LA PÉRI-IMPLANTITE, UNE ERREUR ?
Parodontologie
Implantologie
Guillaume HELLER* Franck RENOUARD**
*Exercice exclusif en parodontologie et chirurgie implantaire, Montpellier.
**Exercice exclusif en chirurgie implantaire, Paris.
Dans un article de la prestigieuse revue Periodontology 2000, en 2023, Roccuzzo et al. présentent la péri-implantite comme une conséquence d’erreurs techniques commises en thérapeutique implantaire [1].
Les erreurs mises en évidence par les auteurs et décrites comme à l’origine de la péri-implantite sont les suivantes :
- une mauvaise sélection du patient ;
- une thérapeutique parodontale...
À chaque moment clé de la prise en charge implantaire – lors de la consultation, lors de la chirurgie et enfin dans le cadre du suivi –, des risques d’erreur sont présents. Cet article décrit ces risqueset propose des outils nouveaux de prévention à mettre en place. Ces outils, fonctionnent commede véritables barrières de sécurité et permettent de mieux se préparer au défi que représentele traitement des maladies péri-implantaires.
Dans un article de la prestigieuse revue Periodontology 2000, en 2023, Roccuzzo et al. présentent la péri-implantite comme une conséquence d’erreurs techniques commises en thérapeutique implantaire [1].
Les erreurs mises en évidence par les auteurs et décrites comme à l’origine de la péri-implantite sont les suivantes :
- une mauvaise sélection du patient ;
- une thérapeutique parodontale insuffisante ;
- un mauvais positionnement implantaire ;
- un défaut d’anticipation et de gestion du manque de tissus mous ;
- un défaut de suivi postopératoire ;
- une reconstruction prothétique incorrecte ;
- un manque de thérapeutique parodontale et implantaire de soutien ;
- un défaut dans le diagnostic et la gestion de la mucosite.
Ces erreurs sont liées à des déficiences techniques, de connaissances ou de matériel.
Les recherches en ergonomie et en facteurs humains ont montré que, dans la majorité des cas, ces erreurs médicales sont le résultat de l’action des praticiens, tant individuellement que collectivement [2].
Selon une définition proposée par Reason en 1990, une erreur est décrite comme « un écart involontaire entre l’action prévue et le résultat obtenu » [3]. Bien entendu, aucun praticien ne souhaiterait que le traitement par implants débouche sur une complication aussi complexe que la péri-implantite.
Cet article vise à explorer les origines des erreurs et présente des outils de prévention et de sécurisation pour trois étapes clés de la prise en charge implantaire susceptibles de mener à la péri-implantite.
Le contenu de cet article est unique et innovant par la façon dont la notion d’erreur est appréhendée.
Le système actuel, principalement punitif, se concentre uniquement sur les conséquences des erreurs et cherche à identifier et à punir les responsables. Cette approche limite la compréhension des processus sous-jacents et de l’enchaînement des événements successifs qui mènent aux erreurs, entravant la capacité à tirer des enseignements et à prévenir les récidives.
En redéfinissant l’erreur, on réduit la culpabilité individuelle en recherchant la cause racine à l’origine de cette dernière. Cette approche est bénéfique tant pour les patients que pour les professionnels de santé. Cette compréhension ne néglige pas l’identification des responsabilités. Il est clair que la faute, caractérisée par une violation délibérée des règles, n’est pas tolérée [4].
Ainsi, nous retenons cette définition : « Une erreur est une divergence entre le résultat obtenu et le résultat prévu d’une action » [5]. En médecine, et plus particulièrement en chirurgie, étudier les erreurs consiste à analyser chaque erreur, ses causes et ses conséquences.
Il est aussi important de rechercher la succession des évènements et de leur articulation à l’origine de l’erreur.
Il s’agit souvent en effet d’un enchaînement de failles dans un système qui laisse filtrer l’erreur comme le décrit le schéma de Reason (figure 1) [6].
Les industries à haut risque, telles que l’aviation civile, la pétrochimie et le nucléaire, ont intégré depuis longtemps les principes des facteurs organisationnels et humains (FOH), aussi appelés compétences non techniques.
Par exemple, la formation des pilotes chez Air France dépasse largement les compétences techniques pures qui sont résumées [4] par :
- les connaissances ;
- les procédures ;
- l’aptitude manuelle ;
- les automatismes.
Sont également enseignés :
- la communication ;
- le leadership et le travail d’équipe ;
- la résolution de problèmes et la prise de décisions ;
- la conscience de la situation ;
- la gestion de la charge de travail ;
- la connaissance de soi.
Malgré une reconnaissance insuffisante de ces nouvelles compétences dites non techniques dans les études médicales initiales, des disciplines comme l’anesthésie ont développé une culture de sécurité, rendant cette pratique très fiable. Ainsi, l’anesthésie générale d’un patient en bonne santé atteint un niveau de sûreté supérieur à celui du transport aérien charters.
La radiothérapie ou bien encore les transfusions sanguines ont une fréquence d’incident équivalente à celle de l’industrie nucléaire (figure 2) [7]. L’activité de chirurgien-dentiste est, elle aussi, une activité à risque, sur le plan technique en raison de la complexité des actes, mais aussi du fait des différentes contraintes administratives, relationnelles, ou de l’état de santé même du soignant. Cette profession est soumise au stress et au risque d’épuisement professionnel [8]. Ces problématiques sont de plus en plus intégrées dans les cursus initiaux de formation en chirurgie dentaire ou dans le cadre de diplômes universitaires. Ces nouvelles compétences, qui méritent une attention particulière, sont utilisées pour répondre aux défis exposés dans notre article.
Les chirurgiens aspirent à bien faire et possèdent de solides connaissances, mais cela ne suffit pas toujours pour prendre de bonnes décisions et éviter les erreurs. La résolution purement technique est insuffisante ; les facteurs organisationnels et humains offrent des nouvelles perspectives avec des outils originaux.
Le premier article qui introduit les recommandations de la prévention et du traitement de la péri-implantite de la Fédération européenne de parodontologie (EFP), publié en 2023, indique les différentes étapes de développement de la maladie, et ce continuum va servir de fil conducteur à notre article (figure 3) [9].
Il est évident que les maladies péri-implantaires ne se développent qu’autour des implants. La prévention primordiale vise donc à identifier les facteurs de risque susceptibles de favoriser le développement d’une péri-implantite chez un patient qui n’a pas encore d’implant.
Des facteurs de risque tels que le diabète non traité ou un suivi irrégulier associé à une parodontite non traitée sont des éléments à diagnostiquer et à gérer avant la mise en place d’un implant. Ces éléments techniques, bien que connus et identifiés, sont parfois négligés [9].
Pour identifier les menaces potentielles lors de la consultation et comprendre ses enjeux, il est nécessaire de connaître quelques aspects fondamentaux du fonctionnement de notre cerveau. Notre cerveau est programmé pour fonctionner en consommant le minimum d’énergie et pour obtenir une récompense de satisfaction rapide. Il s’agit de notre mode de fonctionnement le plus fréquent, appelé Système 1. Ce mode est économe en énergie, rapide et automatique. Cependant, le Système 1 est plus sujet aux erreurs. En revanche, lorsqu’il est nécessaire de prendre des décisions nouvelles, de résoudre des problèmes ou d’analyser une situation, notre cerveau active un système plus coûteux en énergie et plus lent, le Système 2. Or des failles inhérentes au cerveau limitent l’activation de ce Système 2. D’une part, parce que par nature le Système 1 intervient de façon automatique et continue, mais aussi du fait de l’existence de ce que l’on appelle les biais cognitifs [10]. Ces biais sont profondément ancrés en nous. Ils répondent au même objectif que le Système 1, c’est-à-dire de se simplifier la vie.
Voici quelques exemples de biais cognitifs qui peuvent nous conduire à prendre de mauvaises décisions, comme celle de recommander un implant alors que ce n’est pas nécessairement la meilleure option :
- le biais de conformité : « Si le correspondant dit qu’il faut un implant, il a forcément raison » ;
- le biais de disponibilité : « Depuis ce matin, tous les patients en consultation ouvrent grand la bouche, plus besoin de vérifier » ;
- le biais d’optimisme : « ça devrait passer, j’ai juste assez d’os » ;
- le biais de confirmation : « Je n’ai jamais d’échec, je m’appuie sur mes critères habituels et je rejette ceux qui viendraient les contredire ».
Les biais cognitifs nous encouragent ainsi à accepter la situation sans l’analyser, surtout lorsque le volume d’informations à collecter et à analyser est important. Un moyen de lutter contre les effets de ces biais est d’adopter un état de vigilance particulier, appelé la conscience de la situation.
Notre cerveau ne peut pas stocker toutes les informations, les mémoriser, les traiter et anticiper les différentes options thérapeutiques et les éventuelles difficultés.
Cette faculté, qui permet d’observer des données (niveau 1), de les analyser (niveau 2) et d’anticiper (niveau 3) s’appelle la conscience de la situation.
Lors de la consultation implantaire, pour atteindre une pleine conscience de la situation, il est nécessaire :
- de collecter de façon systématique des éléments critiques – Niveau 1 (par exemple, les antécédents, les traitements, les allergies, l’ouverture buccale, l’état parodontal, etc.) ;
- d’en analyser la portée – Niveau 2 (par exemple, l’allergie aux pénicillines représente une menace pour la prescription préopératoire, mais aussi pour la physiologie osseuse) ;
- d’en déduire les actions à mener – Niveau 3 (par exemple pour l’allergie : prescription ad hoc et adaptation pour les temps de cicatrisation).
Dans la grande majorité des cas, c’est le niveau 1, celui de la perception et de la collection des informations, qui est défaillant [11]. On a vu que les biais cognitifs peuvent perturber ce niveau de perception, d’autant plus que la quantité de données à relever et à analyser est importante.
Pour maîtriser cette forte concentration d’informations et la quantité de données à mettre en relation, nous pouvons utiliser des outils d’aide au diagnostic et d’aide à la prise de décision. Les logiciels de gestion de cabinet offrent généralement des outils d’enregistrement des données cliniques. Ces outils correspondent au dossier du patient qui, en plus d’avoir un intérêt médico-légal indéniable, est la source de toutes les informations. Il est essentiel de l’alimenter avec toutes les données possibles [12].
Des logiciels d’aide à la prise de décision, des aides cognitives, permettent de classer le degré de difficulté de l’acte envisagé en analysant des données essentielles. Ces outils vérifient que toutes les données importantes ont été relevées, les analysent et attribuent un degré de difficulté. C’est le cas par exemple de la classification SAC de l’ITI [13]. Ainsi, le praticien peut agir ou orienter le patient en toute connaissance de cause, en fonction de ses compétences.
La consultation pré-implantaire et la prise de décision opératoire sont exigeantes et nécessitent de gérer une grande quantité de données. Par nature, nous sommes influencés par notre cerveau, qui est luimême perturbé par des biais cognitifs susceptibles de nous faire prendre de mauvaises décisions. Les aides cognitives et la connaissance de l’existence de ces biais sont des outils de sécurisation.
Il arrive que l’acte chirurgical lui-même soit à l’origine du développement de la maladie péri-implantaire, en particulier lorsque la position des implants ne correspond pas à ce qui avait été prévu ou lorsque les marges de sécurité sont trop étroites [1, 14].
La gestion du patient sous anesthésie locale, la prise en compte de l’asepsie orale, la configuration des cabinets dentaires qui ne sont pas des blocs opératoires et la pression temporelle liée à l’activité sont autant d’éléments qui placent la chirurgie implantaire dans un contexte de risque particulier. Cet environnement de travail spécifique doit inciter à réfléchir à une organisation permettant de réduire les risques opératoires, notamment ceux liés au stress durant l’opération (tableau 1) [15].
L’industrie du transport aérien est reconnue pour son niveau élevé de sécurité, décrit comme un niveau d’ultra-sûr. Plusieurs pratiques de cette industrie peuvent être transposées dans le domaine des soins, notamment le Crew Resource Management (CRM). Le CRM implique que, pour chaque vol, quel que soit le degré d’ancienneté ou d’expertise des pilotes et de leur équipe, des protocoles d’équipe systématiques soient exécutés. Deux de ces protocoles semblent particulièrement adaptés aux défis de la sécurité des soins chirurgicaux : le briefing et le concept de cockpit stérile.
• Le briefing
La HAS définit le briefing comme « une séance de partage d’informations courte avant l’action permettant l’anticipation des situations à risques. Au cours du briefing, les questions liées aux personnels, aux équipements, aux flux des patients, à l’ambiance et aux situations à risque potentielles ou avérées liées aux patients sont partagées entre les membres d’une même équipe ».
Cette discussion repose sur une méthodologie disponible sur le site de la HAS et permet d’aborder les points importants d’une journée ou d’une intervention, facilitant ainsi l’anticipation [16].
• Le cockpit stérile
Le concept de cockpit stérile, un outil de CRM facilement applicable à la chirurgie implantaire, permet de se prémunir contre les interruptions de tâches qui peuvent avoir des conséquences néfastes, allant de la perte de concentration dans la séquence de soins jusqu’à la surprise faisant faire un mauvais geste au chirurgien. Lors des phases critiques de vol (décollage et atterrissage), les pilotes dans le cockpit sont exclusivement focalisés sur leurs tâches. Ils ne communiquent entre eux qu’à propos de ces actions et le reste de l’équipage ne peut pas communiquer avec eux. Pour appliquer ce concept en chirurgie implantaire, il est nécessaire de définir avec l’équipe les moments et les lieux où ce cockpit stérile doit être mis en place. Il sera alors demandé aux membres de l’équipe non impliqués directement dans la chirurgie de ne pas interrompre, et à ceux qui participent à l’intervention d’utiliser une communication sécurisée. Les échanges verbaux doivent se limiter aux aspects de l’intervention elle-même et être formulés de manière précise et concise. Par exemple, lors d’une modification du réglage du moteur d’implantologie, l’échange pourrait se dérouler comme suit :
- Chirurgien : Moteur en mode insertion à 50 N.
- Aide opératoire : Moteur en mode insertion à 50 N.
- Chirurgien : c’est correct.
Une autre menace planant sur une intervention chirurgicale est la survenue d’un évènement non prévu, par exemple une panne de matériel, l’absence d’un matériau, un saignement inopiné, etc.
Ces événements, qu’ils soient mineurs ou plus sérieux, génèrent un stress important chez le chirurgien et son équipe. Ce stress, une réaction physiologique normale du corps humain, déclenche à son tour des réactions en chaîne, régies par des hormones telles que l’adrénaline et le cortisol, qui visent à protéger l’individu en le poussant à agir : soit en attaquant, soit en fuyant. Cette réaction met en veille les fonctions non essentielles au profit des muscles rouges, tandis que le cerveau passe en mode survie, mobilisant ses capacités les plus primaires. Dans ce contexte, l’accès au cerveau adaptatif, celui du Système 2, devient plus difficile. C’est dans ce type de situation que l’opérateur, souhaitant terminer rapidement, peut négliger des éléments critiques tels que des marges de sécurité insuffisantes ou des obstacles anatomiques, perturbant ainsi le positionnement des implants ou omettant certaines étapes de la procédure. L’un des outils permettant d’anticiper et de gérer la survenue d’événements indésirables est la checklist de sécurité. Bien que les checklists soient obligatoires dans les blocs opératoires depuis 2011, elles peinent encore à s’intégrer dans les structures de soins ambulatoires pratiquant des anesthésies locales, et encore moins dans les cabinets dentaires [17].
Des exemples de checklists spécifiques à la chirurgie implantaire, comme celle proposée récemment par l’équipe de Mayence, illustrent l’importance de vérifier systématiquement certains éléments à différents stades de la prise en charge [18] (figure 4).
Ces checklists doivent être adaptées aux utilisateurs afin de devenir un moyen efficace de développer une culture de la sécurité. En cas de stress excessif, des techniques simples de gestion du stress, telles que la respiration abdominale ou la cohérence cardiaque, peuvent aider à atténuer les effets néfastes du stress sur la concentration [19].
L’acte chirurgical implantaire nécessite une concentration optimale et un environnement de travail spécialement adapté, où le stress est réduit au maximum et les aléas anticipés. Les stratégies de Crew Resource Management, les briefings de début de vacation ou pour des interventions spécifiques, ainsi que les checklists de sécurité et le concept de cockpit stérile sont autant d’outils qui contribuent à sécuriser la pratique chirurgicale.
Il est difficile de se détacher des émotions et des sentiments personnels dans la pratique médicale. Lors du dépistage d’une pathologie péri-implantaire, la prise en charge peut varier considérablement selon le chirurgien qui a posé l’implant ou les relations entretenues avec le patient [20, 21]. Il est donc crucial de mettre en place des stratégies permettant d’objectiver le diagnostic pour minimiser l’influence des émotions sur les décisions cliniques. Des mesures simples peuvent être adoptées pour y parvenir :
- informer le patient qu’un temps d’analyse est nécessaire pour évaluer correctement la situation ;
- encourager le praticien à demander de l’aide et à orienter le patient si nécessaire ;
- utiliser systématiquement une checklist pour le suivi de la santé implantaire.
Par ailleurs, des critères cliniques sont en cours d’élaboration pour déterminer quand il est possible de traiter un implant affecté et quand il est malheureusement nécessaire de le retirer, comme le détaillent les articles de ce numéro.
Mettre en place un diagnostic systématique de la santé péri-implantaire grâce à une checklist clinique, quel que soit le patient, et communiquer ouvertement avec celui-ci permet de dépister de manière sereine les maladies péri-implantaires.
Les compétences non techniques enrichissent significativement l’utilisation des connaissances fondamentales et techniques présentées dans ce numéro. À chaque étape clé du développement des maladies péri-implantaires, nous avons souligné les risques associés et présenté des outils à mettre en place pour les gérer efficacement [22].
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêts. Référencement ibliographique