LA GESTION DU TIERS APICAL ET DU PÉRI-APEX EN MICROCHIRURGIE ENDODONTIQUE
Dossier
Pratique libérale en endodontie, ParisAttaché Clinique, Paris VCo-responsable de la chirurgie endodontique - Hôpital Bretonneau, Paris V
Longtemps prise en charge par les chirurgiens stomatologues, la chirurgie endodontique se distingue en réalité des autres spécialités chirurgicales. Le traitement des pathologies péri-apicales ne se limite pas seulement à l’exérèse de tissus granulomateux et la résection des tissus infectés. Le traitement des lésions inflammatoires péri apicales d’origine endodontique (LIPOE) nécessite une connaissance, une prise en charge spécialisée et un arsenal thérapeutique adapté en micro chirurgie endodontique.
La chirurgie endodontique a pour but la prévention, le diagnostic et le traitement des inflammations et des infections péri apicales d’origine endodontique. La microchirurgie endodontique telle que nous la présentons dans cet article emploie un protocole proche de celui décrit par les pères de la chirurgie endodontique conventionnelle, il y a maintenant une vingtaine d’années. Elle diffère en cela que l’application de nouveaux matériaux et l’utilisation de moyens thérapeutiques innovants lui permettent d’être plus conservatrice, simplifiée et reproductible.
La voie d’abord choisie sera guidée par les examens cliniques et radiographiques (rétro-alvéolaires et cone beam) préopératoires. De nombreux critères - tels que la présence ou l’absence de corticale osseuse, l’axe et la profondeur des racines par rapport aux tables osseuses, la mixité endo-parodontale de certaines lésions - sont à prendre en compte en amont d’une chirurgie endodontique.
L’ostéotomie, lorsqu’elle est nécessaire, précédera inévitablement l’étape d’élimination du tissu de granulation. Il est donc crucial d’analyser et d’anticiper le potentiel de réparation et de régénération osseuse en amont, avant la réalisation d’un défaut osseux critique pour la cicatrisation parodontale.
Lors de l’étape de planification chirurgicale, il est primordial d’anticiper l’apparition ou la création per-opératoire d’un défaut osseux perforant appelée « through and trough » chez les Anglo-Saxons. La perte des corticales vestibulaires, palatines et du périoste permettrait aux cellules du chorion de la muqueuse de proliférer au sein du défaut osseux [3]. À l’issue de l’intervention chirurgicale, et précédant la phase de migration des cellules ostéoprogénitrices, le tissu fibreux formerait alors une barrière empêchant toute apposition osseuse [2]. La « cicatrisation fibreuse » ralentit, voire inhibe la régénération osseuse ad integrum.
Lors d’une perte précoce de la corticale vestibulaire, le défaut de continuité de la table osseuse apparaît alors comme la voie d’abord à privilégier pour accéder à la région péri apicale. Lors d’une perte de la corticale palatine et en l’absence d’alternatives thérapeutiques telles que la reprise de traitement orthograde, la décompression de la lésion (décrit par le Docteur Jean-Yves Cochet, Paris), la perte de la corticale palatine peut conduire à réaliser une voie d’abord palatine. Cette dernière est cependant moins indiquée en raison des limites anatomiques (c’est-à-dire émergence de l’artère grande palatine en regard des dents 17 et 27, foramen et paquet vasculo-nerveux naso-palatin). Aussi, la visibilité réduite et les limites instrumentales ne permettent pas de garantir un bon pronostic de succès (figure 1).
La crypte osseuse résultant de la voie d’abord et de l’ostéotomie est le berceau garantissant le maintien du caillot sanguin. La stabilité dans le temps du caillot sanguin permettra la migration et la différenciation des cellules ostéoprogénitrices, jouant le rôle d’échafaudage pour la cicatrisation osseuse.
La cavité a retro réalisée en chirurgie endodontique est soumise à un cahier des charges. La crypte osseuse idéale doit permettre le nettoyage et l’élimination de l’intégralité des tissus inflammatoires. L’opérateur doit être en mesure d’accéder et de visionner l’ensemble des parois de la crypte osseuse et de la section radiculaire en vision directe et/ou indirecte dans un micro-miroir. Enfin, les étapes d’instrumentation et d’obturation a retro doivent pouvoir être réalisées sans interférence (figure 2).
L’ostéotomie pour accéder à la zone péri apicale se déroule essentiellement en vision directe. Après exérèse de la lésion inflammatoire au sein de la crypte osseuse, les anfractuosités sont régularisées pour simplifier l’accès et augmenter la visibilité de l’opérateur. La fraise boule en carbure de tungstène montée sur pièce à main est recommandée, en essayant de conserver un maximum de tissu osseux. La fraise Zekrya montée sur turbine permettra, elle, la réduction des contre-dépouilles pour obtenir une vision directe sur l’ensemble des parois de la cavité. Des turbines angulées à 45° conçues spécialement pour la chirurgie endodontique sont disponibles (par exemple, Impact Air 45®). Les rotatifs s’utilisent sous spray d’eau continu afin de réduire l’élévation de température, et sous une basse pression pour limiter le risque d’emphysème (figure 3).
Le tissu inflammatoire étant appendu à l’apex de la racine, l’utilisation de curettes (par exemple, curettes de Lucas) permettra d’affaiblir et de rompre son adhésion radiculaire. Les curettes de Gracey 5/6 sont particulièrement efficaces en regard des faces proximales des incisives et des prémolaires. Les curettes de Gracey 13/14 sont, quant à elles, préconisées sur la surface radiculaire des faces distales des prémolaires et molaires. Il existe également des excavateurs particulièrement travaillants sur la tranche, spécialement conçus pour la microchirurgie endodontique (figures 4 et 5) (vidéo 1).
L’élimination du tissu de granulation assistée au laser Erbium-Yag (2,9 µm) a également montré de l’intérêt en chirurgie endodontique. Émettant dans l’infrarouge proche, l’onde lumineuse collimatée présente un pic d’absorption maximum au sein des tissus riches en eau et en hydroxyapatite.
En augmentant l’énergie de l’onde au-delà de 150 mJ, l’absorption au sein des tissus composés d’eau est si intense que la lumière absorbée est convertie en chaleur et induit une vaporisation immédiate et superficielle des tissus irradiés. Il permettra l’élimination tissulaire tout assurant le nettoyage de la crypte osseuse. En outre, la très brève durée de l’émission laser au sein des tissus ciblés évite les phénomènes de diffusion thermique au sein des tissus environnants. La précision et la sélectivité de l’impulsion lumineuse réduisent donc les effets iatrogènes sur les parois de la crypte osseuse tout en assurant la dégranulation du site opératoire.
En théorie, la résection apicale consiste à éliminer 3 mm de hauteur radiculaire. Cette mesure est à nuancer en fonction des objectifs et des cas cliniques (présence ou absence d’ancrage corono-radiculaire, résorptions inflammatoires apicales à l’origine de rhizalyse, défauts parodontaux…). Le tiers apical compte près de 98 % des ramifications canalaires telles que les isthmes, et 93 % des canaux latéraux eux-mêmes colonisés par le biofilm [4]. Cliniquement, l’opérateur doit adapter la hauteur de résection afin d’optimiser l’ancrage radiculaire et maintenir un rapport couronne/racine ≥ 1 (figure 6). L’angle de résection doit être perpendiculaire au grand axe de la racine (figure 7).
En biseautant davantage l’angle de résection, le risque est de passer à côté d’un deuxième canal lingual ou palatin non traité, mais l’élimination excessive de dentine augmente aussi la surface de coupe et exposerait inutilement davantage les tubuli dentinaires. La perte d’étanchéité induite empêcherait un scellement dentinaire optimal [5] (figure 8).
Une fois désobturée et mise en forme, le laser Erbium-Yag permet de décontaminer la partie apicale du canal et les tubuli dentinaires exposés [6].
Une fois réséquée, l’usage du bleu de méthylène permet de mettre en évidence rapidement les canaux, l’ensemble du réseau endodontique (les isthmes intercanalaires et les canaux latéraux) et le ligament parodontal. De plus, il permettra de s’assurer de l’absence de fêlure ou de fracture radiculaire (figure 9).
La mise en forme rétrograde se distingue car elle est standardisée, à conicité constante. Lors de l’instrumentation canalaire, une attention toute particulière doit être portée au respect et au maintien de l’anatomie endodontique.
Afin d’éviter les complications iatrogènes telles que la création de butée - fausse route - perforation canalaire, un apport continu en eau est primordial pour améliorer la visibilité de l’opérateur, éliminer les matériaux d’obturation intracanalaire et refroidir les tissus environnants.
L’utilisation d’aide optique est fortement recommandée [7, 8].
Les longueurs de la surface travaillante des inserts varient : 3, 6 et 9 mm. Il est recommandé d’initier la mise en forme avec l’insert le plus court. Une hauteur de 3 mm assure la mise en place d’une quantité suffisante de matériau d’obturation tel qu’un ciment hydraulique tricalcique, garantissant l’étanchéité du bouchon apical. L’usage des inserts de 6 mm et 9 mm est moins fréquent. Lors de leur utilisation sous spray d’eau, la pointe de l’insert doit être maintenue centrée dans le canal (figure 10).
Il est conseillé de s’assurer, à l’aide d’un micro-miroir, tout au long de la désobturation canalaire, que les parois sont lisses, sans interférence, et parallèles par rapport à la surface radiculaire (figure 11).
À l’issue de la mise en forme, la même quantité de dentine péri-canalaire résiduelle doit être retrouvée en périphérie du canal. Celle-ci doit être maintenue la plus épaisse possible afin d’éviter l’apparition de stripping et de microfêlures radiculaire (figures 10 et 11).
Certaines conditions opératoires doivent être réunies en amont de l’étape d’obturation canalaire a retro. L’utilisation récente de ciments hydrauliques, dits « biocéramiques », a toutefois simplifié le protocole opératoire. Si le temps de travail est réduit et la manipulation plus confortable pour l’opérateur, la siccité du site opératoire doit être maintenue tout le long de l’étape d’obturation.
L’hémostase est généralement obtenue par le décollement et l’élévation de la muqueuse, de la gencive et du périoste. L’intérêt clinique de l’usage d’agents hémostatiques tels que le sulfate de calcium et/ou le sulfate ferrique est indéniable. Malgré sa distribution et son utilisation très répandues, le sulfate ferrique est à utiliser en faible quantité, en particulier sur la surface osseuse corticalisée et sur les tissus mous. Des retards de cicatrisation osseuse ainsi que des risques de nécrose tissulaire ont été observés lors de leur mauvais usage [11, 12].
D’autres alternatives ont démontré un intérêt clinique afin d’anticiper et de préparer le site opératoire à l’étape d’obturation canalaire. En phase préopératoire, l’utilisation de différents produits concentrés en adrénaline 1 : 100 000 d’articaïne/lidocaïne donne une anesthésie prolongée et permet le contrôle du saignement tout au long de l’intervention. L’adrénaline provoque une vasoconstriction locale en agissant sur les récepteurs alpha-1 présents dans la paroi des vaisseaux sanguins (au sein du périoste) [13].
En phase per-opératoire, la dissection tissulaire sélective au laser Erbium-Yag assure une efficacité de coupe, couplée à une précision millimétrique au sein des différentes couches tissulaires. L’utilisation du laser sous spray d’eau continu augmente la visibilité de l’opérateur et initie un effet hémostatique précoce, dès la levée du lambeau (figure 12) (vidéo 2).
Enfin, à l’issue de l’obturation canalaire, l’irradiation de la surface osseuse au laser Erbium-YAG sous spray d’eau permet d’éliminer les agents hémostatiques, sans élévation de température, et d’initier le saignement à l’origine du caillot sanguin (figure 13) (vidéo 3).
Face à la multitude de situations cliniques indiquant la reprise de traitement endodontique, la chirurgie endodontique a su s’adapter en étayant les matériaux et les moyens thérapeutiques à sa portée. L’utilisation de ciments hydrauliques sous forme « putty » a allongé le temps de travail et facilité la mise en place a retro des bouchons ou « plugs » apicaux. Leurs caractéristiques telles que l’adhésion chimique à la dentine péri-canalaire, la tolérance à un environnement humide, l’étanchéité, l’expansion de prise, la stabilité temporelle, l’hydrophilie, la faible cytotoxicité, en ont fait des matériaux d’obturation à part entière [15-17]. La dissection et le curettage assistés au laser ont simplifié les étapes garantes d’un bon pronostic de la thérapeutique chirurgicale. D’autres alternatives innovantes comme la désinfection à l’ozone ou l’utilisation de PRF sont prometteuses, mais très peu décrites à ce jour dans la littérature [18].
L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêts.
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