PRISE EN CHARGE ORTHODONTIQUE DES DENTS PERMANENTES MATURES TRAUMATISÉES
Orthodontie
**%22&revues[]=CLI&sortby=relevance">Chloé FALCO
*Ancienne interne des Hôpitaux de Paris Exercice libéral, Paris
**CCU-AH Faculté de Chirurgie dentaire Robert Franck, Université de Strasbourg Ancienne interne des Hôpitaux de Paris
***PU-PH, Orthodontie dento-faciale, APHP, Université Paris Cité
****MCU-PH, APHP, Université Paris Cité
La position des dents sur l’arcade résulte de l’équilibre entre les forces musculaires, les forces masticatoires et l’état du support parodontal. Toute modification de cet équilibre déclenche un remodelage osseux péri-radiculaire par mécanisme d’apposition/résorption qui conduit au déplacement dentaire.
Les mouvements orthodontiques reposent sur l’application de forces définies au moyen d’appareils externes fixes ou amovibles dans le but d’aboutir à des...
La position des dents reposant sur un équilibre délicat entre les forces musculaires et dentaires, toute perturbation de cette balance peut entraîner des complications parmi lesquelles les résorptions apicales externes et cervicales invasives. Les traitements orthodontiques agissant via des mouvements contrôlés sur le positionnement dentaire, il est essentiel, pour des dents à antécédent traumatique, de mettre en place une thérapeutique méticuleuse pluridisciplinaire afin de prévenir d’éventuelles complications. Un suivi régulier et une suspension temporaire du traitement orthodontique en cas d’effets indésirables sont indispensables pour préserver la santé bucco-dentaire globale du patient.
La position des dents sur l’arcade résulte de l’équilibre entre les forces musculaires, les forces masticatoires et l’état du support parodontal. Toute modification de cet équilibre déclenche un remodelage osseux péri-radiculaire par mécanisme d’apposition/résorption qui conduit au déplacement dentaire.
Les mouvements orthodontiques reposent sur l’application de forces définies au moyen d’appareils externes fixes ou amovibles dans le but d’aboutir à des déplacements dentaires contrôlés. Ils sont initiés dès l’application de la force et aboutissent à un déplacement dentaire immédiat correspondant à l’épaisseur du ligament alvéolo-dentaire (LAD). Schématiquement, les cellules de la face du LAD opposée au point d’application de la force se trouvent alors en compression (donc en ischémie), tandis que celles de la face opposée sont en tension. Cette modification d’apport vasculaire déclenche une cascade cellulaire pro-inflammatoire suscitant un remodelage osseux péri-radiculaire menant au déplacement dentaire « réel » car non lié à la viscoélasticité du desmodonte [1].
Certaines complications du traitement orthodontique (TO) sont liées à la perturbation de ces mécanismes de remodelage osseux qui deviennent alors pathologiques et peuvent engendrer l’apparition de résorptions telles que les résorptions apicales externes (RAE) (tableau 1, figure 1). Tout traumatisme dentaire est susceptible, d’une part d’engendrer des complications pulpo-dentinaires pouvant justifier la réalisation d’un traitement endodontique (TE) et dont la cicatrisation déclenche des processus inflammatoires péri-apicaux, et, d’autre part, de provoquer des lésions de l’appareil d’ancrage. Ces dernières peuvent se manifester par : des résorptions de surface (RS), des résorptions inflammatoires (RI), des résorptions de remplacement (RR), des résorptions cervicales invasives (RCI), ou encore des résorptions apicales transitoires (RAT) [2-4] (tableau 2).
Les traumatismes dentaires sont donc un facteur de risque de résorption radiculaire. C’est pourquoi tout TO réalisé dans un contexte d’antécédent traumatique nécessite une prise en charge pluridisciplinaire et personnalisée.
La prévalence des traumatismes dentaires est élevée : ils concernent près d’un quart des patients, dont une grande majorité avant l’âge de 19 ans [5]. Ils interviennent majoritairement chez une population jeune, parfois porteuse d’un appareil orthodontique ou susceptible de l’être à plus ou moins court terme. Compte tenu des complications pouvant être engendrées par les traumatismes au niveau de la dent et de son appareil d’ancrage, un suivi renforcé et de longue durée doit être mis en place (cf les autres articles de ce numéro spécial) [6].
Lorsqu’un traumatisme survient au cours d’un TO, le dispositif multi-attache peut avoir un effet protecteur en limitant l’amplitude de la luxation dentaire. Il peut en revanche aggraver les plaies muqueuses et cutanées et compliquer le repositionnement dentaire. Dans tous les cas, le TO doit être suspendu dès que possible et n’être repris qu’une fois la phase inflammatoire du traumatisme résolue. Dans le cas d’une luxation, l’arc orthodontique, s’il est trop rigide, ne doit pas être utilisé en contention : il pourrait accentuer les risques de complications. La contention doit demeurer flexible et passive (fil de diamètre inférieur à 0,4 mm) et rester en place deux semaines (figure 2). Quatre semaines de consolidation seront nécessaires en cas de fracture alvéolaire [7-9].
Il n’est pas toujours aisé de savoir quand et comment intervenir orthodontiquement sur des dents ayant subi un traumatisme.
Selon la nature du traumatisme, sa sévérité et le délai de prise en charge, différents types de cicatrisation peuvent survenir [2, 4, 6] :
- la régénération complète des différentes structures lésées ;
- la réparation fonctionnelle, où les structures sont restaurées dans une organisation tissulaire différente mais permettant à l’appareil d’ancrage d’assurer ses fonctions ;
- la cicatrisation non fonctionnelle, où ni la structure tissulaire ni la fonction ne sont rétablies.
Le délai avant instauration du TO dépendra de la durée et du type de cicatrisation observée.
Il arrive cependant qu’après un traumatisme trop sévère, le potentiel de régénération tissulaire résiduel soit insuffisant pour permettre aux structures de se rétablir, pouvant donner lieu à (voir définitions du tableau 2) :
- une nécrose pulpaire ;
- un processus résorptif transitoire (RAT ou RS) ;
- une ankylose ;
- un processus résorptif irréversible (RI, RR ou RCI) ;
- une résorption de l’os marginal transitoire ou définitive (ROM).
Les traitements orthodontiques reposant sur les mêmes mécanismes de remodelage osseux que la cicatrisation consécutive à un traumatisme, ils ne doivent pas être commencés avant la stabilisation des tissus, sous peine d’aggraver le risque de complications [10, 11].
Les principaux facteurs de risque de rhizalyse orthodontique, outre ceux liés à l’hôte (âge, antécédents médicaux, traitements médicamenteux, qualité intrinsèque de l’os…), sont l’intensité des forces appliquées, la durée totale des phases actives du traitement, la morphologie radiculaire et apicale et la présence d’un antécédent de traumatisme avec résorption radiculaire [10-12]. En cas de signes de résorption, le TO devra être suspendu jusqu’à stabilisation de la cicatrisation de l’appareil d’ancrage, soit au minimum 3 mois [13, 14].
La nécrose pulpaire étant la complication la plus fréquemment observée après un traumatisme [8], l’orthodontiste est amené à déplacer des dents traitées endodontiquement. Leur mouvement s’effectue de la même façon, à la même vitesse et sur les mêmes distances que des dents saines, sous réserve d’une absence d’ankylose [12]. La littérature fait défaut concernant le risque de résorption radiculaire, mais il semble raisonnable de penser qu’un TO bien mené, avec des forces contrôlées, ne s’avère pas plus risqué pour la dent dépulpée que pour la dent saine [15].
Lorsque le traitement canalaire est récent, il convient d’attendre que les médiateurs de l’inflammation aient évacué la région péri-apicale avant l’application des forces orthodontiques, soit 2 à 4 semaines après l’obturation endodontique [13]. Un TO peut donc, en principe, être débuté dès ce délai, mais doit être modulé selon chaque situation clinique, symptomatologie résiduelle et selon une évaluation rigoureuse clinique et radiographique de la cicatrisation.
La survenue d’une pathologie pulpaire ou péri-apicale au cours d’un TO doit conduire à la suspension des forces dans les plus brefs délais, afin de stopper les processus de remodelage osseux dus au déplacement dentaire. Ces derniers pourraient donner lieu à des résorptions radiculaires parasites en association avec la réaction inflammatoire générée par la pathologie péri-apicale [11].
Après une luxation traumatique, l’espace ligamentaire voit le rétablissement complet de son système vasculaire et la réattache de ses fibres principales à 2 semaines, permettant le retrait de la contention réalisée le jour de l’urgence [7-9]. Il recouvre son intégrité totale à 8 semaines. Pour les cas les plus sévères, la cicatrisation peut nécessiter jusqu’à 3 mois [16]. Le TO ne débutera/reprendra donc pas avant ce délai, sous réserve que les évaluations clinique et radiographique y soient favorables. Le praticien prendra également en compte les complications possibles liées à chaque type de traumatisme luxatoire et leur délai d’apparition afin de calibrer le début de son traitement et la fréquence de son suivi (tableau 3).
Lorsqu’une fracture alvéolaire est concomitante à la luxation, les délais de cicatrisation sont allongés. La contention est conservée pendant 4 semaines [8]. La cicatrisation osseuse complète est plus lente et demande de patienter 4 à 6 mois minimum avant tout TO, sous réserve que les examens clinique et radiographique ne rapportent aucun signe de complication [13, 17].
Un suivi radiologique tous les 3 à 6 mois, selon la sévérité du traumatisme est recommandé [10].
Le risque de résorption radiculaire persistant plusieurs années après le traumatisme, il peut s’avérer difficile de distinguer une résorption post-traumatique d’une résorption d’origine orthodontique. Le suivi de ces patients doit être plus rapproché avec une adaptation de l’intensité des forces et inclure une prise en charge pluridisciplinaire.
Il n’a cependant pas été mis en évidence d’augmentation du risque de résorption entre une dent « traumatisée » et une dent « saine » lors du TO, à l’exception des dents présentant déjà des résorptions radiculaires avant la mise en place des forces [11]. Ces dernières souffrent alors de résorptions plus importantes. La mise en évidence d’une résorption radiculaire étant souvent complexe aux stades précoces, il conviendra d’informer le patient afin de le sensibiliser à l’importance du suivi et de s’assurer de son observance.
Le TO devra être suspendu immédiatement si une résorption est suspectée et ne reprendra qu’une fois le phénomène stabilisé.
L’orthodontie peut jouer un rôle direct dans la prise en charge de certains traumatismes, notamment les intrusions modérées (3-7 mm) des dents permanentes matures où le repositionnement orthodontique est la thérapeutique recommandée [8].
Dans certains cas de fracture radiculaire ou corono-radiculaire, l’extrusion orthodontique du fragment apical après extraction du fragment coronaire est indiquée à un stade plus ou moins précoce pour permettre au praticien un meilleur accès aux limites périphériques et la réalisation d’une restauration coronaire adéquate. Une gingivectomie ou ostéoplastie peuvent être envisagées, mais, dans les cas où le rapport couronne/racine est favorable, la solution orthodontique offre un meilleur alignement des collets avec les dents adjacentes et donc, un meilleur rendu esthétique. Dans le cas où la pulpe n’est pas impliquée dans la fracture, l’extrusion orthodontique, comparée à l’extrusion chirurgicale, permet de conserver la vitalité pulpaire du fragment radiculaire en n’infligeant pas de lésion irréversible au paquet vasculo-nerveux [8, 18].
Dans le cas de fractures radiculaires situées sous la limite osseuse, une réparation spontanée peut survenir si le fragment coronaire est stabilisé de manière adéquate [19]. Elle peut prendre la forme d’une réattache par formation de tissu dentinaire entre les deux fragments ou bien par reformation de l’attache ligamentaire à l’extrémité du fragment coronaire avec interposition de tissu osseux au niveau du trait de fracture.
Le TO de dents ainsi fracturées est possible mais n’aboutira qu’au déplacement du fragment coronaire, le fragment apical restant immobile.
Dans ce cas, le TO ne sera pas démarré avant 12 mois post-trauma minimum [17]. La vitalité pulpaire du fragment coronaire peut être préservée si la thérapeutique est bien menée. Le traitement endodontique de ce dernier n’est donc pas indiqué s’il n’existe aucun signe de nécrose (figure 3). Dans tous les cas, plus le trait de fracture est apical, meilleur est le pronostic [20].
L’orthodontiste doit être informé de tout antécédent ou de la survenue de traumatisme pour adapter sa prise en charge. Cela lui permettra d’évaluer les risques et d’établir un calendrier de suivi en coopération étroite avec l’omnipraticien. En cas de traumatisme au cours du traitement orthodontique ou de suspicion de complication pulpaire ou résorptive, celui-ci doit être suspendu jusqu’à la fin de la phase de cicatrisation de l’appareil d’ancrage ou la stabilisation de la pathologie. L’observance des patients traités est capitale afin de repérer précocement tout signe de complication et d’en limiter l’impact.
*Co-auteurs.
Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts.