Clinic n° 11 du 01/11/2024

 

Odontologie

Pédiatrique

Romain JACQ*   Anne-Laure BONNET**  


*Maître de conférences associé Département d’odontologie, UFR Santé, Université de Rouen Normandie
**MCU-PH Odontologie Pédiatrique Université Paris Cité, URP2496

À la suite d’un incident chez un jeune enfant, deux situations se présentent fréquemment. Dans un premier cas, la chute initiale passe inaperçue ou est sous-estimée, conduisant à une consultation ultérieure lors de complications ou d’un bilan dentaire. La deuxième situation, plus complexe, implique une consultation immédiate après la chute. La gestion de la douleur, l’atténuation de l’anxiété chez l’enfant et ses parents nécessitent une approche émotionnelle...


Résumé

Les traumatismes bucco-dentaires affectent environ un enfant sur quatre avant l’âge de 6 ans, avec un pic important autour de l’apprentissage de la marche vers 1-2 ans [1]. Souvent à l’origine de la première consultation dentaire, ces incidents ne doivent pas être sous-estimés. En effet, les traumatismes des dents temporaires peuvent constituer une première expérience douloureuse de l’enfant dans le domaine dentaire, influençant considérablement la prise en charge ultérieure. La gestion de la douleur, la prévention de l’anxiété, et la minimisation des conséquences sur les dents permanentes sont les objectifs essentiels du praticien.

À la suite d’un incident chez un jeune enfant, deux situations se présentent fréquemment. Dans un premier cas, la chute initiale passe inaperçue ou est sous-estimée, conduisant à une consultation ultérieure lors de complications ou d’un bilan dentaire. La deuxième situation, plus complexe, implique une consultation immédiate après la chute. La gestion de la douleur, l’atténuation de l’anxiété chez l’enfant et ses parents nécessitent une approche émotionnelle spécifique. Le praticien doit rapidement poser un diagnostic et proposer les meilleures options thérapeutiques pour prévenir d’éventuelles complications sur les dents permanentes.

Le dépistage, le traitement, et le suivi des lésions traumatiques des dents temporaires demeurent cruciaux, leurs conséquences émotionnelles et physiques pouvant se manifester des années plus tard. Cela souligne l’importance d’une vigilance continue tout au long du suivi de ces enfants.

ÉTIOLOGIE DES TRAUMATISMES DES DENTS TEMPORAIRES

Les chutes involontaires et celles liées aux activités de loisirs sont les étiologies les plus courantes des traumatismes dentaires des jeunes enfants. Les chutes sont responsables de la plupart des blessures en denture temporaire, car il est courant que les tout-petits tombent lors de l’acquisition de la marche. Les dents antérieures, en particulier les incisives centrales et latérales maxillaires, sont les plus fréquemment touchées lors de traumatismes [2].

Plusieurs études ont examiné les facteurs de risque liés aux traumatismes de l’enfant. En denture temporaire, le risque de traumatisme est ainsi trois fois plus élevé lorsqu’il existe un surplomb accru supérieur à 6 mm. Du fait de la forte élasticité des tissus parodontaux, les luxations seront les traumatismes les plus fréquents chez les jeunes enfants, suivis par les fractures coronaires n’impliquant pas la pulpe [3].

Il est également important de se rappeler que les traumatismes dentaires et faciaux peuvent survenir dans le cas de blessures intentionnelles. La région de la tête et du cou est fréquemment ciblée par des abus, avec des blessures survenant chez 59 à 76 % des enfants maltraités physiquement [4]. La vigilance des chirurgiens-dentistes revêt une importance particulière dans ce cadre et nécessite la recherche d’autres signes cliniques et une écoute minutieuse. Un signalement au médecin traitant ou au numéro d’écoute des violences faites aux enfants devra être effectué si nécessaire (119) [5].

