Clinic n° 05 du 01/05/2024

 

Dossier

Gaël SYLVAIN*   Hadrien LE VAYER**   Loredana RADOÏ***  


*CCU-AH
**CCU-AH
***PU-PH UFR d’odontologie, Université Paris Cité. AH-PH Nord, Hôpital Louis-Mourier, Colombes.

Les cellulites cervico-faciales (CCF) sont des pathologies infectieuses de la sphère oro-faciale relativement fréquentes qui présentent des tableaux cliniques variés. Prises en charge rapidement et de façon adaptée, leur pronostic est bon mais certaines formes graves peuvent engager le pronostic vital du patient. Les chirurgiens-dentistes se doivent de bien connaître ces pathologies, de savoir identifier les signes de gravité et d’assurer une prise en charge correcte du patient ou, le cas échéant, de l’adresser en milieu hospitalier.

DÉFINITION

La cellulite cervico-faciale (CCF) est une infection polymicrobienne non spécifique, le plus souvent d’origine dentaire, qui se manifeste par une tuméfaction des tissus mous de la sphère oro-faciale et cervicale [1, 2]. Ces tissus sont organisés en loges délimitées par des structures anatomiques musculo-aponévrotiques. Les loges anatomiques contiennent un tissu conjonctivo-adipo-vasculaire dit celluleux, riche en fibres de collagène et d’élastine, fibroblastes, adipocytes, vaisseaux sanguins et lymphatiques. La nature lâche de ce tissu de remplissage est propice à la propagation de l’infection d’une loge anatomique à l’autre et donc à la diffusion des cellulites [1, 2].

ÉPIDÉMIOLOGIE

L’épidémiologie des CCF est très mal documentée dans le monde, et notamment en France. Il n’existe aucune publication estimant l’incidence des cellulites cervico-faciales dans la population française ; seuls existent des chiffres hospitaliers. Par exemple, ceux issus de la grande garde de chirurgie maxillo-faciale d’Île-de-France estiment l’incidence des CCF d’origine dentaire à environ 1 cas pour 1 000 habitants par an, avec un âge moyen des patients d’environ 35 ans et une prédominance du sexe masculin. La mortalité des CCF varie de 6,5 à 35 % selon les séries, sans que les stades cliniques et la sévérité des cellulites soient pris en compte dans les estimations [3].

Aux États-Unis, le nombre annuel d’hospitalisations pour des CCF est d’environ 38 000, représentant 125 000 jours d’hospitalisation et une dépense de 750 millions de dollars [4].

ÉTIOPATHOGÉNIE

Portes d’entrée et voies de propagation de l’infection

La porte d’entrée la plus commune est dentaire (environ 75 % des cellulites) mais elle peut également être naso-sinusienne, amygdalienne, cutanée ou salivaire (tableau 1) [1, 5].

La voie de propagation la plus fréquente est la voie ostéo-périostée, essentiellement à partir d’une infection dentaire d’origine endodontique et/ou parodontale ou d’un accident d’évolution des troisièmes molaires mandibulaires, en phase aiguë d’emblée ou en passant par une phase chronique de l’infection. Les bactéries traversent le ligament alvéolo-dentaire, l’os spongieux puis l’os cortical, le périoste pour enfin se propager dans les espaces cellulo-graisseux cervico-faciaux mais aussi dans les tissus musculaires profonds des voies aérodigestives supérieures (VADS).

Il existe également une porte d’entrée directe de l’infection, passant par une inoculation iatrogène (lors d’une anesthésie locale, d’un acte chirurgical, d’un traitement endodontique…) ou par un traumatisme maxillo-facial (plaie des tissus mous, fracture ouverte…).

Enfin, la voie de propagation sanguine ou lymphatique, qui s’affranchit des barrières anatomiques locales, permet une diffusion rapide de l’infection à distance via des métastases septiques avec la survenue d’infections focales (abcès d’organes), de formes diffuses de CCF et d’un état septicémique pouvant engager le pronostic vital du patient.

Facteurs de risque

Toute altération du système immunitaire du patient augmente sa susceptibilité à développer des CCF, notamment des formes graves. Ainsi, une immunodépression congénitale ou acquise, une pathologie chronique non contrôlée (diabète, insuffisance hépatocellulaire d’origine virale ou alcoolique…), des carences nutritionnelles ou une toxicomanie constituent des facteurs favorisant l’apparition d’une CCF. Certaines médications - immunosuppresseurs, chimiothérapie aplasiante, antibiothérapie inadaptée ou anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) - augmentent également le risque de CCF. Les AINS (prescrits par un praticien pour traiter les douleurs dentaires ou pris en automédication par le patient) ont été incriminés dans la survenue des formes graves de CCF. Bien qu’il n’existe pas de preuve scientifiquement établie de leur implication dans la diminution des défenses immunitaires, les AINS masquent les signes locaux et généraux d’inflammation et retardent ainsi la consultation bucco-dentaire et la prise en charge rapide des CCF [1, 2, 5, 6].

Cependant, les cellulites surviennent dans la majorité des cas chez des patients jeunes, en bonne santé, en présence de facteurs locaux (hygiène orale insuffisante, foyers infectieux bucco-dentaires). Les personnes ayant un statut socio-économique précaire sont plus susceptibles de développer des formes sévères de CCF et d’être hospitalisées à cause de celles-ci.

Flore bactérienne

La CCF est une infection polymicrobienne non spécifique à germes Gram + ou Gram -, aérobies, anaérobies ou aéro-anaérobies facultatifs. Les germes les plus fréquemment retrouvés sont les streptocoques alpha-hémolytiques comme les streptocoques viridans, les streptocoques non hémolytiques, les staphylocoques, mais aussi Diphteroïdes spp., Lactobacillus spp., Treponema spp., Peptostreptococcus spp, Prevotella spp., Porphyromonas spp. et Fusobacterium spp. Les actinomycètes et les staphylocoques sont fréquemment rencontrés dans les cellulites chroniques [1, 5].

FORMES TOPOGRAPHIQUES

Les formes topographiques des CCF dépendent de la ou des loges cervico-faciales atteintes. Elles varient en fonction de la dent causale (maxillaire ou mandibulaire et type de dent) et de la position verticale et vestibulo-linguale de son ou ses apex radiculaires infectés par rapport aux structures musculo-aponévrotiques et osseuses environnantes. Les formes topographiques les plus fréquentes sont présentées dans le tableau 2 (figures 1 à 12) [1, 2, 5].

FORMES CLINIQUES

Selon la durée d’évolution, les CCF sont classées en aiguës, subaiguës et chroniques (figure 13).

Formes aiguës

En fonction du stade clinique, les CCF aiguës sont séreuses, suppurées ou gangréneuses. Selon le nombre de loges anatomiques atteintes, elles peuvent être circonscrites, diffuses ou diffusées [1, 2, 5].

Formes subaiguës et chroniques

Ces formes se caractérisent par une inflammation cellulaire à évolution lente due à des germes de virulence atténuée ou représentent des séquelles de cellulites aiguës dont la cause n’a pas été totalement éradiquée [1, 2, 5].

• Les signes généraux et fonctionnels sont généralement absents.

• L’examen exobuccal montre une tuméfaction recouverte d’une peau de couleur quasi normale, centrée d’une fistule en regard de la dent causale, présente depuis plusieurs mois, voire plusieurs années (figure 17).

• L’examen endobuccal met en évidence la dent causale et éventuellement une fistule au niveau gingival.

COMPLICATIONS

Les complications des CCF sont liées à l’espace de diffusion dans lequel l’infection est capable de progresser si elle n’est pas enrayée. Elles sont locales, régionales et générales (tableau 3).

Les signes de gravité des CCF qui doivent alerter le praticien sont [1, 2, 5] :

- œdème et fermeture de la paupière supérieure, exophtalmie (figure 18) ;

- œdème du plancher buccal, avec ascension de la langue (figure 11) ;

- présence d’un trismus serré (< 1 cm) ;

- dysphonie, dysphagie totale caractérisée par bavage, dyspnée avec orthopnée ;

- tuméfaction sous-hyoïdienne latérale avec extension vers la ligne cervicale médiane ;

- érythème cervical à progression vers la base du cou, la fourchette sternale et les creux sus-claviculaires (figure 15) ;

- altération de l’état général (fièvre intense, frissons, vomissements, asthénie, obnubilation…).

DÉMARCHE DIAGNOSTIQUE

Le diagnostic repose essentiellement sur l’anamnèse et l’examen clinique qui permettent de définir la cause (dentaire ou non dentaire), la topographie, le stade évolutif et les signes de gravité de la CCF.

Des examens complémentaires peuvent être utiles [2, 3, 5].

• L’imagerie dentaire classique (panoramique dentaire, clichés rétro-alvéolaires) est réalisée en première intention et doit être complétée, si nécessaire, par un CBCT pour identifier la dent causale. En cas de CCF grave ou de suspicion de complication d’une CCF, une tomodensitométrie cervico-faciale avec injection de produit de contraste permet de visualiser la taille, le nombre des collections et l’impact sur les VADS ou la présence de thrombophlébite(s). Il doit être étendu au thorax en cas d’extension cervicale basse du placard cutané inflammatoire, à la recherche d’une médiastinite.

• Le bilan sanguin montre une hyperleucocytose avec une hyperneutrophilie sur la NFS et une augmentation de la CRP. Une glycémie à jeun et des sérologies peuvent retrouver une cause d’immunodépression. Des hémocultures seront réalisées en cas de syndrome septique grave.

