ACUITÉ OCCLUSALE ET HYPNO-ANALGÉSIE VERS UNE PRISE EN CHARGE NOUVELLE DES DYSFONCTIONNEMENTS TEMPORO-MANDIBULAIRES ? - Clinic n° 05 du 01/05/2024
 

Clinic n° 05 du 01/05/2024

 

Occlusion

Aurore CAILLOL*   Cyrielle CLEMENT**   Aude CUNNAC***   Salomée FEUILLAS****   Antonin HENNEQUIN*****   Thierry LETELLIER******   Franck DIEMER*******  


*Exercice libéral à Albi.
**Exercice libéral à Cahors.
***Exercice libéral à Labastide-Saint-Georges.
****Exercice libéral à Toulouse.
*****Chargé d’enseignement. Exercice libéral à Cahors.
******Chargé de recherche INSERM.
*******PU-PH. Département d’Odontologie, Faculté de Santé de Toulouse, Université Paul Sabatier (Toulouse III). CHU Rangueil.

Les DTM sont des pathologies multifactorielles. Leur diagnostic est complexe et lui-même multicritère, associant une évaluation somatique, psycho-émotionnelle et éventuellement biologique. Le consensus est le recours à une prise en charge la moins invasive possible et plutôt multimodale associant éducation thérapeutique, pharmacologie, kinésithérapie maxillo-faciale, orthèse occlusale. La littérature a récemment mis en évidence qu’une perception, ou acuité, occlusale...


Résumé

L’acuité occlusale est la capacité discriminative d’un sujet à distinguer la présence ou non d’un objet entre les dents. Une douleur orale provoquée ou des activités para-fonctionnelles de l’appareil manducateur semblent être liées à une modification du seuil d’acuité occlusale.

Les dysfonctionnements temporo-mandibulaires (DTM) sont des pathologies multifactorielles représentant une des causes de douleurs oro-faciales les plus fréquentes et parmi les plus délicates à appréhender par la multiplicité des composantes à considérer : dentaire, musculaire, articulaire et neuro-centrale.

Le recours à l’hypnose, en particulier dans la gestion des DTM, est bien documenté dans la gestion de la douleur dans le cadre de l’hypnoanalgésie. L’utilisation de l’hypnose pour diminuer la proprioception l’est beaucoup moins.

En réduisant les sensations nociceptives et proprioceptives impliquées dans la perception occlusale ou en modifiant la valeur du seuil d’acuité occlusale, l’hypnose pourrait alors apparaître comme une nouvelle voie complémentaire thérapeutique pour les patients atteints de DTM.

Les DTM sont des pathologies multifactorielles. Leur diagnostic est complexe et lui-même multicritère, associant une évaluation somatique, psycho-émotionnelle et éventuellement biologique. Le consensus est le recours à une prise en charge la moins invasive possible et plutôt multimodale associant éducation thérapeutique, pharmacologie, kinésithérapie maxillo-faciale, orthèse occlusale. La littérature a récemment mis en évidence qu’une perception, ou acuité, occlusale élevée pourrait être liée au déclenchement, au développement ou à l’entretien des DTM [1, 2].

L’hypnose peut être utilisée dans de nombreux domaines, dont la gestion de la douleur et de l’anxiété. En odontologie, l’hypnoanalgésie permet également la réduction des sensations nociceptives grâce à son action sur les récepteurs présents dans la partie inférieure du visage (muscles masticateurs, pulpe, parodonte…). Cependant, jusqu’à présent peu d’études se sont intéressées à l’effet de l’hypnose sur l’acuité occlusale.

LES DYSFONCTIONS TEMPORO-MANDIBULAIRES

Les dysfonctionnements temporo-mandibulaires (DTM) sont des pathologies multifactorielles largement décrites dans la littérature. Elles renvoient aux affections neuromusculaires et musculosquelettiques des muscles masticateurs, de l’articulation temporo-mandibulaire et des structures adjacentes [3]. Elles sont la première cause de douleurs oro-faciales après les odontalgies, et la deuxième cause de troubles musculosquelettiques après les lombalgies. Elles concernent 2 femmes pour 1 homme [4] et, pour la plupart, des personnes âgées de 20 à 45 ans [3].

Les critères diagnostiques des dysfonctionnements temporo-mandibulaires ou DC/TMD pour Diagnostic Criteria for Temporo-Mandibular Disorders ont été décrits par de nombreux auteurs. En 1992, Dworkin et Le Resche ont publié une première classification de critères standardisés nommée RDC/TMD (The Research Diagnostic Criteria for Temporomandibular Disorders) [5].

Largement utilisée par la communauté scientifique pendant 25 ans, cette classification a été réactualisée en 2014 par un ensemble d’experts : les DC/TMD proposés par Schiffman et al. deviennent la référence dans le diagnostic et la prise en charge des DTM [6]. Ils sont divisés en 2 axes : somatique (axe I) et psycho-émotionnel (axe II). L’axe I permet le diagnostic des patients sur le plan physique grâce à une évaluation par le biais de critères somatiques. L’axe II regroupe une dizaine de questionnaires nécessaires à l’évaluation des facteurs psycho-socio-émotionnels et comportementaux tels que l’anxiété, la dépression, les habitudes orales, etc. [7].

Il n’est pas inutile de rappeler qu’il existe des DTM douloureux et des DTM non douloureux. De nombreuses désunions condylo-discales réductibles, irréductibles ou arthroses sont peu symptomatiques en dehors de manifestations articulaires sonores ou de dyskinésies peu invalidantes. En l’absence de douleur et de gêne fonctionnelle, aucun traitement autre que le maintien sous surveillance n’est proposé.

En revanche, en cas de douleur, la prise en charge des DTM douloureux est multimodale (éducation thérapeutique, pharmacologique, orthopédique, psychologique…) car aucune thérapie ne s’est efficacement distinguée seule dans leur traitement [4, 8]. Une prise en charge holistique est recommandée afin de prendre en considération l’ensemble des aspects de la douleur chronique, notamment les composantes psycho-émotionnelles et cognitives [9].

ACUITÉ OCCLUSALE

L’acuité occlusale tactile (AOT), aussi appelée sensibilité occlusale, correspond à la plus fine épaisseur perçue entre les dents grâce aux mécanorécepteurs parodontaux, pulpaires, ceux présents dans les muscles masticateurs et dans l’articulation temporo-mandibulaire (ATM) [10]. Le seuil d’acuité occlusale est en moyenne de 14 µm (mesurée au niveau des cuspides mésio-vestibulaires des premières molaires maxillaires) et peut varier de 5 à 77 µm [11].

Bucci et al. sont les premiers à avoir mis en évidence un lien entre l’acuité occlusale et les DTM au travers de deux études cliniques, la première dans le cadre de para-fonctions orales, la seconde dans le cadre de patients DTM-douloureux.

Les comportements para-fonctionnels oraux sont décrits comme des activités buccales au-delà des fonctions de mastication, de déglutition et de parole. C’est le cas par exemple des bruxismes du sommeil ou de l’éveil lorsque les fréquences ou les intensités d’activités motrices de grincement ou de serrement sont exacerbées, mais pas seulement. Les para-fonctions de l’éveil se manifestent également par le fait de presser, de toucher ou de maintenir les dents ensemble, de jouer, de mordiller avec la langue, les joues ou les lèvres ou d’interposer un objet entre les dents (cheveux, crayon, doigts, ongles, chewing-gum).

Identifier la présence de comportements para-fonctionnels oraux de l’éveil dans l’environnement naturel est difficile car ils se produisent inconsciemment et leur détection est moins fiable car ils ne présentent aucun symptôme pathognomonique apparent [10].

Jusqu’aux travaux de Bucci, dans le cas d’une surutilisation des muscles masticateurs appliquant une force occlusale aberrante sur les dents pendant une période prolongée, il n’était pas clair que l’activité accrue des récepteurs parodontaux chez les individus présentant un degré élevé de parafonction orale modifiait réellement la sensibilité occlusale.

La première étude clinique proposée par Bucci et al. en 2019 [10] sur la « Sensibilité occlusale chez des individus présentant différentes fréquences de para-fonction orale » sépare sur la base d’un questionnaire (Oral Behavior Checklist) une population test en 2 groupes : un groupe « haute fréquence de para-fonction » (HFP) (au-dessus du 80e percentile) et un groupe « basse fréquence de para-fonction » (LFP) (en dessous du 20e percentile). Elle mesure que le seuil d’acuité occlusale dans deux groupes de participants varie en fonction des faibles ou des fortes quantités de para-fonctions orales. Au-dessus de 40 µm, les personnes présentant des para-fonctions orales élevées ont une acuité occlusale augmentée (figure 1).

La deuxième étude clinique « Acuité occlusale tactile chez les patients souffrant de troubles temporo-mandibulaires : une étude cas-témoins », également par Bucci et al. en 2020 [2], sépare une population test en 2 groupes : groupe de 20 sujets DTM douloureux (arthralgie n = 4, myalgie n = 14, myalgie et céphalée associées n = 2) et un groupe non-DTM (groupe témoin). Les DTM non douloureux ont été écartés (claquements ou crépitations articulaires indolores). L’intensité moyenne de la douleur dans le groupe DTM douloureux était de 5,6 sur une échelle visuelle analogique de 0 à 10. L’étude a comparé le seuil d’acuité occlusale entre ces deux groupes. Les personnes présentant des DTM douloureux ont une sensibilité occlusale plus élevée, c’est-à-dire une acuité occlusale augmentée (entre 8 et 40 µm) (figure 2).

Par ailleurs, Van Damme et al. en 2018 rapportent que les patients souffrant de DTM comparés aux sujets sains ont une perception tactile plus intense aux divers stimuli, notamment appliqués sur la peau en regard du masséter ou des ATM [12].

Selon ces études, une interprétation possible serait de penser que les patients DTM douloureux ou para-fonctionnels sont comme « entraînés » à percevoir des contacts occlusaux qui seraient peu ou moins sensibles pour les autres patients dans des conditions égales. Comment traduire cette hypothèse d’un point de vue biologique ?

L’intensité ressentie d’un stimulus ne dépend pas seulement de l’intensité du stimulus (régulation ascendante) au niveau périphérique mais aussi de sa gestion au sein du système nerveux central, notamment de sa modulation par les changements neuroplastiques corticaux (mécanismes excitateurs et inhibiteurs). La réorganisation corticale ou neuroplasticité est une capacité naturelle et normale qui permet notamment des phénomènes comme l’apprentissage et l’adaptation aux exigences environnementales et qui contribue à la récupération fonctionnelle des organismes après une lésion du SNC ; ils agissent comme un avantage évolutif. La zone de représentation des différentes parties du corps dans le cortex somatosensoriel primaire ne reste pas constante tout au long de la vie. Elle varie selon l’utilisation afin de s’adapter aux besoins actuels et aux expériences de l’individu.

Elbert et al. en 1995 prouvent l’existence de ce phénomène par la réalisation d’IRM fonctionnelle chez des violonistes en mesurant la représentation corticale des doigts des mains gauche et droite [13]. Les résultats de l’étude montrent que la représentation corticale de la main gauche est plus grande que celle des témoins mais que l’effet est moins significatif concernant le pouce gauche ; sur la main droite, aucune différence significative n’a été observée ; enfin, l’effet est accentué si l’apprentissage est précoce. L’élargissement de la zone corticale sensorielle s’appelle l’amplification somato-sensorielle et c’est ce phénomène qui est à l’œuvre chez les patients douloureux et para-fonctionnels [14].

Parfois, le résultat d’une réorganisation corticale est inadapté comme dans le cas des « douleurs fantômes », similaire aux résultats rapportés dans le contexte du système visuel et du système auditif [15, 16].

Concernant l’acuité occlusale augmentée dans le cas des patients para-fonctionnels, une des hypothèses de travail est de considérer qu’il existe une adaptation du système nerveux central à l’utilisation exacerbée de la mâchoire et que cette adaptation augmente la taille et les capacités de la zone corticale somato-sensorielle lors d’une utilisation prolongée.

De plus, l’attention au stimulus facilite la perception consciente. Elle est un mécanisme de modulation cliniquement important et très puissant et conduit à une augmentation de la sensibilité. De la même manière, la distraction conduit à une diminution de la sensibilité.

L’augmentation de l’acuité occlusale a également été observée chez des patients souffrant de troubles somatoformes lorsqu’ils rapportent la présence d’un stimulus alors qu’il est absent, ce qui est un biais de perception (distorsion somatosensorielle). Ce biais de perception est d’ailleurs modifié par l’hypervigilance puisque l’attention régule l’excitabilité neuronale lorsque le stimulus est présent et/ou attendu [17, 18] (figure 3).

Les patients atteints de DTM douloureux pensent souvent que leur occlusion est étiologique de leur problème [19], ce qui les conduit à apporter une vigilance négative accrue à leur occlusion, facilitant la perception occlusale. Enfin, les patients DTM douloureux gardent leurs dents plus souvent en contact que les patients non-DTM, ce qui conduit à une sur-représentation de la zone concernée et de ses capacités dans le cortex somatosensoriel.

La question est de savoir si on peut faire baisser cette vigilance pour créer une distorsion somatosensorielle inverse, si le recours à l’hypnose est une piste de recherche valable pour modifier l’acuité occlusale et, enfin, s’il est possible d’influencer la neuro-plasticité pour un retour à un état mieux vécu.

HYPNOSE

D’après la traduction française de la définition de l’American Psychological Association, l’hypnose se définit comme un « état de conscience impliquant une attention focalisée et une perception moins importante des éléments périphériques, caractérisée par une capacité accrue de réponse aux suggestions formulées » [20]. L’hypnose peut être utilisée dans de nombreux domaines, dont la gestion de la douleur.

Les effets thérapeutiques de l’hypnose ont été étudiés dès le 18e siècle. Et c’est à partir de la fin du 19e siècle qu’un comité d’experts composés de médecins, nommé par la British Medical Association, a conclu que l’hypnose était efficace pour traiter la douleur et son utilisation thérapeutique était recommandée. Au 20e siècle, le Dr Erickson va développer une technique fondée sur des suggestions, ce qui donne un rôle actif au patient. Au 21e siècle, des preuves scientifiques de l’efficacité de l’hypnose thérapeutique sont apparues [9, 17, 18, 21, 22]. Par exemple, il a été montré grâce à l’imagerie par résonance magnétique que le fonctionnement cérébral est différent en hypnose. Cela confirme que l’hypnose est bien « un état de conscience modifiée ». L’application de l’hypnose médicale peut se regrouper en trois principaux domaines : hypnoanalgésie, hypnosédation et hypnothérapie. L’hypnoanalgésie permet au patient d’avoir la « capacité de pouvoir modeler, modifier, transformer sa douleur » [9] et ainsi de diminuer la perception de celle-ci [21]. L’hypnose active de façon spécifique certaines aires cérébrales [22].

En odontologie, on prête à l’hypnose de nombreuses applications, telles que le soulagement de la douleur, le contrôle des saignements ou du débit salivaire. Elle améliore la gestion des phobies, des angoisses, facilite la compliance du patient [9].

Certaines études ont tenté d’évaluer l’efficacité de l’hypnose dans la prise en charge des douleurs et de certaines para-fonctions orales [23], en complément des prises en charges non hypnotiques qui fonctionnent à un niveau conscient.

Alors le recours à l’hypnose, en particulier dans la gestion des DTM, est bien documenté pour la gestion de la douleur dans le cadre de l’hypnoanalgésie, il l’est beaucoup moins pour diminuer la proprioception.

En réduisant les sensations nociceptives et proprioceptives impliquées dans la sensibilité occlusale ou en modifiant la valeur du seuil d’acuité occlusale, l’hypnose pourrait devenir une nouvelle voie complémentaire et thérapeutique pour les patients atteints de DTM.

PROPOSITION CLINIQUE ET EXPÉRIMENTALE

Un protocole d’accompagnement par l’hypnose a été élaboré pour une étude pilote [24], chez des sujets potentiellement sains.

Pour cela nous avons recruté 30 personnes, sans DTM. Ils ont répondu aux questionnaires présents dans l’axe 2 du protocole DC/TMD [25]. Trois séances de tests d’acuité occlusale ont été réalisées, en aveugle, sous bruit blanc et selon le protocole de Bucci et al. [10], afin de déterminer la valeur du seuil d’acuité occlusale, c’est-à-dire la plus petite épaisseur de feuille métallique calibrée perçue entre les dents en occlusion d’intercuspidie maximale (OIM). Neuf épaisseurs de feuilles métalliques (Shimstock Metal Foil de 8 µm, Bausch) calibrées allant de 0 (aucune feuille) à 72 µm (9 feuilles) ont été utilisées par pliage entre les molaires au niveau de la cuspide mésio-vestibulaire des premières molaires maxillaires.

• La première séance a pour but de déterminer le seuil d’acuité occlusal contrôle, propre à chaque sujet (figure 4).

• La deuxième débute par une séance d’hypnose où l’hypnoanalgésie est utilisée au niveau du bas du visage sous la forme d’un « gant magique » dans l’objectif de tenter de diminuer l’acuité occlusale. Des tests sont répétés afin d’observer l’évolution du seuil d’acuité des participants après l’hypnoanalgésie (figure 5).

• La troisième séance évalue le seuil d’acuité 5 jours après la séance d’hypnose, afin d’évaluer la rémanence de l’effet.

RÉSULTATS

En moyenne, le seuil « contrôle » en sensibilité est de 30 µm dans notre population. Celui-ci passe à 35 µm après la séance d’hypnose et se retrouve à 33 µm 5 jours après la séance d’hypnose. L’hypnose a un effet d’augmentation du seuil d’acuité sur notre population et donc une diminution de la sensibilité occlusale [26]. Cet effet perdure 5 jours après la séance, de façon moins importante (figure 6).

DISCUSSION

Cette cohorte, d’un nombre de sujets restreints dans une étude pilote, souffre d’une grande variabilité inter-individuelle qui minimise statistiquement l’effet de l’hypnose, car les déviations standard sont importantes.

Il est plus intéressant de tenir compte des variations intra-individuelles, en normalisant la valeur du seuil avant et après hypnose, pour tenir compte uniquement de l’effet hypnose et non plus de la valeur de départ du seuil de sensibilité. Dans ce cas, la valeur seuil augmente de 29 % après la séance d’hypnose tandis ce seuil conserve 21 % d’augmentation 5 jours après. Ces résultats permettent de mettre en évidence un impact réel de l’hypnose dans la diminution de la sensibilité occlusale des individus ainsi qu’un maintien de cet effet dans le temps.

Il faut noter que la rémanence dans le temps de l’hypnoanalgésie s’apparente à un phénomène de neuro-plasticité, ce qui est pour nous à la fois une surprise et une nouvelle excitante.

Une deuxième analyse statistique, cette fois réalisée en composantes principales, permet de distinguer plusieurs groupes au sein de notre cohorte dont 2 groupes principaux. Un 1er groupe comprenant les participants ayant les valeurs les plus élevées aux questionnaires DC/TMD (donc qui semblent présenter plus de facteurs de risques psycho-socio-émotionnels de développement des DTM) et un 2e groupe comportant 3 sous-groupes de participants ayant des scores plus faibles aux questionnaires DC/TMD.

Il est intéressant d’observer que l’hypnose a permis de diminuer la sensibilité occlusale des participants du 1er groupe, plus facilement que dans le 2e groupe, ce qui laisse penser qu’il serait intéressant de réaliser ce type de protocole sur une population souffrant de DTM.

D’après ces premiers résultats, il semblerait aussi que cet effet soit néanmoins plus transitoire. Une réactivation de ce mécanisme peut être envisagé, par une succession de séances d’hypnoanalgésie qui pourront favoriser la neuroplasticité du patient et potentialiser le résultat initialement obtenu.

Dans leur étude, Zahedi et al. [27] concluent que des suggestions post-hypnotiques, visant à interférer avec l’accès au sens des mots, montrent des effets cohérents et durables sur le contrôle cognitif impliqué dans le test de Stroop (l’effet Stroop étant l’interférence que produit une information non pertinente au cours de l’exécution d’une tâche cognitive ; par exemple, lire une série de mots décrivant des couleurs écrits en noir ou avec des couleurs congruentes ou non). Les effets des suggestions post-hypnotiques se sont surtout manifestés par un raccourcissement significatif des temps de réaction aux essais par rapport à la condition sans hypnose, ce qui pourrait être interprété comme un indice que cela est dû à l’investissement d’un contrôle cognitif supplémentaire [27] et donc d’une plasticité cérébrale. Et les auteurs ajoutent que les instructions post-hypnotiques semblent être une méthode très prometteuse pour étudier et modifier les fonctions exécutives et d’autres fonctions cognitives.

PERSPECTIVES

Les résultats préliminaires sur des sujets non sélectionnés sont prometteurs. Ils permettent d’envisager la poursuite de cette expérimentation sur un groupe de patients DTM douloureux et d’étudier l’effet de l’hypnose après plusieurs séances.

Il serait intéressant d’étudier l’état de la science afin de savoir si l’hypnose est susceptible d’induire des effets neuro-plastiques à long terme dans d’autres champs médicaux recourant également à l’hypnose.

Pour les patients souffrant de DTM douloureux, un protocole idéal devrait dans un premier temps :

- déterminer leur seuil d’acuité occlusale de départ ;

- puis, dans un deuxième temps, ramener le seuil d’acuité occlusale faible à un seuil compatible avec un fonctionnement normalisé de la proprioception ;

- enfin, il conviendrait de vérifier l’efficacité de la prise en charge par une réévaluation de l’acuité occlusale pour un arrêt ou la poursuite des séances d’hypnose en parallèle d’une réévaluation de la douleur et des para-fonctions.

Il semble également pertinent d’envisager de former les patients à l’autohypnose afin de les rendre autonomes dans leur prise en charge et d’amplifier les effets des premières séances d’hypnose.

CONCLUSION

L’hypnose a montré son intérêt dans de nombreux domaines et notamment dans la gestion des douleurs chroniques des patients DTM et du bruxisme de l’éveil [23] mais la prise en charge des patients DTM douloureux semble pouvoir être améliorée. Une nouvelle approche thérapeutique par l’hypnoanalgésie centrée sur l’acuité occlusale pourrait être une voie de recherche susceptible de conduire à des résultats dans la prise en charge des patients porteurs de DTM.

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Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêts.

Remerciements

Nous tenons à remercier la société Bausch pour le prêt du matériel et des consommables nécessaires à la réalisation de cette étude et la société W&H pour le prêt d’un autoclave.