Clinic n° 09 du 01/09/2024

 

Odontologie

Pédiatrique

Patrick ROUAS*   Julia ESTIVALS**   Elsa GAROT***   Christine COUTURE-VESCHAMBRE****  


*MCU-PH, odontologie pédiatrique Laboratoire PACEA, UMR5199, CNRS, MC Université de Bordeaux
**PH, odontologie pédiatrique Laboratoire PACEA, UMR5199, CNRS, MC Université de Bordeaux
***MCU-PH, odontologie pédiatrique Laboratoire PACEA, UMR5199, CNRS, MC Université de Bordeaux
****PU, Anthropologie biologique Laboratoire PACEA, UMR5199, CNRS, MC Université de Bordeaux

[Première parution : Profession Assistante Dentaire 2023;20(3):36-40]

Par leur fonction, les assistant(e)s dentaires peuvent être sollicité(e)s pour répondre à des questions en dehors du cabinet dentaire, dans le cercle familial ou amical. Le statut de niveau 2 pourront élargir leur capacité de prise en charge des patients atteints de MIH, en particulier dans la prise en charge préventive spécifique. Par ailleurs, ces anomalies suscitent aujourd’hui encore des difficultés...


Résumé

Plus connues sous l’acronyme anglo-saxon MIH (pour Molar Incisor Hypomineralisation) que par leur terme scientifique, hypominéralisation molaires incisives, ces anomalies de structure de l’émail suscitent un grand nombre de questions de la part des jeunes patients et/ou de leurs parents. Extrêmement répandues avec une fréquence d’un enfant sur sept atteint de manière plus ou moins sévère, une meilleure connaissance de ces anomalies apparaît indispensable pour un(e) assistant(e) dentaire. Les notions qui seront abordées ici lui permettront d’échanger avec des patients atteints ou avec leurs parents, d’élargir son rôle au sein de la structure et de le valoriser en maîtrisant les points essentiels d’une affection encore trop peu connue.

[Première parution : Profession Assistante Dentaire 2023;20(3):36-40]

Par leur fonction, les assistant(e)s dentaires peuvent être sollicité(e)s pour répondre à des questions en dehors du cabinet dentaire, dans le cercle familial ou amical. Le statut de niveau 2 pourront élargir leur capacité de prise en charge des patients atteints de MIH, en particulier dans la prise en charge préventive spécifique. Par ailleurs, ces anomalies suscitent aujourd’hui encore des difficultés auprès des praticiens, en particulier dans l’élaboration des plans de traitement [1].

QU’EST-CE QU’UNE HYPOMINÉRALISATION MOLAIRES INCISIVES ?

C’est la première question qui vient à l’esprit… Les hypominéralisations molaires incisives (MIH) sont des anomalies de structure de l’émail dentaire touchant spécifiquement les premières molaires permanentes. Cela signifie que l’émail est d’une épaisseur normale, mais qu’il n’est pas d’une qualité optimale, ceci entraînant une vulnérabilité exacerbée au délabrement tissulaire. Une, deux, trois ou quatre premières molaires permanentes peuvent être atteintes. Ces dents étant considérées comme des piliers des arcades dentaires, on comprend mieux l’intérêt que suscitent ces anomalies. Dans certains cas, les incisives permanentes peuvent également être atteintes (figure 1) (dans environ 40 à 70 % des cas), constituant fréquemment un motif de consultation des parents, souvent inquiets de l’aspect esthétique du sourire de leur progéniture. Ajoutons d’ores et déjà que ces stigmates sur les dents antérieures peuvent générer d’importantes souffrances psychologiques chez l’enfant, en particulier lors de l’entrée au collège (figure 2).

D’AUTRES DENTS QUE LES PREMIÈRES MOLAIRES OU LES INCISIVES PERMANENTES PEUVENT-ELLES PRÉSENTER DES TACHES LIÉES AUX MIH ?

Sans vouloir complexifier une thématique déjà riche d’écueils pour nombre de praticiens, il faut néanmoins noter que d’autres catégories dentaires peuvent présenter des taches associées à la MIH. C’est le cas des canines permanentes, avec des taches situées au niveau du 1/3 occlusal, au niveau de la pointe (figure 3), mais aussi des deuxièmes molaires. Cependant, ce sont des situations relativement rares.

COMMENT LA MIH SE MANIFESTE-T-ELLE CLINIQUEMENT ?

Dans la cavité buccale, les hypominéralisations caractéristiques des MIH se manifestent par des opacités bien délimitées de l’émail (figure 4), de couleur blanche, jaune, ou brune correspondant à des zones de densités minérales significativement réduites. Plus la couleur est foncée, plus le déficit en minéral est important et plus le tissu sera fragile (figure 5). Hormis quelques cas où l’intégralité de la couronne apparaît brune, les taches sont généralement localisées sur la moitié ou les 2/3 occlusaux. Elles sont asymétriques, contrastant ainsi avec un certain nombre d’autres anomalies de structure dentaire. La sévérité peut être soit légère, soit sévère selon les cas.

Il ne faut pas confondre un émail hypominéralisé avec une hypoplasie de l’émail, qui est un défaut quantitatif de l’émail, qui apparaît réduit en épaisseur mais de structure normale.

DEPUIS QUAND LES MIH EXISTENT-ELLES ?

Nous avons l’impression d’entendre parler de plus en plus de MIH aujourd’hui… La question qui se pose est : ont-elles toujours existé ? Depuis leur description relativement récente au début des années 2000, les travaux scientifiques sur le sujet se sont multipliés de manière exponentielle, abordant nombre d’informations sur l’anomalie, les facteurs responsables, et les thérapeutiques éventuellement nécessaires, qu’elles soient préventives ou restauratrices. Plusieurs auteurs ont décrit depuis plus d’un siècle, avec une dénomination qui leur était propre, des anomalies pouvant s’apparenter à des MIH. Les termes suivants étaient rencontrés dans la littérature pour décrire des structures amélaires atypiques sur certaines dents : « mottled enamel » (Black & Mc Kay, 1916), « developmental opacities » (Hurme, 1949), « idiopathic or nonfluoride opacities (Zimmermann, 1954)  », « white opaque enamel » (Bhussry, 1958), « non endemic mottling of enamel » (Jackson, 1961), « developmental hypomineralisation » (Kostlan & Plackova, 1962), « demarcated opacities » (FDI, 1982), « idiopathic enamel hypomineralization in permanent teeth » (Koch et al, 1987), « enamel opacities » (Suckling, 1989), « cheese molar » (Van Amerongen & Kreulen, 1995), « enamel hypomineralization of first permanent molars » (Jalevick & Noren, 2000). Face à autant de termes semblant évoquer la même anomalie, induisant par conséquent des confusions, Weerheijm et collaborateurs, en 2001 [2], proposèrent la dénomination « molar-incisor hypomineralisation » (MIH) pour décrire ces défauts caractéristiques. Ce terme unique associé à la définition de critères de diagnostic établis par consensus en 2003 lors du congrès de l’European Academy of Paediatric Dentistry (EAPD) [3] présenta l’avantage de faire progresser la recherche sur cette problématique. Les chercheurs pouvaient ainsi parler le même langage dans leurs études. Les quelques travaux précédemment cités montrent que les MIH semblent donc beaucoup plus anciennes que le début des années 2000…

Plusieurs études scientifiques récentes menées par notre équipe au laboratoire PACEA, UMR5199 ont prouvé que les MIH existaient depuis le Moyen-Âge, a minima (dont Garot et al, 2017 [4]), à une époque où les antibiotiques, certains polluants environnementaux, ou certains perturbateurs endocriniens n’existaient pas. Les MIH sont donc beaucoup plus anciennes que ce que l’on pourrait penser initialement.

QUELLE EST LA FRÉQUENCE DE L’ANOMALIE ?

Si des disparités existent entre les populations et les pays étudiés, les méta-analyses les plus récentes ont permis de proposer des chiffres de prévalence oscillant entre 13 et 14 %. Nous pouvons déduire de ces travaux qu’en moyenne, et retenons ce chiffre plus « parlant » auprès du grand public, près d’un enfant sur sept présente une MIH. Nous pouvons penser avec peu de risque que ce nombre est sous-évalué. En effet, de jeunes patients sont parfois examinés avec une absence d’une ou de plusieurs premières molaires permanentes, ou des premières molaires avec des couronnes très délabrées, empêchant de poser un diagnostic certain de MIH. Si aucune tâche n’est décelable sur les premières molaires restantes, on ne peut savoir si des opacités ont pu être présentes sur les tissus perdus.

À QUELLE PÉRIODE DE LA VIE APPARAÎT L’ANOMALIE ?

Les MIH sont des défauts amélaires d’origine systémique. Un ou plusieurs événements intervenant entre le troisième trimestre de la grossesse et les premières années de vie, intégrant la phase critique de la naissance, sont à l’origine d’une perturbation de la phase de minéralisation des dents concernées. Cependant, ce n’est que plusieurs années plus tard que le diagnostic de MIH pourra être posé, à l’âge de 6 ans, avec l’éruption des premières molaires permanentes dont la minéralisation débute autour de la naissance.

Il arrive que des patients ou des parents demandent si les taches vont « grossir », entendons « évoluer ». Les défauts une fois créés lors de la minéralisation de l’émail auront leurs dimensions définitives. Ils ne pourront s’étendre plus en surface sur les couronnes. Lorsque les dents auront fait leur éruption, l’étendue des taches observées sera stable. A contrario, les zones hypominéralisées resteront extrêmement fragiles, susceptibles alors de se creuser ou d’être le siège de lésions carieuses aux conséquences délétères (figure 6).

CONCLUSION

Dans un exercice omnipratique, il n’est pas rare de croiser chaque semaine des patients porteurs de l’anomalie, quand cette fréquence est quotidienne dans les exercices pédiatriques exclusifs. Une meilleure connaissance de ces anomalies s’avère nécessaire pour les assistante(e)s dentaires, amené(e)s de plus en plus à participer à la prise en charge préventive des jeunes patients.

BIBLIOGRAPHIE

  • 1. Rouas P, Bandon D, Druo JP, Delbos Y, d’Arbonneau F, Jacquelin LF. Hypominéralisations molaires incisives (M.I.H.). Rev Francoph Odontol Pédiatr 2010;5(4).
  • 2. Weerheijm KL, Jalevik B, Alaluusua S. Molar-incisor hypomineralisation. Caries Res 2001;35:390-1.
  • 3. Weerheijm KL, Duggal M, Mejàre I, Papagiannoulis L, Koch G, Martens LC, Hallonsten AL. Judgement criteria for Molar Incisor Hypomineralisation (MIH) in epidemiologic studies: a summary of the European meeting on MIH held in Athens, 2003. Eur J Paediatr Dent 2003;3:110-3.
  • 4. Garot E, Couture-Veschambre C, Manton D, Beauval C, Rouas P. Analytical evidence of enamel hypomineralisation on permanent and primary molars amongst past populations. Sci Rep 2017;10;7(1):1712.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêts.