QUELS TYPES DE CHIRURGIE POUR L’AMÉNAGEMENT DES TISSUS MOUS PÉRI-IMPLANTAIRES ?
Parodontologie
Implantologie
Christelle DARNAUD* Sofia AROCA**
*DDS, MSc, PhD Ancienne AHU Département de Parodontologie, AP-HP Hopital Rothschild, Université Paris Cité. Exercice exclusif en parodontologie et implantologie, Paris.
**MDS, PhD Exercice exclusif en parodontologie et implantologie, Paris.
Depuis quelques années, la gestion des tissus mous péri-implantaires est devenue un sujet incontournable en thérapeutique implantaire. En effet, elle permet d’améliorer non seulement l’esthétique implantaire, mais également la santé et la stabilité à long terme des implants en assurant le maintien de l’ostéointégration. Dans cet article, nous parlerons de l’augmentation en hauteur et en épaisseur du tissu kératinisé péri-implantaire ; les déhiscences...
L’aménagement des tissus mous péri-implantaires est aujourd’hui un prérequis pour minimiser la perte osseuse marginale, minimiser le risque de récession muqueuse et obtenir des résultats fonctionnels et esthétiques prédictibles à long terme. Cet article décrit la gestion des tissus mous péri-implantaires et donne les clefs des différentes techniques utiles pour l’augmentation en hauteur et en épaisseur des tissus mous péri-implantaires.
Depuis quelques années, la gestion des tissus mous péri-implantaires est devenue un sujet incontournable en thérapeutique implantaire. En effet, elle permet d’améliorer non seulement l’esthétique implantaire, mais également la santé et la stabilité à long terme des implants en assurant le maintien de l’ostéointégration. Dans cet article, nous parlerons de l’augmentation en hauteur et en épaisseur du tissu kératinisé péri-implantaire ; les déhiscences péri-implantaires seront traitées dans un autre article. Un tissu kératinisé (TK) péri-implantaire absent ou réduit en hauteur et/ou en épaisseur, même en présence d’un volume d’os compatible avec l’insertion d’un implant, peut interférer sérieusement avec le résultat esthétique de la reconstruction prothétique. Il a été démontré que le risque d’apparition de récessions de la muqueuse vestibulaire était élevé en cas d’implantation immédiate, et que la majorité des résultats esthétiques jugés non satisfaisants était liée au phénotype tissulaire [1-4].
De plus, le manque de TK serait lié à un risque plus élevé de péri-implantite ; ce sujet reste controversé. Cependant, plusieurs revues systématiques montrent que les sites implantaires présentant un tissu kératinisé insuffisant (hauteur TK < 2 mm) ont une quantité de plaque dentaire plus importante, ce qui augmente d’autant le risque d’inflammation des tissus mous péri-implantaires [5, 6]. Ainsi, ces dernières conclusions tendent à prouver que l’absence ou l’insuffisance de TK autour des implants peut contrecarrer les mesures d’hygiène bucco-dentaire du patient [7-9] et ainsi être directement liée au développement d’une mucosite péri-implantaire [10]. Par conséquent, l’augmentation des tissus mous autour des implants est justifiée d’un point de vue clinique et biologique car la présence d’une bande de muqueuse kératinisée (MK) facilite un bon contrôle de plaque au niveau des implants.
Enfin, la quantité du tissu kératinisé doit aussi être prise en considération avant toute greffe osseuse. Si la quantité initiale de ce tissu est considérée comme insuffisante, différentes techniques chirurgicales permettent alors d’augmenter sa hauteur et son épaisseur. Ces procédures doivent être réalisées avant la greffe osseuse et avant la pose d’implants. L’optimisation de la qualité et de la quantité des tissus mous facilite la manipulation du lambeau d’accès et diminue le risque de déhiscence et d’exposition de la membrane lors de la greffe osseuse (figure 1a à g).
En résumé, les procédures chirurgicales d’augmentation de TK (hauteur) doivent être envisagées, lorsque :
- un résultat esthétique des reconstructions prothétiques est attendu ;
- une greffe osseuse est envisagée avant la pose d’implant ;
- un patient présente des implants dans un contexte soit de douleur et d’inconfort lors des manœuvres d’hygiène bucco-dentaire, soit de contrôle de plaque insuffisant (qui pourrait être amélioré si la morphologie de la muqueuse était plus appropriée), soit de vestibule peu profond (en particulier dans la région postérieure de la mandibule).
Pour améliorer la qualité et la hauteur de la muqueuse kératinisée autour des implants, plusieurs techniques chirurgicales ont été proposées : la technique du lambeau positionné apicalement, seule ou associée à une greffe gingivale libre, et les techniques utilisant des biomatériaux de substitution.
La technique du lambeau positionné apicalement revient à réaliser une plaie muqueuse, en laissant le périoste en place, afin d’obtenir, après cicatrisation, une architecture plus favorable des tissus mous. Cette technique a été proposée, dès les années 1950, dans le but de réaliser une vestibuloplastie avant la pose d’une prothèse amovible, car elle permettait d’augmenter efficacement la dimension apico-coronaire de la muqueuse kératinisée autour des dents [11-13]. C’est une procédure relativement simple d’exécution qui ne requiert ni site donneur, ni utilisation de biomatériau.
Elle consiste à effectuer une incision horizontale qui doit être située en position légèrement plus coronaire par rapport à la ligne muco-gingivale. Puis la muqueuse incisée est disséquée en épaisseur partielle, ce qui préserve le périoste sur la surface de l’os alvéolaire. Ensuite, le lambeau disséqué, qui comporte un bord coronaire de muqueuse kératinisée, est déplacé apicalement avant d’être suturé au périoste. Après la cicatrisation par seconde intention de la plaie muqueuse ainsi créée, il se forme un tissu kératinisé attaché dont la dimension apico-coronaire est supérieure à celle de la muqueuse qui existait initialement.
Le LPA est considéré comme une technique aussi efficace pour augmenter la quantité de muqueuse kératinisée en pré-implantaire.
La principale limite de cette technique est la nécessité d’avoir au moins 0,5 mm de tissu kératinisé en pré-opératoire. Dans le cas contraire, la greffe gingivale libre autogène ou la technique de greffe utilisant des biomatériaux allogéniques ou xénogéniques sont indiquées.
La technique de la greffe gingivale libre a été introduite pour augmenter la gencive attachée kératinisée, mais également, afin d’obtenir un recouvrement radiculaire [14-17]. Depuis peu, la GGL a été préconisée pour augmenter la hauteur de la MK autour des implants. Toutefois, malgré l’efficacité de cette approche chirurgicale dans ce contexte, les patients ont tendance à se plaindre de l’inconfort ressenti durant le processus de cicatrisation en raison du prélèvement tissulaire au niveau du site donneur.
De façon standard, le greffon épithélio-conjonctif est prélevé au palais ou au niveau de la tubérosité, du même côté que le site receveur afin de réduire l’inconfort et de maintenir au mieux la fonction orale du patient après la chirurgie. Le prélèvement palatin commence par une première incision horizontale réalisée en épaisseur partielle à 3 mm du collet des dents, de 1,5 à 2 mm d’épaisseur, ce qui permet de préserver le périoste. Une deuxième incision horizontale, en épaisseur partielle, est tracée parallèlement à la première vers la ligne médiane. La distance entre ces deux incisions est définie en fonction de la quantité de tissu requise pour la greffe. Les deux incisions horizontales sont ensuite reliées entre elles, du côté mésial et distal, par des incisions verticales en épaisseur partielle. Puis le greffon est disséqué à la lame de bistouri, en conservant une épaisseur idéale.
Le lit receveur de la greffe est préparé en élevant un lambeau trapézoïdal, d’épaisseur partielle, grâce à la réalisation d’une incision horizontale et de deux incisions verticales, qui sont réalisées à chaque extrémité de l’incision horizontale. Ces dernières sont étendues apicalement dans la muqueuse alvéolaire. En effet, ces incisions doivent dépasser la ligne muco-gingivale pour procurer une mobilité suffisante au lambeau en vue de son déplacement apical.
Le lambeau est ensuite disséqué en épaisseur partielle, positionné apicalement et suturé au périoste sous-jacent. Enfin, le greffon est ajusté aux dimensions souhaitées et suturé au lit receveur.
Cette technique est surtout indiquée pour augmenter la hauteur du tissu kératinisé dans les zones édentées postérieures de la mandibule, que le vestibule soit ou non peu profond, car la couleur de greffe ne compromettra pas l’aspect esthétique de la future restauration implantaire. La greffe s’intègre faiblement aux tissus gingivaux adjacents, son aspect est celui d’une cicatrice blanchâtre, et elle s’accompagne d’un déplacement de la ligne muco-gingivale (figure 2a à e).
Des études montrent que les résultats obtenus avec le LPA associé à une greffe de tissu autogène, comparé au LPA seul, sont significativement plus favorables, mais uniquement concernant le paramètre profondeur de poche. Pour tous les autres paramètres évalués (indice gingival, indice de plaque), les résultats sont comparables ; les deux traitements sont donc bénéfiques pour la santé péri-implantaire [18]. Ces données sont en accord avec une méta-analyse qui montre que pour tous les groupes traités par LPA, seul ou associé à une greffe tissu autogène, une matrice dermique acellulaire, ou une matrice de collagène, la hauteur de TK obtenue était supérieure comparée à celle des sites témoins non traités. En revanche, aucun gain statistiquement significatif de TK n’a été enregistré avec aucune des techniques bilaminaires [19].
Hauteur et épaisseur de tissu kératinisé péri-implantaire ont un rôle commun dans la stabilité de la muqueuse marginale péri-implantaire. L’épaisseur de la muqueuse péri-implantaire est définie comme étant la dimension horizontale des tissus mous péri-implantaires, qui peuvent être ou non kératinisés [20]. Un phénotype épais procure une plus grande stabilité de la muqueuse marginale péri-implantaire [21], laquelle est considérée comme l’un des facteurs clés pour prévenir la déhiscence des tissus mous. Plusieurs études montrent qu’une épaisseur de tissu mou augmentée peut promouvoir une plus grande stabilité du niveau osseux marginal avec le temps [18] et qu’une muqueuse péri-implantaire fine au niveau de la zone supra-crestale est associée à une perte osseuse marginale plus importante comparée aux sites où la muqueuse présente un phénotype épais. Les mêmes auteurs ont démontré que l’augmentation de la hauteur des tissus mous était une stratégie efficace pour minimiser la perte osseuse péri-implantaire [22-24].
Cependant, à ce jour, il n’existe aucun consensus concernant le minimum d’épaisseur de la muqueuse péri-implantaire requis pour obtenir des résultats fonctionnels et esthétiques prédictibles à long terme, minimiser la perte de l’os marginal et le risque de récession muqueuse [25]. La majorité des études consacrées à cette thématique montrent que si l’épaisseur de la muqueuse péri-implantaire avoisine 2 mm, l’effet d’ombre du pilier implantaire à travers la muqueuse n’est alors pas détectable [26-28]. En résumé, les procédures chirurgicales d’augmentation de l’épaisseur des tissus mous doivent être envisagées pour :
- améliorer l’aspect esthétique après la mise en place de la prothèse implanto-portée finale ;
- éliminer l’effet d’ombre du pilier prothétique implantaire sur la face vestibulaire de la muqueuse ;
- prévenir l’apparition d’une récession péri-implantaire.
Cette technique, décrite par Abrams et collaborateurs (1980), a été l’une des premières techniques à utiliser un pédicule de tissu conjonctif palatin. Cette technique est préconisée pour augmenter le contour muqueux de la crête alvéolaire, à la fois pour un implant transmuqueux ou un implant enfoui [29]. Elle consiste à replier le tissu conjonctif palatin pédiculé et à l’insérer sous un lambeau vestibulaire au moment de la pose de l’implant ou lors de la deuxième phase chirurgicale.
Une incision palatine est réalisée au niveau de la gencive marginale des dents adjacentes ou sur le pourtour palatin de la vis de couverture si l’implant est déjà en place. Puis la couche superficielle de la portion palatine du lambeau pédiculé est désépithélialisée à la lame avant d’être roulée sous le lambeau vestibulaire dans la zone de la concavité de la crête.
Ce procédé chirurgical, ou une variation de celui-ci, a été adapté pour réaliser une augmentation de crête localisée autour d’implants dentaires durant la première ou la deuxième phase chirurgicale. Les variations incluaient, entre autres : la technique du rouleau modifiée, le lambeau palatin d’épaisseur partielle translaté et la technique de l’enveloppe [30-32].
Les avantages de ces dernières techniques opératoires sont, d’une part, l’obtention d’un fondu harmonieux de la couleur avec les tissus environnants et, d’autre part, la nécessité d’un seul site chirurgical. Leur inconvénient réside dans l’impossibilité de traiter des défauts particulièrement larges en raison du peu de tissu disponible au niveau du site donneur.
Cette technique est validée et bien documentée, elle a été conçue et testée initialement pour le traitement des récessions gingivales [33]. Mais ce type de procédure peut également être utilisé pour traiter des déhiscences de tissu mou autour des implants [34, 35] et pour faciliter l’accès à la crête osseuse lors d’une implantation unitaire. Cette technique est aussi préconisée au moment de la mise en place de l’implant afin d’augmenter le volume des tissus mous et améliorer le résultat esthétique final, en particulier au niveau de la zone antérieure maxillaire (figure 3a à e).
Un lambeau enveloppe vestibulaire est réalisé selon le tracé du lambeau multiple avancé coronairement proposé par Zucchelli et de Sanctis (2000) [33]. Les incisions obliques s’étendent à un élément adjacent en mésial et en distal du site implantaire. Le lambeau enveloppe est ensuite soulevé en épaisseur « partielle-totale-partielle » en direction corono-apicale : les incisions obliques sont réalisées en gardant la lame parallèle au grand axe des dents afin de disséquer les papilles chirurgicales en épaisseur partielle. Le tissu gingival recouvrant le site implantaire est soulevé en épaisseur totale dans le but de garder toute l’épaisseur de cette portion essentielle du lambeau. La partie la plus apicale de celui-ci est, quant à elle, disséquée en épaisseur partielle pour faciliter le positionnement coronaire du lambeau : la lame est d’abord maintenue parallèle à la surface osseuse pour détacher toutes les insertions musculaires du périoste, avant d’être dirigée parallèlement au lambeau, superficiellement, pour séparer les muscles de la muqueuse alvéolaire.
Puis les papilles anatomiques sont désépithélialisées à la fois du côté vestibulaire et du côté occlusal, de façon à procurer un lit vasculaire étendu pour le lambeau.
Enfin, le greffon de tissu conjonctif (GTC) est préparé à partir d’un greffon épithélio-conjonctif prélevé au palais et désépithélialisé. Ce greffon conjonctif doit avoir une taille plus large que la taille utilisée pour le recouvrement radiculaire, afin de compenser le risque de contraction durant la cicatrisation en raison de la vascularisation réduite du site implantaire comparée à celle des tissus parodontaux.
Le greffon de tissu conjonctif est stabilisé avec des sutures simples, aux papilles anatomiques désépithélialisées. Le greffon peut également être adapté au site receveur à l’aide d’une suture compressive. Puis le lambeau est suturé 2 mm plus coronairement au tissu marginal, dans sa position finale idéale, à l’aide de sutures suspendues modifiées.
Cette technique consiste à préparer une greffe composée de deux parties : l’une est constituée de tissu épithélio-conjonctif et l’autre de tissu conjonctif uniquement (figure 4a à g).
Après la préparation du lit vasculaire, la greffe, de forme rectangulaire et en forme de coin en vue transversale, est positionnée sur ce dernier : la partie constituée uniquement de tissu conjonctif est insérée sous le lambeau vestibulaire et suturée à la muqueuse vestibulaire. La partie la plus coronaire épithélio-conjonctive de la greffe est ensuite reliée étroitement au lambeau lingual à l’aide d’une suture interrompue point par point. Puis le lambeau vestibulaire est positionné apicalement et suturé au niveau apical de la portion épithélio-conjonctive de la greffe.
En fait, cette procédure chirurgicale est une modification de la technique de la greffe d’interposition en onlay développée par Seibert et Louis (1996), et qui a conservé les avantages de celle-ci [36]. À l’origine, la greffe d’interposition en onlay a été mise au point pour traiter des défauts de crête de Classe II larges, en vue d’obtenir une augmentation vestibulo-linguale de la crête édentée, contrairement aux greffes en onlay initialement conçues pour obtenir une augmentation de crête, mais dans le sens apico-coronaire.
Par conséquent, cette technique de greffe de tissu conjonctif partiellement désépithélialisée permet d’envisager, en un seul temps opératoire, une modification de la qualité et de la quantité des tissus mous péri-implantaires.
L’augmentation de l’épaisseur des tissus mous permet une plus grande stabilité du niveau osseux marginal péri-implantaire dans le temps, mais prévient aussi la perte osseuse marginale péri-implantaire comparé aux sites présentant un phénotype fin. Associée à cela, l’augmentation de la hauteur des tissus mous péri-implantaire est une stratégie efficace pour obtenir des résultats fonctionnels et esthétiques prédictibles sur le long terme. La hauteur et l’épaisseur des tissus mous péri-implantaires à reconstruire sont les deux critères principaux permettant au clinicien de choisir l’une des cinq techniques efficaces présentées dans cet article, résumées dans le tableau 1.
Remerciements au Dr GL Di Domenico pour les Figures 3 et 4.
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêts.