Clinic n° 09 du 01/09/2024

 

Numérique

Patrice MARGOSSIAN*   Guillaume AMATORE**   Stevie PASQUIER***   Gilles PHILIP****  


*Ancien MCU-PH, Marseille
**Ancien interne, Marseille
***Prothésiste dentaire, Marseille
****Prothésiste dentaire, Marseille

[Première parution : Réalités Cliniques 2021;32(4):302-12.]

Le traitement de l’édentement complet par restaurations implantaires représente pour nos patients un réel changement de vie. Au-delà de l’amélioration esthétique de leur sourire et donc de leur visage, c’est sans nul doute du point de vue fonctionnel que les changements sont les plus importants. La possibilité de retrouver une mastication normale et sortir ainsi de la situation de handicap que représente le...


Résumé

La restauration d’une arcade complète bimaxillaire représente un véritable défi thérapeutique, puisqu’il s’agit de reprogrammer la totalité des paramètres, esthétiques comme fonctionnels. Dans cette démarche, l’outil numérique n’est pas uniquement un gadget pour passionnés. Il représente une avancée réelle au service du chirurgien-dentiste, du prothésiste et donc du patient.

[Première parution : Réalités Cliniques 2021;32(4):302-12.]

Le traitement de l’édentement complet par restaurations implantaires représente pour nos patients un réel changement de vie. Au-delà de l’amélioration esthétique de leur sourire et donc de leur visage, c’est sans nul doute du point de vue fonctionnel que les changements sont les plus importants. La possibilité de retrouver une mastication normale et sortir ainsi de la situation de handicap que représente le port de prothèse amovible ou la présence de dents très fortement mobiles est une amélioration indiscutable du quotidien [1]. Ces traitements nécessitent l’établissement d’un projet prothétique qui servira de guide, depuis la chirurgie implantaire jusqu’à la prothèse d’usage.

Aujourd’hui l’approche numérique apporte une réelle valeur ajoutée dans ce type de traitement. Tant du point de vue de l’analyse esthétique que fonctionnelle, les outils numériques permettent des traitements plus sûrs, plus reproductibles, moins opérateur dépendants et plus rapides grâce à des transferts de données dématérialisées entre le cabinet et le laboratoire [2].

La description d’un traitement d’arcade complète bimaxillaire nous servira de support à la mise en application de ces nouveaux outils numériques. La consultation est motivée par le souhait de retrouver un sourire harmonieux et agréable, ainsi qu’une efficacité masticatoire. La présence de grande mobilité dentaire, associée à une latérognathie squelettique mandibulaire importante a occasionné ici un désordre esthétique et fonctionnel considérable (figures 1a-b).

Les examens cliniques et radiographiques permettent de diagnostiquer de nombreuses reprises de caries sous les prothèses existantes, une parodontite chronique terminale, associée à de nombreuses migrations dentaires, posant l’indication de l’avulsion de l’ensemble des dents maxillaires (figure 2).

Les implants du secteur 1 présentent aussi des pertes osseuses importantes, associées à des suppurations signant la péri-implantite et la nécessité de les déposer. Le traitement va être réalisé en trois phases :

- extraction de l’ensemble des dents et implants des deux arcades, mise en place d’une prothèse totale amovible immédiate maxillaire et réalisation d’une extraction-implantation-mise en fonction immédiate sur quatre implants à la mandibule ;

- après trois mois, implantation maxillaire de six implants avec mise en fonction immédiate ;

- après six mois, réalisation des restaurations prothétiques d’usage.

ÉTABLISSEMENT DU PROJET PROTHÉTIQUE

Cette étape est la partie la plus complexe et constitue la clé de voûte du succès thérapeutique. Dans un protocole de EIMFI, le projet prothétique ne peut être validé cliniquement du fait de la présence des dents sur l’arcade. L’approche empirique de l’essayage clinique est donc ici impossible. Une parfaite communication des données esthétiques et fonctionnelles s’impose donc au couple praticien/prothésiste, afin d’être en mesure de faire une proposition qui soit en phase avec la situation réelle du patient.

Projet esthétique

La simulation virtuelle d’un nouveau sourire à partir de photos 2D est possible et très facile à réaliser, grâce notamment à des logiciels comme smile-cloud (figures 3a-b). Toutefois, bien que très pertinents du point de vue de la compréhension et de l’acceptation du plan de traitement par le patient, ces outils ne représentent pas vraiment une aide réelle du point de vue de la communication avec le laboratoire [3-5].

L’utilisation d’un scan face qui génère une image en 3D permet de superposer le modèle initial 3D dans un visage, lui-même en 3D. Cependant, les moyens simples d’acquisition 3D (ex : Bellus 3D) créent d’importantes déformations au niveau des zones dentaires lorsque le sujet est vu de profil, induisant une problématique dans le positionnement du modèle initial.

Seule la photogrammétrie, utilisée dans bien d’autres domaines pour l’acquisition 3D, permettrait d’augmenter de manière significative le niveau de précision des superpositions des différents fichiers, mais cette solution implique de disposer d’un matériel très spécifique et onéreux, difficilement accessible pour les cabinets dentaires [6].

Toutefois, la récente intégration de la géolocalisation de la position des maxillaires et de la face dans des logiciels d’analyse de la cinématique mandibulaire (Modjaw) ouvre un nouveau champ des possibles. En effet, le marquage des points cutanés condyliens, du point sous-nasal et du Nasion sur le scan face va permettre la superposition correcte du visage avec le modèle maxillaire du patient, coordonné selon les mêmes points. Cela évite donc un positionnement aléatoire lié aux déformations dentaires importantes du scan face (figures 4a-b).

Pour ce type de situation clinique, le projet prothétique a pour objectif de retrouver une harmonie de l’esthétique du sourire, tout en permettant une fonction normale de l’appareil manducateur.

L’exportation de l’ensemble de ces fichiers sur un logiciel de CAO (Exocad) va permettre l’établissement d’un projet thérapeutique parfaitement adapté. Les dents présentes sur l’arcade vont être extraites virtuellement et un projet prothétique va être construit selon le cahier des charges esthétique et fonctionnel. Ainsi, la projection d’un plan parallèle à la ligne bipupillaire, perpendiculaire au plan sagittal médian et parallèle au plan de Camper, fera office de plateau virtuel aidant le positionnement dentaire.

La longueur dentaire va respecter les ratios standards de proportion et la superposition sur la face validera l’harmonie esthétique.

Des courbes de compensation vont être organisées dans le sens sagittal et frontal. Cette proposition sera testée grâce à l’articulateur virtuel du logiciel en mode « jaw motion ». Une programmation individuelle des boîtiers condyliens est réalisée grâce aux données issues de l’enregistrement Modjaw. Le modèle maxillaire est ainsi positionné par rapport au plan axial orbitaire (PAO) sur l’articulateur virtuel. Et le modèle mandibulaire est positionné en relation centrée, grâce à l’enregistrement du mouvement axial terminal sur Modjaw.

Ainsi, le prothésiste va proposer une nouvelle composition dentaire en totale harmonie avec le visage et les éléments fonctionnels.

L’utilisation de la dynamique dentaire ne présente pas d’intérêt à ce stade dans la mesure où les relations dentaires sont altérées par la mobilité, les malpositions et l’absence de certaines dents.

Projet fonctionnel

Les migrations dentaires sont la conséquence de l’action combinée des surcharges fonctionnelles dues à la perte du calage postérieur et de la réduction pathologique des hauteurs des procès alvéolaires, liée à la maladie parodontale et les dégradations carieuses ou prothétiques. La relation d’intercuspidation maximale d’apparence asymptomatique et naturelle induit en fait un positionnement souvent antérieur de la mandibule. Le recentrage des condyles dans leur cavité articulaire, grâce à l’enregistrement de la relation centrée, va permettre de recréer une proposition dentaire en ORC (occlusion de relation centrée) avec un « reset » de la mémoire neuromusculaire et une réorganisation de la dynamique mandibulaire dans une enveloppe de mouvement totalement fonctionnelle.

À ce stade, le projet peut être réalisé de manière conventionnelle (wax-up, dents du commerce), ou par une approche digitale grâce aux empreintes optiques ou par l’intermédiaire du scannage des modèles. Cette dernière option a notre faveur car elle permet de disposer d’un fichier numérique du modèle, avec et sans le projet prothétique, qui va se révéler précieux au cours des étapes ultérieures.

Le projet prothétique ne pouvant être essayé physiquement du fait de la présence des dents, il devra être validé sur l’articulateur (virtuel ou physique) par le couple dentiste/prothésiste, pour les paramètres esthétiques comme fonctionnels.

PHASE DE PLANIFICATION CHIRURGICALE

Une version numérique de l’arcade initiale mandibulaire et du projet va alors être insérée puis superposée sur les données radiologiques tomodensitométriques du patient (logiciel Smop). Le volume osseux va ainsi pouvoir être confronté aux contours prothétiques idéaux, afin d’établir si une solution implantaire est envisageable, ou si d’éventuels aménagements osseux sont nécessaires. Un guide chirurgical conventionnel issu du projet prothétique mandibulaire est imprimé afin d’aider à la bonne orientation des axes des implants et de leurs piliers, grâce à la visualisation directe des contours prothétiques.

Phase chirurgicale n° 1

La première étape chirurgicale consiste à la réalisation de l’avulsion de l’ensemble des dents et implants maxillaires et mandibulaires, associée à la mise en place de quatre implants mandibulaires avec mise en fonction immédiate et mise en place d’une prothèse totale immédiate maxillaire.

Suite aux extractions, un lambeau de pleine épaisseur va pouvoir exposer largement les surfaces osseuses afin de gérer les ostéoplasties nécessaires (figure 5).

L’utilisation du guide chirurgical conventionnel donnant le couloir prothétique est largement suffisante dans ce type de situation avec fausse gencive. Les implants les plus distaux se localisent juste en avant des foramens mentonniers avec une inclinaison distale plus ou moins importante en fonction du niveau vertical de résorption. Les deux implants antérieurs se localisent généralement quant à eux en site de 32 et 42. Au maxillaire supérieur, les alvéoles d’extraction sont soigneusement curetés et les implants sont dévissés en essayant d’être le plus conservateur possible pour l’os périphérique.

À la fin de l’intervention, une empreinte au plâtre de l’arcade mandibulaire est réalisée afin d’indexer la position des quatre implant, de même qu’un enregistrement de l’occlusion va permettre d’enregistrer la relation inter-arcades et fixer la dimension verticale d’occlusion.

En fin de journée, la prothèse est vissée et les derniers réglages fonctionnels sont réalisés (figure 6).

Phase chirurgicale n° 2

La présence des implants dentaires dans le secteur 1 rendant très difficile la réalisation d’un protocole d’extraction-implantation immédiate, le choix d’une temporisation par prothèse amovible a été privilégié. La crête osseuse ainsi cicatrisée va permettre une implantation plus sûre, afin de suivre avec précision la planification prothétique.

En situation d’émergence naturelle, un guide chirurgical de forage de 2 mm issu du logiciel de planification est utilisé avant l’ouverture des lambeaux afin de coller au plus près au projet prothétique (figures 7a-b) [7, 8]. Les parois antérieures des sinus étant situées très en distal, une implantation jusqu’au site des premières molaires a été possible.

Comme à la mandibule, une mise en fonction immédiate est réalisée le jour même. Une attention particulière sera donnée aux formes de contour prothétique en contact avec les muqueuses afin de guider au mieux la cicatrisation gingivale.

Au maxillaire supérieur, nous privilégions une forme implantaire conique (Anthogyr PX) afin d’optimiser l’ancrage primaire autour de 40 N.cm. Le diamètre implantaire sera de 3,4 ou 4 mm en fonction du site dentaire et du volume osseux. Grâce à l’utilisation d’un alliage de titane de grade V, la résistance mécanique des implants sera considérablement améliorée, permettant ainsi l’utilisation d’implants d’un diamètre inférieur (3,4 mm) et de ce fait la préservation d’une plus grande quantité d’os autour de l’implant. Cet os sera donc mieux vascularisé et plus stable dans le temps.

Le guide conventionnel est positionné après chaque forage afin de contrôler l’absence de déviation par rapport au projet.

L’enfouissement est également contrôlé, afin de positionner le col implantaire à 4 mm sous le niveau gingival idéal. Nous privilégions toujours l’utilisation de piliers droits pour prothèse transvissée MUA sur les quatre implants antérieurs.

Nous systématisons également dans notre pratique l’utilisation de MUA de hauteur 2,5 mm afin de permettre la réorganisation physiologique de l’espace biologique péri implantaire (figures 8a-b).

Phase prothétique de mise en fonction immédiate n° 2

Une approche numérique de la mise en fonction immédiate reste pour nous à ce jour difficile à mettre en place, dû essentiellement à la difficulté de réaliser des enregistrements optiques autour de muqueuses mobiles. Seule une solidarisation des composants en bouche reste envisageable dans ce cas, ce qui induit un travail de finition supplémentaire et fastidieux au cabinet.

Une empreinte de la position des implants maxillaires est alors réalisée, ici en technique conventionnelle avec du plâtre. Quant à l’enregistrement de l’occlusion, il est assuré à partir d’une impression 3D du projet prothétique. Cette impression 3D sera ensuite rebasée au niveau de son intrados avec un silicone d’occlusion (Régidur, Bisico) permettant d’indexer la position tridimensionnelle des piliers MUA (figure 9).

Le patient est manipulé en relation centrée, en accord avec le schéma occlusal d’ORC planifié au niveau du projet. Une fois l’empreinte coulée et préparée au cabinet, le montage sur articulateur (Artex, Amann Girbach, Arseus) est réalisé en utilisant l’indexation inter-arcades et le modèle antagoniste déjà monté.

Le laboratoire de prothèse va pouvoir solidariser le projet de prothèse et les composants transitoires transvissés sur les MUA. Nous préférons utiliser une prothèse transitoire en résine PMMA, usinée à partir du fichier STL du projet, plutôt que des dents du commerce. Cette option est plus aisée à mettre en œuvre et offre une résistance mécanique supérieure due à l’usinage dans une seule et même masse. Cette approche permet en outre un travail plus personnalisé des formes dentaires, individuellement bien sûr, mais aussi par la gestion d’asymétries d’arcades entre les côtés droit et gauche, subtilité dont les dents du commerce, par nature symétriques, nous privent. Il est également possible d’inclure un fil de renfort métallique qui reliera les différents composants et sera noyé dans la résine. Nous avons aujourd’hui à notre disposition des composants transitoires angulés (10°, 15°, 25°) qui se positionnent sur les MUA droits et permettent de corriger la position des puits d’accès aux vis (figure 10). Cela évite ainsi des émergences disgracieuses sur la face visible des dents, tout en permettant un renforcement mécanique de la résine par un meilleur centrage des orifices au milieu des faces occlusales.

Grâce à ces composants, on dispose de davantage de résine sur les faces vestibulaires des dents antérieures, permettant une meilleure stratification et par voie de conséquence, un meilleur résultat esthétique. Enfin, cette innovation permet l’utilisation de piliers MUA droits de manière plus généralisée malgré la présence de petites erreurs d’axe. En effet, les piliers MUA droits sont par conception plus étanches que les angulés, ce qui est positif du point de vue biologique.

Une attention particulière sera portée à l’ouverture des embrasures gingivales, aux formes de contour transgingival et au polissage, afin de garantir une bonne intégration tissulaire durant la phase de cicatrisation.

Ce transitoire est transvissé quelques heures après l’intervention. À ce stade, les adaptations occlusales doivent être faites avec parcimonie, afin de préserver la morphologie occlusale des dents. En effet, c’est grâce à l’intercuspidation que l’on garantit le calage des arcades dentaires et donc la prévention d’éventuelles parafonctions qui peuvent s’avérer iatrogènes pour l’ostéointégration des implants.

La prothèse transitoire suit le même schéma occlusal de relation centrée (ORC) que le projet prothétique virtuel et assure ainsi une protection réciproque des dents et des articulations. Le patient est invité à avoir une mastication douce durant une période de trois mois, afin de ne pas surcharger le fonctionnement des implants en phase d’ostéointégration. Une hygiène normale est reprise dès la dépose des sutures (figure 11).

PROTHÈSE D’USAGE

Au terme de six mois de cicatrisation, la prothèse d’usage peut être réalisée. Un contrôle clinique et radiographique est assuré pour valider l’ostéointégration de l’ensemble des implants et la parfaite cicatrisation des tissus mous. D’éventuels modelages tissulaires peuvent encore à ce stade être réalisés par modification de zones de compression au niveau des intermédiaires de bridge ou des profils transgingivaux. (figures 12 et 13).

La prise de photographies et de vidéos du visage à différents niveaux de la dynamique labiale va permettre d’avoir une discussion ouverte entre le laboratoire, le praticien et le patient sur les éventuelles améliorations à apporter par rapport à la forme des provisoires.

Toute la prothèse d’usage sera faite par le flux numérique [9, 10]. La première étape consiste en la réalisation des empreintes optiques (Primescan Dentsply Sirona) (figures 14a-d). Plusieurs empreintes sont effectuées : empreinte de la situation provisoire, empreinte avec les scan bodies en place, empreinte des profils d’émergence, empreinte de l’antagoniste, ainsi qu’enregistrement de la relation inter-arcades.

Un enregistrement de la cinématique mandibulaire est réalisé avec le système Modjaw afin d’utiliser les trajets et une fonction déjà éprouvée par la restauration transitoire.

Pour améliorer la stabilité du capteur mandibulaire, une clé vestibulaire sur mesure en impression 3D a été réalisée.

Il est intéressant de noter ici le trajet anarchique du condyle droit, aussi bien dans les mouvements d’ouverture fermeture que dans la propulsion droite liée à la latérognathie mandibulaire (figures 15a-c).

De la même manière qu’au stade du projet, les modèles vont être repositionnés dans le scan face via la géolocalisation Modjaw.

Le logiciel va superposer les différents fichiers et le tout sera envoyé numériquement au laboratoire. Un nouveau projet de prothèse est réalisé en intégrant les modifications et doléances relevées au niveau de la prothèse transitoire.

Ce projet peut être essayé virtuellement sur le visage 3D du patient après un détourage de la zone dentaire, afin de valider la bonne intégration esthétique [11].

Des modèles physiques sont imprimés avec une fausse gencive amovible (Siméda. Anthogyr) afin de servir de support pour la finition de la prothèse. Ces modèles, par l’intermédiaire de tétons de calage, intègrent l’enregistrement de la relation inter-arcades effectué lors des empreintes optiques. Cela évite ainsi une étape par rapport à la technique conventionnelle et offre de ce fait un gain de temps précieux.

Il est toutefois raisonnable de vérifier l’occlusion en revissant sur les modèles imprimés les restaurations provisoires maxillaires et mandibulaires, afin de valider la justesse de l’enregistrement inter-arcades (figure 16).

Grâce au numérique, il est relativement simple et peu coûteux de réaliser des projets imprimés en résine (Nexdent), afin de valider cliniquement l’esthétique et la fonction en amont de la conception de la prothèse d’usage. Cette étape est essentielle, car ce projet 3D sert de base à la réalisation du design de la future prothèse. Cette validation apporte en premier lieu une sécurité ; elle permet en outre de réaliser une armature implantaire parfaitement homothétique à la restauration d’usage (figure 17a-c).

La conception des armatures est réalisée via le même logiciel de CAO (Exocad). Un cut-back virtuel vestibulaire d’environ 1 mm est réalisé sur toutes les faces vestibulaires du projet maxillaire, afin de ménager l’espace du futur matériau de stratification.

L’optimisation des positionnements des puits d’accès aux vis est rendue possible grâce au système de rattrapage d’axe et l’utilisation d’un tournevis sphérique.

Des déformations spécifiques sont réalisées grâce au logiciel (mamelon, lobule, cannelure horizontale…) au niveau de la surface vestibulaire de l’armature, afin d’optimiser l’accroche et le soutien de la céramique feldspathique (figure 18).

Le choix d’un matériau Zircone Multi layer (Simeda) permet un meilleur rendu esthétique grâce à l’usinage dans un bloc intégrant un dégradé de translucidité. Ce gain esthétique n’altère pas pour autant les propriétés mécaniques du matériau, avec un coefficient de résistance à la flexion qui dépasse les 1 000 MPas. Les armatures devront être validées cliniquement par des tests de passivité et un contrôle radiographique (figures 19a-b).

Dans ce concept de prothèse céramique en zircone, les faces palatines des dents antérieures et les faces occlusales des prémolaires et molaires sont « full zircone ». Cela signifie que l’occlusion peut être presque totalement réglée au stade de l’essayage de l’armature : la partie statique grâce à l’OIM et la partie dynamique au travers des guidages dentaires. Cela présente l’autre avantage de permettre, lors des différentes cuissons de stratification, de neutraliser les agressions du matériau intervenant lors des corrections occlusales.

L’armature et l’occlusion étant validées, le céramiste va pouvoir réaliser sa stratification. Une première cuisson de connexion est réalisée avec un liner fluorescent, puis une dentine désaturée estompera avec douceur l’influence de l’armature. Des effets opalescents, transparents ou plus intenses seront déposés sur des zones stratégiques, avant de recouvrir le tout de masses incisales plus ou moins lumineuses selon la localisation (figure 20).

Une deuxième cuisson est alors réalisée avant le travail des états de surface (figure 21). Des dépressions verticales et horizontales vont dynamiser le volume des dents, puis des stries de croissance horizontales finiront d’accentuer l’effet naturel. Une cuisson de glaçage est alors effectuée. Enfin, une atténuation ou au contraire une accentuation de la brillance sera réalisée manuellement zone par zone pour canaliser au mieux la réflexion de la lumière (figure 22).

La conception prothétique mandibulaire est totalement différente ; il s’agit d’une barre titane recouverte de résine. La présence de fausse gencive nous fait privilégier une technologie plus facile à mettre en œuvre au laboratoire et surtout plus simple à gérer en cas de complication prothétique. La chimie des résines PMMA et Bis GMA a énormément progressé au cours de la dernière décennie. Du point de vue esthétique, il est très difficile de faire la différence avec des conceptions céramiques.

Lorsque les deux arcades sont traitées, il est plus confortable pour le patient d’avoir un matériau sur l’une d’entre elles qui absorbe plus la contrainte. Malgré la différence de dureté, les nouvelles dents utilisées (Phonares Ivoclar) pour ce type de réalisation offrent une résistance et un vieillissement tout à fait acceptables. La stratification de la fausse gencive (PMMA) en surface par de la résine Bis-GMA plus dure et plus esthétique participe elle aussi à l’obtention d’un meilleur rendu esthétique et une meilleure stabilité dans le temps (figure 23).

La prothèse ainsi terminée est vissée en bouche après validation de l’esthétique, de l’occlusion et après contrôle radiographique.

Une gouttière de relaxation nocturne est également fournie au patient de manière systématique (figures 24a-c).

Une empreinte optique de cette prothèse d’usage est réalisée, recelant l’information numérique d’une prothèse aux formes de contour idéales. Ce fichier est superposé avec l’empreinte optique des piliers et conservé par l’équipe de soins. Cette précieuse information permettra de prévenir très simplement tout problème lié à de la maintenance prothétique dans le temps.

CONCLUSION

La restauration d’une arcade complète bimaxillaire représente un véritable défi thérapeutique car il s’agit de reprogrammer la totalité des paramètres, esthétiques comme fonctionnels. Dans cette démarche, l’outil numérique n’est pas juste un gadget pour passionnés. Il représente une avancée réelle au service du dentiste, du prothésiste et donc du patient.

Les avantages du numérique sont nombreux : précision, dématérialisation, conservation des données, gain de temps, reproductibilité, limitation de l’influence du facteur humain. Les limites ou inconvénients disparaissent quant à eux progressivement d’année en année, au gré des découvertes et des évolutions techniques au sein notre profession. Comprendre, se former et utiliser ces outils digitaux est aujourd’hui une démarche nécessaire.

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Liens d’intérêt

Les auteurs ne déclarent aucun lien d’intérêts.