Clinic n° 05 du 01/05/2024

 

Dossier

Benjamin SALMON*   André COSTE**  


*PU-PH, Service de Médecine bucco-dentaire, Unité de Chirurgie orale, Hôpital Bretonneau, AP-HP Nord, Université Paris Cité.
**PU-PH, Service d’ORL, Hôpital Intercommunal de Créteil, Université Paris-Est Créteil.

Les sinus maxillaires et les fosses nasales étant en contiguïté anatomique avec l’arcade supérieure, le chirurgien-dentiste est très régulièrement confronté aux pathologies rhino-sinusiennes, et ce aussi bien de manière fortuite que face à un tableau symptomatique. Qu’elles soient de nature infectieuse, inflammatoire ou tumorale, ces pathologies se traduisent par une radio-opacité des cavités aériennes : une analyse fine des imageries ainsi que le recueil des symptômes et des signes cliniques sont essentiels pour orienter le diagnostic. L’étiologie dentaire étant une cause fréquente de sinusite maxillaire, la coordination entre ORL et chirurgien-dentiste permet d’améliorer significativement la prise en charge des patients.

SÉMIOLOGIE RADIOLOGIQUE DES PATHOLOGIES RHINO-SINUSIENNES

L’exploration des sinus relève de la tomodensitométrie (TDM) ou du cone beam (CBCT), la radiographie panoramique et l’incidence de Blondeau étant insuffisantes dans le cadre d’une pathologie rhino-sinusienne chronique. L’IRM viendra compléter le bilan lorsqu’une différenciation tissulaire est nécessaire, en particulier pour discriminer un contenu liquidien d’une prolifération tumorale.

Aspects physio-pathologiques des muqueuses sinusiennes

Contrairement aux sinus frontaux et sphénoïdaux dont les muqueuses sont invisibles à l’état physiologique, un épaississement modéré de la membrane des sinus maxillaires est constaté chez la moitié des patients sans vraie signification clinique [1]. En outre, la muqueuse des cornets nasaux (inférieurs avant tout) est successivement épaissie à gauche puis à droite, cette alternance congestion/rétraction entre les deux côtés sur une fréquence de 4 à 6 heures étant connue sous le terme de cycle nasal. Une altération du drainage muco-ciliaire tout comme une obstruction du défilé ostio-méatal limitant la perméabilité vont favoriser l’accumulation des secrétions mucoïdes et l’inflammation de la membrane de Schneider tapissant les cavités sinusiennes. Le seuil d’épaisseur pathologique varie de 2 à 3 mm selon les auteurs [2].

Description des opacités sinusiennes

La topographie des comblements, à savoir l’unilatéralité, le caractère diffus ou isolé ainsi que la localisation antérieure (sinus maxillaires, cellules éthmoïdales antérieures, sinus frontaux, l’ensemble de ces cavités se drainant au niveau du méat moyen) ou postérieure (sinus sphénoïdaux et cellules éthmoïdales postérieures, c’est-à-dire en arrière de la racine cloisonnante du cornet moyen) orientent le diagnostic (figure 1). Les comblements seront également qualifiés de partiels ou de complets (score de Lund-Mackay [3]) et leur forme plane ou convexe rapportée. Enfin, il convient de vérifier si ces opacités sont homogènes ou non, en particulier si elles présentent en leur sein des micro ou macro-calcifications.

Aspects radiologiques rattachés aux atteintes aiguës

Les sécrétions mucoïdes prennent la forme d’un comblement aplani horizontalement lorsque les examens sont pratiqués le patient étant debout ou verticalement si le patient est en position allongée : on parle de niveau hydro-aérique. L’inclusion de bulles d’air au sein des sécrétions confère un aspect dit spumeux (figure 2). À noter que les imageries de coupe (TDM ou CBCT) à visée sinusienne seront pratiquées à distance des épisodes aigus (en dehors d’une recherche de complication) ou des prises de corticoïdes.

Aspects radiologiques rattachés aux atteintes chroniques

L’ostéosclérose des parois osseuses signe classiquement un processus inflammatoire chronique. Il en est de même pour l’atélectasie (ou syndrome du sinus silencieux correspondant à une réduction du volume sinusien) susceptible d’entraîner un ptosis, voire une dystopie oculaire secondaire (figure 3a). Les remaniements inflammatoires de la membrane en cadre sont assez typiques des sinusites odontogènes ou de confinement (figure 3b). La présence de calcifications centrales au sein du comblement, qui prennent la forme d’un piqueté calcique jusqu’à l’aspect de pseudo-corps e´tranger de densité métallique, est pathognomonique des atteintes fongiques. Les calcifications périphériques, généralement linéaires, correspondent à une métaplasie réactionnelle de la membrane sinusienne connue pour ses propriétés ostéogéniques (figure 4).

Recherche des composantes dentaires

L’imagerie CBCT assure une exploration fine des dents antrales et permet de matérialiser, en individualisant chaque racine, les lésions inflammatoires péri-radiculaires d’origine endodontique (LIPOE) ainsi que les micro-perforations du plancher sinusien associées. L’imagerie tridimensionnelle, bien plus sensible que les incidences intra-orales du fait des superpositions anatomiques dans les régions sous-sinusiennes, devrait être systématique dans les recherches de foyers infectieux dentaires chez les patients à risque. Les projections iatrogéniques (résidus d’obturation endodontique, biomatériaux de substitution osseuse lors des greffes d’élévation sinusienne, fragments radiculaire…), l’existence d’une solution de continuité du plancher (avec ou non communication bucco-sinusienne clinique) et les alvéolyses parodontales juxta-sinusiennes doivent également être recherchées.

Signes évocateurs des processus kystiques et tumoraux

Schématiquement, les lésions expansives avec amincissement et déformation des parois osseuses sont à raccorder au mécanisme d’hyperpression intra-lésionnelle retrouvé dans les kystes ou pseudo-kystes. La typologie « sinusite + », correspondant au débordement dans les fosses nasales d’un comblement sinusien avec destruction de la cloison sinuso-nasale, est un signe d’alerte justifiant de poursuivre le bilan avec une IRM. L’ostéolyse, en particulier lorsqu’elle est irrégulière et extensive, est un signe d’agressivité classiquement retrouvée dans les tumeurs malignes.

Symptomatologie associée

Adossés à la sémiologie radiologique, l’interrogatoire orienté ORL et l’examen clinique (cavité orale et nasofibroscopie) relèveront plus spécifiquement :

- les signes et symptômes rhino-sinusiens : obstruction nasale, rhinorrhée antérieure et/ou écoulement postérieur (clair ou muco-purulent), mouchage, éternuments, douleurs avec sensation de pesanteur faciale, céphalée, épistaxis, tuméfaction, diplopie, hypoesthésie du territoire du V2 ;

- les signes et symptômes olfactifs : dysosmies quantitative (hypo-/anosmie) ou qualitative (cacosmie, parosmie).

Selon la fréquence des symptômes, la grille d’évaluation proposée par Dixon et al. [4] pourra être utilisée pour de´pister une pathologie naso-sinusienne chronique.

DIX PATHOLOGIES SINUSIENNES ILLUSTRÉES PAR IMAGES CLÉS

Kyste rétentionnel sous-muqueux

L’imagerie de coupe retrouve une volumineuse formation convexe non ostéolytique, préférentiellement isolée et localisée au niveau du plancher sinusien et sans symptomatologie associée (figure 5). La physiopathologie demeure mal connue et l’obstruction d’un ou de plusieurs canaux des glandes sous-muqueuses génèrerait une ballonisation. L’hypothèse d’antécédents endodontiques ou parodontaux ayant pu favoriser un mécanisme inflammatoire restent controversée comme l’illustre le cas présenté indemne de pathologie dentaire. Retrouvés sur 10 à 30 % des imageries sinusiennes, les kystes rétentionnels sous-muqueux ne relèvent pas d’une exérèse chirurgicale hormis les très rares cas symptomatiques [5, 6].

Mucocèle

Formation pseudo-kystique bénigne homogène à contours nets et réguliers, la mucocèle se caractérise par une lente expansion pseudo-tumorale multidirectionnelle refoulant harmonieusement et érodant les parois osseuses sinusiennes (figure 6). Longtemps asymptomatique, la mucocèle peut compliquer à distance une chirurgie fonctionnelle endoscopique. Tapissée d’un épithélium respiratoire, la membrane est très fine et peu réhaussée après injection de produit de contraste, apparaissant sous la forme d’un fin lisere´ en hypersignal de´doublant la corticale osseuse amincie. Le contenu se déshydratant et la teneur en protéine augmentant avec le temps, l’hypersignal T2 en IRM décline avec l’ancienneté de la rétention [7].

Polypose naso-sinusienne

La présence de formations polyploïdes multiples, bilatérales et intéressant plusieurs cavités sinusiennes est très évocatrice d’une polypose naso-sinusienne (PNS) (figure 7). Celle-ci pourra être associée à une déminéralisation des parois osseuses mais sans lyse osseuse à proprement parler. Les mécanismes physiopathologiques de cette maladie inflammatoire chronique diffuse des cavités naso-sinusiennes touchant jusqu’à 5 % de la population générale demeurent mal connus [8]. Selon le stade et la symptomatologie, le traitement est médical (corticothérapie) ou chirurgical [9]. À noter que la PNS n’est pas une contre-indication à l’implantologie orale une fois contrôlée par l’ORL. La triade PNS, asthme et intolérance à l’aspirine définit la maladie de Fernand Widal.

Sinusite fongique

L’exploration CBCT maxillo-mandibulaire met en évidence une radio-opacité sphérique intra-sinusienne, de tonalité métallique, associée à un épaississement du bas-fond sinusien, qui correspond à la description classique d’une truffe aspergillaire (ou balle fongique) ici silencieuse. Le bilan d’imagerie pratiquée 18 mois plus tard montre l’évolution vers une sinusite chronique fongique (figure 8) consécutive à l’absence de prise en charge (patiente perdue de vue) avec lyse du processus unciforme, e´largissement du me´at moyen et hyperostose des parois du sinus. Le contrôle post-opératoire montre un sinus clair après méatotomie. Les patients immunodéprimés ou diabétiques sont à risque de sinusites fongiques invasives (notamment la mucormycose qui est une urgence thérapeutique) de mauvais pronostics avec une mortalité oscillant entre 20 et 50 % [10] et devront donc faire l’objet d’une attention toute particulière. L’imagerie tomodensitométrique présentée figure 9 montre une opacité du sinus maxillaire et de l’ethmoïde adjacent non spécifique mais, dans le contexte d’une immunodépression (maladie hématologique) et en présence de douleurs maxillaires importantes, l’attention doit se porter sur les plages de lyse osseuse des parois maxillaires signant une forme grave de sinusite. L’IRM confirme une atteinte étendue ici à la partie inféro-externe de l’orbite gauche et une prise de contraste anormale du masséter.

Sinusite iatrogène

Une jeune fille de 14 ans se présente dans le cadre d’une complication post-extractionnelle de prémolaire à visée orthodontique. L’imagerie CBCT matérialise la projection intra-sinusienne des racines de 25 associées à un épaississement inflammatoire réactionnel des muqueuses (figure 10).

Kératokyste odontogène à extension intra-sinusienne

Les kystes et tumeurs odontogènes des mâchoires tels que décrits dans la classification de l’OMS [11] sont susceptibles d’intéresser le sinus maxillaire. L’imagerie de coupe retrouve ici une image radio-claire de densité tissulaire ou hydrique, ovalaire, centrée au niveau du récessus antérieur du sinus maxillaire droit, avec amincissement, voire rupture, des corticales et associée à une résorption radiculaire de la canine et des prémolaires en regard. L’allure est assez évocatrice d’un kératokyste odontogénique dont le diagnostic sera confirmé par l’histologie (figure 11).

Kyste radiculo-dentaire à extension intra-sinusienne

L’examen CBCT met en évidence un comblement partiel ovalaire et cerné d’un liseré radio-dense, dans ce cas particulièrement bien visible, correspondant à la déformation du plancher sinusien engendrée par un processus kystique lentement expansif et d’origine endodontique (figure 12).

Polype antrochoanal de Killian

Plus fréquemment rencontré chez l’enfant ou l’adulte jeune, le polype de Killian est un polype solitaire, en bissac, prenant naissance dans le sinus maxillaire et s’étendant via le foramen accessoire, plus rarement par l’ostium principal, à la partie postérieure des fosses nasales, voire du nasopharynx d’où son nom de polype antrochoanal (figure 13). Il apparaitra en hyposignal T1 et hypersignal franc T2 homogène (contenu liquidien) à l’IRM avec prise de gadolinium exclusivement périphérique, ce qui le différenciera notamment du papillome inversé.

Papillome inversé

Une patiente âgée de 69 ans, sans antécédent médico-chirurgical, se présente en urgence à l’hôpital Bretonneau pour un œdème palatin douloureux. L’interrogatoire médical note une obstruction nasale droite et une rhinorrhée postérieure associée à une cacosmie sans saignement. La palpation sous-orbitaire droite est discrètement sensible. L’examen endo-buccal retrouve un abcès palatin au niveau de la 17 dans le contexte d’une maladie parodontale active et de multiples lésions endo-parodontales. Le bilan CBCT met en évidence un comblement unilatéral du sinus maxillaire droit, des cellules ethmoïdales antérieures droites et du sinus frontal homolatéral. La typologie dite « sinusite + », avec destruction de la cloison sinuso-nasale et comblement débordant dans les fosses nasales homolatérales, a motivé l’indication d’une IRM (figure 14). Cette dernière décrira un syndrome de masse hétérogène, polypoïde, centré sur le méat moyen, en hyposignal T2 et isosignal T1 avec rehaussement cérébriforme au gadolinium, correspondant à l’aspect typique d’un papillome inversé, une tumeur bénigne mais récidivante et à potentiel de transformation maligne ou d’association à un carcinome épidermoïde dans 10 % des cas [12, 13] (figure 15). La prise en charge consistera en une résection tumorale large par voie endonasale sous guidage endoscopique. Les pathologies tumorales sinusiennes intègrent fréquemment une composante rétentionnelle, parfois purulente, suite à l’obstruction et au dysfonctionnement naso-sinusien induits par la prolifération tissulaire. En l’occurrence, pathologies tumorale et infectieuse coexistent.

Carcinome épidermoïde

Un homme de 43 ans, alcoolo-tabagique, consulte son chirurgien-dentiste pour des douleurs en secteur 1. Après avulsion de la 17, une tuméfaction palatine est apparue suivie d’une communication bucco-sinusienne deux jours plus tard. Après un traitement par spiramycine/métronidazole inefficace et un drainage infructueux, le patient consulte le service hospitalier de Bretonneau où sont constatées une mobilité persistante de la 16 et de la 18, une adénopathie sous-mandibulaire droite centimétrique, ferme et sensible, ainsi qu’une obstruction nasale droite sans atteinte neurologique ou oculomotrice. L’examen CBCT objectivait une lésion ostéolytique extensive et agressive à point de départ sinusien maxillaire droit. L’analyse anatomopathologique conclura à un carcinome épidermoïde infiltrant, qui représente la principale tumeur maligne du sinus maxillaire avec 40 à 50 % des cas [14] (figure 16).

CONCLUSION

De découverte fortuite ou symptomatiques, les opacités sinusiennes doivent faire l’objet d’une approche sémiologique rigoureuse aussi bien au niveau de l’examen clinique que du bilan d’imagerie de sorte à orienter le diagnostic et la prise en charge. L’unilatéralité n’est pas pathognomonique d’une sinusite d’origine dentaire et l’analyse méthodique et fine de l’imagerie CBCT permet d’identifier des signes d’alerte qui doivent conduire à demander une IRM complémentaire, examen clef pour le diagnostic différentiel.

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Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêts.