RESTAURATIONS INDIRECTES COLLÉES QUE PENSER DES MATÉRIAUX HYBRIDES ?
Dentisterie
Restauratrice
Alison PROSPER* Hugo PANEPINTO** Laura PASCALIN*** Karim NASR**** Thibault CANCEILL***** Sabine JONIOT******
*CCU-AH Faculté de Santé, Université Toulouse III Paul Sabatier
**Praticien libéral, Paris
***CCU-AH Faculté de Santé, Université Toulouse III Paul Sabatier
****MCU-PH Faculté de Santé, Université Toulouse III Paul Sabatier
*****MCU-PH Faculté de Santé, Université Toulouse III Paul Sabatier
******MCU-PH Faculté de Santé, Université Toulouse III Paul Sabatier
La restauration d’une dent délabrée en méthode indirecte place le praticien devant le difficile choix du type de recouvrement à envisager et du mode d’assemblage à privilégier. L’arbre décisionnel de réhabilitation de l’organe dentaire renvoie au gradient thérapeutique proposé par Gil Tirlet et Jean-Pierre Attal dès la fin des années 2000 [1]. Le traitement de premier choix, face à une perte de substance importante impliquant une ou plusieurs cuspides, est la restauration indirecte collée, réalisée, au cabinet ou au laboratoire de prothèses, après empreinte physique ou numérique. Contrairement à une restauration en méthode directe, elle permet un contrôle précis du profil d’émergence, d’une occlusion pérenne et des points de contact de la dent à reconstruire. L’utilisation d’une résine composite en méthode directe est cependant tout à fait indiquée dans de nombreuses situations cliniques car elle présente de nombreux avantages : une restauration de 1,5 à 2 mm peut être réalisée facilement au fauteuil en une seule séance. Les propriétés mécaniques sont proches de celles des tissus dentaires [2] et leur taux de survie est très bon jusqu’à plus de 10 ans [3] si le protocole de collage est respecté. Cependant, le respect de l’anatomie et le contrôle du point de contact ou du profil d’émergence restent difficiles à gérer. Ainsi, lorsqu’il faut réhabiliter plusieurs quadrants ou modifier l’occlusion, ou encore lorsque la restauration nécessite un recouvrement cuspidien, la restauration indirecte devient alors plus évidente pour le clinicien.
Les biomatériaux pour restauration indirecte collée doivent être biocompatibles et biomimétiques, c’est-à-dire capables de s’intégrer dans l’environnement buccal sans y engendrer de dommages [4]. Qu’elles soient mises en forme manuellement ou en flux numérique, les résines composites et les céramiques sont les matériaux de choix disponibles sur le marché. Une troisième génération de biomatériaux a cependant vu le jour depuis les années 2010 : les matériaux hybrides. En associant en une seule structure les résines composites et les céramiques, les industriels ont tenté de cumuler les avantages des deux matériaux d’origine pour que chacun compense les limites du second. L’objectif de cet article est de dresser un état des lieux des performances de ces matériaux hybrides après une dizaine d’années de mise sur le marché et donc d’utilisation en clinique et en laboratoire.
Les résines composites sont formées d’une matrice organique résineuse composée de monomères fluides qui deviennent des polymères rigides après polymérisation. Cette matrice renferme des charges, comme de la silice, qui confèrent au biomatériau ses propriétés mécaniques et optiques. La cohésion entre la matrice et les charges est assurée grâce à un agent de couplage, le silane. Une diminution de la taille des charges améliore l’état de surface ainsi que la résistance de la résine à l’usure. De la même façon, une augmentation du taux de charges du composite permet une amélioration des propriétés mécaniques ainsi qu’une réduction de la rétraction de prise et du coefficient d’expansion thermique.
La tenue dans le temps d’une restauration en résine composite est dépendante de sa résistance mécanique globale, de sa résistance à l’usure et à la fatigue. La rétraction de prise initiale, elle-même sous l’influence du taux de conversion du composite, n’entre pas réellement en compte pour une restauration indirecte une fois que celle-ci a été usinée ou polymérisée au laboratoire. Le matériau est en effet polymérisé en laboratoire ou directement par le fabricant lorsqu’il s’agit de blocs ou de disques pour CFAO. Il n’y a pas de phase de polymérisation du matériau à proprement parler une fois qu’il est délivré au praticien, seul le matériau d’assemblage sera soumis à cet effet. Le problème de rétractation de prise sur la dent est donc en partie résolu.
La restauration indirecte collée en résine composite est indiquée dans de nombreuses situations cliniques, notamment sur une dent avec une perte de substance laissant des parois résiduelles épaisses d’au moins 1,5 mm. La restauration d’une dent pulpée dont la cavité présente une proximité pulpaire évidente pourra orienter le choix de la restauration vers la résine composite par soucis de simplification d’une éventuelle réintervention pour procéder au traitement endodontique.
Les céramiques sont des matériaux comprenant classiquement une phase vitreuse et une phase cristalline. La phase vitreuse apporte ses propriétés esthétiques au matériau et les cristaux sont essentiels pour sa résistance. Il existe un très grand nombre de familles de céramique, qui sont classées selon les proportions relatives de chacune des deux phases [5]. Toutes ne peuvent pas être utilisées pour la restauration des dents en technique monobloc (sans armature). Les vitrocéramiques, notamment celles enrichies en disilicate de lithium ou incorporant de la zircone, ainsi que les polycristallines comme les full zircone sont en revanche particulièrement indiquées. Plus la phase cristalline augmente, plus la résistance mécanique augmente, mais au détriment de l’aptitude au collage et éventuellement de l’esthétique. C’est pour cela que le collage de la zircone est plus complexe et demande l’emploi de biomatériaux différents comprenant des monomères particuliers tels que le 10-MDP.
Pour les céramiques, il existe trois procédés de mise en forme : l’usinage de blocs ou de disques, l’application au pinceau d’un mélange poudre/liquide appelé « pâte crue » ou l’injection à haute température. Nécessitant des parois résiduelles mesurant au minimum 2 mm d’épaisseur, les céramiques sont plus contraignantes que les résines composites en ce qui concerne la préparation des tissus dentaires. Grâce à leurs propriétés optiques et au possible maquillage après cuisson, les céramiques sont une option de choix pour une restauration esthétique.
Les propriétés des résines, des vitrocéramiques et des polycristallines sont résumées dans le tableau 1 ; les propriétés physiques et mécaniques de différentes céramiques et résines composites obtenues par CFAO sont résumées dans le tableau 2.
L’évolution des techniques de production, notamment en matière de nanotechnologies, a permis la création, durant les années 2010, de matériaux qualifiés d’hybrides. En réalité, il existe deux grandes familles : les composites haute performance (ou composites à charges dispersées) et les matériaux hybrides à proprement parler. Ils diffèrent en fonction du ratio polymère/céramique qu’ils contiennent mais surtout de leur microstructure. Ils présentent des propriétés mécaniques très intéressantes très proches de celles de l’émail et de la dentine [8].
Ces matériaux sont composés d’une base de polymère avec des particules minérales de zircone, silice, ou carbonate de baryum. Parmi les plus connus, citons par exemple le Cerasmart (GC), le Lava Ultimate (3M) ou encore le Grandio Bloc (Voco).
Après une thermopolymérisation industrielle sous pression, les composites haute performance présentent une porosité quasi-nulle. L’usinage des restaurations se fait ensuite à partir d’un bloc ou d’un disque. Très bien adaptés aux restaurations indirectes postérieures tels que les inlays, onlays, overlays, les composites haute performance ont un large panel d’utilisations. Une épaisseur de 1,5 mm est recommandée pour le Grandio Bloc (Voco) par exemple [9]. Après un sablage à l’oxyde d’alumine et application d’un silane, la pièce est collée avec un composite à prise duale.
Les céramiques hybrides présentent une structure différente des composites à charges dispersées par la présence d’un réseau de céramique renforcée en oxyde d’aluminium à travers lequel la matrice résineuse est infiltrée [10]. Très spécifique, la famille des céramiques hybrides n’est représentée que par la seule gamme de l’Enamic (Vita) (figure 1). Ce dernier est composé d’un double réseau : un réseau de polymère d’UDMA et de TEGDMA et un réseau de céramique feldspathique renforcée en oxyde d’aluminium. On a ainsi un matériau composite à phases interpénétrées. Tout comme les composites haute performance, il est usiné par CFAO à partir d’un bloc ou d’un disque. Le fabricant indique qu’il est adapté aux restaurations postérieures indirectes, mais aussi aux couronnes sur implant avec une épaisseur minimale de 2 mm.
Le protocole de collage de l’Enamic, du fait de la présence d’un réel réseau de céramique feldspathique, diffère de celui des composites haute performance. Ainsi le sablage est remplacé par l’application d’acide fluorhydrique pendant 60 secondes comme pour une céramique feldspathique. De l’acide orthophosphorique ne servirait qu’à nettoyer la pièce et pas à créer des anfractuosités dans la partie céramique du matériau ». L’acide est rincé et la pièce est séchée puis passée aux ultrasons pendant 3 minutes. Le silane est mis en place pendant une minute.
Les matériaux hybrides au sens large tirent des avantages indéniables de l’association composite/céramique dans leur composition. Cependant, ces derniers varient, tout comme les propriétés physiques et mécaniques, selon la microstructure du matériau (tableaux 3 et 4). Ce qui caractérise ce type de matériau est la notion d’absorption des chocs.
Le traitement des patients bruxomanes est complexe pour le chirurgien-dentiste. Au-delà de la prise en charge pluridisciplinaire, la restauration prothétique est complexe pour ces patients avec des forces masticatoires importantes entraînant des usures dentaires non sans conséquences. En effet, face à ces contraintes occlusales, nous pouvons noter de nombreuses complications au bruxisme, telles qu’une perte de dimension verticale d’occlusion, d’exposition pulpaire entraînant une inflammation, ou encore des résorptions dentaires. La restauration prothétique est délicate car elle est soumise à des risques de fracture, par serrement ou grincement, elle a pour objectif de protéger la dent en question de la fracture, mais aussi la dent antagoniste qui peut être victime d’usure abrasive [15].
Leurs propriétés élastiques font des résines composites un matériau de restauration intéressant car elles sont capables d’absorber les contraintes occlusales et donc d’éviter la fissure de la restauration. Cependant, leur faible résistance superficielle ne leur permet pas d’être aussi résistantes à l’usure que les céramiques, ce qui peut donc entrainer une perturbation des contacts occlusaux.
C’est la combinaison des différentes propriétés mécaniques des composites et des céramiques qui font des matériaux hybrides une option très prometteuse chez les patients bruxomanes. Tout comme les résines composites, ils seront capables d’absorber le stress engendré par les forces masticatoires et seront plus résistants à la fracture que les céramiques. Ils n’engendreront donc pas d’usure excessive des dents antagonistes comme pourrait le faire une céramique (à condition d’être polie minutieusement) [16].
Touchant en moyenne 1 enfant sur 7, l’hypominéralisation molaire incisive (MIH) est souvent responsable d’hypersensibilités, variant d’un enfant à l’autre [17]. Elle touche au moins l’une des quatre premières molaires permanentes, et est souvent associée à une atteinte des incisives centrales permanentes, son diagnostic se fait donc dès l’éruption de ces dents sur l’arcade, aux alentours de 6 ans.
Lorsque la sévérité de l’atteinte implique des cuspides et que les sensibilités quotidiennes et/ou spontanées sont trop importantes, l’une des thérapeutiques de choix est la réalisation d’une restauration en méthode indirecte [18]. L’utilisation de composites haute performance ou de matériaux hybrides est une très bonne option thérapeutique. En effet, ils permettent une épaisseur de préparation plus faible qu’une restauration en céramique, mais avec des propriétés mécaniques plus intéressantes que le composite. Nous proposons ici un exemple clinique chez une patiente de 6 ans, souffrant de sensibilités importantes dues à une MIH sévère. Chez cette petite patiente, coopérante, il a été décidé de restaurer la 46 à l’aide d’un overlay en matériau hybride (Grandio Bloc, Voco) par CFAO directe (système Cerec, Dentsply Sirona) (figures 2 à 7). En une séance de 45 minutes, le praticien a préparé la dent, réalisé l’empreinte optique, usiné le bloc selon le design de sa pièce et collé la restauration au composite de collage dual (Nexus NX3, Kerr).
La réhabilitation de la dent, chez l’adulte comme chez l’enfant, à l’aide des matériaux dits « hybrides » offre aujourd’hui la possibilité au praticien de gérer des cas cliniques qui trouvaient leurs limites avec les céramiques. Le temps opératoire reste cependant plus long que la restauration en méthode directe, mais la pérennité des restaurations en matériaux hybrides se rapprochera davantage de celles des restaurations en méthode indirecte.
Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêt.