LES MALADIES PÉRI-IMPLANTAIRES POINT DE VUE BIOLOGIQUE
Parodontologie
Implantologie
Banndith CHEAT* Jérôme BOUCHET** Grégoire CHEVALIER*** Marjolaine GOSSET****
*Attaché temporaire d’enseignement et de recherche URP 2496, UFR d’Odontologie, Faculté de Santé, Université Paris Cité, Hôpital Charles Foix, service d’odontologie, Ivry-sur-Seine.
**MCU URP 2496, UFR d’Odontologie, Faculté de Santé, Université Paris Cité.
***CCU-AH URP 2496, UFR d’Odontologie, Faculté de Santé, Université Paris Cité, Hôpital Charles Foix, service d’odontologie, Ivry-sur-Seine Parodontiste libéral, Paris.
****PU-PH, URP 2496, UFR d’Odontologie, Faculté de Santé, Université Paris Cité Hôpital Charles Foix, service d’odontologie, Ivry-sur-Seine.
Depuis la première pose chez des patients, en 1965, les implants dentaires ont révolutionné la réhabilitation orale : les prothèses implanto-portées représentent actuellement une solution thérapeutique de choix pour la réhabilitation des édentements partiels ou totaux. Très plébiscités par les patients, les implants dentaires se sont progressivement intégrés dans la pratique dentaire quotidienne. Même si leur taux de réussite dépasse aujourd’hui 90 % après dix ans [
Aujourd’hui, les implants dentaires représentent une option thérapeutique de choix. Il faut cependant rester vigilant quant à leur suivi en raison des complications biologiques tardives, mucosite et péri-implantite, qui altèrent leur succès à long terme. Caractériser les mécanismes physiopathologiques de ces maladies péri-implantaires, en identifiant l’existence d’un microbiote ou d’une réponse immune spécifique, permettrait d’améliorer leur diagnostic, de choisir la stratégie de traitement appropriée, et d’adapter la prévention. Ces mécanismes sont souvent étudiés à la lumière des connaissances sur les maladies parodontales : une synthèse de ces travaux sera ici présentée. Il ressort, d’après les données issues des études animales et humaines, que les maladies péri-implantaires et les maladies parodontales représentent des entités distinctes du point de vue clinique et pathogénique, impliquant un microbiote et un infiltrat inflammatoire différents. Cela s’expliquerait en partie par les spécificités de l’anatomie péri-implantaire, mais aussi par la surface en titane. Une meilleure compréhension de l’étiopathogénie des péri-implantites reste un enjeu majeur.
Depuis la première pose chez des patients, en 1965, les implants dentaires ont révolutionné la réhabilitation orale : les prothèses implanto-portées représentent actuellement une solution thérapeutique de choix pour la réhabilitation des édentements partiels ou totaux. Très plébiscités par les patients, les implants dentaires se sont progressivement intégrés dans la pratique dentaire quotidienne. Même si leur taux de réussite dépasse aujourd’hui 90 % après dix ans [1], leur succès à long terme est altéré par des complications mécaniques et biologiques, précoces et tardives. Parmi celles-ci, la péri-implantite est la principale menace, provoquant au final la perte de l’implant [2]. Pour mieux prévenir, diagnostiquer et traiter la péri-implantite, la communauté scientifique étudie, par de multiples approches, ses mécanismes pour identifier des biomarqueurs diagnostiques ou des cibles thérapeutiques.
Malgré les différentes caractéristiques anatomiques et histologiques des tissus mous et durs autour des dents naturelles et des implants dentaires (figure 1), la santé péri-implantaire présente de nombreux aspects cliniques communs avec la santé parodontale. Elle se définit par l’absence de signes cliniques d’inflammation (érythème et œdème), ainsi que par l’absence de saignement et/ou de suppuration au sondage. De plus, elle se manifeste par l’absence d’augmentation de la profondeur de sondage par rapport aux examens précédents, et par l’absence de perte osseuse au-delà des modifications du niveau de la crête alvéolaire dues au remodelage osseux initial [3] (tableau 1).
Les maladies péri-implantaires sont des états inflammatoires qui impactent les tissus péri-implantaires. Elles sont induites par les biofilms péri-implantaires et existent sous deux formes distinctes : la mucosite et la péri-implantite [4]. Telle la progression de la gingivite vers la parodontite, la mucosite péri-implantaire est présumée précéder la péri-implantite [5].
La mucosite péri-implantaire est définie comme une lésion inflammatoire de la muqueuse péri-implantaire, en l’absence de perte osseuse marginale continue. Elle résulte principalement d’une perturbation de l’homéostasie hôte-biofilm à l’interface implant-muqueuse. Il s’agit d’une pathologie réversible [6]. Cliniquement, elle se caractérise par un saignement lors d’un sondage doux (Bleeding on Probing - BOP). D’autres signes cliniques d’inflammation peuvent être présents, tels que l’érythème, l’œdème et/ ou la suppuration. Une augmentation de la profondeur de sondage est fréquemment observée en raison de l’œdème ou d’une diminution de la résistance au sondage [7] (tableau 1).
La péri-implantite, quant à elle, est définie comme un « état pathologique associé à un biofilm péri-implantaire, survenant dans les tissus autour des implants dentaires et caractérisé par une inflammation sévère de la muqueuse péri-implantaire entraînant une perte progressive de l’os péri-implantaire » [7]. Cliniquement, la péri-implantite se caractérise par une inflammation du tissu péri-implantaire, un saignement au sondage (BOP) et/ou une suppuration. Ces signes cliniques sont accompagnés d’une augmentation de la profondeur de sondage et/ ou d’une récession de la limite marginale de la muqueuse, associées à une perte osseuse par rapport aux examens radiographiques précédents [7] (tableau 1). Le principal facteur étiologique de l’apparition et de la progression de la péri-implantite est l’accumulation du biofilm péri-implantaire, tandis que ses facteurs de risque principaux sont : une histoire de parodontite, un contrôle de plaque peu efficace et une mauvaise observance de la maintenance péri-implantaire [8]. Les liens avec le tabagisme et le diabète sont moins forts, ainsi qu’avec certains facteurs locaux tels que la présence de ciment sous-muqueux après la restauration prothétique de l’implant et le positionnement des implants limitant l’accès à l’hygiène bucco-dentaire et à l’entretien.
Enfin, d’autres facteurs tels que l’absence de muqueuse kératinisée péri-implantaire, la surcharge occlusale, la présence de particules de titane dans les tissus péri-implantaires, la nécrose par compression osseuse, la surchauffe, la micro-mobilité ou la bio-corrosion ont été proposés comme facteurs de risque, mais des recherches supplémentaires sont nécessaires pour clarifier leurs véritables rôles [5].
Le nombre d’implants dentaires posés chaque année augmente rapidement et, en France, cet acte n’étant pas tarifé pour un remboursement par la Sécurité sociale, il est difficile d’estimer le nombre moyen d’implants posés par an et par patient.
Concernant les maladies péri-implantaires, bien que l’estimation globale de leur ampleur soit complexe [9, 10], une récente revue systématique avec méta-analyse menée par Wada et ses collaborateurs trouve une prévalence très variable [11] :
- de la mucosite péri-implantaire variant de 23,9 % à 88 % au niveau du patient et de 9,7 % à 81 % au niveau de l’implant,
- de la péri-implantite variant de 8,9 % à 45 % au niveau du patient et de 4,8 % à 23 % au niveau de l’implant.
La question de l’étiopathogénie des maladies péri-implantaires est ici abordée selon deux angles complémentaires, et en prenant le parodonte comme référence.
Il s’agit (1) de l’étude des différences structurelles et immunologiques entre tissus sains parodontaux et péri-implantaires, et (2) de l’étude des facteurs étiologiques et des mécanismes pathogéniques entre maladies parodontales et péri-implantaires.
Il existe des différences fondamentales aux niveaux anatomique et histologique entre les tissus mous et durs entourant les dents naturelles et ceux entourant les implants dentaires. Ces différences expliquent en partie les mécanismes étiopathogéniques et les aspects cliniques distincts observés dans les maladies péri-implantaires (figure 1).
Les différences tissulaires sont l’absence d’attache épithélio-conjonctive entre la gencive et l’implant, ainsi que l’absence de ligament parodontal et de cément à la surface de l’implant [12].
Les fibres de collagène du tissu conjonctif supra-crestal péri-implantaire sont disposées parallèlement à la surface de l’implant, et aucune attache conjonctive perpendiculaire à l’implant n’existe, à la différence des dents naturelles [13].
Cette organisation anatomique, d’une part, réduirait la barrière physique contre l’invasion microbienne et, d’autre part, permettrait une extension de l’infiltrat inflammatoire dans le tissu sous-muqueux [14]. De plus, l’absence de ligament parodontal et la nature moins cellulaire, notamment de cellules immunitaires sentinelles, et moins vascularisé du tissu conjonctif péri-implantaire [15] constituent des différences notables en termes de capacités mécaniques et biologiques de la gencive saine.
L’initiation de l’inflammation de la muqueuse péri-implantaire dans le cadre de la mucosite et de la péri-implantite est due à la présence et à l’accumulation d’un biofilm microbien autour de l’implant ostéointégré. Cela a été confirmé par plusieurs études expérimentales menées sur des animaux, ainsi que par des études transversales [5] et pourrait s’expliquer par l’influence des caractéristiques anatomiques et de surface (liées au matériau) uniques des implants sur l’adhésion bactérienne, l’expression génique et l’adaptation, la sélection et l’interrelation des communautés microbiennes [16]. Actuellement, l’étude de la microbiologie orale est en pleine révolution grâce à l’essor de nouvelles techniques telles que le séquençage génomique à haut débit et la métagénomique. Caractériser des microbiotes spécifiques des états de santé péri-implantaire révolutionnerait les approches diagnostiques et pronostiques de ces pathologies. Les données actuelles indiquent que les sites péri-implantaires présentent un écosystème microbiologique distinct de celui du parodonte : bien que de nombreuses espèces bactériennes soient partagées [17], leur diversité et leur quantité diffèrent, avec une moindre diversité des microbiotes péri-implantaires, que ce soit en situation de santé ou de pathologie [18, 19]. Voici quelques éléments de la littérature comparant microbiote péri-implantaire et parodontal, dans divers états de santé, illustrant cela :
- au niveau de sites péri-implantaires sains, le biofilm se compose principalement de bactéries à Gram positif [17], tandis que les sites sains parodontaux hébergent un microbiote plus diversifié et plus riche en anaérobies,
- au niveau de sites péri-implantaires atteints de mucosite : une quantité de plaque plus faible est retrouvée par rapport à des sites dentaires atteints de gingivite. De plus, le biofilm de la plaque dentaire présente une diversité et une proportion de groupes Leptotrichia, Corynebacterium, Actinomyces, Selenomonas, Cardiobacterium, Saccharibacteria, Actinomycetaceae non classées, Lachnoanaerobaculum, Tannerella et Aggregatibacter significativement plus élevées que les échantillons prélevés autour des implants, tandis que la plaque sous-gingivale péri-implantaire présente une proportion significativement plus élevée de groupes Neisseria et Haemophilus [14, 17, 20].
De plus, la composition du microbiote péri-implantaire évolue selon l’état de santé péri-implantaire :
- la diversité du microbiote péri-implantaire devient de plus en plus complexe, associée à des changements de composition au sein des communautés microbiennes, au fur et à mesure que l’infection progresse de la mucosite vers la péri-implantite [14] (figure 2),
- un microbiote différentiellement abondant entre les sites sains et de péri-implantite à tous les niveaux taxonomiques a été identifié. Plus précisément, les communautés microbiennes de péri-implantite sont enrichies par les Bacteroidetes, Spirochetes et Synergistetes, alors que les Actinobacteria prédominent dans les sites sains [14]. Au niveau taxonomique inférieur, la péri-implantite est associée à la présence de S. epidermidis et de parodontopathogènes spécifiques (P. gingivalis, T. forsythia, T. denticola, F. nucleatum et P. intermedia), ainsi que de taxons moins bien caractérisés tels que Peptostreptococcaceae, Desulfobulbus, Treponema maltophilum, Eubacterium saphenum, Filifactor alocis, Freitbacterium fastidiosum et Fretibacterium HMT 360 [14, 21]. Notons que dans une revue systématique avec méta-analyse très récente, S. epidermidis est la seule espèce bactérienne dont l’association avec la péri-implantite est la plus forte (OR = 10,28). Comme S. epidermidis ne montre qu’une colonisation des tissus péri-implantaires et non de la surface de l’implant, les auteurs suggèrent l’existence de certaines formes de péri-implantites associées à des infections planctoniques [21].
Enfin, les études montrent que la composition du microbiote péri-implantaire dépend de facteurs liés à l’hôte, tels qu’une histoire de maladie parodontale ou le tabagisme :
- chez les patients ayant une histoire de parodontite, le microbiote péri-implantaire est plus susceptible d’être colonisé par les espèces Fusobacterium, Porphyromonas et Prevotella que celui prélevé chez des individus sans antécédent de parodontite. L’augmentation de ces parodontopathogènes et la diminution des bactéries associées à la santé (Actinobacillus et Streptococcus) peuvent rendre les patients plus susceptibles de développer des maladies péri-implantaires [22, 23],
- en ce qui concerne le tabagisme, dans les sites péri-implantaires sains, les fumeurs présentent une diversité bactérienne plus faible et des quantités plus élevées d’espèces connues associées à la maladie, par rapport aux non-fumeurs [24]. Lors du passage d’un état cliniquement sain à un état pathologique, le tabagisme est associé à des modifications du microbiote péri-implantaire (appauvrissement des espèces commensales et enrichissement en espèces pathogènes, diminution de la diversité bactérienne) [25]. En outre, en présence de bactéries parodontopathogènes, on observe une augmentation de la présence de fongus oraux, en particulier Candida albicans, et de virus tels que le virus de l’herpès et le virus d’Epstein-Barr, et leur virulence semble augmenter et aggraver l’inflammation péri-implantaire chez les patients susceptibles. Leur rôle dans la pathogenèse des maladies péri-implantaires doit faire l’objet d’études plus approfondies [26].
Les résultats d’études menées chez l’animal ou chez l’homme indiquent que l’inflammation des tissus péri-implantaires dans la mucosite ou la péri-implantite présente des caractéristiques cliniques, macroscopiques et de composition cellulaire et moléculaire spécifiques par rapport au tissu gingival lors de la gingivite ou de la parodontite. Par exemple, lors de la mucosite, on observe un infiltrat inflammatoire plus important dans le tissu conjonctif et une fréquence plus élevée de sites de saignement autour des implants par rapport aux dents. De plus, la destruction des tissus au cours de la péri-implantite s’avère plus prononcée que celles de sites atteints de parodontite expérimentale [27]. Ces caractéristiques sont résumées ici.
• Spécificités de la réponse inflammatoire de la mucosite par rapport à celle de la gingivite La mucosite présente des similitudes avec la gingivite, car elle se caractérise par une inflammation gingivale avec un épithélium acanthosique, une désorganisation du tissu conjonctif, des changements micro-vasculaires et une augmentation de l’infiltration de cellules immunitaires telles que les neutrophiles, les macrophages, les lymphocytes T et B [6]. Cependant, lors de la mucosite, certaines spécificités de l’inflammation existent :
- La transition entre la santé et la mucosite péri-implantaire a été étudiée à l’aide de modèles précliniques de chien, et comparée aux connaissances sur la gingivite. Le développement d’une inflammation des tissus mous en réponse à l’accumulation expérimentale de biofilm (les animaux sont nourris avec un régime spécifique qui permet l’accumulation de la plaque dentaire sans nettoyage des dents) est observé au niveau de la gencive ainsi que de la muqueuse péri-implantaire [28-31]. Dans les études d’Ericsson et al., après 3 mois d’accumulation de plaque, la composition de l’infiltrat inflammatoire est similaire dans la gencive et la muqueuse péri-implantaire. Une perte substantielle de collagène et une augmentation significative des cellules inflammatoires sont observées. Cependant, l’extension apicale de l’infiltrat inflammatoire ainsi que la taille de la lésion sont significativement plus étendues (presque trois fois) dans la muqueuse péri-implantaire en comparaison avec la gencive [30, 31] (figure 2). Ces résultats indiquent une réponse de l’hôte plus sévère dans la muqueuse péri-implantaire face au biofilm implantaire en comparaison de la réponse gingivale face au biofilm dentaire. Il est intéressant de noter que cette inflammation se développe indépendamment des systèmes d’implants. En effet, dans une étude d’Abrahamsson et al. menée sur trois systèmes d’implants différents sur une période de 5 mois chez des chiens, aucune différence d’inflammation n’était relevée [28].
• Dans une étude clinique réalisée par Salvi et al., les signes cliniques de la mucosite péri-implantaire expérimentale (par absence de brossage et accumulation de plaque) diminuent nettement moins vite que ceux de la gingivite expérimentale : ils perdurent à 21 jours, à la suite de la reprise du contrôle de plaque individuel (contrairement à la gingivite qui est résolue). Cela suggère que la résolution clinique de la mucosite péri-implantaire expérimentale chez l’homme est plus longue que celle de la gingivite [32].
• Spécificités de la réponse inflammatoire de la péri-implantite par rapport à celle de la parodontite
Les études expérimentales, sur modèle animal, ainsi que l’étude de bio-banques de tissus humains révèlent que la réponse immunitaire au sein du tissu conjonctif diffère entre la parodontite et la péri-implantite, tant au niveau macroscopique que dans sa composition cellulaire et moléculaire (figure 2). Dans des modèles expérimentaux de péri-implantite induite par ligature chez le chien, l’existence d’un infiltrat inflammatoire étendu apicalement à l’épithélium de la poche, dans le tissu conjonctif gingival, et proche de l’os est observée. Cet infiltrat est constitué d’un grand nombre de neutrophiles et de plasmocytes. De plus, on peut noter la présence de biofilm et de zones nécrotiques adjacentes et apicales à l’épithélium de la poche. Enfin, on observe une perte osseuse marginale avec des défauts en forme de cratère autour de l’implant, associée à la présence d’ostéoclastes suggérant une destruction osseuse active [27, 33, 34] (figure 3).
Au niveau des infiltrats inflammatoires, l’analyse de tissus humains converge avec les résultats obtenus grâce aux modèles animaux. En effet, le nombre de cellules et la surface de tissu conjonctif occupé par des leucocytes sont significativement plus élevés dans la péri-implantite que dans la parodontite [33-37]. Parmi ces cellules, les polymorphonucléaires neutrophiles et les macrophages sont significativement plus nombreux [35-37], tandis que le nombre de lymphocytes B est augmenté et une plus faible quantité de lymphocytes T est observée dans les échantillons issus de péri-implantite [35, 38]. De même, dans le tissu de granulation des sites de péri-implantite, on observe une augmentation de l’expression de cytokines pro-inflammatoires telles que les interleukines IL-6, IL-8 et le facteur de nécrose tumorale (TNF)-α, par rapport au tissu gingival de sites de parodontite [39]. La comparaison immunohistochimique (mise en évidence des protéines au sein des tissus) a révélé que la coloration de l’IL-1α est plus marquée dans le tissu péri-implantite, tandis que celle du TNF-α est plus prononcée dans le tissu issu de parodontite [40]. Enfin, Ghighi et al. ont utilisé des échantillons prélevés après traitement initial lors de chirurgie d’assainissement et trouvé une différence significative de la production des cytokines anti-inflammatoires IL-10 et TIMP-2 dans les lésions de péri-implantite en comparaison du tissu conjonctif de parodontite et de tissu parodontal sain, ce qui pourrait correspondre à un mécanisme de défense contre l’infection. Cette augmentation significative n’a pas été trouvée dans les échantillons de parodontite et ceux de parodonte sain, ce qui suggère une meilleure réponse des poches parodontales au traitement initial en comparaison des poches péri-implantaires [41].
Concernant la réponse inflammatoire pro-ostéoclastique, le ratio RANKL/OPG a été étudié dans plusieurs travaux, mais les résultats de ces études ne sont pas concluants. Pour rappel, RANKL est le ligand du récepteur RANK porté par les pré-ostéoclastes. L’interaction RANK-RANKL active l’ostéoclastogenèse. L’ostéoprotégérine OPG inhibe la résorption osseuse en se fixant avec une forte affinité sur son ligand RANKL, empêchant ainsi le RANKL de se fixer sur son récepteur RANK. Les mesures réalisées dans ces études (dans le tissu conjonctif, dans le milieu conditionné et le fluide gingival) reflètent partiellement le ratio RANKL/OPG car seule la forme soluble de RANKL peut être détectée, mais pas la forme membranaire [15]. Cependant, les fluides gingivaux de sites en santé péri-implantaire présentent un ratio RANKL/OPG significativement plus élevé par rapport à ceux de sites en santé parodontale, reflétant l’existence d’une réponse inflammatoire pro-résorbante dans le tissu péri-implantaire [42].
Enfin, il est intéressant de noter que les fibroblastes isolés du tissu de granulation de péri-implantite présentent une production accrue de facteurs d’angiogenèse (VEGF) et de métalloprotéases matricielles (MMP-1), ainsi qu’une production réduite d’inhibiteurs de métalloprotéases (TIMP-1) et de facteurs de croissance (TGF-b1) qui stimulent la synthèse du collagène, par rapport aux fibroblastes du tissu de granulation de poches parodontales [43].
L’existence de prédispositions génétiques dans la pathogenèse de la péri-implantite a également été étudiée. Un grand nombre de polymorphismes génétiques ont été évalués. Initialement, la plupart des études portaient sur les polymorphismes des cytokines qui jouent un rôle essentiel dans la réponse immunitaire, comme IL-1α, IL-1β et leur protéine antagoniste IL-1ra, IL-2, IL-6, IL-10, IL-17, le TNF-α, les MMP (-1, -2, -8, -9), les facteurs de croissance (TGF-β, BMPs) et les modulateurs du métabolisme osseux (RANKL, OPG, RANK, la calcitonine et son récepteur CTR - la calcitonine est une hormone calciotrope qui inhibe la résorption osseuse par action directe sur les ostéoclastes), ou encore le CD14 (principal corécepteur des toll-like receptor TLR), ou le facteur de croissance des fibroblastes FGF [44]. Cependant, dans une revue de littérature, Moreaux et ses collaborateurs mentionnent que des biais méthodologiques importants limitent l’interprétation des données et ne permettent pas de conclure sur ce sujet. On notera en particulier, parmi ces biais, la faible taille des échantillons utilisés pour les études, la définition même de la péri-implantite qui peut être imprécise, ainsi que le manque général d’informations sur la pose de l’implant et sa mise en charge, la nature du système implantaire, le délai d’apparition des complications, les antécédents médicaux du patient, y compris de parodontite. Enfin, un groupe de contrôle n’est pas systématiquement inclus dans l’étude [45]. Enfin, une étude récente conclut que la corrélation entre le risque de péri-implantite et les polymorphismes génétiques étudiés ne peut être étayée par la littérature actuelle [46].
Au contact des tissus biologiques, le titane s’oxyde en surface, formant une couche protectrice contre la corrosion. L’exposition de cette couche aux frottements, aux produits chimiques, aux bactéries et à leurs sous-produits, ainsi que la présence d’un environnement acide peuvent la dégrader et entraîner la libération de particules métalliques de titane dans les tissus environnants. Cette couche se reforme par la suite et sera à nouveau exposée à des contraintes, amplifiant la libération de particules tout au long de la « vie » de l’implant [47]. Ces particules de titane, à l’échelle ionique, nanométrique et même micrométrique, pourraient avoir un impact sur la réponse inflammatoire et favoriser le développement des maladies péri-implantaires [48]. L’analyse microscopique d’échantillons de tissus péri-implantaires humains a révélé la présence de particules de titane dans près de 90 % des échantillons. La quantité de ces particules semble être plus importante dans le cas des lésions péri-implantaires, présentes dans l’infiltrat inflammatoire de la poche au cours de la péri-implantite, par rapport aux sites péri-implantaires sains [46]. De plus, des études in vitro ont montré que les nanoparticules de dioxyde de titane (TiO2) déclenchent une réponse inflammatoire, caractérisée par l’augmentation de facteurs pro-inflammatoires tels que le TNF-α, l’IL-1β, l’IL-6 et le RANKL, ce qui suggère que les particules de titane ont un impact négatif sur les tissus péri-implantaires en activant les cellules immunitaires, en particulier les macrophages qui les phagocyteraient. Cependant, le rôle exact des particules métalliques de titane n’est pas encore élucidé et il n’existe pas de preuves suffisantes de leur implication dans la pathogenèse de la péri-implantite [48].
L’excès de ciment de scellement qui favorise l’adhérence du biofilm et empêche son débridement par le manque d’accès à la région péri-implantaire sous-muqueuse [49] a été identifié comme un indicateur de risque des maladies péri-implantaires. La prévalence des maladies péri-implantaires associées à l’excès de ciment varierait avec des proportions de 33 à 100 % [50]. Dans une autre étude prospective, 81 % des cas de péri-implantite sur des prothèses sur implants sont associés à un excès de ciment [51]. Cependant, une revue systématique avec méta-analyse n’a pas montré de différences dans la perte osseuse marginale au niveau des restaurations scellées ou vissées [52]. De plus, tous les implants présentant des restes de ciment ne sont pas concernés par la péri-implantite. Quoi qu’il en soit, tout excès de ciment devra être éliminé pour prévenir une inflammation, ou permettre sa résolution et la cicatrisation des lésions péri-implantaires [46].
Selon le World Workshop on Classification of Peri-implant Diseases and Conditions 2017, les biofilms péri-implantaires sont considérés comme le principal facteur étiologique des maladies péri-implantaires. Même si certaines bactéries parodontopathogènes sont identifiées dans les maladies péri-implantaires, une flore péri-implantaire distincte composée de micro-organismes opportunistes et/ou d’espèces non cultivables participeraient à leur étiopathogénie. De plus, la péri-implantite se caractérise par un infiltrat inflammatoire plus sévère et étendu, avec des densités plus importantes de neutrophiles et de macrophages en comparaison de l’infiltrat inflammatoire de la poche parodontale. Les maladies péri-implantaires et parodontales sont donc des entités distinctes d’un point de vue microbiologique et histopathologique, mais les études manquent pour identifier des biomarqueurs ou des cibles thérapeutiques à ce jour.
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêts.