HYPERPLASIE DES PROCESSUS CORONOÏDES DE LA MANDIBULE, UNE PATHOLOGIE RARE À GARDER EN TÊTE
Pathologie
Hippolyte ERNOULT* Romain NICOT** Thomas COLARD*** François GRAUX**** Mathilde SAVIGNAT*****
*Omnipraticien, Faculté de Chirurgie dentaire, Université de Lille.
**MCU-PH, Faculté de Médecine, Université de Lille. INSERM U1008, Département de Chirurgie maxillofaciale et Stomatologie, CHU de Lille.
***PU-PH, Département des Sciences anatomiques, Faculté de Chirurgie dentaire, Université de Lille. UF Imagerie orale, Service d’Odontologie, CHU de Lille. UMR5199 PACEA, Université de Bordeaux.
****MCU-PH, Département de Prothèses, Faculté de Chirurgie dentaire, Université de Lille. UF Occlusodontie, Service d’Odontologie, CHU de Lille.
*****MCU-PH, Département des Sciences anatomiques, Faculté de Chirurgie dentaire, Université de Lille. UF Occlusodontie, Service d’Odontologie, CHU de Lille.
Le processus coronoïde, ou apophyse coronoïde, est une saillie osseuse antérieure du bord supérieur du ramus de la mandibule, qui reçoit principalement l’insertion du muscle temporal. Dans le cadre d’une hyperplasie des processus coronoïdes, leur taille augmente, ce qui entraîne progressivement un conflit physique entre le processus coronoïde et l’os zygomatique, provoquant une limitation d’ouverture buccale [1] (
L’hyperplasie des processus coronoïdes, également appelée maladie de Langenbeck, correspond à une augmentation anormale de la taille des processus coronoïdes de la mandibule, associée à une structure histologique normale. Cette pathologie conduit progressivement à une limitation d’ouverture buccale, puis à un blocage permanent de celle-ci. Bien que cette pathologie soit rare, le chirurgien-dentiste peut y être confronté, étant l’un des premiers acteurs dans le parcours de soins de ces patients. Il convient d’en connaître le tableau clinique pour pouvoir l’évoquer chez les patients concernés.
Le processus coronoïde, ou apophyse coronoïde, est une saillie osseuse antérieure du bord supérieur du ramus de la mandibule, qui reçoit principalement l’insertion du muscle temporal. Dans le cadre d’une hyperplasie des processus coronoïdes, leur taille augmente, ce qui entraîne progressivement un conflit physique entre le processus coronoïde et l’os zygomatique, provoquant une limitation d’ouverture buccale [1] (figure 1).
L’hyperplasie des processus coronoïdes est une maladie rare, probablement sous-diagnostiquée, qui pourrait représenter potentiellement 5 % des cas de limitation d’ouverture buccale [2]. La pathologie est majoritairement retrouvée chez les hommes, sous des formes bilatérales, et apparaîtrait le plus souvent à l’adolescence. La littérature rapporte une durée conséquente entre l’apparition des symptômes et le diagnostic, d’environ 6 ans et demi [3, 4].
La limitation d’ouverture buccale constitue le principal, si ce n’est l’unique symptôme rapporté par le patient. Elle est presque systématiquement non douloureuse, d’apparition lente et évolue progressivement.
D’autres symptômes plus rares peuvent être retrouvés, comme des douleurs/bruits dans la région zygomatique au maximum d’ouverture ou dans la région articulaire [1, 3].
Les plaintes associées peuvent concerner, entre autres, des difficultés pour s’alimenter et maintenir une hygiène bucco-dentaire efficace.
On retrouve à l’examen clinique une limitation d’ouverture buccale plus ou moins prononcée selon les patients. La propulsion ainsi que les diductions de la mandibule peuvent également être de faible amplitude, voire inexistantes [5]. Les soins du chirurgien-dentiste sur les dents postérieures peuvent s’avérer compliqués. Une tentative par le praticien de préhension de la mandibule pour forcer l’ouverture ne donnera aucun résultat. En cas de pathologie unilatérale, on peut également retrouver une asymétrie faciale ainsi qu’une déviation du côté atteint à l’ouverture [1, 3].
Devant des symptômes évocateurs, il est possible de réaliser en première intention une radiographie panoramique pour orienter le diagnostic et éliminer d’autres causes possibles. Ce cliché permet d’objectiver les processus coronoïdes et d’évaluer leur taille (figure 2).
Pour cela, on peut utiliser la méthode de Levandoski [1]. Pour cette analyse radiologique (sur l’orthopantomographie), on utilise la droite verticale médiane passant par le septum nasal, ainsi que 3 points : le gonion Go (point inférieur de l’angle de la mandibule), le point condylien Cd (placé au sommet du condyle) et le point coronoïdien Kr (placé au sommet du processus coronoïde). Les trois points sont projetés perpendiculairement sur la droite médiane pour donner Go’, Cd’ et Kr’. Il faut ensuite calculer le ratio entre les distances Kr’ - Go’ et Cd’ - Go’ (figure 3). Lorsque ce ratio est supérieur à 1,1, il existe une forte probabilité d’hyperplasie des processus coronoïdes [6]. Cette analyse aurait cependant tendance à sous-estimer ce ratio par rapport à une mesure semblable effectuée sur un examen tomodensitométrique [7].
L’examen de choix reste la tomodensitométrie du massif facial par CBCT ou CT-scan classique. La taille, le volume, la forme et la configuration des processus coronoïdes peuvent alors être précisément évalués, permettant d’établir le diagnostic d’hyperplasie, de mettre en évidence le conflit de rapport corono-zygomatique et de planifier un geste opératoire (figure 4). L’imagerie 3D permet, le cas échéant, d’éliminer les diagnostics différentiels.
Les pathologies de l’articulation temporo-mandibulaire représentent le principal diagnostic différentiel, de par leur fréquence et la proximité de leur tableau clinique. Lorsqu’un praticien va suspecter à tort une pathologie articulaire, les traitements alors mis en place n’amélioreront en aucun cas la limitation d’ouverture du patient [1, 4, 5].
D’autres pathologies peuvent provoquer une élongation des processus coronoïdes comme les ostéochondromes ou les ostéomes [8]. Les signes cliniques sont alors relativement similaires à ceux de l’hyperplasie mais leurs signes radiologiques et leurs structures histologiques sont différents. Il s’agit de pathologies tumorales bénignes, majoritairement unilatérales, et présentant le plus souvent une forme caractéristique de « champignon » (mushroom-like) à l’imagerie.
On retrouve également la maladie de Jacob (figure 5), correspondant à la formation d’une néo-articulation entre le processus et l’arcade zygomatique [8]. Celle-ci peut résulter de l’évolution d’une hyperplasie mais aussi d’un ostéochondrome/ostéome du processus coronoïde.
La prise en charge de ces pathologies est globalement la même que pour l’hyperplasie des processus coronoïdes [1].
Une limitation d’ouverture buccale progressive peut également résulter de nombreuses autres pathologies [1], parmi lesquelles on retrouve :
- les séquelles de fractures mandibulaires/zygomatiques ;
- les séquelles de radiothérapie ;
- des ankyloses temporo-mandibulaires ;
- des pathologies neuromusculaires ;
- des pathologies infectieuses ;
- des tumeurs de l’appareil manducateur.
L’origine de l’hyperplasie des processus coronoïdes reste encore mal connue. Une étiologie régionale est fréquemment évoquée, liée à une hyperactivité du muscle temporal qui stimulerait la formation osseuse au niveau de son insertion sur le processus coronoïde [1]. L’hyperplasie pourrait également être la conséquence d’une pathologie sévère de l’articulation temporo-mandibulaire [9], voire la séquelle d’un trauma du massif facial [6].
D’autres hypothèses soulignent la possibilité d’une origine hormonale ou génétique/héréditaire comme l’évoque un cas d’atteinte simultanée de sœurs jumelles [10]. L’étude de la littérature montre également des cas d’hyperplasie des processus coronoïdes associés à de multiples syndromes/pathologies comme le trismus pseudo-camptodactylie (syndrome de Hecht) [11], la naevomatose basocellulaire [12] ou encore des mucopolysaccharidoses [13].
Le traitement de l’hyperplasie des processus coronoïdes consiste en la résection chirurgicale du ou des processus coronoïdes hyperplasiques, permettant ainsi d’éliminer le blocage physique existant entre le processus coronoïde de la mandibule et l’os zygomatique.
La coronoïdectomie est la technique la plus courante [1, 4]. Elle consiste à réséquer le processus coronoïde de la mandibule (figures 6 et 7). Elle est réalisée classiquement via un abord endobuccal. Sous anesthésie générale, l’opérateur réalise une incision vestibulaire puis une réclinaison des différents tissus pour accéder au processus coronoïde. Après identification de l’incisure mandibulaire, le processus est alors sectionné puis extrait de la cavité buccale après avoir détaché les fibres du muscle temporal qui y sont attachées [1]. Le temporal reste attaché sur la mandibule par ses fibres les plus basses. L’intervention s’accompagne d’une prise de mesure de l’ouverture buccale maximale, pré et postopératoire. Une analyse histologique est effectuée sur le processus coronoïde retiré, principalement pour éliminer un diagnostic différentiel. Dans certaines circonstances relativement rares, un abord exobuccal peut être nécessaire.
La coronoïdotomie est une alternative chirurgicale peu utilisée qui consiste à laisser en place le processus coronoïde sectionné. Celui-ci adoptera alors un nouveau positionnement permettant à la mandibule de réaliser son mouvement d’ouverture [3] (figure 8).
Suite à l’intervention chirurgicale, une rééducation oro-maxillo-faciale doit être mise en place. En effet, le succès du traitement repose en grande partie sur la remise en mouvement précoce et rigoureuse de la mandibule, empêchant la formation d’une fibrose postopératoire [1, 4]. Des exercices de kinésithérapie maxillo-faciale sont alors effectués, auxquels on peut associer l’utilisation d’instruments ou d’appareils de mécanothérapie spécialisés, comme par exemple le TheraBite. Ces exercices de kinésithérapie doivent être mis en place précocement et être effectués de manière régulière ; la coopération et la motivation du patient sont indispensables.
Si certaines mesures sont parfois prises en compte dans la littérature (la Haute Autorité de santé considérant par exemple qu’un trismus correspond à une ouverture buccale inférieure à 35 mm), elles ne sont pas suffisantes pour évaluer la réussite du traitement. Le ressenti subjectif du patient semble alors représenter un indicateur plus important et l’ouverture buccale sera jugée favorablement si le patient en est satisfait au quotidien, sur le long terme.
Il arrive qu’un processus coronoïde se reforme suite à son ablation. Celui-ci peut se positionner favorablement en fonction des mouvements mandibulaires et ne créer aucun problème, mais la récidive est également possible [14]. Dans le cadre d’une coronoïdotomie, le processus peut se resolidariser au ramus mandibulaire, sans pour autant créer de récidive si sa nouvelle position (en général plus postérieure) est favorable au mouvement d’ouverture.
Le chirurgien-dentiste représente souvent l’un des premiers professionnels de santé dans le parcours de soins des patients atteints d’une hyperplasie des processus coronoïdes, ceux-ci venant consulter pour une limitation d’ouverture buccale. Son rôle est essentiel afin de dépister cette pathologie rare. La radiographie panoramique doit être observée attentivement dans son intégralité et particulièrement dans la région des processus coronoïdes. Il peut ainsi adresser le patient directement à un professionnel ou à un service hospitalier spécialisé et lui éviter une errance diagnostique largement rapportée dans la littérature [2, 4].
La plupart des patients atteints d’hyperplasie des processus coronoïdes présentent :
- une limitation d’ouverture buccale ;
- non douloureuse ;
- évoluant progressivement ;
- sans historique médical particulier.
Ce tableau clinique assez caractéristique doit alerter le chirurgien-dentiste et l’amener à suspecter une hyperplasie des processus coronoïdes. Si, pour diverses raisons (particulièrement si le patient présente une symptomatologie articulaire associée à la limitation d’ouverture), un traitement articulaire/musculaire de type gouttière/kinésithérapie est mis en place en premier lieu et qu’aucune amélioration n’est observée au niveau de l’ouverture buccale, il convient de réévaluer la situation et de suspecter une hyperplasie des processus coronoïdes.
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêts