FERMER LES TRIANGLES NOIRS GRÂCE À L’ODF
Dossier
Spécialiste qualifié en Orthopédie Dento-Faciale Ancien interne des hôpitaux de Marseille
Les triangles noirs, conséquence d’une absence partielle ou totale de papille, représentent un problème esthétique majeur.
Leur apparition peut parfois être consécutive à un traitement orthodontique.
Les traitements pour les masquer ou les faire disparaître peuvent être multiples. Et si l’on utilisait de nouveau des techniques orthodontiques pour les gérer ?
Le champ de la dentisterie esthétique est gouverné par des règles et des valeurs, et devrait être étudié tant d’un point de vue objectif que subjectif. La perception varie entre les personnes et dépend de l’environnement social et des expériences personnelles. L’apparition des triangles noirs est un problème esthétique majeur pour nombre de patients.
Un problème esthétique majeur
Kokich [1] a montré que les orthodontistes considèrent comme moins esthétique un sourire avec des embrasures gingivales ouvertes de 2 mm. Quand les embrasures sont supérieures à 3 mm, elles sont estimées comme inesthétiques à la fois par les professionnels et les patients.
Cunlife [2] a pour sa part mis en avant que les triangles noirs sont considérés comme le 3e problème esthétique le plus important selon les patients, après les caries antérieures ainsi que les lésions cervicales d’usures et les limites prothétiques visibles.
Une autre étude menée par Sriphadungporn et Chamnannidiadha [3] à partir d’images modifiées (figure 1), a présenté à des patients différents sourires comportant une absence de triangle noir ou un très petit triangle noir (de 0,5 mm). Ces deux situations cliniques ont été considérées comme beaucoup plus attirantes qu’un sourire présentant des triangles noirs de 1 à 2,5 mm, bien que les personnes plus âgées se soient montrées plus tolérantes vis-à-vis de ces triangles noirs.
La présence d’une papille interdentaire ou d’un triangle noir est conditionnée par deux paramètres principaux : la distance inter-radiculaire et la distance entre le point de contact proximal et la crête osseuse (figures 2 et 3). En présence d’une distance inter-radiculaire importante et/ou d’un point de contact très occlusal, des triangles noirs sont beaucoup plus susceptibles d’apparaître, alors qu’une distance inter-radiculaire plus étroite et/ou un point de contact plus gingival sont en faveur de la préservation d’une papille interdentaire.
À ces deux paramètres principaux s’ajouteront six facteurs influençant la présence ou l’absence de papille [4] : des lésions parodontales associées à la présence de plaque dentaire, un brossage traumatique, des restaurations dentaires iatrogènes (débordantes ou au contraire trop peu marquées), la forme naturelle des dents (trop triangulaires), des pertes dentaires ou des espaces interdentaires trop important (figures 4 et 5).
Partant du principe que les traitements orthodontiques sont réalisés sur des terrains parodontaux assainis, que les restaurations dentaires ont été faites correctement et que le brossage est maîtrisé, il reste deux facteurs sur lesquels l’orthodontiste peut intervenir, à savoir : la distance inter-radiculaire (faiblement modifiable car il faut préserver de l’os interdentaire) et la forme des dents. C’est principalement sur ce dernier point que l’orthodontie interviendra au besoin, par la réalisation de stripping, aussi appelé réduction (amélaire) interproximale ou RIP.
Avant toute décision de stripping, il est cependant impératif de réaliser un contrôle radiologique (panoramique par exemple), lequel permet de contrôler ces axes radiculaires.
La forme des dents est un facteur très souvent impliqué dans la perte des papilles (figures 6 et 7) et l’apparition de triangles noirs après alignement dentaire. Les formes triangulaires et ovoïdes, caractérisées par des faces proximales divergentes (figure 8), représentent 42 % des cas [5].
Avant traitement, l’encombrement peut entraîner une proximité radiculaire, et l’agencement des couronnes induit des points de contact proximaux plus gingivaux. En alignant les dents, le point de contact « migre » occlusalement et les racines s’écartent, ce qui favorise l’apparition des triangles noirs (figure 9).
Le meulage amélaire interproximal doit bien évidemment être réalisé avec prudence et rigueur [6, 7]. La couche d’émail recouvrant les dents est fine et il faut respecter certaines limites pour ne pas affaiblir la résistance de la dent. Sheridan [8] suggère que l’on peut éliminer sans danger jusqu’à 0,8 mm par face dans les zones postérieures et 0,25 mm par face dans les zones antérieures, sachant qu’une dent triangulaire permet une réduction encore plus importante car l’épaisseur d’émail est souvent plus importante. Ce stripping permettra de donner aux dents une forme plus rectangulaire, diminuant ainsi la distance inter-radiculaire après alignement et limitant la migration occlusale du point de contact (figure 10).
Il conviendra tout de même de veiller à ne pas trop modifier les proportions des dents pour ne pas être iatrogène et déclencher des sensibilités dentaires, ainsi qu’altérer l’esthétique si les modifications sont trop importantes.
Il existe deux catégories d’instruments permettant la réduction amélaire interproximale :
- les instruments non rotatifs, ou manuels, qui sont des lames en acier recouvertes d’un matériau abrasif. Ces lames peuvent être monoface ou biface, et présenter une granulométrie variant de 0,1 à 0,4 mm (figure 11) ;
- les instruments rotatifs ou assimilés :
- disques diamantés, recouverts de grains abrasifs sur une ou deux faces, utilisés sur un contre-angle conventionnel (figure 12) ;
- dames abrasives montées sur contre-angle spécifique effectuant un mouvement d’aller-retour horizontal comparable à une scie (figure 13) ;
- fraises diamantées montées sur turbine ou contre-angle bague rouge, les plus fines pouvant atteindre 0,18 mm à leur extrémité (figure 14).
Quelle que soit la méthode utilisée, il faut utiliser des jauges d’épaisseur calibrée (figure 15) pour évaluer la quantité d’émail supprimée.
À la fin du stripping, il est nécessaire de polir les faces proximales des dents afin d’éviter de favoriser le dépôt de plaque dentaire. Ce polissage se réalise généralement à l’aide de bandelettes de granulométrie très fine, en association éventuelle avec une pâte de polissage.
Nous proposons deux cas cliniques pour illustrer notre propos.
• Le premier concerne une jeune femme de 33 ans présentant un état parodontal sain et un encombrement maxillo-mandibulaire (figure 16), motif principal de sa consultation. La phase initiale d’alignement avec des aligneurs a provoqué l’apparition d’un triangle noir entre 11 et 21, principalement liée à la forme très triangulaire de ses incisives (figure 17). Lors de la réévaluation, une réduction de 0,25 mm par dent a été décidée (0,5 mm au total), au niveau du point de contact entre 11 et 21 (figure 18). Le traitement s’est poursuivi jusqu’à la fermeture de l’espace de stripping et l’obtention d’une surface de contact entre 11 et 21, ayant eu pour effet la disparition complète du triangle noir (figure 19).
• Le deuxième cas concerne un patient de 38 ans présentant un état parodontal fragile, avec des récessions parodontales majeures liées notamment à des manœuvres d’hygiène trop rares et perfectibles, ainsi qu’un mauvais positionnement des dents dans l’os alvéolaire (figure 20). Après une éducation parodontale et un assainissement global, le traitement orthodontique a débuté. La fin de la première phase (figure 21) a montré une nette amélioration parodontale (diminution de l’inflammation et des récessions), mais l’apparition d’un triangle noir entre 11 et 21, absent initialement du fait de l’encombrement dentaire. Un stripping de 0,4 mm a été entrepris avant de poursuivre la deuxième phase de traitement, menant à la disparition quasi complète de ce triangle noir (figure 22).
La prise en charge ou la prévention de la perte des papilles interdentaires, et donc l’apparition de triangles noirs inesthétiques, nécessite une approche interdisciplinaire où chaque branche de l’odontologie joue un rôle actif et efficace. La parodontologie, en particulier, occupe une place centrale dans la gestion des tissus mous. Cependant, au-delà de cet aspect, la configuration interproximale, définie par les tissus durs, est déterminante pour la présence des papilles. L’orthodontie, à elle seule, peut poser un risque pour la conservation des papilles. Il est donc essentiel de prendre en compte la forme des dents, l’un des facteurs contribuant à l’apparition des triangles noirs. Dans de nombreux cas, une réduction amélaire peut favoriser un équilibre global en rapprochant la forme des dents de celle qui est la plus adaptée à la santé des papilles.
L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêt.