LA CONSULTATION D’URGENCE POST-TRAUMATISME
Urgence
**%22&revues[]=CLI&sortby=relevance">Orianne BOREL
*CCU-AH, APHP Exercice libéral, Paris Ancienne Interne des Hôpitaux de Paris
**Ancienne interne des Hôpitaux de Paris Exercice libéral, Paris
***MCU-PH, APHP, Université Paris Cité
Les traumatismes dentaires constituent une urgence douloureuse et fonctionnelle, dont la prise en charge doit être rigoureusement menée afin d’évoluer vers la meilleure cicatrisation possible [1, 2].
La consultation doit être systématisée (figure 1) afin de répondre aux objectifs suivants :
- évaluation du...
Lorsqu’un traumatisme dento-alvéolaire survient, le pronostic cicatriciel des organes dentaires et du parodonte est mis en jeu dès les premiers instants. Le délai écoulé entre le choc et la prise en charge, ainsi que la qualité et l’adéquation des thérapeutiques d’urgence sont autant de facteurs impactant le devenir des dents traumatisées.
Dans ce contexte, la consultation d’urgence est primordiale pour assurer la meilleure cicatrisation possible. Elle commence dès l’appel téléphonique qui doit être orienté afin d’établir un prédiagnostic et de sélectionner le degré d’urgence à attribuer à la prise en charge du patient. Des examens cliniques et radiographiques minutieux sont ensuite nécessaires pour préciser au mieux le diagnostic positif dent par dent et établir un suivi adapté et individualisé.
Les points clefs de la première consultation d’urgence après un traumatisme dento-alvéolaire sont repris dans cet article.
Les traumatismes dentaires constituent une urgence douloureuse et fonctionnelle, dont la prise en charge doit être rigoureusement menée afin d’évoluer vers la meilleure cicatrisation possible [1, 2].
La consultation doit être systématisée (figure 1) afin de répondre aux objectifs suivants :
- évaluation du contexte médical du patient dans lequel évolue le traumatisme ;
- évaluation clinique de l’importance, de la sévérité des dégâts tissulaires pour pouvoir :
• prendre en charge de façon adaptée la douleur du patient ;
• établir un pronostic le plus précis possible ;
• assurer la thérapeutique d’urgence la plus adaptée de façon individualisée de sorte à potentialiser au maximum la cicatrisation dentaire et parodontale ;
• restaurer les éventuelles fonctions altérées par le traumatisme (alimentation, phonétique, esthétique, ventilation…) ;
• établir la prise en charge à court, moyen et long terme ;
- l’instauration d’un calendrier de suivi individualisé à chaque situation clinique ;
- rla rédaction d’un certificat médical initial.
La prise de contact peut constituer un élément majeur de la gestion d’un traumatisme. En effet, le délai écoulé entre le choc et la prise en charge thérapeutique influence fortement le pronostic cicatriciel [3-6].
Le praticien ne doit pas sous-estimer les informations qu’il peut tirer des premiers échanges, car elles peuvent lui permettre dès ce stade d’évoquer certaines pistes diagnostiques, mais aussi de transmettre au patient ou aux accompagnants les bons gestes à adopter immédiatement.
Un simple échange oral téléphonique par exemple, s’il est bien mené, permettra de rassurer, guider et orienter le patient vers la conduite à tenir. Il permet également une première évaluation de la douleur et du contexte du traumatisme (nature du choc, environnement propre/souillé…) (figure 2).
Une fois le patient accueilli au cabinet, la consultation d’urgence est menée de façon classique, avec néanmoins quelques spécificités. Il s’agira de recueillir les données administratives, médicales et cliniques essentielles pour l’évaluation diagnostique et pronostique de la situation d’urgence (tableau 1).
Avant toute chose, le chirurgien-dentiste doit se rappeler que tout traumatisé facial est un possible traumatisé crânien qui présente un risque médical à évaluer avant de s’intéresser à son état bucco-dentaire. Il devra rechercher d’éventuels signes de gravité : nausées, vomissements, pertes de connaissance, otorragie, épistaxis continue et/ou écoulement nasal blanchâtre sont autant de signes d’appel nécessitant d’orienter le patient vers une prise en charge maxillo-faciale d’urgence [1, 7].
Dans le cadre d’un traumatisme, ce dernier est en lui-même une source d’information primordiale guidant l’établissement du diagnostic, la prise en charge thérapeutique et l’évaluation pronostique. Le praticien doit en premier lieu répondre aux questions : où, quand et comment a eu lieu le traumatisme (tableau 2) ?
Une fois l’ensemble des données requises relevées, le soignant est à même de réaliser un examen clinique ciblé et individualisé du patient.
Cet examen clinique repose sur une inspection méthodique des structures exobuccales et endobuccales [7-9].
Lorsque tout signe de gravité a été écarté, l’examen des structures exobuccales (figure 3) fait rechercher principalement l’expression de signes d’inflammation (tuméfaction, œdème, rougeurs), la présence d’hématomes, de plaies et de lacérations transfixiantes ou non, ou encore une perturbation de l’ouverture buccale (déviation ou limitation) pouvant orienter vers une atteinte de l’articulation temporo-mandibulaire.
La palpation est réalisée de manière bilatérale et symétrique simultanément, pour rechercher une atteinte nerveuse sensitive ou motrice (dysesthésie, paralysie faciale périphérique…) ou tout simplement une douleur liée à une atteinte tissulaire sous-jacente [9].
Enfin, en cas de fractures osseuses, elle peut également mettre en évidence un espace ou une mobilité (figure 4).
L’examen s’applique aux structures muqueuses et parodontales comme aux structures dentaires. Le praticien se met en recherche d’hématomes, plaies, effractions muqueuses, dilacération des freins labiaux ou linguaux, saignements gingivaux ou sulculaires, déplacements ou mobilités dentaires, de diastèmes pouvant évoquer une fracture osseuse sans effraction muqueuse sus-jacente, de fractures dentaires (amélaire ou amélo-dentinaire, avec ou sans implication pulpaire) (figure 5). Il conviendra d’évaluer les perturbations des fonctions telles que l’occlusion et la déglutition pour écarter d’éventuelles fractures des arcades ou condyliennes.
Les tests cliniques viennent compléter le bilan apporté par l’inspection et la palpation. Ils regroupent les tests de mobilité et percussion et les tests de sensibilité pulpaire [2, 10].
Les tests de mobilité et percussion participent à l’évaluation de l’atteinte des tissus de soutien de l’organe dentaire. Ils permettent d’évaluer l’importance d’une luxation dentaire le cas échéant, de suspecter une fracture dentaire coronaire, corono-radiculaire, radiculaire pure ou une fracture osseuse alvéolaire (du mur vestibulaire, d’un segment osseux voire de la base osseuse).
Les tests de sensibilité pulpaire consistent à appliquer un stimulus thermique sur une dent traumatisée afin d’évaluer son activité neuronale. La réponse à ce stimulus doit toujours être interprétée à la lumière de l’âge du patient, du stade radiculaire, mais aussi du type de traumatisme. À la suite d’un traumatisme, il est fréquent qu’une sidération pulpaire survienne et mène à des tests de sensibilité transitoirement négatifs [2]. Le test de sensibilité réalisé le jour de l’urgence constitue donc une donnée de référence permettant non pas de conclure à une nécrose pulpaire, mais bien de suivre l’évolution de la cicatrisation pulpaire dans le temps.
Orienté par les signes cliniques relevés et le type de traumatisme, l’examen radiographique vient compléter l’examen clinique pour l’établissement d’un diagnostic précis [1, 2]. Pour limiter les risques de passer à côté d’une atteinte osseuse ou radiculaire, plusieurs clichés doivent être réalisés selon différentes projections et angulations. Lors d’une fracture, il arrive en effet que les fragments soient toujours coaptés et que leur superposition masque le trait de fracture. De façon générale, il conviendra de réaliser un cliché occlusal, un cliché rétro-alvéolaire complété par deux autres clichés pris avec des angulations verticales ou horizontales différentes. Il ne faut par ailleurs pas négliger la réalisation d’un cliché au niveau des dents antagonistes aux dents traumatisées. Ces clichés permettront d’évaluer :
- les structures dentaires : épaisseur des parois coronaires, des parois radiculaires, position et orientation des racines (et comparaison à la dent controlatérale), présence d’anciens traitements endodontiques, restaurateurs et/ou prothétiques ;
- le volume pulpaire : sa taille, ses rapports aux parois coronaires, radiculaires, le stade d’édification radiculaire ;
- le ligament desmodontal : épaississement, disparition pouvant expliquer une mobilité ou répondre à une luxation dentaire.
Les objectifs des clichés radiographiques réalisés sont de mettre en évidence d’éventuelles atteintes osseuses ou dentaires n’ayant pas été objectivées par l’examen clinique seul (fractures radiculaires ou osseuses), mais aussi de nourrir les données de référence enregistrées dans le dossier patient pour surveiller l’évolution de la cicatrisation post-traumatique tissulaire profonde. Le suivi pulpaire et parodontal sera favorisé par la standardisation des clichés à l’aide d’un angulateur radiographique (pouvant être personnalisé, figure 6), qui permet la comparaison inter-clichés.
Certains traumatismes spécifiques (choc sur le menton) ou signes d’appel cliniques (perturbation de l’ouverture buccale ou de l’occlusion) requerront des examens supplémentaires à la recherche d’une atteinte des structures environnantes, comme le panoramique dentaire [8]. En cas de suspicion d’une lésion qui n’est pas nettement mise en évidence par l’examen clinique ou complémentaire, le chirurgien-dentiste pourra également songer à la réalisation d’un CBCT [11]. Cet examen tridimensionnel pourra fournir des informations plus précises sur l’extension, la forme ou la nature d’une fracture dentaire ou osseuse (figure 7). Ses apports ne doivent pas être négligés.
La réalisation de clichés photographiques peut être envisagée le jour du traumatisme, avec plusieurs objectifs : enrichir le dossier administratif du patient pour les assurances, surveiller l’évolution de la cicatrisation muqueuse, parodontale et/ou l’apparition d’une dyschromie post-traumatique.
À l’issue de l’ensemble de ces examens, le chirurgien-dentiste dispose d’éléments suffisants pour évaluer la gravité du traumatisme et poser un diagnostic positif précis, afin de prédire autant que possible les complications immédiates, à court, moyen et long terme. Le praticien pourra se référer aux recommandations internationales de l’International Association of Dental Traumatology (IADT) : https://www.iadt-dentaltrauma.org/for-professionals.html. Connaître les possibles complications muqueuses, pulpaires, osseuses, dentaires ou ligamentaires permet par ailleurs d’informer le traumatisé et/ou son tuteur légal du pronostic, afin de l’impliquer au maximum dans le suivi régulier et individualisé de son état bucco-dentaire [12, 13].
Cela guide également le praticien avec assurance vers le planning thérapeutique le plus adapté à la situation pour potentialiser la cicatrisation post-traumatique. La prise en charge d’urgence (figure 8) doit tendre à orienter les tissus vers une cicatrisation de première intention autant que possible, ainsi qu’à prévenir les potentielles conséquences infectieuses. Lorsque le pronostic est très défavorable, l’objectif du praticien sera de ralentir l’évolution des complications non contrôlables par l’arsenal thérapeutique actuellement à disposition pour prolonger la survie des organes dentaires sur l’arcade du patient et en retarder la perte, mais plus encore conserver au maximum le capital osseux.
S’il le juge nécessaire, le chirurgien-dentiste pourra réaliser une prescription médicamenteuse à l’issue de la consultation d’urgence. Les recommandations actuelles ne justifient le recours à une antibiothérapie systémique qu’en cas d’expulsion dentaire, mais la prescription d’antibiotiques reste à l’appréciation du praticien, à la lumière des antécédents médicaux du patient, ou encore de la sévérité du tableau clinique à la suite du traumatisme. Lorsqu’un traitement antibiotique est envisagé, la molécule de première intention sera l’amoxicilline à raison de 2 g par jour en deux prises. En cas d’allergie, pour les patients âgés de plus de 12 ans, la doxycycline à raison de 200 mg par jour en une prise sera envisagée. Sinon, la clindamycine est une bonne option thérapeutique (1 200 mg par jour en deux prises) [2, 6, 14-17]. En cas de douleurs, il convient de réaliser une prescription antalgique de type paracétamol (sauf contre-indication), selon la posologie habituelle. Une échelle d’évaluation de la douleur peut aider à poser l’indication et le niveau d’analgésie nécessaire.
Pour participer à la désinfection buccale, le recours à une brosse à dents chirurgicale peut être envisagé au niveau de la zone traumatisée, si des sensibilités existent au brossage. Pour les plaies muqueuses, les patients devront réaliser des bains de bouches deux fois par jour pendant deux semaines à l’aide de digluconate de chlorhexidine à 0,12 %.
Le praticien est tenu de remplir un certificat médical initial de traumatisme (CMI), à l’aide des données administratives détaillées, des circonstances du traumatisme, des données relevées durant les examens cliniques et complémentaires et de la nature de la thérapeutique d’urgence appliquée (figure 9). Ce certificat descriptif permet au patient de notifier à son assurance la survenue d’un traumatisme.
Les règles qui régissent la rédaction du certificat médical par un chirurgien-dentiste résultent de l’article R.4127-229 du Code de la santé publique (CSP) :
« L’exercice de l’art dentaire comporte normalement l’établissement par le chirurgien-dentiste, conformément aux constatations qu’il est en mesure de faire dans l’exercice de son art, des certificats, attestations ou documents dont la production est prescrite par la réglementation en vigueur. Tout certificat, attestation ou document délivré par le chirurgien-dentiste doit comporter sa signature manuscrite. »
Avant son départ, il est nécessaire d’informer le patient sur les conseils alimentaires et d’hygiène à réaliser pour ne pas entraver la cicatrisation : éviter tout sport de contact, se nourrir d’aliments mous jusqu’à 2 semaines après le traumatisme (selon le confort du patient), mais maintenir le brossage dentaire habituel à l’aide d’une brosse à dents à poils souples.
L’importance de l’observance du patient à ses rendez-vous de contrôle a déjà été soulignée plus tôt. C’est en effet grâce à un suivi régulier que la survenue des complications peut être interceptée précocement, avant qu’elles n’altèrent l’intégrité de l’organe dentaire ou de son appareil d’ancrage de façon irréversible. Un calendrier de suivi est proposé dans la figure 10. Le soignant doit apporter une information claire et loyale au patient, afin d’obtenir son consentement éclairé aux soins et au suivi post-traumatisme.
* Co-auteurs.
Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts.