INCISIONS ET SUTURES EN MICROCHIRURGIE ENDODONTIQUE
Dossier
Brice RIERA* Valentin MARCHI**
*Pratique libérale exclusive en endodontie, Paris
**Ancien interne des Hôpitaux de Paris
***Ancien AHU, groupe Pitié-Salpêtrière
****Responsable de la consultation de chirurgie endodontique de l’hôpital Bretonneau
Que sont une bonne incision et une bonne suture en microchirurgie endodontique ? Une bonne incision est celle qui permettra une suture autorisant une cicatrisation de première intention des tissus mous, c’est-à-dire une cicatrisation rapide et qualitative (avec le moins de cicatrices possible) des étapes suivantes : l’hémostase/inflammation, la prolifération, le remodelage/la maturation. L’incision et la suture sont des composantes impliquées dans le pronostic de la microchirurgie endodontique, dont l’objectif, rappelons-le, est d’apporter un maximum de désinfection intracanalaire afin d’obtenir une guérison osseuse périapicale. Quel matériel ? Quelles techniques ? Quels critères à prendre en compte ?
Une fois l’indication de la chirurgie endodontique posée, il reste quelques éléments clés à étudier avant de choisir l’incision la plus appropriée.
La ligne du sourire a son importance lors d’une chirurgie au secteur antérieur maxillaire. Une ligne basse est plus permissive quant aux risques de récession ou de cicatrices liés aux incisions horizontales.
La hauteur de gencive attachée est déterminante pour le choix de l’incision horizontale en secteur esthétique. Il est donc indispensable de réaliser un sondage parodontal préalable sur toute la longueur de l’incision prévue (figure 1).
L’analyse du biotype gingival permet d’évaluer le risque de récession. Il existe plusieurs variations du biotype allant de fin et festonné à épais et plat en passant par tous les intermédiaires [1]. Les biotypes fins et festonnés sont plus à risque de présenter des récessions (figure 2).
La présence d’éléments fixes unitaires en zone esthétique a son importance quant au choix de l’incision horizontale.
La présence d’un intermédiaire de bridge peut imposer de modifier le design du lambeau en optant pour un lambeau unitaire ou en décalant l’incision horizontale en regard de l’intermédiaire.
La présence d’un implant peut aussi conduire à modifier le tracé d’incision. Il ne faut surtout pas décoller la muqueuse péri-implantaire au niveau cervical.
Le volume de la lésion est un paramètre important à anticiper. Le tracé d’incision ne doit en aucun cas croiser la lésion. Une lésion étendue peut imposer de décaler l’incision verticale ou même d’opter pour une incision horizontale intrasulculaire (figure 3).
- La position du foramen mentonnier peut obliger à déplacer l’incision verticale lors d’une chirurgie sur une prémolaire ou une canine mandibulaire (figure 4).
Malgré l’analyse de tous ces facteurs préopératoires, les risques liés aux incisions muqueuses ne peuvent pas toujours être évités. Il faut donc prévenir systématiquement le ou la patiente des potentielles complications esthétiques liées aux incisions en microchirurgie endodontique.
Lames : la lame 15c est une lame polyvalente qui est adaptée dans toutes les situations. Il est également possible d’utiliser une micro lame de type SM 69. Dans certains cas, le recours à une lame 12 pour compléter l’incision peut se révéler utile, notamment en cas d’incision de décharge distale sur la dernière dent de l’arcade.
Porte-lames : les lames 15c et 12 s’adaptent sur un manche de bistouri standard. Il peut être plat ou de section : ronde, ce qui permet une manipulation plus précise. On peut également opter pour des bistouris jetables. Pour les micro lames il faut utiliser un manche spécifique.
En microchirurgie endodontique, le lambeau se compose toujours d’une incision horizontale, et d’au moins une incision verticale. Il est toujours de pleine épaisseur pour assurer le bon déroulé des étapes cliniques suivantes.
Dite aussi « de décharge », cette incision est essentielle car elle permet d’accéder à la zone péri-apicale et assure une visibilité optimale. Selon qu’il y en a une ou deux, on parle de lambeau triangulaire (figure 6) (vidéos 1 et 2) ou trapézoïdal (figure 7) (vidéo 3).
Une incision postérieure est toujours préférable si elle est réalisable, afin d’éviter une cicatrice en zone esthétique et de faciliter l’hémostase.
L’incision de décharge part du fond du vestibule et rejoint l’incision horizontale. La lame doit être perpendiculaire à la corticale et le contact osseux doit être maintenu sur toute l’incision. L’incision ne doit pas se trouver sur une zone osseuse convexe, car la finesse de la muqueuse expose à un risque de déchirement lors de la phase de cicatrisation inflammatoire. La transition avec l’incision horizontale doit permettre un replacement aisé du lambeau et assurer une bonne vascularisation de sa partie terminale. En cas d’incision intrasulculaire, l’incision de décharge doit s’arrondir au niveau de la base de la papille pour arriver perpendiculaire à la gencive marginale au niveau du collet de la dent [2] (figure 8) (vidéo 1).
L’incision intrasulculaire est la plus courante en microchirurgie endodontique. Elle permet une bonne visibilité du site opératoire, un bon contrôle de l’hémostase et un accès à l’intégralité de la racine, obligatoire dans le cas de résorptions externes ou de suspicion de fracture radiculaire (figure 6) . La lame est insérée de part et d’autre de la papille en suivant le contour de la dent, jusqu’au contact du septum. L’opération est répétée pour chaque papille à décoller. C’est l’incision de choix pour les secteurs postérieurs (vidéos 1 et 2). En cas de faible hauteur de gencive attachée, c’est aussi la seule incision horizontale envisageable. L’inconvénient majeur de ce type d’incision est le risque de récession parodontale, notamment en présence d’éléments prothétiques [3].
L’incision paramarginale (ou incision d’Ochsenbein-Luebke) est particulièrement indiquée en zone esthétique, surtout en présence d’éléments prothétiques (vidéo 3) . L’incision se fait au milieu de la gencive attachée, à distance de la zone marginale, éliminant ainsi le risque de récession (figure 7). Elle doit être festonnée pour suivre le contour gingival et ainsi faciliter son repositionnement. La gencive attachée doit mesurer au moins 4 mm afin de laisser au minimum 2 mm de tissu kératinisé de part et d’autre de l’incision. C’est pour cela que l’indication de cette incision est peu fréquente. L’incision paramarginale présente un risque d’apparition de cicatrice fibreuse au niveau du tracé pouvant être visible en cas de découvrement important lors du sourire [4].
L’incision à la base papillaire est une incision permettant de préserver les papilles de la récession, tout en ayant un accès à la totalité de la racine [5]. Si, sur le papier, cette incision paraît idéale, sa réalisation est complexe et demande une grande minutie, tant dans l’incision en elle-même que dans le rapprochement des berges ou même des sutures (figure 9) , et se réserve à des patients dont le parodonte est parfaitement sain.
L’objectif des sutures est de permettre une cicatrisation de première intention, autrement dit une guérison rapide et de qualité (avec le moins de tissu cicatriciel possible). Pour cela, il faut réaliser [6] :
- une compression une fois les sutures réalisées ;
- un rapprochement des berges pour qu’elles soient les plus proches possibles, afin d’éviter une tension excessive des sutures.
Il convient également :
- de suturer sur un plan dur (osseux) ;
- de s’assurer de la stabilité et de la fixité de la position des berges ;
- de maintenir une distance de 2 à 3 mm des berges muqueuses lors du passage du fil ;
- de suturer de la partie mobile vers la partie fixe (non décollée) du lambeau.
• Le porte-aiguille : deux exemples avec les pinces porte-aiguille de Mayo-Hégar et de Castroviejo (figure 10). La pince de Castroviejo remplissant largement les critères de qualité requis en chirurgie endodontique : maniabilité, force de préhension, précision.
• Les ciseaux : les ciseaux droits, les ciseaux courbes, les ciseaux de Castroviejo (figure 11). Les ciseaux courbes présentent un intérêt dans l’orientation de la partie concave ou convexe en fonction de la position du nœud.
• L’aiguille : elle présente trois parties : la pointe, le corps, la zone de sertissage (figure 12). Il existe différentes formes de section pour la pointe et le corps. Ces formes de section peuvent être identiques (par exemple, forme de section ronde ou triangulaire pour la pointe et le corps) ou différentes (par exemple, forme triangulaire pour la pointe et ronde pour le corps) (figure 13).
Il n’existe pas de forme d’aiguille à utiliser absolument en chirurgie endodontique. Les qualités demandées sont de ne pas se plier aisément, de traverser facilement les tissus mous (bonne force de pénétration et glisse douce), d’être atraumatique, de permettre le resserrement des tissus autour du fil et de limiter le risque de déchirement.
En revanche, deux types d’aiguilles sont à proscrire : l’aiguille avec une forme de section ronde au niveau de l’aiguille et du corps (car elle se plie facilement et que la force de pénétration est limitée) et l’aiguille avec une forme de section triangulaire au niveau de sa partie concave (en raison du risque de déchirement) (figure 14).
Une courbure d’aiguille à 3/8 de cercle permet de gérer à la fois une incision de décharge (deux berges rapprochées l’une contre l’autre) et le passage au niveau des embrasures cervicales (figure 15).
Une aiguille d’une longueur de 19 mm permet d’assurer le passage au niveau des embrasures cervicales des dents postérieures (plus profondes que celles des antérieures) et la gestion des berges des incisions de décharge distale au niveau des molaires notamment, dont la longueur permet, en un passage, la pénétration dans le lambeau décollé vers la zone fixée (non décollée).
Une aiguille de 16 mm est suffisante pour le passage des embrasures cervicales des dents antérieures et pour la gestion du « berge à berge », notamment au niveau des incisions paramarginales. Il peut donc être intéressant de jongler entre ces deux longueurs d’aiguille selon la zone concernée par chirurgical : en antérieur ou en postérieur.
Une aiguille de 18 mm pourrait également être un bon compromis pour gérer à la fois l’antérieur et le postérieur.
- Le fil : il existe une multitude de fils de suture, classés selon leur origine, leur composition, leur résorbabilité et leur structure (figure 16).
- Origine : synthétique ou naturelle.
- Composition : chaque type de fil possède des avantages et des inconvénients, et il n’existe pas un fil à conseiller en particulier pour la chirurgie endodontique.
Alors quel fil de suture sélectionner parmi toutes les possibilités qu’offre le marché ? Le choix s’effectue selon le cahier des charges idéal du fil de suture, en fonction des préférences du praticien [7] :
- une réaction tissulaire minimale (non résorbable > résorbable) ;
- un passage du fil en douceur (un monofilament passe de façon plus douce qu’un multifilament, mais présente également le risque de lacérer les tissus avec un effet « fil à couper le beurre ») (figure 17) ;
- une absence de capillarité (monofilament > multifilament) ;
- une résistance à la traction maximale (fil de gros diamètre > fil de plus fin diamètre), une manipulation aisée (multifilament > monofilament) ;
- une sécurité du nœud (multifilament > monofilament).
Certains fils peuvent être modifiés afin d’améliorer leurs propriétés (rapidité de la résorption, passage tissulaire, diminution de la charge microbienne, capillarité, etc.). Ils peuvent ainsi subir des traitements thermiques, ou être recouverts de biomatériaux (par exemple, ajout de polyacrylate, de silicone, de cire, etc.).
- Résorbabilité : un fil de suture résorbable est caractérisé par une perte de résistance à la traction dans les 60 jours qui suivent l’acte chirurgical. La résorption de ce type de fil (par hydrolyse ou par digestion enzymatique) crée des produits de dégradation biocompatibles. Par exemple, le polymère acide polyglycolique se dégrade en monomère (acide glycolique) qui est l’acide de fruits naturels (betterave, raisin, etc.).
Un fil de suture non résorbable est caractérisé par une résistance à la traction maintenue dans les 60 jours qui suivent l’acte chirurgical. Le maintien en bouche de ce type de fil pendant une durée de temps trop longue peut être à l’origine d’une réaction inflammatoire parodontale.
- Diamètre : une classification du diamètre des fils de suture est établie par l’United States Pharmacopeia (USP) et l’European Pharmacopeia (EP) (tableau 1). Un diamètre de 5/0 ou 6/0 est tout à fait adapté à la microchirurgie endodontique.
Dent 36, dont l’incision de décharge a été réalisée en distal avec un décollement des papilles 34/35 35/36 36/37. La suture commence au niveau de la papille 34/35 : soit avec un nœud simple, dont le serrage est réalisé à distance de la papille (à 2 mm environ), soit avec un nœud en matelassier vertical (figure 18) (vidéo 4). Une suture continue suspendue peut être eff ectuée, soit simple, soit en matelassier vertical à chaque papille (comme décrit dans la vidéo 1), jusqu’à l’incision de décharge.
Dent 26, dont l’incision de décharge a été réalisée en distal avec un décollement des papilles 27/26, 25/26, 25/24. La suture commence au niveau de la papille 25/26. Une triple suture suspendue est réalisée au niveau des papilles (figure 19) (vidéo 5), puis une suture continue est réalisée au niveau de l’incision de décharge distale.
Dent 11 présentant une suture double suture suspendue (figure 20) (vidéo 6). Deux incisions de décharge ont été réalisées, ainsi qu’une incision intrasulculaire. La suture est abordée de V (vestibulaire) vers P (palatin) de la papille mésiale en position apicale (rond bleu n° 1). Le fil est passé derrière la dent et ressort en V au niveau de l’embrasure cervicale distale. L’aiguille passe alors les tissus mous au niveau de la papille distale, de P vers V en apical (rond bleu n° 2), pour y rentrer à nouveau de V vers P en position plus coronaire (rond bleu n° 3). Le fil est passé derrière la dent et ressort en V au niveau de l’embrasure cervicale mésiale. L’aiguille passe alors de P à V au niveau de la papille en mésiale, en position coronaire (rond bleu n° 4). Un nœud est alors réalisé permettant de plaquer les 2 papilles. Puis une suture continue est faite au niveau de chaque incision de décharge.
Une mauvaise incision peut compliquer la cicatrisation. Une mauvaise suture, malgré une bonne incision, peut également compliquer la cicatrisation. Une cicatrisation compliquée pouvant se caractériser par une cicatrisation de 2e ou 3e intention (cicatrisation plus lente, cicatricielle) voire par l’échec de la microchirurgie endodontique (par recolonisation bactérienne). D’où l’importance de réaliser les incisions selon les règles qui ont été évoquées, mais aussi, et surtout, en ayant déjà en tête les sutures qui devront être réalisées : il s’agit de commencer l’intervention en ayant déjà imaginé la fin.
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêts.
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