• L’examen bactériologique sur prélèvement de pus n’est pas réalisé en routine lors du drainage d’une cellulite collectée « banale » car les germes responsables sont généralement des germes saprophytes de la cavité buccale, sensibles aux antibiotiques usuels. En revanche, un antibiogramme est indiqué dans certaines situations : cellulite gangréneuse (pus brunâtre et malodorant avec présence de gaz produit par les germes anaérobies) ; drainage itératif d’une collection résistante au traitement classique bien conduit ; terrain particulier du patient (immunosuppression, cellulite récidivante…).

DIAGNOSTICS DIFFERENTIELS

Avant de poser le diagnostic positif de CCF, il faut éliminer d’autres pathologies responsables des tuméfactions cervico-faciales : affections faciales (cutanées, oculaires ou salivaires), maladies de la cavité buccale ou de l’oropharynx et atteintes de la région cervicale (tableau 4) [1, 5].

PRISE EN CHARGE

Étant donné le risque vital des CCF, leur prise en charge est une urgence médico-chirurgicale. Elle doit être adaptée au stade clinique et à la sévérité de la maladie.

Le traitement repose sur la suppression de la porte d’entrée bactérienne (traitement conservateur de la dent causale ou son avulsion) et le traitement médico-chirurgical de l’infection.

La prise en charge peut être réalisée en ambulatoire s’il n’y existe pas de signe de gravité de la CCF et si le patient est compliant et capable de se présenter en consultation au moindre signe d’aggravation.

Dans le cas contraire, il doit être hospitalisé (tableau 5).

Traitement médical

Une antibiothérapie probabiliste doit être prescrite en urgence : amoxicilline 2 g/jour en 2 prises et métronidazole 1 500 mg/jour en 3 prises ; ou amoxicilline-acide clavulanique 2 g/jour en 2 prises à 3 g/jour en 3 prises ; ou clindamycine 1 200 mg/jour en 2 prises et métronidazole 1 500 mg/jour en 3 prises. Elle pourra être adaptée si besoin en fonction de l’antibiogramme si un prélèvement bactérien a été réalisé. Un antalgique de palier adapté à l’intensité de la douleur doit également être prescrit. Les héparines de bas poids moléculaire (HBPM) sont prescrites à dose préventive en cas d’œdème atteignant la paupière supérieure. La dose curative est indiquée si un cordon inflammatoire est palpable sur le trajet de la veine faciale, signe d’une thrombophlébite. Un contrôle toutes les 48 heures est indispensable pour évaluer la réponse au traitement et déceler une éventuelle aggravation [2, 5].

Traitement chirurgical

Il comprend la suppression de la porte d’entrée et le traitement chirurgical de la collection [2, 5].

• En urgence, le traitement de la porte d’entrée consiste en l’ouverture de la chambre pulpaire de la dent causale pour drainage par voie canalaire (rarement possible : trismus, douleur, présence de traitement endodontique et/ou d’élément prothétique). Si la dent est conservable, le traitement endodontique doit être réalisé dès que possible. Dans le cas contraire, elle doit être avulsée.

• Le traitement de la cellulite consiste à drainer la collection par voie endobuccale (figure 19) ou exobuccale, avec un débridement large de tissus nécrotiques et la mise en place de drains (figure 20). Il est réalisé sous anesthésie locale (cellulite localisée, patient coopérant) mais le plus souvent sous anesthésie générale (patients non coopérant, cellulite diffuse ou diffusée, état général altéré).

CONCLUSION

Les cellulites cervico-faciales représentent une affection courante aux conséquences potentiellement dramatiques. Tout chirurgien-dentiste y sera confronté dans sa carrière ; il convient donc de savoir en reconnaître les symptômes afin de traiter l’infection précocement et correctement, de connaître les signes de gravité et d’orienter rapidement le patient.

La prise en charge hospitalière des formes sévères a un coût financier important et les répercussions socio-professionnelles et économiques de cette pathologie sont lourdes pour le patient, d’où l’intérêt d’une prévention efficace et ciblée aux patients à risque.

BIBLIOGRAPHIE

  • 1. Fricain JC. Référentiel internat. Chirurgie orale, 2e édition revue et complétée. Paris : Information dentaire, 2019.
  • 2. La Rosa J, Bouvier S, Langeron O. Prise en charge des cellulites maxillofaciales. Le praticien en anesthésie réanimation 2008;12:309-315.
  • 3. Bertolus C. Cellulite cervico-faciale. Urgence, 2011. SFMU conférence : infections cutanées.
  • 4. Abramowicz S, Rampa S, Allareddy V, Kyeong Lee M. The burden of facial cellulitis leading to inpatient hospitalization. J Oral Maxillofac Surg 2017;75:1656-1667.
  • 5. Peron JM, Mangez JF. Cellulites et fistules d’origine dentaire. EMC - Chirurgie orale et maxillo-faciale, 28-405-G-10, 2008.
  • 6. Ahossi V, Perrot G, Thery L, Potard G, Perrin D. Urgences odontologiques. EMC - Médecine d’urgence, 25-170-A-10, 2004.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêts.