LES GINGIVITES ET LES PARODONTITES NÉCROSANTES, DES MALADIES SÉVÈRES TOUJOURS D’ACTUALITÉ
Dossier
Cibèle NAGANO* Bouchra SOJOD** William NDJIDDA BAKARI*** Salim BOUZEGZA**** Fani ANAGNOSTOU*****
*CCU-AH, UFR d’Odontologie, Université Paris Cité. Parodontologie, Service Médecine Bucco-dentaire, Hôpital Pitié-Salpêtrière, APHP. Exercice privée exclusif en parodontologie à Paris.
**Attachée en Parodontologie, service Médecine bucco-dentaire, Hôpital Pitié-Salpêtrière, AP-HP. Exercice privée exclusif en Parodontologie-Implantologie à Saint-Maur-des-Fossés.
***Ancien CCU-AH, service de Parodontologie, Université Cheikh Anta Diop de Dakar. Attaché en consultation de Parodontologie, service de Médecine bucco-dentaire, Hôpital Pitié-Salpêtrière, AP-HP.
****Attaché en Parodontologie, service de Médecine bucco-dentaire, Hôpital Pitié-Salpêtrière, AP-HP. Exercice privée en Parodontologie-Implantologie à Paris.
*****PU-PH Parodontologie, UFR d’Odontologie, Université Paris Cité. Parodontologie, service de Médecine bucco-dentaire, Hôpital Pitié-Salpêtrière, AP-HP. UMR CNRS 7052 INSERM U1271.
Les maladies parodontales nécrosantes (MPN) sont les plus graves affections associées aux bactéries du biofilm oral car elles peuvent entraîner une destruction tissulaire rapide. Caractérisées par une nécrose de la gencive, des douleurs vives, des saignements et souvent une altération de l’état général, les MPN font partie des urgences parodontales. Le diagnostic précoce et le traitement rapide préviennent la progression de la maladie et la destruction parodontale.
Les maladies parodontales nécrosantes (MPN) sont des affections parodontales inflammatoires graves. Elles sont distinctes des autres maladies parodontales. Non transmissibles, elles sont des infections aiguës, causées par un microbiome de la plaque dentaire dysbiotique et touchent souvent les patients avec un système immunitaire affaibli.
Les MPN sont reconnues depuis des siècles et décrites sous différentes appellations : angine, stomatite ou gingivo-stomatite de Vincent, bouche des tranchées (terme apparu lors de la Première Guerre mondiale), gingivite et parodontite ulcéro-nécrotique. Désormais, les termes utilisés sont la gingivite et la parodontite nécrosante, le terme « nécrosante » impliquant forcément une ulcération [1].
Les MPN incluent la gingivite nécrosante (GN), la parodontite nécrosante (PN) et la stomatite nécrosante [1, 2]. Le signe pathognomonique est la nécrose de la gencive. Les formes cliniques correspondent à des stades d’évolution de la même pathologie. Quand les lésions sont uniquement gingivales, on pose le diagnostic de GN (figure 1) et, quand la perte d’attache est établie, le diagnostic de PN (figure 2). Quand les lésions s’étendent au-delà de 1 cm à partir du bord gingival et au-delà de la jonction muco-gingivale, c’est la stomatite nécrosante. Les MPN sont des maladies peu fréquentes et touchent principalement les jeunes. En Europe, la prévalence de la GN ne dépasse pas 1 % de la population générale. La PN est moins fréquente que la GN, elle a été signalée le plus souvent chez les patients positifs au virus de l’immunodéficience humaine (VIH+) [3]. La forme la plus grave des MPN est le noma (figure 3). Il se caractérise par une destruction rapide des tissus mous et durs du visage et peut être mortel [4]. Il touche les enfants malnutris des pays à revenu faible ou intermédiaire.
Les MPN sont des infections opportunistes polymicrobiennes. Plaut en 1894 et Vincent en 1896 ont été les premiers à identifier le complexe bactérien composé de fusobactéries et de spirochètes comme facteur étiologique majeur de la GN. Le microbiote de la GN contient principalement Fusobacterium sp., Prevotella intermedia, Selenomonas sp., Treponema sp. [5, 6] et diffère du microbiote de la gingivite chronique [7]. Ces bactéries possèdent une vaste gamme de facteurs de virulence (collagénases, endotoxines…) impliqués dans l’effondrement de la barrière épithéliale et la destruction tissulaire (gencive, ligament, os). Néanmoins, on ne sait pas s’il s’agit de bactéries causales ou d’une prolifération secondaire à des modifications locales faisant suite à une immunosuppression. Le microbiote de la PN est plus dense et complexe avec une prédominance de Treponemas sp. Il ne varie pas significativement chez les patients VIH+, à l’exception de la présence de Candida albicans, de virus de l’herpès ou des bactéries entériques [2, 3]. Le microbiote associé aux MPN est très complexe et reste à l’heure actuelle mal caractérisé.
Bien que les MPN soient des affections infectieuses, elles touchent généralement les personnes dont le système immunitaire est affaibli soit par des maladies systémiques (VIH et infections virales, maladies hématologiques, malnutrition), soit par des altérations temporaires de l’état général (tabagisme, stress psychosocial) (tableau 1) [2]. Les GN et PN sont fréquemment retrouvées chez des patients ayant le VIH. La leucémie et la neutropénie figurent aussi parmi les facteurs prédisposants des MPN. De ce fait, les MPN pourraient même être un signal précoce d’une de ces graves affections. Les MPN sont également associées à la malnutrition. Le déficit nutritionnel en protéines et antioxydants entraîne une altération de la réponse de la phase aiguë à l’infection et une baisse de l’immunité. Dans les pays à revenu faible, les MPN affectent principalement les jeunes enfants malnutris et, dans les pays à revenu élevé, elles touchent des populations qui affichent de mauvaises habitudes alimentaires. Les facteurs prédisposants sont aussi le tabagisme, un stress psychologique inhabituel (examen, service militaire, troubles émotionnels) et de mauvaises habitudes de sommeil (tableau 1). Tous ces facteurs sont susceptibles d’altérer l’état général du patient et de compromettre la réponse immunitaire.
Une mauvaise hygiène bucco-dentaire, une gingivite préexistante sont également considérées comme des éléments importants dans la pathogenèse [8]. Les patients ayant des antécédents de GN sont considérés comme présentant un risque accru de développer une PN s’ils n’améliorent pas leur hygiène bucco-dentaire ou que l’architecture gingivale rend celle-ci difficile.
La GN se distingue par l’apparition soudaine de trois signes cliniques cardinaux et pathognomoniques :
- ulcération et nécrose des papilles interdentaires et de la gencive marginale, créant un aspect distinctif avec des papilles décapitées (figures 1, 4a et 4b) ;
- gingivorragies spontanées ou déclenchées par un contact minimal ;
- douleur spontanée, constante, d’une intensité variable selon l’étendue et la gravité des lésions.
Ce tableau clinique est complété par une halitose, une hypersalivation, une dysphagie et/ou un goût métallique en bouche et, occasionnellement, des adénopathies et/ou des épisodes fébriles d’intensité modérée.
La PN partage les caractéristiques cliniques de la GN mais se distingue par une extension de la nécrose vers les tissus de soutien (figure 2). Le processus nécrotique affecte le ligament parodontal et l’os alvéolaire, entraînant une perte d’attache et une alvéolyse. La nécrose gingivale évolue de manière fulgurante, induisant la formation de cratères gingivaux interdentaires. Dans les cas graves, surtout chez les individus immunodéprimés, la progression rapide peut occasionner une nécrose étendue de la gencive et de l’os alvéolaire.
Le diagnostic différentiel des MPN inclut la gingivo-stomatite herpétique primaire, les ulcérations d’origine purement tabagique ou traumatiques [9], les atteintes gingivales bulleuses, les maladies hématologiques (neutropénie cyclique, leucémie) ou encore les gingivites liées à des carences alimentaires, notamment la carence en acide ascorbique [10] (tableau 2).
Le diagnostic des MPN repose essentiellement sur une évaluation clinique rigoureuse, ciblant les signes cliniques et les symptômes rapportés par le patient, complétée par un examen radiologique. L’anamnèse doit préciser la présence de facteurs prédisposants (tableau 1) et le statut immunitaire du patient. Une formule sanguine ainsi qu’une sérologie sont à prescrire (encadré 1). Les prélèvements bactériens, les biopsies gingivales ainsi que d’autres examens biologiques complémentaires sont indiqués dans certains cas de symptomatologie rebelle au traitement et pour établir le diagnostic différentiel dans certaines situations cliniques [9]. Néanmoins, les MPN peuvent également survenir chez des individus dépourvus de tout facteur de risque évident. En effet, l’absence de facteurs prédisposants ne doit pas exclure la possibilité d’un diagnostic de MPN.
Les MPN font partie des urgences en parodontologie. La prise en charge doit s’adapter aux situations cliniques tant sur le plan parodontal que médical [6] et doit être abordée par étapes [8] : traitement de la phase aiguë, contrôle des facteurs prédisposants et des affections préexistantes, gestion des séquelles de la maladie et passage à la thérapeutique de soutien.
Le traitement d’urgence dépend du niveau de tolérance du patient et de son état général. Celui-ci consiste à éliminer la pseudomembrane à l’aide de boulettes de coton trempées dans la chlorhexidine 0,2 % ou dans de l’eau oxygénée à 3 %. Si l’anesthésie est possible, un débridement mécanique délicat à l’aide d’inserts ultrasoniques peut être réalisé.
Afin de réduire la charge bactérienne, des bains de bouche à base de chlorhexidine 0,12 % (solution sans alcool) ou d’eau oxygénée à 3 % sont utilisés (encadré 2). Pour enrayer l’infection, l’antibiothérapie est indiquée, en particulier en cas d’altération de l’état général (asthénie, fièvre, adénopathie…), lorsque la douleur est importante et/ou lorsque le patient est immunodéprimé. Le métronidazole est l’antibiotique de choix en raison des bactéries anaérobies impliquées dans la maladie. L’amoxicilline reste une option lorsque le métronidazole est contre-indiqué [11]. Pour soulager la douleur, du paracétamol ou de l’ibuprofène sont prescrits. Un bilan sanguin complet et une sérologie sont également prescrits (encadré 1). Le patient sera revu dans les 2 à 5 jours qui suivent la prise en charge de la phase aiguë pour évaluer l’efficacité du traitement initial et poursuivre le débridement ultrasonique (figure 4). La douleur aiguë ayant disparu, un renforcement supplémentaire de l’hygiène buccale est indiqué et adapté à ce que le patient peut tolérer (brossage doux et aides interdentaires).
Après traitement de la phase aiguë et devant la persistance à 48 heures sous antibiothérapie des signes inflammatoires (douleur, saignement, suppuration, adénopathies, tuméfaction oro-faciale…) avec un retentissement sur l’état général du patient (asthénie, fièvre, difficulté à s’alimenter…), il est nécessaire d’adresser le patient en milieu hospitalier. La présence de facteurs prédisposants non contrôlés comme une malnutrition sévère, une immunodépression d’origine virale ou une anomalie dans le bilan biologique doit d’emblée faire adresser le patient en milieu hospitalier.
Les patients atteints de MPN peuvent souffrir d’autres maladies (VIH, leucémie ou neutropénie…), ce qui nécessite bien évidemment un avis médical. Le tabagisme, le stress et la malnutrition doivent être gérés. D’autres conseils peuvent inclure la prise de suppléments alimentaires, une hydratation suffisante et l’amélioration du sommeil [9]. Enfin, prendre soin du patient atteint dans son ensemble est essentiel pour stopper l’aggravation et prévenir la récidive de la maladie.
Après la gestion de la phase aiguë, une évaluation parodontale complète s’impose. En cas de présence de poches et de lésions parodontales, les soins parodontaux sont poursuivis. Dans certains cas de GN nous pouvons remarquer une cicatrisation spontanée des papilles (figure 4).
Les MPN (gingivite, parodontite et stomatites nécrosantes) sont des affections graves caractérisées par une destruction rapide des tissus parodontaux, touchant principalement les jeunes et les immunodéprimés. Leur diagnostic repose sur une évaluation clinique approfondie. Les MPN constituent des urgences en parodontologie qu’il faut savoir reconnaître et traiter. La recherche de facteurs prédisposants doit être systématique pour une prise en charge globale afin de cesser l’évolution et prévenir les récidives.
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêts.