OCCLUSION ET PERTE OSSEUSE PÉRI-IMPLANTAIRE
Dossier
Mathieu PITZ* Rémi COLOMB** Pierre-Marc VERDALLE***
*Ancien AHU en Parodontologie
**Exercice limité à la parodontologie et l’implantologie, Talence
***Ancien AHU en Parodontologie
****Exercice limité à la parodontologie et l’implantologie, Talence
*****Ancien AHU en Parodontologie
******Ancien Interne des hôpitaux de Bordeaux
*******Exercice limité à la parodontologie et l’implantologie, Bordeaux
La péri-implantite est définie comme une pathologie multifactorielle, induite par la plaque et entraînant une perte osseuse péri-implantaire plus ou moins rapide. Il s’agit de la complication implantaire la plus fréquemment rencontrée : elle toucherait 10 % des implants et 20 % des patients dans les 5 à 10 ans après leur pose [1]. De nombreuses études cherchent à en comprendre les mécanismes d’apparition et d’évolution, mais il reste de nombreuses interrogations, en particulier sur les facteurs de risques. Ils sont nombreux à avoir été identifiés, dont les surcharges occlusales, qui apparaîtraient comme la première cause d’échec implantaire retardé [2]. Mais le lien avec les pertes osseuses est souvent difficile à définir et quantifier.
La définition de la péri-implantite a évolué au cours du temps [3-5], et un rapport de consensus sur la péri-implantite et la bonne santé péri-implantaire a été établi en 2017 lors d’un workshop mondial réunissant les académies américaine et européenne de parodontologie [6, 7].
Ce dernier conclut que la péri-implantite est une pathologie touchant les tissus péri-implantaires, associée à la plaque. Elle se caractérise par une inflammation de la muqueuse péri-implantaire et une perte osseuse significative.
Les signes cliniques sont :
- des inflammations : rougeurs, gonflements, saignements au sondage et/ou suppuration ;
- une augmentation de la profondeur de sondage et/ou une récession au niveau de la gencive marginale en plus de la perte osseuse radiographique par rapport à la situation initiale.
Schwarz et Berglundh [6, 7] retiennent que la principale étiologie est bactérienne et liée à la plaque, même si aucune bactérie spécifique n’a été identifiée. Le risque est grandement augmenté chez les patients avec un antécédent de parodontite sévère, une mauvaise hygiène et l’absence de thérapeutique de soutien parodontal. Un traitement anti-infectieux montre une diminution de l’inflammation et stoppe l’évolution.
La mucosite est le stade précédent la péri-implantite. L’évolution se fera d’autant plus facilement que le patient ne réalise pas les soins parodontaux. Cependant les causes et les conditions d’évolution de la mucosite vers la péri-implantite ne sont pas déterminées. La péri-implantite peut intervenir rapidement et, en l’absence de traitement, son évolution est aléatoire. Mais elle paraît plus rapide que la parodontite. Le workshop a conclu que la perte osseuse crestale était typiquement associée à des signes cliniques inflammatoires. Elle peut également être liée à des facteurs iatrogéniques, tels que la malposition, la présence de ciment, un traumatisme chirurgical ou encore des surcharges occlusales.
En 2012, Froum [8] proposait une classification de la péri-implantite, en insistant sur le fait qu’il devait y avoir des signes cliniques inflammatoires et/ ou infectieux ainsi qu’une perte osseuse liée à une physiologie osseuse, due par exemple à un mauvais placement de l’implant. La péri-implantite est d’origine bactérienne.
Les surcharges occlusales sont définies comme l’application de forces occlusales, fonctionnelles ou parafonctionnelles, au-delà de ce que la prothèse, les composants implantaires ou l’interface d’ostéointégration peuvent supporter sans altération structurelle ou biologique [9].
Elles peuvent être la conséquence d’une mauvaise angulation ou position de l’implant, d’une occlusion postérieure inadéquate (édentement par exemple), d’un environnement osseux insuffisant ou de parafonctions telles que le bruxisme [10].
Mais leur rôle dans la perte osseuse péri-implantaire reste très discuté.
Dès 1981, Adell [11] décrit les effets des surcharges sur les implants. Van Steenberghe observe un peu plus tard qu’une conséquence peut être une perte osseuse excessive [12].
Puis de nombreuses publications ont essayé de préciser le lien entre les surcharges occlusales et la perte osseuse péri-implantaire. Pour nombre d’entre elles, les forces excessives sont un facteur de risque, mais l’étiologie reste bactérienne.
Isidor [13], en 2006, établissait le lien entre les surcharges occlusales et le comportement osseux, entraînant une apposition et une augmentation de la densité. Mais au-delà d’un certain seuil, cela pouvait se transformer en perte osseuse, voire de l’implant. Aucun lien direct ne pouvant cependant être établi, le rôle de la plaque reste essentiel.
En 2010, Chambrone et coll. [14] effectuent une revue systématique de littérature concernant les effets des surcharges occlusales sur la santé des tissus péri-implantaires dans des études animales. Ils concluent que les surcharges occlusales entraînent une perte osseuse en présence de plaque et une densification osseuse en son absence. Mais ils relèvent une grande hétérogénéité des articles avec de nombreux biais. D’abord, seules deux études ont répondu aux critères d’inclusion initiaux. Ensuite, ils se demandent dans quelle mesure le modèle animal peut être transposable à l’homme. Ils relèvent également le manque de recul des études (6 mois).
La revue systématique réalisée par Naert [15] conclut en 2012 qu’on ne peut pas établir l’existence d’un lien de cause à effet entre les surcharges occlusales et la perte d’os ou d’implants, et ce même en cas de solidarisation des implants ou d’intensité importante. La réponse osseuse dépendra de la qualité des tissus péri-implantaires, et de la présence ou de l’absence d’inflammation d’origine bactérienne.
L’Académie Américaine de Parodontologie [16] confirme que les surcharges occlusales semblent entraîner des pertes osseuses crestales et que l’étiologie est bactérienne.
Haitz-Meyfield et coll. [17] ne sont pas parvenus à démontrer une perte osseuse significative autour d’implants en l’absence d’inflammation au bout de 8 mois. De même, Kozlovsky [18] observe une augmentation de la surface de contact os-implant et une légère perte osseuse, mais une importante aggravation s’il y a présence d’inflammation.
Cependant, l’importance de la plaque dans l’apparition des pertes osseuses péri-implantaires est controversée. Des pertes osseuses et d’ostéointégration réversibles après des surcharges occlusales ont été décrites.
Ainsi, Matthéos [19], en 2013, a documenté deux cas d’apparition de mobilités sur des implants unitaires postérieurs maxillaires. À chaque fois, il s’agissait du seul signe clinique, visible en l’absence d’inflammation parodontale liée à la plaque ou de perte osseuse marginale. Dans les deux situations, la dépose des prothèses a permis une réostéointégration des implants, validée cliniquement 6 à 8 mois plus tard.
En 2014, Merin [20] décrit comment seules des retouches occlusales ont permis de corriger une perte osseuse marginale sur un implant dont la couronne était en surocclusion. La réparation osseuse a été confirmée radiologiquement en 5 mois.
Plus récemment, Lind et coll. [21] ont rapporté un cas similaire : la perte marginale au niveau d’un implant pilier de bridge a été résolue uniquement en refaisant la restauration prothétique et en supprimant les surcharges occlusales existant précédemment.
En parallèle de ces rapports de cas, des revues systématiques de la littérature vont dans ce sens.
Bertolini et coll. [22] précisent que des surcharges occlusales sur des implants en cours de cicatrisation peuvent entraîner une résorption osseuse en l’absence d’inflammation, mais que les modifications osseuses péri-implantaires après ostéointégration complète sont associées à des signes d’inflammation. Ils confirment également qu’il existe trop peu de liens de cause à effet entre les traumatismes occlusaux et la perte osseuse chez l’homme. Une fois encore, par manque de définition sur ce qu’est cliniquement une force occlusale traumatique.
Hsu et coll. [23] s’appuient entre autres sur les études de Myiata [24, 25] sur le singe : des forces excessives conduisent à une résorption osseuse péri-implantaire, même en cas de parodonte cliniquement sain.
Étant donné la disparité des conclusions, peut-on différencier deux situations cliniques différentes, ayant une pathophysiologie distincte ?
Une patiente consulte pour le remplacement des 36 et 37. Deux implants sont mis en place en avril 2021. Leur ostéointégration est validée après deux mois de cicatrisation par l’Anicheck (Neobiotech) avec un IST de 78 pour 36 et 81 pour 37. Les prothèses peuvent être réalisées. En janvier 2023, elle revient pour des douleurs sur les implants et un début de mobilité uniquement latérale. La radiographie rétro-alvéolaire objective une perte d’ostéointégration des deux implants, avec apparition d’une perte osseuse circonférentielle terminale, sans cratérisation.
Ces deux cas permettent de s’interroger sur l’intérêt diagnostique de la morphologie de la perte osseuse. Il est facile d’imaginer qu’une péri-implantite uniquement circonférentielle, avec une perte osseuse très étroite le long de l’implant, comme dans la seconde situation, pourrait indiquer une origine purement occlusale, contrairement aux cratérisations plus larges qui pourraient être liées à la plaque bactérienne. Schwarz [23] a proposé une classification des morphologies de pertes osseuses péri-implantaires
Et même si la perte circonférentielle avec conservation des quatre parois osseuses est la plus fréquemment rencontrée (plus d’un cas sur 2), il n’a pas pu mettre en évidence de lien entre la morphologie et l’origine probable de la péri-implantite.
Donc la morphologie de la perte osseuse ne peut donner d’indication sur l’étiologie ou les facteurs de risques.
Les nombreuses publications s’accordent sur un lien de causalité entre perte osseuse péri-implantaire et surcharges occlusales. Mais la possibilité d’apparition de cette perte osseuse sans origine bactérienne reste discutée.
Cela provient sans doute de multiples difficultés rencontrées lors des études :
- l’absence de définition claire d’une surcharge occlusale. Certains auteurs [26-28] ont quantifié le seuil de contrainte en dessous duquel se produit un remodelage osseux et, s’il est dépassé, une perte osseuse apparaît. Mais la transposition sur modèle humain est impossible, et ce seuil n’est que très peu utilisé dans les revues de littérature ;
- l’impossibilité de reproductibilité entre les modèles d’étude in vitro, sur l’animal et l’homme (question éthique, difficultés techniques…) ;
- les biais apparaissent facilement du fait de la multitude de facteurs de risques : intensité, fréquence, orientation et durée des forces appliquées, design implantaire et prothétique, morphologie osseuse, qualité du biotype parodontal, nombre d’implants et présence de dents naturelles… ;
- les méthodologies des études : absence d’études randomisées, manque de suivi à long terme…
Il est donc établi que l’occlusion et les contraintes qu’elle peut entraîner sur les implants sont un facteur de risque à la perte osseuse péri-implantaire. Cependant, le lien direct de causalité entre les deux n’est pas clairement établi, et le rôle étiologique de la plaque bactérienne dans son apparition reste essentiel.
Les physiopathologies et les comportements biomécaniques implantaires paraissent différents des dents. Cliniquement, cela se traduira par la nécessité d’une approche préventive dans la réalisation de nos réhabilitations prothétiques implanto-portées : en portant une attention particulière à l’examen clinique (recherche des facettes d’usures et des habitudes parafonctionnelles par exemple), par l’établissement d’un plan de traitement rigoureux (à l’aide des cires de diagnostic, articulateurs ou autres outils numériques à notre disposition, nombre et designs implantaires), en réglant au mieux les designs prothétiques et, si besoin, en réalisant une protection des réhabilitations par une orthèse occlusale [29].
Il ne faut pas oublier non plus qu’une occlusion évolue, et qu’au même titre que la thérapeutique de soutien en parodontologie, la « maintenance occlusale » dans le cadre d’un suivi régulier est essentielle.
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêts.
Une patiente consulte pour un implant en 46 présentant une péri-implantite avec douleurs et abcès. Il a été posé quatre ans auparavant, en l’absence de pathologie générale ou parodontale à l’époque. Un cancer du sein suivi d’une chimiothérapie a participé à l’apparition d’une parodontite de stade 1 [6], sans visite de contrôle depuis plusieurs années.
La morphologie de la couronne, les habitudes parafonctionnelles (bruxisme) et les modifications occlusales (réalisation d’une couronne sur la dent 45) de la patiente ont pu contribuer à l’accélération de la péri-implantite. Ce type de cratérisation osseuse est très fréquent dans les cas de péri-implantite associées à une parodontite non stabilisée.
Une patiente se présente pour une mobilité de l’implant en 45. Six ans plus tôt, elle a reçu trois implants, associés à une régénération osseuse. Elle n’a aucun antécédent de parodontite.
La radiographie rétro-alvéolaire objective la perte complète de l’ostéointégration de l’implant en 45, et un début sur l’implant en 46.
L’analyse occlusale, à l’aide du Modjaw, montre l’absence de contact en OIM sur les couronnes en 46, 47, et des contacts importants sur l’implant en 45 et la dent en 44. Pas d’interférences dans les latéralités droite ou gauche. L’implant a été remplacé. La lésion en 46 n’a pas évolué depuis 18 mois.
Ces différents cas illustrent bien également les difficultés d’identifier les causes de la perte de l’implant :
Dans le cas 2, la patiente présente un antécédent de parodontite (même si elle est stabilisée). Comment expliquer la perte de l’implant en 35 et l’absence de signes sur 36, alors que la prothèse est plus volumineuse et semble être en surocclusion de la même façon (aussi bien en statique qu’en dynamique) ?
De même, dans le cas 3, il existe une perte sur l’implant en 46 en l’absence complète de contacts occlusaux. Mais on peut déceler une fracture au niveau du pan lingual de la couronne. Existait-il une interférence non travaillante qui a pu entraîner le début de perte osseuse, lequel s’est ensuite stoppé avec la fracture de la céramique ?
Un patient souffre au niveau de son bridge secteur 1, mobile. L’examen montre une perte complète de l’ostéointégration de ses implants en position 15, 16. Les implants sont déposés. Il ne semble pas y avoir de surocclusion sur les couronnes solidarisées, mais des facettes d’usure sont notées sur les cuspides palatines. Ce cas illustre bien, tout comme le cas 3, l’évolution possible de l’occlusion et les effets délétères de parafonctions qui n’ont pas été forcément visibles immédiatement. Ce sont des situations qui évoluent lentement. Les surcharges occlusales peuvent avoir participé à l’initiation de la perte osseuse, qui a évolué ensuite même avec leur disparition.