RÉHABILITATION PROTHÉTIQUE D’UNE PATIENTE PRÉSENTANT UN ANTÉCÉDENT DE CANCER DE LA COLUMELLE PAR PROTHÈSES AMOVIBLES ET ÉPITHÈSE LABIALE RETENUE PAR DES AIMANTS
Prothèse complète
Cassandre BEZIER* Romain LAN** Frédéric SILVESTRI*** Chloé MENSE****
*Interne en Médecine-Bucco-Dentaire, Hôpital de la Timone, École de Médecine Dentaire, Faculté des Sciences Médicales et Paramédicales, Marseille
**MCU-PH, Unité Fonctionnelle de Prothèses Maxillo-Faciales, Hôpital de la Timone, École de Médecine Dentaire, Faculté des Sciences Médicales et Paramédicales, Marseille
***MCU-PH, Unité Fonctionnelle de Prothèses Maxillo-Faciales, Hôpital de la Timone, École de Médecine Dentaire, Faculté des Sciences Médicales et Paramédicales, Marseille
****MCU-PH, Unité Fonctionnelle de Prothèses Maxillo-Faciales, Hôpital de la Timone, École de Médecine Dentaire, Faculté des Sciences Médicales et Paramédicales, Marseille
L’ablation complète d’un carcinome épidermoïde cutané (CEC) agressif et infiltrant peut conduire à la perte de structures anatomiques importantes.
Étant souvent localisé au niveau du visage, l’exérèse d’un CEC peut modifier totalement l’apparence d’un patient et impacter de façon majeure son état psychologique.
Lorsque la chirurgie reconstructrice n’est pas possible, la réalisation d’une épithèse est une solution de choix pour restaurer...
Lors d’une intervention chirurgicale visant à éliminer un cancer agressif, l’étendue de la lésion détermine la quantité de tissu à enlever. La perte de certaines zones fonctionnelles cruciales peut compliquer la conception de la prothèse. Ce cas clinique décrit la réhabilitation prothétique d’une patiente de 74 ans ayant subi une résection tumorale de la lèvre supérieure, de la partie antérieure de la cavité nasale et de la partie cartilagineuse de la cloison nasale, associée à 35 séances de radiothérapie et des cures de chimiothérapie. L’importance de la perte de substance et les effets secondaires des traitements ont impacté de façon majeure la qualité de vie de la patiente (modification de son apparence, interaction sociale, dénutrition). La réalisation de prothèses sur implants aurait pu être considérée comme le traitement de choix, cette option était contre-indiquée chez cette patiente, en raison du terrain radique et des injections d’acide zolédronique. Pour répondre à ses attentes, une épithèse labiale reliée à une prothèse conventionnelle par des aimants a été réalisée.
L’ablation complète d’un carcinome épidermoïde cutané (CEC) agressif et infiltrant peut conduire à la perte de structures anatomiques importantes.
Étant souvent localisé au niveau du visage, l’exérèse d’un CEC peut modifier totalement l’apparence d’un patient et impacter de façon majeure son état psychologique.
Lorsque la chirurgie reconstructrice n’est pas possible, la réalisation d’une épithèse est une solution de choix pour restaurer l’esthétique et la fonction du patient et ainsi améliorer sa qualité de vie.
La problématique principale dans ce type de traitement est le choix du système de rétention de l’épithèse.
Ce cas clinique présente la réhabilitation orale d’une patiente totalement édentée avec un antécédent de CEC de la columelle et de la lèvre supérieure traité par radio-chimiothérapie et chirurgie d’exérèse sans reconstruction, par des prothèses amovibles complètes conventionnelles et une épithèse labiale retenue par des aimants.
Une patiente de 74 ans a été adressée en mars 2023 dans l’Unité Fonctionnelle de Prothèses Maxillo-Faciales de l’Hôpital de la Timone pour un avis sur une possible réhabilitation orale.
Sur le plan général, les antécédents médicaux de la patiente étaient une dénutrition et une ostéoporose sévère traitée par une perfusion annuelle d’acide zolédronique 5 mg depuis trois ans.
En 2018, il a été diagnostiqué un CEC de la lèvre supérieure et de la columelle T4N0M0 moyennement différencié et infiltrant. Le traitement a consisté en une radio-chimiothérapie concomitante (70 Gy), ce qui a permis une rémission partielle.
En 2019, une récidive infiltrant le sinus prémaxillaire et l’épine nasale a nécessité une exérèse chirurgicale complète par maxillectomie antérieure avec résection de la lèvre supérieure sans chirurgie reconstructrice possible.
Lors de la première consultation, la patiente s’est présentée édentée non appareillée (figure 1). Aucune épithèse n’avait été réalisée et elle portait un masque chirurgical au quotidien depuis quatre ans. Elle était dénutrie et n’avait plus d’interaction sociale. Ses doléances étaient essentiellement esthétiques, mais aussi fonctionnelles.
La RCP avait estimé qu’une chirurgie reconstructrice s’avérait trop complexe avec un risque de complication trop important en termes de cicatrisation des tissus et un résultat esthétique insatisfaisant.
Compte tenu des antécédents de radio-chimiothérapie, de l’ostéoporose sévère, et de l’état de santé général de la patiente, une réhabilitation orale par des prothèses implanto-portées était contre-indiquée.
Il a donc été décidé de réaliser des prothèses amovibles complètes (PAC) bi-maxillaires et une épithèse labiale.
1. Dans un premier temps, une épithèse provisoire de la columelle et de la lèvre supérieure, sans système de rétention, a été réalisée à partir d’une empreinte numérique (scan facial Artec 3D) (figure 2). La patiente utilisait un sparadrap pour maintenir l’épithèse en place. Cette épithèse permettait de valider le projet esthétique.
2. Des PAC ont été réalisées selon les techniques conventionnelles afin de restaurer rapidement les fonctions (mastication, phonation, déglutition) et l’esthétique (rééquilibration des étages/du profil).
La prothèse maxillaire, exploitant l’intégralité de la surface d’appui muqueuse disponible, présentait une hauteur de résine suffisante sur la face vestibulaire pour la mise en place de deux aimants (Titanmagnetics®, STECO system-technik) destinés à assurer par la suite la rétention de l’épithèse (figure 3).
Deux puits ont été forés et les parties mâles des aimants ont été fixées à l’aide de résine acrylique auto-polymérisable.
3. L’épithèse d’usage a été réalisée à partir d’une copie en cire de l’épithèse provisoire et ajustée selon d’anciennes photographies de la patiente. Sur ce modèle, les parties femelles des aimants ont été intégrées. Les bords et la surface de l’épithèse ont été sculptés et caractérisés (rides, ridules) directement sur la patiente (figures 4a, b).
Une fois le modèle validé, la teinte du visage de la patiente a été relevée puis les différentes nuances de silicone ont été incorporées lors de la mise en moufle pour la polymérisation. L’épithèse a été réalisée selon la technique de la cire perdue (figures 4c à e).
Le suivi de la patiente a été effectué sur un an. Elle rapportait une amélioration de sa qualité de vie (fonctionnelle, esthétique et sociale) (figures 5 et 6).
La chirurgie d’ablation pour les cancers agressifs du nez et de la région péri-buccale peut entraîner des défauts anatomiques importants occasionnant une grande détresse physique et psychologique pour l’individu concerné [1].
La perte des lèvres compromet la parole, l’apparence, la mastication et peut entraîner des fuites salivaires incontrôlées chez les patients.
Pour la reconstruction de la lèvre, différentes techniques chirurgicales ont été développées et le choix dépend, entre autres, de l’étendue et du site de la lésion, et des traitements associés [2].
Dans le cas d’une perte de substance totale de la lèvre supérieure, le lambeau pédiculé de Dufourmentel peut être au niveau du cuir chevelu temporo-pariétal, mais les résultats fonctionnels et esthétiques ont tendance à être très insuffisants.
D’autres équipes recommandent l’association de plusieurs lambeaux comme le lambeau d’Abbé qui consiste à prélever un lambeau de lèvre inférieure para-médian de pleine épaisseur et à le faire pivoter à 180° pour remplacer la sous-unité esthétique du philtrum ou encore le lambeau de Webster qui est un lambeau d’avancement jugal [3-5].
Parmi ces différentes techniques chirurgicales, l’introduction des lambeaux libres microvasculaires a permis de réhabiliter la plupart des défauts du visage.
Cependant, la radiothérapie postopératoire peut retarder la cicatrisation et augmenter le risque de complications des lambeaux.
De plus, les cancers épidermoïdes ont un potentiel métastatique et l’inspection visuelle périodique de l’anomalie oncologique est donc importante [6].
Certains auteurs recommandent un délai de deux ans avant toute reconstruction chirurgicale, car il s’agit de la période où la majorité des récidives apparaissent [7, 8].
Plusieurs patients ne sont donc pas réhabilités sur une période donnée ou ne sont pas éligibles à la chirurgie reconstructrice.
Ainsi, une épithèse labiale constitue une option intéressante car non invasive [2].
Le praticien prend donc en charge des défauts extra- et intra-oraux combinés et est confronté au double défi de restaurer l’esthétique et les fonctions (parole, mastication, déglutition) [9].
L’épithèse labiale est réalisée en silicone à usage spécifique maxillo-facial qui a l’avantage d’un faible poids, et imite au mieux la forme et la teinte de l’épiderme [10].
Elle nécessite une adaptation marginale importante de façon que la jonction tissus-épithèse soit imperceptible, et une rétention adéquate, ce qui est difficile en raison des mouvements constants des lèvres et des joues. La rétention peut donc être compromise et le joint interrompu [2].
Parmi les options de rétention de l’épithèse figurent les contre-dépouilles anatomiques, les implants, les aimants, les adhésifs tissulaires, l’utilisation de lunettes, ou une combinaison de ces éléments.
L’utilisation d’adhésif exige que les patients l’appliquent sur la périphérie de l’épithèse à chaque fois qu’ils l’utilisent. Certains patients ne sont pas à l’aise avec l’aspect mucineux des adhésifs, et certains développent même une réaction allergique.
En ce qui concerne la rétention par des lunettes, cette option est peu tolérée par les patients qui n’en portent pas régulièrement [9].
Au cours des cinq dernières décennies, les implants ont été utilisés pour améliorer la rétention des prothèses faciales. Cependant, certains facteurs peuvent encore empêcher la chirurgie implantaire, comme la radiothérapie, la complexité anatomique, les lésions récurrentes et la complexité de l’intervention.
Les attachements magnétiques placés sur la prothèse dentaire sont un moyen de liaison de choix lorsque la pose d’implants n’est pas envisageable.
Les aimants sont utilisés depuis les années 90 et ont largement prouvé leur efficacité.
À leur apparition, ils présentaient deux inconvénients majeurs : une sensibilité à l’effet corrosif de la salive et une force de rétention faible.
Les premiers aimants en samarium-cobalt avaient une forte tendance à la corrosion avec une cytotoxicité considérable. Puis le revêtement de ces aimants avec de l’étain ou du titane a permis de les rendre moins cytotoxiques.
Ensuite, les aimants en néodyme-fer-bore ont présenté l’avantage d’être moins sensibles à la corrosion et n’étaient que modérément cytotoxiques.
C’est finalement l’introduction des aimants en terres rares samarium-néodyme associés au revêtement en étain ou en titane qui a permis une réduction spectaculaire de leur cytotoxicité et de leur taille, tout en assurant une force de rétention optimale [11, 12]. Ces aimants existent sous différentes formes et tailles, offrant ainsi la possibilité de choisir l’aimant le plus adapté au défaut à réhabiliter.
Dans ce cas clinique, la patiente a bénéficié d’une empreinte optique via un scanner Artec 3D pour la réalisation de son épithèse. Autrefois, la prise d’empreinte conventionnelle se faisait avec des matériaux de type alginate, polyvynilsiloxane ou plâtre à prise rapide. Selon l’étendue du défaut et les matériaux utilisés, cette séance pouvait être très difficile pour l’équipe médicale et inconfortable et douloureuse pour le patient.
L’acquisition de modèle par des empreintes optiques est efficiente et facilite considérablement cette étape [13].
De plus, elles permettent de s’affranchir des erreurs potentielles issues des empreintes conventionnelles telles que la distorsion des tissus mous du visage due à la compression du matériau d’empreinte. Leur précision semble également supérieure à celle d’une empreinte conventionnelle avec une prise d’empreinte plus rapide et sans risque d’obstruction des voies respiratoires en cas d’empreinte nasale notamment [14].
Ce type d’empreinte semble finalement plus confortable que des empreintes conventionnelles illustrées dans d’autres articles [15].
La réhabilitation de cette patiente a associé une prothèse de lèvre extra-orale (ou épithèse labiale) reliée par deux aimants à une prothèse complète conventionnelle.
Le résultat a influé de façon importante sur la qualité de vie de la patiente en améliorant sa capacité à s’alimenter, l’intelligibilité de sa parole et en éliminant la perte de fluides. Une amélioration du profil facial est également à noter, avec une harmonisation du tiers inférieur de son visage et de l’esthétique.
Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêt.
Remerciement à Olivier Delobel, épisthésiste, du laboratoire Villanova et au laboratoire interne de l’hôpital de La Timone, Marseille