SPÉCIFICITÉS DE LA CONSULTATION POST-TRAUMATISME PÉDIATRIQUE

Lors d’une consultation en urgence

Il s’agit souvent de la première visite chez le chirurgien-dentiste. Cette consultation aura un double enjeu : familiariser l’enfant et ses parents avec l’environnement dentaire et répondre à l’urgence du traumatisme. Le chirurgien-dentiste devra, dans un temps restreint :

- apprendre à connaître l’enfant : le praticien devra penser à s’adresser directement à l’enfant, en lui demandant de raconter l’événement, même si les parents l’ont déjà relaté. L’interaction directe avec l’enfant est préférable. Il pourra répéter ce qui a été compris en termes simples et expliquer les étapes suivantes. En un court laps de temps, le praticien tentera de comprendre l’univers de l’enfant, ses jeux préférés, sa famille, son école. Ces informations seront précieuses pour aider l’enfant à se concentrer sur des éléments positifs ;

- rassurer les parents : un temps d’écoute, d’explications, et de renforcement positif est souvent nécessaire. Le premier accident dentaire peut être déstabilisant pour les parents, engendrant de nombreuses inquiétudes. Le praticien, par son expertise, joue un rôle crucial dans leur apaisement en fournissant un diagnostic clair, en expliquant la prise en charge à venir, ainsi que les complications possibles ;

- évaluer les atteintes dentaires et muqueuses : l’examen clinique et radiographique doit être rapide mais efficace. Si l’enfant est suffisamment grand et à l’aise, il peut être allongé seul sur le fauteuil. Sinon, il sera installé sur ses parents pour l’examen. La position allongée étant stressante, il est important de ne pas allonger l’enfant pendant l’entretien clinique, afin de ne pas augmenter son niveau de stress ;

- répondre à l’urgence douloureuse : une prescription d’antalgique de palier I type paracétamol sera quasi systématiquement mise en place sur une durée de 24-48 heures ;

- rédiger le certificat médical initial : la rédaction du certificat médical initial, au-delà de son contexte légal, permet de laisser une trace écrite pour les parents. Dans ces situations stressantes, la plupart d’entre eux oublieront une partie des informations fournies oralement. Ce document leur permettra de revenir dessus et servira de base pour les échanges ultérieurs.

Ainsi, cette consultation d’urgence en odontologie pédiatrique ne se limite pas au traumatisme en lui-même, mais s’étend à la gestion globale de la douleur, au soutien des parents et à l’adoption d’approches comportementales adaptées pour créer un climat de confiance enfant/parents/praticien.

Lors d’une consultation différée

Une partie des traumatismes en denture temporaire n’aboutissent pas à une consultation d’urgence, car ils sont passés inaperçus ou ils ont été minimisés par les parents. L’entretien et l’examen clinique d’un jeune enfant devront donc s’attarder sur le dépistage de ces traumatismes. Le thème des chutes et du comportement de l’enfant sera abordé : s’est-il déjà blessé au niveau au niveau du visage ? Tombe-t-il souvent ? Est-il un enfant très tonique ?

Dans un deuxième temps, un examen clinique rigoureux permettra de mettre en évidence un antécédent de traumatisme (dyschromie, mobilité pathologique).

Même longtemps après un traumatisme, il ne sera jamais trop tard pour protéger les structures sous-jacentes et mettre en place une thérapeutique adaptée.

Un antécédent de traumatismes est parfois mis en évidence à l’occasion d’un nouveau traumatisme. Le cas clinique présenté par les figures 1 et 2 montre la prise en charge d’une luxation latérale de la dent 61. La réalisation de la rétro-alvéolaire permet la mise en évidence d’une résorption pathologique de la racine, séquelle d’un ancien traumatisme qui était passé inaperçu. La répétition des traumatismes va jouer sur le pronostic de la dent temporaire, mais aussi sur les probabilités de conséquences sur la dent permanente.

SPÉCIFICITÉS DE L’EXAMEN CLINIQUE ET DE LA PRISE EN CHARGE

Examen clinique

Les plaies intra et extra-orale sont très fréquentes et peuvent être impressionnantes du fait de leur caractère hémorragique, notamment pour les plaies muqueuses ou labiales. Dans la plupart des situations, ces saignements s’arrêteront spontanément. Le praticien pourra également inciter l’enfant à ne pas cracher, mais plutôt déglutir et avaler, ce qui le calmera rapidement.

En cas de saignement important, une compression devra être effectuée afin que le praticien évalue la sévérité de la lésion. Une attention particulière et une orientation vers les urgences pédiatriques seront nécessaires en cas de plaie perforante nécessitant des sutures plus complexes [6].

Les plaies des tissus parodontaux peuvent être importantes et des hématomes peuvent apparaître. Dans la plupart des situations, la cicatrisation sera rapide (figure 3).

Examen radiographique

La radiographie rétro-alvéolaire réalisée avec un film taille 2 placé dans le sens transversal et une incidence de 45 à 60° (type mordu occlusal) est la radiographie de référence. Cette méthode permet de visualiser l’ensemble des dents antérieures sur un même cliché tout en étant facile à réaliser.

Prise en charge dentaire

La prise en charge des traumatismes des dents temporaires vise à prévenir les dommages sur le germe de la dent permanente, à soulager la douleur et à diminuer les risques de complications potentielles, telles que l’infection. La thérapeutique devra toujours être adaptée à la coopération de l’enfant. Actuellement, il existe des preuves limitées pour argumenter les différentes options thérapeutiques concernant la dent temporaire traumatisée [7].

Dans la plupart des situations, lorsqu’il n’existe pas de risque d’inhalation, d’ingestion ou d’interférences occlusales, la surveillance sera la thérapeutique la plus adaptée.

Le stade physiologique de la dent sera important à considérer et les actes d’urgence seront rares sur les dents en stade avancé de rhyzalyse.

Lors de l’expulsion d’une dent temporaire, la réimplantation est contre-indiquée, le risque de lésion de la dent permanente étant très important.

Les luxations ne gênant pas l’occlusion, les subluxations et les fractures amélaires simples ne nécessiteront pas de gestes cliniques, mais une surveillance sera mise en place. Dans certaines situations très favorables, à la suite d’une luxation, le repositionnement des dents temporaires pourra être envisagé avec la mise en place d’une contention souple.

Les principales spécificités de chaque traumatisme sont listées dans le tableau 1 (figures 4 et 5).

La rédaction d’un certificat médical initial est indispensable, il devra faire apparaître le diagnostic et les thérapeutiques réalisés. Il devra en outre faire figurer une mention spécifique concernant les germes des dents permanentes : « Le pronostic des germes sous-jacent est réservé ». Cela permettra d’envisager les séquelles possibles des dents permanentes, abordées dans la dernière partie de l’article.

COMPLICATION À COURT ET LONG TERME

Complications sur la denture temporaire

À la suite des traumatismes, les dyschromies des dents temporaires sont fréquentes. La dyschromie est également l’un des signes les plus faciles à détecter. Souvent considéré comme un signe de nécrose et de complications pulpaires, ce changement de couleur traduit une conséquence endodontique du traumatisme. Les évolutions seront aussi variées que les couleurs possibles (tableau 2).

Il est nécessaire de garder à l’esprit qu’il s’agit d’une probabilité de diagnostic et que cela n’enlève pas la réalisation d’un examen clinique complet pour parvenir à un diagnostic.

Les consultations de surveillance à la suite des traumatismes vont permettre de contrôler l’apparition de pathologies telles qu’une résorption pathologique (figure 6), ou un abcès.

La thérapeutique envisagée prendra alors en considération les complications possibles en lien avec le germe sous-jacent.

Impact sur la denture permanente (figure 7)

En raison de la proximité entre l’apex de la racine de la dent temporaire et le germe de la dent permanente sous-jacente, il existe un potentiel de séquelles pour la dent permanente pour tout traumatisme sur dent temporaire. Les séquelles varient en fonction du type de traumatisme, de son intensité et de l’âge de l’enfant. Il peut s’agir d’anomalies de structure ou d’anomalies d’éruption [10].

La décoloration de l’émail, l’hypoplasie de l’émail, la dilacération de la couronne ou de la racine, l’interruption de la formation de racines, ainsi que des perturbations de l’éruption sur les dents permanentes en développement sont quelques-unes des complications potentielles après un traumatisme de la dent temporaire.

Les traumatismes par intrusion et avulsion sont les types les plus courants de traumatismes dentaires associés à des complications pour la dentition permanente.

CONCLUSION

Les traumatismes dentaires chez les enfants exigent une prise en charge particulière. La gestion efficace de la douleur, la vigilance à l’égard des signes de maltraitance, et l’adoption d’approches comportementales adaptées sont des éléments cruciaux dans la prise en charge globale de ces situations. Tout en se concentrant sur la prévention des complications au niveau des dents permanentes, il est essentiel de considérer l’aspect émotionnel, en assurant un soutien approprié aux parents et en créant un environnement propice à une coopération positive de l’enfant. En intégrant ces aspects dans la pratique clinique, la prise en charge de la plupart des traumatismes est réalisable dans une pratique libérale non spécialisée en odontologie pédiatrique. L’omnipraticien tient une place centrale dans la prévention et la minimisation des conséquences à long terme des traumatismes des dents temporaires, en créant une expérience dentaire positive pour les enfants.

BIBLIOGRAPHIE

  • 1. Patnana AK, Chugh A, Chugh VK, Kumar P, Vanga NRV, Singh S. The prevalence of traumatic dental injuries in primary teeth: A systematic review and meta-analysis. Dent Traumatol. 2021;37(3):383-99.
  • 2. Petti S, Glendor U, Andersson L. World traumatic dental injury prevalence and incidence, a meta-analysis-One billion living people have had traumatic dental injuries. Dent Traumatol. 2018;34(2):71-86.
  • 3. de Amorim L de FG, da Costa LRRS, Estrela C. Retrospective study of traumatic dental injuries in primary teeth in a Brazilian specialized pediatric practice. Dent Traumatol. 2011;27(5):368-73.
  • 4. Robson F, Ramos-Jorge ML, Bendo CB, Vale MP, Paiva SM, Pordeus IA. Prevalence and determining factors of traumatic injuries to primary teeth in preschool children. Dent Traumatol. 2009;25(1):118-22.
  • 5. Harris JC. The mouth and maltreatment: safeguarding issues in child dental health. Arch Dis Child. 2018;103(8):722-9.
  • 6. Jacq R, Nguyen T, Opshal-Vital S. Les plaies du palais en odontologie pédiatrique Description et prise en charge. Rev Francoph Odontol Pédiatrique. 2012;7(2):55-9.
  • 7. Day PF, Flores MT, O’Connell AC, Abbott PV, Tsilingaridis G, Fouad AF, et al. International Association of Dental Traumatology guidelines for the management of traumatic dental injuries: 3. Injuries in the primary dentition. Dent Traumatol. 2020;36(4):343-59.
  • 8. Aldrigui JM, Cadioli IC, Mendes FM, Antunes JLF, Wanderley MT. Predictive factors for pulp necrosis in traumatized primary incisors: a longitudinal study. Int J Paediatr Dent. 2013;23(6):460-9.
  • 9. Holan G. Pulp aspects of traumatic dental injuries in primary incisors: Dark coronal discoloration. Dent Traumatol. 2019;35(6):309-11.
  • 10. Andreasen JO, Ravn JJ. The effect of traumatic injuries to primary teeth on their permanent successors. II. A clinical and radiographic follow-up study of 213 teeth. Scand J Dent Res. 1971;79(4):284-94.
  • 11. Tewari N, Mathur VP, Singh N, Singh S, Pandey RK. Long-term effects of traumatic dental injuries of primary dentition on permanent successors: A retrospective study of 596 teeth. Dent Traumatol. 2018;34(2):129-34.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêt.