Les mythes de l’adhésion dentinaire Une perspective fondée sur les preuves
Revue de presse
Internationale
Les recherches en laboratoires sont essentielles pour le développement de la science. Néanmoins, les découvertes doivent être confirmées cliniquement, car le vivant implique beaucoup de variables, connues ou non des scientifiques. Tirer des conclusions et des recommandations cliniques d’études purement issues de laboratoires peut conduire à la propagation de « vérités non fiables » ou de soi-disant mythes dans n’importe quel domaine de connaissance. Cet article discute...
Les recherches en laboratoires sont essentielles pour le développement de la science. Néanmoins, les découvertes doivent être confirmées cliniquement, car le vivant implique beaucoup de variables, connues ou non des scientifiques. Tirer des conclusions et des recommandations cliniques d’études purement issues de laboratoires peut conduire à la propagation de « vérités non fiables » ou de soi-disant mythes dans n’importe quel domaine de connaissance. Cet article discute certains mythes du collage dentinaire qui pourraient influencer des décisions cliniques, en exposant certains principes de la pratique basée sur des preuves pour permettre une évaluation plus critique des résultats de la littérature.
De nombreux thèmes sont abordés.
• Les adhésifs mordançage-rinçage (MR) devraient être utilisés avec la « wet-bonding technique »
Le protocole de « wet-bonding » est un bon exemple de procédure qui est désormais largement utilisée cliniquement, en étant uniquement basée sur les découvertes de laboratoire. Kanca (1992) a été le premier à noter une meilleure adhérence résine-dentine pour les adhésifs appliqués sur une dentine légèrement humide. Ce protocole a été renforcé par les découvertes en microscopie révélant l’effondrement du collagène déminéralisé après séchage à l’air, ce qui empêchait l’infiltration de résine sur toute la profondeur de la déminéralisation. Il convient néanmoins de se demander si l’humidité de la dentine est essentielle dans un scénario clinique complexe où de nombreuses variables (application de l’adhésif, résine composite utilisée, processus de polymérisation, contamination, occlusion du patient, etc.) jouent un rôle dans la durabilité de la restauration. Seuls les essais cliniques contrôlés randomisés (ECR) sont légitimes pour répondre à cette question.
Les quelques ECR qui ont évalué l’humidité de la dentine sur la longévité des restaurations n’ont pas montré que cette technique était supérieure au collage sur dentine sèche dans les lésions cervicales ou les restaurations postérieures. En d’autres termes, nous manquons de haut niveau de preuves pour soutenir cette recommandation clinique. Les cliniciens auraient donc la possibilité de choisir s’ils appliquent le protocole de collage humide avec des adhésifs mordançage-rinçage.
• L’application de chlorhexidine augmente la longévité de la restauration
D’innombrables publications de laboratoire ont montré des résultats prometteurs de la chlorhexidine (CHX) dans la réduction de la dégradation adhésive. La CHX est un inhibiteur puissant des enzymes endogènes qui dégradent le collagène non encapsulé dans la couche hybride. Les auteurs ont montré que l’application de CHX prévenait de manière significative la dégradation adhésive des restaurations.
Certains auteurs ont considéré cette méthodologie ex vivo comme une preuve clinique de l’efficacité de la CHX pour réaliser des restaurations plus durables. Les tentatives antérieures d’associer l’application de CHX avec un meilleur vieillissement de l’interface adhésive ont échoué à établir un lien de cause à effet.
En dentisterie restauratrice, le décollement de la restauration, les lésions de caries secondaires et la perte de dents sont des résultats cliniquement pertinents. Certains ECR qui ont comparé le décollement de la restauration avec et sans CHX n’ont pas rapporté de différences cliniquement significatives dans des suivis allant jusqu’à 3 ans. Sans preuves plus crédibles et à long terme, il paraît raisonnable d’affirmer, pour le moment, que l’application de CHX n’apporte aucun bénéfice en termes d’adhésion.
• L’isolation avec une digue est essentielle pour avoir des restaurations durables
La contamination par l’humidité, la salive et le sang lors des protocoles adhésifs peut compromettre l’adhésion. Par conséquent, l’isolation de la dent avant la mise en œuvre du protocole de collage est essentielle. Plusieurs facultés/écoles dentaires recommandent l’isolation par digue dentaire pour les procédures restauratrices en raison de son isolation à la salive supérieure, de la protection des tissus mous environnants et de la prévention à l’inhalation d’instruments. De plus, cela réduit le risque de contamination croisée en diminuant la teneur microbienne des aérosols de turbine produits pendant les traitements. Néanmoins, nous ne pouvons pas affirmer que les restaurations à succès sont uniquement obtenues en utilisant la digue.
Une revue systématique de la littérature a trouvé, avec un faible niveau de preuve, que l’isolation par digue présentait un taux d’échec inférieur des restaurations par rapport à l’utilisation de cotons salivaires après 6 mois. Les preuves sont encore plus faibles sur des périodes plus longues. D’un point de vue clinique, cela signifie que l’effet de la digue sur la longévité des restaurations des dents permanentes reste indéfinissable. Cela a également été rapporté dans un ECR récent sur les dents déciduales.
Nous devrions considérer les avantages et inconvénients avant de décider de la méthode d’isolation. L’acceptation du patient est souvent faible, principalement pour les respirateurs buccaux, et il existe l’inconvénient des dommages aux tissus gingivaux causés par les crampons métalliques. La pose de la digue nécessite généralement plus de temps au fauteuil pour sa mise en place et représente un coût plus élevé en termes de matériaux et d’équipements. D’autres effets secondaires, moins courants mais possibles, incluent l’allergie au latex, et la dégradation de limites fines des restaurations par les crampons. En aucun cas les auteurs de la revue analysée ne contre-indiquent l’utilisation de la digue dentaire. Nous attirons simplement l’attention des lecteurs sur le manque de preuves de haut niveau pour affirmer que la digue est associée à une plus grande longévité des restaurations, car d’autres facteurs doivent être pris en compte lors du choix de la méthode d’isolation pour les protocoles de restauration.
• OptiBond FL et Clearfil SE Bond sont les adhésifs de référence, dits « gold-standard »
Parmi les adhésifs de mordançage/rinçage en 3 étapes et les adhésifs auto-mordançants en 2 étapes, les produits OptiBond FL (Kerr) et Clearfil SE Bond (Kuraray) ont été considérés comme des matériaux de référence par de nombreux chercheurs et cliniciens. Bien que cette croyance soit présente dans la littérature depuis plus de vingt ans, elle s’est répandue davantage après la publication d’une revue méta-analytique des paramètres des valeurs d’adhésion dans laquelle les auteurs ont conclu que les deux adhésifs les plus performants en termes d’adhérence étaient l’OptiBond FL et le Clearfil SE Bond.
Une revue systématique de la littérature des ECR comparant les taux de rétention des restaurations placées avec ces adhésifs et d’autres matériaux concurrents a montré que l’OptiBond FL n’était pas meilleur que d’autres matériaux lors de suivis à court et long terme. La même tendance a été observée pour le Clearfil SE Bond. Bien que ces 2 matériaux aient d’excellentes performances cliniques, ils ne peuvent pas être revendiqués comme « gold-standard » sur la base des preuves disponibles.
Dans certains pays, ces deux matériaux peuvent coûter au moins le double du prix d’autres matériaux performants. En les plaçant au rang de « gold-standard », ils augmentent les coûts des procédures restauratrices. Néanmoins, cette considération n’existe pas dans les pays où la différence de prix est insignifiante.
Jusqu’à ce que nous obtenions des niveaux de preuves plus élevés pour affirmer que l’OptiBond FL et le Clearfil SE Bond sont des matériaux de référence, nous devons rester ouverts aux nouvelles découvertes de la littérature.
Les soignants, les chercheurs et les professeurs sont toujours en position d’autorité lorsqu’ils prennent des décisions cliniques. C’est pourquoi nous devrions éviter d’utiliser cette expérience clinique comme seule preuve d’efficacité. Nous devons éviter de classer les procédures de manière binaire comme uniquement significative ou non, et commencer à prendre en compte les bénéfices, risques et préjudices sans négliger les préférences des patients.
Reconnaître les limites dans le collage dentinaire est essentiel pour un changement vers une pratique axée sur des résultats cliniquement pertinents.
LA REVUE DE PRESSE EST COORDONNÉE PAR
Sébastien JUNGO
MCU associé en Parodontologie, UFR Odontologie, Université de Paris Cité. Service de Médecine bucco-dentaire, AP-HP, Hôpital Bretonneau.
Ont collaboré à cette revue de presse
Elisa CAUSSIN
CCU-AH en ORE, UFR d’Odontologie, Université Paris Cité. Service de Médecine bucco-dentaire, AP-HP, Hôpital Bretonneau.
Jérôme PETIT
Chargé d’enseignement, Faculté d’Odontologie, Université de Lille. PH Contractuel, UF Parodontologie, Service Odontologie, CHU Lille. Exercice libéral exclusif en Parodontologie à Arras.
Claire LUTZ
CCU-AH en Chirurgie orale, UFR d’Odontologie, Université Paris Cité. Service de Médecine bucco-dentaire, AP-HP, Hôpital Bretonneau.