COMPOSITES STRATIFIÉS ET COMPOSITES INJECTÉS : DEUX PHILOSOPHIES COMPLÉMENTAIRES
Restauration
Directe
Damien SAVOURÉ* Alexandre PHILOUZE** Constance AMBROISE***
*Exercice libéral, Caen
**Exercice libéral, Caen
***Praticien hospitalier, CHU de Caen Assistante spécialiste en odontologie, UFR Santé de Caen
[Première parution : Stratégie prothétique 2022;22(2):76-84]
De nouveaux composites dits injectables ont vu le jour récemment. Ils se présentent sous forme fluide mais ont des propriétés optiques et mécaniques qui permettent leur utilisation comme composite de restauration [1, 2]. Ces matériaux ont permis l’essor d’une nouvelle technique de restauration antérieure :...
L’injection de composite est une nouvelle approche en restauration directe permise par l’évolution des matériaux. Elle vient compléter l’arsenal thérapeutique du chirurgien-dentiste en offrant une alternative aux composites stratifiés, certes très esthétiques, mais également chronophages. La réalisation de composites injectés est une solution clinique à la mise en œuvre rapide, mais au résultat moins mimétique.
[Première parution : Stratégie prothétique 2022;22(2):76-84]
De nouveaux composites dits injectables ont vu le jour récemment. Ils se présentent sous forme fluide mais ont des propriétés optiques et mécaniques qui permettent leur utilisation comme composite de restauration [1, 2]. Ces matériaux ont permis l’essor d’une nouvelle technique de restauration antérieure : l’injection. Bien que pouvant sembler opposées, l’injection et la stratification sont deux techniques complémentaires et similaires en de nombreux points.
L’injection répond à un besoin clinique : c’est une technique standardisable et rapide qui permet de planifier en amont puis de transposer en bouche.
La stratification, quant à elle, permet d’obtenir des résultats plus esthétiques, répondant à la demande de certains patients d’un rendu le plus biomimétique possible. Cependant, la courbe d’apprentissage est longue et le résultat peut varier malgré un même protocole (figures 1 à 3).
Lorsqu’un patient se présente pour une restauration antérieure, le gradient thérapeutique doit guider la réflexion du praticien [3]. Pour une perte tissulaire de petite ou moyenne étendue, une restauration en composite est indiquée. Elle sera moins invasive que la réalisation d’une facette en céramique collée, et la réintervention n’en sera que plus aisée.
Par ailleurs, la réalisation de « facettes » composites à l’adolescence, afin de temporiser jusqu’à la fin de la croissance osseuse et de l’éruption passive, est une indication majeure de l’injection de composite.
Une fois le diagnost ic posé, la première étape est le choix de la couleur. En effet, la prise d’empreintes et le séchage nécessaire aux photographies entraîneront une déshydratation de la dent, modifiant ses propriétés optiques [4].
Elle est relativement simple pour les composites injectés, une seule couleur étant utilisée [5]. Pour les cas nécessitant un masquage du support dentaire, ou pour les cas de restaurations non soutenues (restauration complète d’un bord libre par exemple), il est préférable d’orienter son choix vers une teinte opaque afin d’éviter un halo grisâtre qui serait perçu comme disgracieux. Pour les autres cas, une teinte standard permettant le passage de la lumière peut être choisie.
Concernant les composites stratifiés, l’intégration optique des composites antérieurs est un véritable défi. Les guides de teintes proposés par les fabricants présentent des problèmes de reproduction de la couleur [6]. L’approche de référence reste le « try-in-button », qui consiste en la réalisation de boules de composite déposées à la surface de la dent, photopolymérisées (figure 4a) et photographiées : en noir et blanc (figure 4b) pour la teinte émail et à l’aide d’un filtre polarisant pour la masse dentine [7].
Pour les deux techniques décrites, et en dehors des délabrements de faible étendue où les composites stratifiés peuvent être réalisés à main levée, il est recommandé de demander un wax-up au laboratoire afin d’améliorer le résultat esthétique et de réduire le temps d’intervention. Afin de guider le prothésiste, les empreintes seront complétées par des photos intra-orales et extra-orales permettant de réaliser un projet esthétique virtuel.
Une fois le wax-up réalisé, des clés le seront à leur tour pour guider les restaurations.
La stratification ne nécessite qu’une clé palatine en silicone rigide assurant la bonne reproduction des volumes réalisés par le laboratoire.
Les composites injectés nécessitent quant à eux la préparation d’une gouttière en silicone transparent. Les perforations permettant l’injection seront réalisées à l’aide d’embouts d’injection de composite avant la prise du silicone ce qui permettra l’obtention d’une perforation plus nette sans risquer de délabrer la gouttière transparente une fois le matériau durcit [8].
Si une validation du wax-up est nécessaire, un mock-up (technique du masque) sera réalisé. Dans ce cas, deux solutions s’offrent au praticien pour la réalisation de la gouttière en silicone ou de la clé palatine : la réaliser soi-même au fauteuil ou la déléguer au laboratoire, cela impliquant une séance supplémentaire.
Elle permet la vérification des différents critères esthétiques : longueur des dents, position et angulation du milieu interincisif, angles interincisifs et grand axe des dents sont des points importants à vérifier en amont car des retouches après la restauration pourraient détériorer le résultat esthétique souhaité (figure 5a à c).
Pour la stratification, l’isolation n’est pas un problème car la clé palatine en silicone rigide se replace généralement de façon reproductible, même en cas de pression sur le champ opératoire. De plus, la face vestibulaire dégagée permet un contrôle visuel du bon positionnement (figure 6).
La technique injectée quant à elle rend le choix de l’isolation complexe : le silicone transparent utilisé pour réaliser la clé est moins rigide que celui utilisé pour la stratification, un contact avec le champ opératoire peut entraîner un mauvais positionnement et être à l’origine d’un résultat esthétique disgracieux. La digue ajourée semble être le compromis idéal : elle permet une réduction de l’humidité au niveau de la zone de travail sans créer d’interférence avec la gouttière d’injection (figure 7).
De par sa nature additive, la technique du composite injecté ne nécessite qu’une préparation a minima de la dent. Il est possible de simplement déposer les éventuelles restaurations antérieures et de conditionner l’émail soit par :
- un sablage à l’oxyde d’alumine 50 µm, avec protection des dents adjacentes à l’aide d’une matrice métallique, et un mordançage de 30 secondes à l’acide orthophosphorique (figure 8) ;
- soit par un mordançage prolongé à 60 secondes [9].
La technique par stratification laisse le joint émail-composite visible sur la face vestibulaire. Une préparation irrégulière des bords de la restauration de l’épaisseur de teinte émail est donc nécessaire (environ 0,5 mm) (figure 9a et b).
Un cordonnet de déflexion gingivale est mis en place dans le sulcus afin d’éviter la pénétration de l’adhésif en sous-gingival lors du séchage. Après séchage et polymérisation de l’adhésif, il deviendra plus rigide et permettra d’éviter la fusée de composite. Dans un second temps, la mise en place de téflon sur les dents adjacentes permettra de limiter les excès dans les zones interdentaires (figure 10) [9].
Après conditionnement de l’émail, application et photopolymérisation de l’adhésif amélo-dentinaire, l’injection peut être réalisée. La clé est placée en bouche et son bon positionnement est contrôlé visuellement tout le long de l’injection (figure 11a). Le composite utilisé est le Beautifil Flow Plus X F00 de chez Shofu. Il est important de commencer à injecter le plus apicalement possible. La seringue remonte passivement sous la pression du composite à la manière d’une obturation en gutta chaude. Elle doit en permanence rester au contact du matériau afin d’éviter la formation de bulles d’air dans le matériau.
Une fois le composite injecté, la phase de photopolymérisation débute : une première photopolymérisation de la face vestibulaire est réalisée à travers la gouttière pendant au moins 40 secondes. Une fois la gouttière retirée, une seconde itération doit être effectuée afin de compenser la perte de polymérisation due à l’épaisseur de la gouttière (figure 11b) [10].
Les restaurations d’épaisseur importante présentent une difficulté particulière. Il est nécessaire de connaître l’épaisseur maximale de polymérisation du produit utilisé. Par exemple, le Beautifil Flow Plus X, utilisé pour illustrer cet article, ne peut s’utiliser que pour des épaisseurs allant jusqu’à 3 mm. En cas de restauration d’épaisseur plus importante, il peut être nécessaire de restaurer une partie de la dent à la main et de n’injecter que la couche superficielle [11], ou alors d’opter pour la technique de stratification.
La technique de stratification se résume à gérer la lumière traversant la dent. Par le choix des matériaux, le praticien décide de laisser filtrer ou non la lumière au travers de la restauration [12, 13].
La première étape consiste à réaliser le mur palatin, dans la teinte émail préalablement choisie, à l’aide de la clé palatine en silicone rigide. Ce mur palatin va permettre de guider le bon positionnement des futurs volumes de composite et de conserver le passage de la lumière au travers de la restauration. Il est important de ne pas restaurer l’intégralité de l’épaisseur de bord libre en teinte émail dès cette étape pour laisser de la place pour les couches suivantes (figure 12a).
Dans un second temps, un cadre opaque est réalisé au niveau du bord libre et des faces proximales. Il permet d’éviter un effet disgracieux de restauration composite aux bords grisâtres et de reproduire au mieux la nature (figure 12b).
La troisième étape est la réalisation du corps de la dent grâce à une teinte opaque ou dite « dentine ». C’est à cette étape que l’on détermine quelles zones seront translucides ou non lors du résultat final. Il faut veiller à reproduire le schéma de teinte déterminé lors du rendez-vous préopératoire, sans chercher d’aide visuelle sur les dents adjacentes qui se sont déshydratées et qui ne peuvent plus servir de guide (figure 12c).
Enfin, la dernière étape consiste à monter une couche de composite teinte émail ou éventuellement « universel » de 0,5 mm d’épaisseur au niveau de la face vestibulaire, en veillant à reproduire la forme validée lors du mock-up.
Parce que la façon de monter le composite diffère entre les deux techniques, la finition est différente.
La technique injectée a le défaut de provoquer des excès de matériaux à retirer au niveau cervical et en interdentaire (figure 11c). Cependant, la reproduction fidèle de la macro et de la microgéographie du wax-up permet de simplifier l’étape de finition qui se résume au retrait des excès à la lame de bistouri numéro 12 (figure 13) [14], puis à la fraise flamme en intrasulculaire. Afin de ne pas perdre les détails reproduits lors de l’injection, seules les fraises de petite granulométrie sont passées pour améliorer le brillantage (figure 11d).
À l’inverse, la stratification engendre peu d’excès de matériau, mais le polissage et la réalisation de la macro et de la microgéographie peuvent être chronophages. Le polissage doit d’abord être soigneux jusqu’à obtenir une surface lisse afin de supprimer tous les défauts de surface liés à l’incrément de plusieurs composites. Dans un premier temps, des polissoirs gros grain sont utilisés avec un mouvement de balayage sans eau, ce qui permet de mettre en évidence les défauts de polissage. Les excès et manques de composite apparaissent grâce aux dépôts blanchâtres produits par le polissage. La granulométrie n’est diminuée qu’après l’obtention d’une surface sans dépôt, et ainsi de suite jusqu’à la plus petite granulométrie, tout en respectant les lignes de plus grand contour de la dent. La macro et la microgéographie peuvent ensuite être réalisées pour l’obtention d’un résultat naturel (figure 12d).
Bien que répondant à des indications similaires, les composites stratifiés et injectés ont des avantages et inconvénients opposés. La stratification permet, avec de la persévérance et du temps, l’obtention d’un résultat très esthétique, tant sur la forme que sur la couleur, mais peut s’avérer lourde en pratique quotidienne tant par le matériel que par le temps nécessaire. L’injection, quant à elle, permet d’obtenir très rapidement une reproduction du projet esthétique établi par le laboratoire au détriment d’une couleur moins travaillée (figure 14).
En prenant en compte leurs forces et leurs faiblesses, ces deux approches deviennent complémentaires dans l’arsenal thérapeutique du chirurgien-dentiste. Il dispose ainsi d’une solution permettant de répondre aux patients les plus exigeants et de restaurer plus rapidement les dents antérieures de façon directe, notamment pour les patients qui ont plusieurs dents à traiter (figure 15), ou encore de répondre aux patients très jeunes ou peu coopératifs. Ce constat est confirmé par une majorité de patient ne se rendant pas compte de la différence du rendu final [15].
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêts.