique : niveau socio-économique, niveau de connaissances en santé, d’accès aux soins ? Un faible niveau socio-économique, un manque de sensibilisation à la santé bucco-dentaire et une difficulté d’accès aux soins sont des facteurs prédicteurs d’initiation de la maladie carieuse.

En quoi la santé générale et la prise de médicaments peuvent-elles impacter le risque carieux ?

Lors de l’anamnèse médicale, il convient de rechercher les facteurs pouvant entraîner des modifications salivaires, une hyposialie en particulier.

• Médications sialoprives : il s’agit principalement des médicaments psychiatriques et neurologiques, des antidépresseurs, des antipsychotiques et des anxiolytiques. Cependant, de nombreuses classes de médicaments peuvent entraîner une hyposialie. Le praticien doit s’intéresser aux effets secondaires de l’ensemble des médicaments pris par le patient et peut se procurer la liste des médicaments ayant des répercussions bucco-dentaires [8].

• Maladie systémique : la principale maladie entraînant une hyposialie est le syndrome de Gougerot-Sjögren. Il s’agit d’une maladie auto-immune se traduisant sur le plan histologique par la présence d’un infiltrat lymphopasmocytaire au sein des glandes exocrines et sur le plan clinique par une sécheresse orale et ophtalmique.

• Radiothérapie cervico-faciale : les rayonnements ionisants provoquent des changements dégénératifs sur le parenchyme des glandes salivaires. La gravité des effets est corrélée à la dose d’irradiation et au volume exposé. Le flux salivaire diminue, la salive est plus collante, visqueuse, acide [9]. Le praticien devra prendre contact avec le radiothérapeute afin de connaître la dose et le champ d’irradiation.

Si l’un de ces facteurs est identifié ou si le patient rapporte une sensation de bouche sèche, il sera nécessaire d’objectiver des signes fonctionnels caractéristiques d’une hyposialie à partir d’une série de questions :

- êtes-vous obligé de boire fréquemment pour vous aider à avaler les aliments secs (biscottes, crackers) ?

- emportez-vous de l’eau ou de la salive artificielle ?

- avez-vous une sensation de sécheresse buccale en mangeant ou en respirant ?

- êtes-vous obligé d’adapter la consistance des aliments pour déglutir ?

- êtes-vous obligé de vous humecter la bouche la nuit ?

- vos muqueuses buccales sont-elles collées, notamment au réveil (langue au palais) ?

- pouvez-vous parler longtemps ?

Quelles sont les caractéristiques individuelles influençant le développement de la maladie carieuse ?

• Habitudes alimentaires : fréquence ? apport en sucre ? Il est nécessaire de connaître le nombre de prises alimentaires du patient et la fréquence de consommation d’aliments à risque (sodas, boissons sucrées, friandises…).

• Historique dentaire

- Facteurs de risque locaux ? Un traitement orthodontique, des antécédents de lésions carieuses lors des deux dernières années sont des facteurs pouvant augmenter le risque de maladie carieuse.

- Manque de suivi ? Une appréhension des soins bucco-dentaires peut entraîner un manque de suivi et augmenter le risque carieux (absence de prévention et de détection des lésions à un stade initial).

• Hygiène bucco-dentaire : méthode et outils efficaces ? facteurs de risque ou facteurs protecteurs ? Interroger le patient sur la méthode et les outils permet de connaître son rapport à l’hygiène bucco-dentaire : fréquence, temps de brossage, type de brosse à dents et dentifrices, utilisation d’outils complémentaires (bain de bouche, brossettes, fil dentaire…).

L’apport de fluor fait partie des facteurs protecteurs.

• Tabac, drogues, alcool : diminution du flux salivaire ? En diminuant le flux salivaire, le tabac et les drogues augmentent le risque carieux. L’alcool diminue également le flux salivaire et, s’il est associé à du sucre augmente le risque carieux.

L’ensemble de ces éléments peut révéler une anxiété chronique (grignotages, stress des soins dentaires, difficulté à prendre du temps pour soi et son hygiène bucco-dentaire) ou des troubles psychologiques plus profonds (addictions, troubles du comportement alimentaire).

Le chirurgien-dentiste, en tant que professionnel de santé, doit prendre en compte le patient dans sa globalité, l’accompagner et l’orienter si nécessaire.

Existe-t-il des outils pouvant aider le praticien à conduire l’entretien clinique ?

Les paragraphes précédents illustrent que les informations à collecter sont nombreuses et dans des domaines diversifiés.

Le praticien pourra s’aider d’un questionnaire spécifique. Cet outil pourra être utilisé à la suite de l’entretien oral si le praticien détecte un ou des facteurs de risque et qu’il souhaite aller plus loin dans l’investigation. L’utilisation d’un tel questionnaire permettra de guider les praticiens lors de l’anamnèse et de cibler l’ensemble des facteurs de risque.

Ce questionnaire pourra être complété par une enquête alimentaire si des habitudes augmentant le risque carieux sont mises en évidence.

La CAMBRA coalition a développé une fiche d’évaluation du risque carieux pouvant accompagner les praticiens dans cette démarche [10, 11]. Des outils numériques existent également comme le CarioGram [12, 13].

L’entretien clinique permet-il de savoir si le patient est à RCI élevé ou faible ?

La collecte de l’ensemble des données de l’entretien clinique va orienter vers la maladie carieuse et son histoire. Elle permettra d’orienter le diagnostic, mais celui-ci ne pourra être posé définitivement qu’après l’examen clinique et l’évaluation de certains paramètres (lésions carieuses actives, accumulation de plaque dentaire, zones de rétention de plaque, faible débit salivaire…) [14].

Si le patient présente les facteurs de risque suivants : une hyposalivation due à l’âge, une maladie, une irradiation de la tête et/ou du cou et/ou l’usage de drogues/médicaments, il sera classé dans la catégorie à haut risque carieux. L’hyposalivation pourra être évaluée subjectivement lors de l’entretien clinique, mais devra être complétée de manière objective par un test salivaire.

Il existe de nombreux outils permettant d’établir le diagnostic en fonction des facteurs de risque et des facteurs protecteurs (guide clinique CariesCare International™ [14, 15], l’évaluation CAMBRA [10, 11, 16], flyer de l’American Dental Association (ADA) [17], etc.) (figures 2, 3 et 4).

L’entretien clinique a permis d’identifier certains facteurs de risque/protecteurs du patient. Il sera nécessaire de compléter la collecte des données par un examen clinique et des examens complémentaires.

Que rechercher à l’examen clinique ? Observer et collecter les données

Les informations issues de l’examen clinique sont parmi les données les plus importantes d’un dossier médical, celles qui conditionneront tout le reste de la prise en charge. Un examen clinique précis et rigoureux permettra de faire le diagnostic des lésions carieuses. Pour cela, le praticien doit savoir les identifier et les classifier d’après le site et le stade. Il doit également connaître les facteurs de risques locaux : traitement orthodontique, sillons anfractueux, encombrement, égression, version, restaurations débordantes, absence de point de contact, etc. La présence de plaque dentaire visible et de saignements gingivaux doit également être enregistrée car elle peut aider le praticien à évaluer le risque carieux ou la susceptibilité des patients. En effet, la littérature indique une association entre les lésions carieuses actives et la plaque dentaire visible [18].

L’examen clinique doit être conduit de manière protocolaire et reproductible. Tout comme l’entretien clinique, pour être bien mené il doit répondre à une série de questions (figure 5) [19] :

- quels sont les éléments cliniques informant sur l’hygiène bucco-dentaire du patient ?

- quels sont les facteurs de risque locaux à rechercher ?

- quels examens complémentaires peuvent compléter l’examen clinique ?

Les informations récoltées par un interrogatoire et un examen clinique fiable conditionnent le reste de la prise en charge [20]. Une méthode rigoureuse est indispensable pour ne rien oublier [6]. Seuls une écoute attentive et un examen clinique reproductible peuvent permettre de cibler l’ensemble des facteurs de risque d’un patient et de tenter de connaître toutes ses singularités.

L’examen clinique doit être précédé d’un nettoyage et d’un rinçage des surfaces dentaires.

Quels sont les éléments cliniques informant sur l’hygiène bucco-dentaire du patient ?

L’indice de plaque et l’inflammation gingivale vont indiquer si la fréquence de brossage est suffisante et la méthode efficace (figure 6).

Ces deux indices peuvent être classifiés afin de pouvoir étudier l’évolution dans le temps [21] :

• Indice plaque :

0 : pas de dépôt.

1 : plaque visible après coloration.

2 : plaque visible à l’œil nu.

3 : plaque abondante.

• Inflammation gingivale :

0 : absence de signe d’inflammation.

1 : inflammation minime (légers œdèmes et rougeur).

2 : inflammation modérée (aspect luisant - rougeur et hypertrophie modérée - saignement au sondage).

3 : inflammation sévère (rougeur - hypertrophie marquée - tendance au saignement spontané).

L’utilisation d’un révélateur de plaque mettra en évidence le biofilm à la surface des dents. Montrer au patient des photographies après application du révélateur de plaque est un élément pédagogique permettant d’améliorer la communication et de sensibiliser davantage à l’hygiène bucco-dentaire. Les photographies pourront être utilisées lors des séances de suivi afin d’illustrer l’amélioration du brossage et ainsi favoriser la remotivation.

Quels sont les facteurs de risque locaux à rechercher ?

Il s’agit de l’ensemble des facteurs pouvant, d’une part, empêcher le fluide salivaire de jouer son action via le nettoyage mécanique et, d’autre part, diminuer l’accès de la brosse à dents à l’ensemble des surfaces dentaires. Cela va augmenter localement la rétention de plaque dentaire :

- dents retenues, égression/version, encombrement (figure 7), sillons anfractueux, restaurations débordantes ou défectueuses, point de contact défectueux ou absent ;

- traitement orthodontique.

La présence de lésions carieuses actives est un facteur de risque de la maladie carieuse [19]. La recherche de lésions carieuses doit se faire délicatement à l’aide d’une sonde bout mousse afin de ne pas rendre cavitaire une lésion qui ne l’était pas initialement.

Référencer l’activité de la lésion, son site et son stade va déterminer le seuil d’intervention : non invasive, minimalement invasive ou micro-invasive [22]. Il convient de mentionner qu’il est prouvé que l’utilisation de systèmes de notation visuelle validés et bien établis améliore la précision de la détection visuelle des caries.

La classification ICDAS (International Caries Classification and Management System) propose une aide à la décision thérapeutique centrée sur la conservation tissulaire, en particulier grâce à l’intégration d’un stade 0. Chaque stade est associé à une catégorie clinique et histologique permettant une stratégie thérapeutique adaptée [23]. La mise en œuvre d’une méthode systématique d’enregistrement des lésions carieuses dentaires permet un suivi plus précis de l’état du patient au fil du temps [24]. Il est également important d’utiliser un système de détection des caries qui inclut les lésions carieuses initiales.

Des examens complémentaires sont nécessaires pour préciser le stade et le site des lésions et ainsi les classifier d’après les codes de l’ICDAS [23].

Quels examens complémentaires peuvent compléter l’examen clinique ?

Ce n’est qu’à la fin de l’examen clinique que des données supplémentaires concernant les lésions carieuses et les facteurs de risque peuvent être nécessaires via la réalisation d’examens complémentaires (radiographies, tests salivaires, etc.). Pourtant, il est surprenant de constater à quel point nombre de prises en charge d’un patient sont conduites par les résultats de la radiographie plutôt que par ceux issus de l’interrogatoire et de l’examen clinique.

• Examen radiographique

Les clichés rétro-coronaires permettent d’évaluer l’étendue des lésions carieuses et ainsi de les classifier. Ils sont indispensables pour établir le diagnostic et le protocole de traitement dans le cas d’une maladie carieuse (figure 8).

• Analyse salivaire

Le test salivaire permet d’évaluer le flux salivaire, la viscosité, la consistance, le pH, le pouvoir tampon et la quantité stimulée (figure 9). Il est indispensable si le patient rapporte une sensation de bouche sèche ou s’il présente un contexte médical pouvant entraîner une hyposialie (voir partie « entretien clinique »).

Le test au sucre peut également être utilisé. Il évalue la vitesse de fonte dans la bouche d’un morceau de sucre calibré (n° 4) placé sous la langue. Il fond en 3 minutes s’il n’y a pas d’hyposialie.

• Outils complémentaires

Afin d’améliorer la détection des lésions carieuses, des outils complémentaires peuvent être utilisés [25-27] :

- aides optiques (loupes, microscope) [28] ;

- dispositifs utilisant des systèmes d’imagerie par fluorescence (évaluation quantitative et/ou qualitative) ou analyse de lumière infrarouge réfléchie. Associés ou non à une caméra intra-orale, ces outils sont une aide pour différencier les tissus cariés des tissus sains et ainsi identifier et évaluer l’étendue des lésions.

POSER ET EXPLIQUER LE DIAGNOSTIC : LA PLANIFICATION PERSONNALISÉE DES SOINS

Le diagnostic est le fruit d’un raisonnement intellectuel rigoureux permettant de retrouver des connaissances médicales précédemment enregistrées correctement [20]. Ainsi, en pratique, lorsque le praticien fait le bon diagnostic, il peut dès lors ouvrir son « tiroir mental », c’est-à-dire « dérouler » mentalement les notions importantes concernant la prise en charge de son patient : le diagnostic étiologique, les complications, la thérapeutique, la surveillance du patient, etc.

Qu’est-ce que le plan de soins personnalisés ?

Le plan de soins personnalisés correspond à la prévention et à la gestion de la maladie carieuse en tenant compte des risques et de la susceptibilité individuels.

Il permet de dispenser des soins adaptés, notamment chez les patients présentant des besoins complexes en matière de santé bucco-dentaire et médicale.

C’est une démarche centrée sur le patient, fondée sur la planification d’objectifs et la prise de décision partagée avec les équipes de médecine bucco-dentaire.

Il respecte le consentement, les choix, les besoins et les attentes du patient.

Comment se déroule le plan de traitement personnalisé ?

Le concept de MIOC conduit le chirurgien-dentiste à évoluer d’une approche purement chirurgicale à une approche préventive et micro-invasive centrée sur la préservation des tissus dentaires [29]. C’est un concept qui concerne la globalité de la bouche et s’adapte ainsi à la prise en charge de la maladie carieuse [5].

Le plan de traitement personnalisé s’intègre dans une démarche de soins holistique basée sur quatre phases cliniques interconnectées (figure 10).

Phase 1 : identification

Comme vu précédemment, l’évaluation complète de la santé générale et bucco-dentaire au travers de l’interrogatoire et de l’examen clinique permet de détecter et d’évaluer le risque et la susceptibilité du patient vis-à-vis de la maladie carieuse.

Cette phase permet d’établir un diagnostic et la planification des soins centrés sur le patient.

Lorsque la situation clinique l’impose, le chirurgien-dentiste procède au soulagement urgent de la douleur ou à la stabilisation des lésions (temporisation, restaurations provisoires).

Phase 2 : prévention des lésions et contrôle du processus carieux

Cette phase consiste en la mise en place de mesures préventives comportementales non opératoires. Elle prend en compte les facteurs de risques.

Cette phase cherche à modifier le comportement du patient : techniques de contrôle du biofilm bactérien (brossage et utilisation de dentifrice fluoré) et prises alimentaires (qualité et fréquence).

Au stade précoce de la maladie carieuse, la prévention vise à reminéraliser les lésions carieuses débutantes (figure 11). Cela grâce aux fluorures en application topique ou aux agents de reminéralisation. Il est également possible de mettre en place des scellements de type scellants ou d’infiltrer des lésions débutantes.

À un stade plus avancé, elle concerne les procédures opératoires peu invasives, y compris l’élimination sélective des lésions carieuses.

Phase 3 : gestion opératoire minimalement invasive

Cette phase vise à restaurer les dents lésées par la maladie carieuse et à gérer leur impact sur la santé bucco-dentaire (cavitations, fractures, septites, pathologies pulpaires…) et, d’une manière globale, la santé générale.

• Comment ?

- Ce que je faisais : éviction de l’ensemble du tissu carieux étendue aux tissus sains et obturation par un matériau de restauration durable.

- Ce que je fais à présent : gestion opératoire minimalement invasive tenant compte de la texture et de la profondeur de la lésion carieuse. Dans le cas d’une lésion carieuse profonde, elle autorise la conservation de la dentine déminéralisée affectée, voire en partie infectée en regard direct de la pulpe et le scellement de la cavité. Le microbiote résiduel tend à s’épuiser sous une restauration étanche. Cette technique permet de préserver la vitalité pulpaire et augmente la longévité du complexe dent/restauration.

• Avec quoi ?

L’évolution des biomatériaux dentaires, notamment les systèmes adhésifs et les matériaux bioactifs, a permis le développement de ces pratiques minimalement invasives [7, 31].

Les propriétés physico-chimiques et biologiques des résines composites et les ciments de type verre ionomère en font les matériaux de choix en technique directe micro invasive.

Selon Leal et al., la restauration par technique directe ou indirecte, ainsi que l’endodontie doivent tenir compte non seulement de la taille de la préparation de la cavité, mais aussi des nouveaux concepts d’étiologie et de pathogenèse des lésions carieuses, de la préservation/esthétique de la structure dentaire, du maintien de la vitalité/sensibilité de la pulpe dentaire, de la solidité de la structure dentaire restante et de la longévité fonctionnelle du complexe dent-restauration [1].

Aussi, la décision de remplacer plutôt que de réparer une restauration défectueuse est encore majoritairement plébiscitée en pratique clinique. Selon Green et al, la réparation devrait être préférable au remplacement complet de la restauration, afin d’éviter l’agrandissement de la cavité et, par conséquent, de préserver le tissu dentaire [32].

Phase 4 : consultations de rappel personnalisées

L’objectif de la consultation de rappel est de diminuer le risque et la susceptibilité du patient vis-à-vis de la maladie carieuse, en passant d’un niveau élevé à un niveau faible, par la stabilisation globale de son état bucco-dentaire.

Ces protocoles de surveillance suivent les directives du National Institute of Care and Excellence (NICE) et les recommandations du Delivering Better Oral Health [33].

Cette phase permet la réévaluation et le suivi de la maladie carieuse : facteurs de risque et traitements réalisés. Elle revient sur la phase d’identification précédemment faite.

Elle est adaptée en fonction du profil du patient.

Il est essentiel que la maladie carieuse soit contrôlée avant de procéder à des traitements plus avancés, sauf en cas de nécessité clinique, telle que la mise en place immédiate d’une prothèse dentaire.

La diminution de l’incidence des lésions carieuses réduit le besoin de traitements restaurateurs complexes à long terme. Cela favorise le maintien réussi et durable grâce à la motivation du patient et à l’adoption d’habitudes et de comportements préventifs [34].

Si la réévaluation confirme une santé bucco-dentaire stable et un risque carieux réduit, le chirurgien-dentiste peut réaliser des restaurations fonctionnelles définitives.

CONCLUSION ET PERSPECTIVES

La prise en charge de la maladie carieuse ne doit pas se limiter à la gestion des conséquences de l’attaque acide provenant des bactéries cariogènes.

Les informations récoltées par un entretien et un examen clinique fiable conditionneront le reste de la prise en charge. Une méthode rigoureuse est indispensable pour ne rien oublier. Seules une écoute attentive et une consultation reproductible peuvent permettre de cibler l’ensemble des facteurs de risque d’un patient et de tenter de connaître toutes ses singularités. En lui accordant le temps et l’attention nécessaires, il pourra retrouver sa place d’acteur principal de sa santé, étape indispensable à la guérison.

Pour cela, il est primordial de déterminer le niveau de risque de chaque individu à travers l’évaluation du RCI. La démarche diagnostique nécessite une investigation comprenant quatre domaines : l’identification (l’entretien clinique, l’examen clinique et les examens complémentaires), la prévention, la restauration et la réévaluation. Cela nous permet de prévenir l’apparition des lésions ou, du moins, d’intervenir à des stades précoces et de permettre une préservation tissulaire. Chaque patient doit être considéré comme une individualité et doit être placé au centre d’un plan de traitement personnalisé. Le concept actuel consiste à privilégier les soins préventifs par rapport aux soins curatifs « traditionnels ».

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Liens d’intérêts

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêts.

PATIENTS À BESOINS SPÉCIFIQUES - HYPOSIALIE (RADIOTHÉRAPIE ET AUTRES TRAITEMENTS)

Les patients présentant une hyposialie (médications sialoprives, radiothérapie, maladie auto-immune, etc.) exigent d’adapter la recherche de la maladie carieuse et les stratégies thérapeutiques. Si le patient présente une hyposialie, il est d’emblée à risque carieux élevé.

L’examen clinique pourra être complété par un test salivaire afin de quantifier l’hyposialie et d’objectiver des anomalies du pouvoir tampon, du pH…

Des lésions carieuses cervicales généralisées peuvent être caractéristiques d’une hyposialie et/ou d’une modification de la composition salivaire. Ces lésions cavitaires sont très souvent asymptomatiques et leur progression est très rapide (figure 12).

L’élimination du biofilm en regard de ces lésions cavitaires peut être difficile pour les patients.

ESSENTIEL À RETENIR

• Accorder du temps à l’identification des facteurs de risque carieux lors de l’entretien et de l’examen clinique : investigation, identification, écoute…

• Repérer les premiers signes de déminéralisation amélaire, en particulier grâce à des aides optiques ou des outils spécifiques.

• Réaliser des clichés rétro-coronaires.

• Informer son patient des conséquences de l’existence d’un RCI élevé.

• Appliquer des mesures spécifiques personnalisées chez un patient avec un RCI élevé.

• Parler des sensibilités dentinaires, leurs étiologiques et leurs conséquences.

• Intégrer la démarche diagnostique en cariologie dans le contexte de prise en charge des soins bucco-dentaires à intervention minimale.

• Privilégier la prévention avec des procédures non/minimalement invasives et préservant les tissus dentaires.

• Prendre en charge la maladie carieuse grâce aux quatre domaines de l’intervention minimale : l’identification, la prévention, la restauration et la réévaluation.