REPULPER LA PAPILLE : INDICATIONS, MISE EN ŒUVRE ET RÉSULTATS
Dossier
Pierre-Yves GEGOUT* Alexia LARDERET** Elizabeth IBRAHIM*** Olivier HUCK****
*CCU-AH, Université de Strasbourg, Faculté de Chirurgie Dentaire, Parodontologie Hôpitaux Universitaires de Strasbourg, Pôle de médecine et chirurgie bucco-dentaires
**Praticien libéral, Chalon-sur-Saône
***CCU-AH, Université de Strasbourg, Faculté de Chirurgie Dentaire, Parodontologie Hôpitaux Universitaires de Strasbourg, Pôle de médecine et chirurgie bucco-dentaires
****PU-PH, Université de Strasbourg, Faculté de Chirurgie Dentaire, Parodontologie Hôpitaux Universitaires de Strasbourg, Pôle de médecine et chirurgie bucco-dentaires
La perte de papille interdentaire est un problème fréquent dont l’origine est multifactorielle. Elle est souvent la résultante de la destruction des tissus parodontaux et est considérée comme une conséquence fréquente des parodontites. La perte de hauteur papillaire a pour conséquence l’apparition de triangles noirs pouvant induire une gêne esthétique. Afin de répondre à la demande esthétique des patients, différentes solutions thérapeutiques peuvent être proposées allant de l’abord chirurgical au traitement prothétique. L’injection intra-papillaire d’acide hyaluronique a également été proposée afin de restaurer cette perte volumique et pour répondre aux attentes esthétiques des patients via une technique peu invasive.
La perte de papille est une cause fréquente de consultation chez les chirurgiens-dentistes. Peu d’études précisent la proportion d’individus présentant une perte de papilles, cependant, il est estimé qu’elle toucherait entre 15 % et 41 % de la population, et serait dépendante de l’âge des patients et des traitements reçus par le patient [1]. En 1992, Tarnow et coll. ont démontré que lorsque la distance entre la crête et le point de contact excédait 5 mm, la proportion de papille interdentaire remplissant totalement l’espace interdentaire se réduisait [2]. L’apparition de triangles noirs, résultant de la perte de papille, peut être source de gêne esthétique pour le patient, d’autant plus si ce dernier présente un sourire gingival. La sévérité de la perte papillaire est décrite par la classification de Nordland et Tarnow :
- Normal : la papille interdentaire remplie complètement l’espace interdentaire jusqu’à la partie apicale du point de contact ;
- Type I : le sommet de la papille interdentaire est retrouvé entre le point de contact et la partie la plus coronaire de la jonction émail-cément (JEC) interproximale ;
- Type II : le sommet de la papille interdentaire est retrouvé au niveau ou sous partie la plus coronaire de la JEC interproximale, mais reste coronaire à la partie la plus apicale de la JEC vestibulaire ;
- Type III : le sommet de la papille interdentaire se trouve au niveau ou en apical de la JEC vestibulaire [3] (figure 1). Au-delà de l’esthétique, l’apparition d’un espace entre la papille et le point de contact peut mener à des difficultés de phonation, une rétention accrue d’aliments ou de plaque, pouvant être source de désagréments et nécessitant la mise en place d’une routine d’hygiène bucco-dentaire plus exigeante, plus fréquente et nécessitant un matériel adapté [4].
Différentes techniques de reconstruction de la papille (chirurgicales, non-chirurgicales, orthodontiques, restauratrices ou prothétiques) ont été décrites ces dernières années. Parmi celles-ci, l’utilisation d’acide hyaluronique a été proposée.
L’acide hyaluronique est retrouvé naturellement dans le corps humain et dans les tissus parodontaux. C’est un glycosaminoglycane produit par la majorité des cellules du corps humain impliquées dans la réparation tissulaire, la cicatrisation et ayant un rôle important dans la lubrification et l’amortissement des chocs d’où sa présence en grande quantité dans les yeux, les articulations ainsi que dans les valves cardiaques. L’acide hyaluronique présente une très bonne biocompatibilité, biodégradabilité, non-immunogénicité, non-toxicité, ce qui lui permet d’être très largement utilisée en médecine dans le cadre de traitements chirurgicaux orthopédiques, oculaires, plastiques [5]. Il est aussi utilisé comme vecteur de molécule d’intérêt thérapeutique, et depuis peu son utilisation dans le cadre de la thérapeutique parodontale s’est développée [5, 6].
Au-delà des propriétés intéressantes précédemment évoquées, l’acide hyaluronique est un puissant antioxydant, ayant la capacité d’induire la prolifération cellulaire et de retenir l’eau dans les tissus, agissant comme une véritable éponge [5]. Son utilisation en médecine esthétique l’a conduit à être mis en œuvre en chirurgie dentaire pour le traitement non chirurgical des triangles noirs. L’injection intra-papillaire de ce biomatériau est présentée comme une alternative minimalement invasive, facile à réaliser, cependant les résultats associés à son utilisation restent très variables et aucun consensus lié à son utilisation n’a pu être établi.
L’acide hyaluronique injectable est conditionné sous forme de carpule, ce qui lui permet de s’adapter parfaitement au matériel utilisé pour la réalisation d’anesthésie dentaire (pistons et aiguilles dentaires) (figure 2) [7].
Avant l’injection de l’acide hyaluronique, il convient d’anesthésier localement la zone de la papille que l’on souhaite reconstruire. Dans la littérature, nous retrouvons différentes techniques recommandées pour l’injection. De plus, le volume recommandé d’acide hyaluronique à injecter diffère d’une étude à l’autre [7].
Concernant les techniques d’injection, certains auteurs recommandent d’injecter l’acide hyaluronique à une distance d’environs 2-3 mm par rapport au sommet de la papille, et dans certains cas, d’accompagner l’injection d’un massage de la papille en direction coronaire pendant une minute (figure 3).
Une autre technique a également été proposée, la « three steps technique ». Elle consiste à injecter une première dose au-delà de la jonction muco-gingivale afin de créer un réservoir d’acide hyaluronique, puis de faire une deuxième injection juste sous la base de la papille, et enfin une dernière injection à 2-3 mm du sommet de la papille (figure 4).
Concernant la position de l’aiguille lors de l’injection, il est recommandé d’incliner l’aiguille à 45° en direction de la papille. La quantité d’acide hyaluronique injectée est variable en fonction des études, celle-ci variant de 0,1 à 0,2 ml au niveau de la papille à reconstruire. De plus, l’intervalle entre les différentes injections varie aussi en fonction des études, allant d’une injection toutes les deux à trois semaines et pouvant être répétée jusqu’à 3 mois après la première injection [7].
Une patiente suivie au service de parodontologie du pôle de médecine et chirurgie bucco-dentaires de Strasbourg pour le traitement d’une parodontite généralisée stade 3 grade C (figure 5) a progressivement vu apparaître des triangles noirs en secteur esthétique maxillaire. La gêne esthétique induite par cette perte de papille l’a amené à demander une prise en charge spécifique dans le but de repulper ses papilles et ainsi masquer les triangles noirs apparents (figure 6).
Après avoir précisé les différentes options s’offrant à elle, la patiente a souhaité s’orienter vers une technique non chirurgicale et peu invasive : l’injection d’acide hyaluronique intra-papillaire a alors été proposée.
Une semaine après la première injection, les améliorations obtenues sont très légères et l’indication de réaliser des injections additionnelles est posée. Les injections suivantes ont été réalisées chaque semaine pendant quatre semaines (figures 7 et 8). Afin d’améliorer l’esthétique et réduire davantage la taille des triangles noirs visibles, un composite esthétique a également été réalisé entre 11 et 21 (figure 8).
Les améliorations obtenues après les quatre semaines de traitement restent limitées et sont surtout visibles au niveau du secteur 10. Cependant, les résultats associés aux injections ainsi qu’à la reprise de la contention et à la réalisation du composite esthétique entre 11 et 21 ont été jugés satisfaisants par la patiente.
Dans la littérature scientifique, les résultats associés à la reconstruction papillaire varient sensiblement entre les études. Ainsi en 2010, Becker et coll. ont démontré des résultats prometteurs au niveau des papilles interdentaires et inter-implantaires avec des gains de hauteur de papille stables même après 25 mois [8]. Dans une revue systématique et méta-analyse compilant les données de 18 études incluant 213 participants et 696 défauts papillaires, la proportion de papilles restaurées complètement (100 %) était de 47 %, alors que la proportion de papilles restaurées partiellement (gain de hauteur de papille allant de 2,1 % à 96 %) atteignait 49 % des sites évalués. Cependant, il est important de noter que les gains observés restent particulièrement faibles avec une réduction de la hauteur des triangles noirs variant de 0,28 mm à 1,06 mm [7].
Ces valeurs présentées représentent une idée globale des résultats que l’on peut obtenir avec l’injection d’acide hyaluronique intra-papillaire, mais ne précise pas le type de défaut papillaire répondant le plus favorablement avec cette technique.
Dans une étude de Mansouri et coll., une corrélation entre l’âge des patients et le pourcentage de gain papillaire est retrouvée avec une amélioration moyenne de 58,7 % (+/- 20,8 %) chez les patients âgés de moins de 40 ans contre une amélioration moyenne de 34,8 % (+/- 9,5 %) chez les personnes de plus de 40 ans [9]. De plus, une autre étude met en avant que l’injection d’acide hyaluronique intra-papillaire serait plus efficace chez les patients présentant un phénotype gingival épais contrairement à ceux présentant un phénotype gingival fin. Cependant, le gain de hauteur de papille semble être limité dans le temps et une augmentation de la taille des triangles noirs associée à une perte de hauteur de la papille est observable au bout d’un an. Ceci met en avant une des limites de cette technique et la nécessité de prévenir nos patients du caractère temporaire des résultats obtenus, et donc de la nécessité de réaliser des injections d’acide hyaluronique à intervalle régulier afin de maintenir le volume de papille désiré [10].
L’injection d’acide hyaluronique dans les papilles est un acte simple à réaliser, peu invasif et permettant d’obtenir des résultats satisfaisants. Cependant, les résultats obtenus semblent être inconstants et restent temporaires, nécessitant de réintervenir régulièrement afin de pérenniser les résultats obtenus.
Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêt.