CONSIDÉRATIONS CLINIQUES POUR LA GESTION DES TRIANGLES NOIRS EN SECTEUR ESTHÉTIQUE QUELLES TECHNIQUES POUR QUELLES INDICATIONS ?
Dossier
Kevimy AGOSSA* Plakaïphone BORIBOUN** Michel BRAVARD*** Marie CLÉMENT**** Serge DAHAN***** Damien FEUILLET****** Olivier HUCK*******
*PU-PH parodontologie, Université de Lille, UFR3S, Faculté de Chirurgie Dentaire CHU de Lille, Service d’Odontologie, UF parodontologie
**Pratique privée, Tourcoing
***Pratique privée, Lyon
****Ancien AHU, Lyon Pratique libérale exclusive en dentisterie esthétique, Lyon
*****Spécialiste qualifié en Orthopédie Dento-Faciale Pratique privée, Marseille
******Ancien AHU, Lyon Pratique privée, Lyon
*******PU-PH parodontologie, Université de Strasbourg, Faculté de Chirurgie Dentaire Hôpitaux Universitaires de Strasbourg, Pôle de médecine et chirurgie bucco-dentaires
Le sourire joue un rôle primordial dans la perception de l’attractivité du visage [1, 2]. Les triangles ou trous noirs interdentaires (TNI) qui apparaissent en cas d’altération de la papille interdentaire (PID) ont un impact particulièrement négatif sur l’esthétique du sourire et la satisfaction des patients [3]. La demande des patients pour corriger les TNI est importante, mais leur gestion reste un défi clinique majeur. Schématiquement, les traitements consistent à (i) augmenter le volume de la PID chirurgicalement ou à l’aide d’injections d’acide hyaluronique, et/ou à (ii) modifier la forme et la position des dents à l’aide de traitements orthodontiques ou restaurateurs (figure 1).
Il est important de souligner que le niveau de preuve des traitements actuels des TNI reste faible. Une revue de littérature récente rappelle que la majorité des publications sur ce sujet sont des rapports de cas et que les rares études comparatives ne concernent que des variantes d’une même technique. Par conséquent, aucune recommandation ne peut être basée sur la supériorité établie d’une stratégie par rapport aux autres [4]. Toutefois, la situation clinique et la connaissance des facteurs de succès de chaque traitement peuvent orienter la décision vers les choix les plus adaptés.
Cet article s’appuie sur une brève synthèse de la littérature concernant l’efficacité et les particularités des différents traitements des TNI, pour proposer au clinicien une aide à la décision basée sur des arguments scientifiques et cliniques.
• PID altérée par l’infection ou le traumatisme chronique
Quelques rapports de cas décrivent la restauration complète de la PID plusieurs mois à plusieurs années après la suppression du facteur causal. La stimulation de la PID par « curetage répété », la maintenance régulière, le phénotype gingival et le degré d’atteinte osseuse pourraient influencer cette régénération de la PID qui reste cependant rare et peu prédictible [5-7] (figure 2).
• PID altérée par un traumatisme chirurgical
Les résultats sont hétérogènes selon le type d’étude (modèle animal ou étude clinique), l’état parodontal, et les sites. Par exemple, une étude chez le singe décrit une régénération totale de toutes les PID excisées au bout de 2 mois, tandis que chez l’homme plus de 2/3 des PID ne retrouvent pas leur hauteur initiale au bout d’un à 3 mois [8, 9]. La comparaison d’un lambeau intra sulculaire (OFD) à un lambeau de préservation papillaire (PPF) chez des patients sans parodontite, montre dans le groupe OFD une aggravation du TNI entre 1 et 3 mois dans 9/12 sites et une amélioration dans les sites restants. Entre 3 et 12 mois, le déficit de la PID s’aggrave dans 2 sites et s’améliore dans tous les autres. À 12 mois, la perte de PID moyenne est d’environ 1 mm dans le groupe OFD contre moins de 1/10e de mm de variation dans le groupe PPF mais les évolutions sont très hétérogènes selon les sites [10]. Chez des patients atteints de parodontite, une méta-analyse suggère que la RG postopératoire après traitement chirurgical de LIO progresse légèrement, passant de 1,1 5 mm à un an à 1,78 mm au-delà d’un an [11]. Avec l’émergence des techniques mini-invasives et des approches combinées pour le traitement simultané de défauts osseux et des tissus mous, on observe une tendance nette ces dernières années à la convergence de la chirurgie muco-gingivale et de la reconstruction des LIO, pour minimiser la RG et optimiser l’esthétique en postopératoire [12-14].
Les techniques de reconstruction chirurgicale de la papille (RCP) sont plus efficaces lorsqu’elles sont associées à un greffon conjonctif (GCE) [4]. Les concentrés plaquettaires, proposés comme alternative, se révèlent moins performants [15]. Le gain de hauteur de PID varie entre 1 et 3 mm environ, avec un recul pouvant atteindre plusieurs années. La RCP est une technique délicate et opérateur dépendante. La sélection du cas et du site est donc essentielle pour limiter le risque de complications. Il paraît évident que les PID larges (2 à 3 mm au minimum) et épaisses sont plus faciles à manipuler. Une distance point de contact-sommet de crête ≤ à 5 mm, une hauteur initiale de PID ≤ à 4 mm, et une profondeur de poche ≤ à 3 mm seraient également plus favorables à la RCP [16].
L’injection d’acide hyaluronique (AH) est une option peu invasive qui peut répondre ponctuellement au besoin de correction de TNI mineurs. Les résultats semblent meilleurs sur un phénotype gingival épais, chez des patients jeunes et sont variables selon la concentration d’AH. Le gain en hauteur est généralement très modeste, de l’ordre de 0,25 à 1 mm (environ 50 % de réduction du TNI) tous types de TNI confondus et la répétition des injections est souvent nécessaire pour éviter la récidive [4, 17-19]. Pour des TNI modérés à larges associés à un support osseux réduit cette option seule paraît insuffisante pour fournir un résultat satisfaisant et pérenne.
Le traitement orthodontique (TO) offre une solution pérenne et peu invasive pour gérer les TNI dans une ou plusieurs des situations suivantes (i) racines divergentes et distance inter-radiculaire ≥ 2 mm, (ii) couronnes dentaires de forme triangulaire et point de contact situé à une distance ≥ 5 mm de la crête osseuse, (iii) malocclusions/malpositions à corriger dans un contexte global (par exemple, parodontite de Stade IV avec égressions et perturbation du guidage antérieur). Dans la littérature, le TO est souvent associé à une technique d’augmentation de la papille (RCP ou AH) pour traiter des TNI larges et/ou multiples dans un contexte de réhabilitation esthétique et fonctionnelle globale [4].
La dentisterie restauratrice esthétique offre un large panel de possibilités pour corriger les TNI isolés ou associés à d’autres problèmes de forme et de couleur de la dent. Cette option a l’avantage de s’affranchir de plusieurs contraintes liées au patient (âge, tabac) et au site (phénotype gingival) et apporte une solution rapide, satisfaisante, durable et non ou peu invasive, pour des TNI de petite taille ou plus importants. Comme le TO, les traitements restaurateurs (TR) sont particulièrement indiqués lorsque les dents ont une forme triangulaire et restent prédictibles y compris avec un support osseux réduit (distance point de contact-crête osseuse > 5 mm). Il existe peu de données spécifiques au TR pour le traitement des TNI mais la performance des matériaux de restauration actuels est bien établie et plus de 90 % des chirurgiens-dentistes préfèrent une embrasure fermée par un matériau de restauration à un TNI [20]. Dans des cas très limités, la fausse gencive (maquillage de résine, céramique ou épithèse) peut être évoquée, si elle n’entrave pas le nettoyage interdentaire.
Six facteurs locaux ont été considérés comme déterminants dans le choix thérapeutique : 1) le support osseux, 2) l’anatomie des couronnes, 3) la position des racines, 4) le phénotype gingival, 5) la taille du TNI, 6) la présence d’anomalies de forme, position ou de couleur des dents (tableau 1).
En plus des critères locaux, des facteurs généraux, l’expertise du praticien, les préférences du patient, le coût, le temps opératoire et la prédictibilité du résultat sont à prendre en compte. Les traitements d’augmentation de la PID (RCP et AH) sont généralement réalisés chez des patients jeunes (≤ 40 ans) et non-fumeurs [4]. En termes de préférences, les patients préfèrent en général retrouver l’apparence naturelle de la PID ou à défaut, une embrasure fermée par une restauration dentaire plutôt qu’un TNI, tandis que 70 % préfèrent l’apparence naturelle de la PID à la restauration dentaire [20]. En pratique, les préférences sont à évaluer au cas par cas, selon les attentes du patient et parmi les options les plus prédictibles pour une situation clinique donnée. Parmi les traitements d’augmentation de la PID, le gain potentiel avec la RCP est supérieur à l’injection d’AH mais la RCP nécessite un temps opératoire plus long, une expertise technique plus importante, et génère plus de morbidité postopératoire. Parmi les traitements de modification de l’embrasure, les TR sont l’option la plus rapide. Dans les cas les plus complexes (par exemple, TNI larges et multiples sur parodonte réduit) les approches combinées sont généralement indiquées pour obtenir un résultat esthétique et durable.
En conclusion, la gestion des TNI reste un défi clinique pour lequel il n’existe pas de solution unique. Le diagnostic et le pronostic sont déterminants dans le choix thérapeutique. L’outil d’aide à la décision proposé s’appuie sur des critères qui pourront évoluer en fonction des connaissances sur le sujet.
Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêt.