LES CIMENTS BIOCÉRAMIQUES SONT-ILS TOUS IDENTIQUES ?
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Professeur associé, DDS MSc PhD HDR, Faculté de chirurgie dentaire Robert Frank, INSERM UMR_S 1121, Strasbourg.
Un traitement endodontique optimal consiste à réaliser une cavité d’accès appropriée, une bonne mise en forme du système canalaire, une détersion efficace et finalement une obturation 3D optimale du système canalaire afin d’assurer l’étanchéité apicale. Plusieurs matériaux sont commercialisés et utilisés comme matériaux d’obturation du système canalaire lors d’un traitement endodontique. Parmi les différents matériaux utilisés dans le traitement endodontique,...
Le but de cette étude a été de montrer que les matériaux à base de silicate de calcium, biocéramiques, sont différents dans leurs compositions, formulations, activités biologiques, propriétés physicochimiques et mécaniques. Avec leurs propriétés biologiques, mécaniques et physicochimiques importantes, les ciments endodontiques à base de silicates de calcium deviennent de plus en plus utilisés dans le traitement endodontique. Les deux formulations, sealer et putty, ont montré des bonnes capacités d’obturation, une meilleure biocompatibilité et une bonne bioactivité comparées aux matériaux à base d’époxy résine. Les formulations prémélangées ont montré une meilleure capacité et une facilité d’obturation canalaire. La connaissance de la composition chimique, des propriétés mécaniques et des propriétés physicochimiques de ses produits est nécessaire pour les cliniciens qui les utilisent afin de pratiquer le meilleur traitement pour leurs patients.
Un traitement endodontique optimal consiste à réaliser une cavité d’accès appropriée, une bonne mise en forme du système canalaire, une détersion efficace et finalement une obturation 3D optimale du système canalaire afin d’assurer l’étanchéité apicale. Plusieurs matériaux sont commercialisés et utilisés comme matériaux d’obturation du système canalaire lors d’un traitement endodontique. Parmi les différents matériaux utilisés dans le traitement endodontique, notamment de la gutta-percha, de la résine époxy, de l’oxyde de zinc-eugénol et des ciments à base de silicate de calcium, les ciments à base de résine époxy sont considérés comme le gold standard depuis plusieurs années. Tous ses matériaux diffèrent en termes de réactions biologiques et physicochimiques qui peuvent altérer le traitement endodontique [1]. À la fin des années 1990, la première génération d’agrégat de trioxyde minéral (MTA), reposant sur un mélange de ciment Portland purifié et d’oxyde de bismuth, a été introduite dans sur le marché dentaire. Depuis, différentes générations de ce matériau ont été développées afin d’améliorer ses propriétés biologiques, chimiques et mécaniques. Une de ses modifications a permis la commercialisation, en 2008, d’un ciment biocéramique prémixé EndoSequence BC Sealer (Brasseler). Les ciments prémixés à base de silicates de calcium ont montré une meilleure capacité d’obturation canalaire, une élimination d’erreurs lors de la mise en œuvre du matériau et une facilité d’injection et de manipulation [2, 3].
Le terme « biocéramiques » est utilisé souvent dans les articles scientifiques. Ce terme est utilisé pour une famille de matériaux applicables dans plusieurs domaines de sciences médicales. Ces matériaux contiennent des céramiques soit bio-inertes (ne déclenchant aucune réaction biologique) soit bioactives (stimulant une réaction biologique).
L’objectif de cet article est de comparer les matériaux biocéramiques à base de silicates de calcium (MTA, Biodentine, EndoSequence, BioRoot RCS et Well-Root) du point de vue de leurs compostions, formulations, réactions biologiques, propriétés physicochimiques et mécaniques.
Les matériaux à base de silicate de calcium qui sont utilisés en endodontie peuvent être commercialisés sous deux formes : ciment de scellement dits sealer ou ciment de réparation dits putty. Les ciments de scellements sont utilisés afin de réaliser l’obturation canalaire. En revanche, le ciment de réparation endodontique est un matériau plus visqueux, il est utilisé dans les cas de perforations, coiffage pulpaire, microchirurgie apicale, pulpotomie et dent immature. Les sealer et les putty peuvent être commercialisés sous forme poudre/liquide ou prémixés. La mise en œuvre manuelle des systèmes poudre/liquide lors du mélange peut altérer les propriétés physicochimiques de ces ciments. Au contraire, les ciments prémixés peuvent éviter ces erreurs de mélange manuel et faciliter l’application clinique [2, 4].
L’agrégat de trioxyde minéral (MTA) contient un mélange de silicate dicalcique, de silicate tricalcique, d’aluminate tricalcique, de gypse, d’alumino-ferrite tétracalcique et d’oxyde de bismuth [5]. Les premiers produits à base de MTA étaient gris et la plupart des recherches ont porté sur cette formulation. Cependant, en raison des problèmes de coloration signalés lorsque des résidus de MTA étaient laissés dans la couronne, la version blanche du MTA a été introduite sur le marché en 2002 [6]. La différence entre les deux couleurs est principalement due à une diminution des concentrations d’oxydes de fer, d’aluminium et de magnésium dans le MTA blanc [7, 8]. La principale différence réside dans la proportion relative d’oxyde de fer : le MTA blanc en contient 90,8 % de moins que le MTA gris d’origine [8]. D’autres produits à base de silicate tricalcique ont été développés, améliorant l’invention originale du ciment Portland [5]. Par exemple, le MTA Biorep (Itena Clinical), une formulation de MTA sans oxyde de bismuth, a été introduite. Ce ciment MTA contient du tungstate de calcium comme agent radio-opaque, qui est plus biocompatible que l’oxyde de bismuth [2]. Une autre différence majeure concerne son liquide à base d’eau, qui contient un plastifiant organique, améliorant la manipulation et la plasticité [2].
Biodentine (Septodont) est un ciment/poudre liquide. La partie poudre contient du silicate tricalcique, du carbonate de calcium, de l’oxyde de zirconium et de l’oxyde de calcium [9]. L’oxyde de zirconium a été utilisé à la place de l’oxyde de bismuth comme agent radio-opaque non inducteur de décoloration [10]. La partie liquide est composée de chlorure de calcium et d’un mélange de polycarboxylate [11].
Le matériau de réparation radiculaire Endo-Sequence (Brasseler, USA) est un ciment prémélangé composé principalement de silicate de calcium, de phosphate de calcium monobasique, de silicate tricalcique, de silicate dicalcique, d’hydroxyde de calcium, d’oxyde de zirconium et d’oxyde de tantale [9]. Ces deux derniers composants servent d’agents radio-opaques [9]. En tant qu’alternative au MTA, le matériau EndoSequence a été considéré comme bioactif, c’est-à-dire ayant la capacité à former un précipité de type apatite à sa surface lorsqu’il est mis en contact avec des fluides tissulaires [12]. Cette formation d’hydroxyapatite in situ est due au phosphate monocalcique présent dans le matériau [12].
BioRoot RCS (Septodont) est un ciment hydraulique poudre/liquide composé de silicate tricalcique, de dioxyde de zirconium et de povidone dans la poudre. Le liquide contient une solution aqueuse de chlorure de calcium et de polymère hydrosoluble [13].
Well-Root PT (Vericom, Corée du Sud) est un nouveau ciment composé d’aluminosilicate de calcium et d’oxyde de zirconium, pré-mélangé, présenté sous forme de capsules pour une utilisation clinique directe [4].
La raison pour laquelle un ciment à base de silicate tricalcique, tel que le MTA, possède une activité antibactérienne est principalement due à l’augmentation du pH pendant le processus de prise (pH alcalin). Le pH augmente en raison de la formation d’hydroxyde de calcium pendant la réaction d’hydratation du MTA. Torabinejad et al. [14] ont montré que le pH du MTA est de 10,5 au moment du mélange et peut augmenter jusqu’à 12,9 après 3 heures de prise. Un pH élevé affecte la structure bactérienne en provoquant la dégradation de l’ADN et des protéines de la membrane bactériennes, ce qui entraîne une diminution de la viabilité cellulaire [15, 16].
Le biofilm de Enterococcus faecalis serait incapable de survivre si les valeurs de pH étaient supérieures à 11,5 [17]. Le MTA a également montré une activité antimicrobienne sur d’autres types de biofilms bactériens, notamment Staphylococcus aureus, Escherichia coli, Pseudomonas aeruginosa et Porphyromonas gingivalis [18]. Des effets antifongiques similaires ont été rapportés dans des études antérieures [19, 20]. Heyder et al. [21] ont indiqué que le comportement antibactérien du MTA ne pouvait être détecté que lorsqu’il était fraîchement mélangé à l’aide d’un test de contact direct. Il est donc possible que l’activité antibactérienne des matériaux à base de MTA diminue après la prise.
Il a été démontré que l’activité antimicrobienne de la Biodentine dépendait de la libération d’ions calcium et du pH alcalin [22, 23]. Le processus de prise de la Biodentine a également permis d’augmenter les valeurs de pH [18, 24]. Les propriétés alcalines et de libération du calcium ont permis à la Biodentine d’éliminer E. faecalis lors d’un test de contact direct [25]. Une autre étude récente a montré que la Biodentine avait une excellente activité antibactérienne dès le premier contact avec les bactéries [26]. Cependant, les résultats de la microscopie confocale ont montré que la Biodentine perdait cette activité antimicrobienne après une exposition prolongée aux biofilms [26]. La Biodentine s’est également révélée inefficace contre les biofilms multiespèces [27]. L’incorporation de tétrafluorure de titane à la Biodentine a permis d’améliorer ses propriétés antimicrobiennes [28].
Le matériau de réparation radiculaire Endo-Sequence démontre son activité antibactérienne pendant sa réaction de prise en raison de son pH hautement alcalin et de la libération d’ions minéraux [29]. Un test de contact direct a montré que le ciment matériau de réparation radiculaire EndoSequence possédait des propriétés antimicrobiennes contre 10 souches cliniques de E. faecalis pendant leur temps de prise [30]. En outre, le matériau de réparation radiculaire EndoSequence et le MTA ont une activité antifongique comparable contre le biofilm de C. albicans [31].
Le MTA, le matériau EndoSequence et la Biodentine ont donné des résultats différents lorsque les cultures de cellules fibroblastes ont été évaluées après 24 et 48 heures. Même si tous les matériaux ont montré une augmentation de la viabilité cellulaire au cours des 24 premières heures, une légère diminution de la viabilité cellulaire a été observée au bout de 48 heures. Le MTA a montré une augmentation statistiquement significative de la viabilité cellulaire par rapport au matériau EndoSequence et à la Biodentine [32].
Probablement en raison de la libération de calcium et de ses propriétés de biominéralisation, BioRoot RCS a des effets antimicrobiens et antibiofilms moyens à court terme mais supérieurs à long terme [13]. Une étude récente par microscopie confocale a montré que Bio-Root RCS avait une efficacité de destruction microbienne accrue contre le biofilm multiespèces [33]. Ceci est probablement dû au fait que BioRoot RCS maintient un environnement à haute alcalinité pendant une période longue. Il a été rapporté que BioRoot RCS détruisait les biofilms de E. faecalis [23, 34]. Dans des études utilisant des bactéries planctoniques, BioRoot RCS a montré des effets de destruction comparables à celles du MTA Fillapex après 6 minutes de contact [35]. De plus, après une exposition de 30 jours, BioRoot RCS a éliminé un pourcentage élevé de bactéries [34].
Ashi et al. [4] ont comparé in vitro l’activité antibactérienne du MTA Biorep, de la Biodentine et du Well-Root PT. La croissance bactérienne a été significativement inhibée par les trois ciments. Aucune différence significative n’a été trouvée entre eux pour l’efficacité contre E. faecalis. Les trois ciments ont éliminé environ 50 % des bactéries après 24 heures, par rapport au contrôle. De même, Well-Root PT a créé un pH alcalin élevé similaire à celui du ciment MTA Biorep.
Les trois ciments MTA Biorep, Biodentine et Well-Root PT présentent des caractéristiques cristallines différentes après immersion dans du PBS (tampon phosphate salin) [4]. Des cristaux cubiques ont été observés sur les échantillons MTA Biorep et Biodentine après 7 jours d’immersion dans le PBS [4]. Les cristallites de Biodentine étaient plus nombreuses et plus petites que celles du MTA Biorep. Des cristaux allongés ont été observés sur les surfaces du Well-Root PT [4]. L’analyse chimique a révélé des compositions chimiques différentes pour les cristaux formés sur chaque ciment. Un test d’angle de contact a été utilisé comme indicateur du comportement de mouillage d’un matériau solide (le ciment) et d’un liquide (l’eau). La mesure de l’angle de contact est influencée par la rugosité de la surface [36] et la composition chimique de la surface [37]. La rugosité de la surface du Well-Root PT était inférieure à celle du MTA Biorep et de la Biodentine, ce qui pourrait être lié à la taille des particules de chaque ciment [4]. La surface du MTA Biorep qui présentait les valeurs de rugosité les plus élevées par rapport à la Biodentine et au Well-Root PT a montré une hydrophilie plus élevée que les deux autres ciments qui peut être reliée avec un meilleur attachement cellulaire [4].
Le BioRoot présente une solubilité élevée après 14 jours dans l’eau distillée en comparant avec un ciment d’obturation prémixé à base de silicate de calcium (CeraSeal, Meta Biomed Co, Corée du Sud) [38]. La solubilité des ciments de scellement du canal radiculaire ne doit pas dépasser 3 % de la masse après 24 heures dans l’eau, conformément à la spécification ISO 6876:2012. La solubilité de cet agent de scellement était supérieure à 3 % après 24 heures [38-40]. Une solubilité élevée peut être responsable de la création d’espaces entre les matériaux de scellement et la dentine du canal radiculaire, entraînant une perte de la capacité de scellement et une voie d’accès pour les micro-organismes [35]. La rugosité de surface de BioRoot est plus élevée que celle du ciment prémixé [38]. En effet, la rugosité de la surface est l’un des principaux facteurs susceptibles d’affecter la mesure de l’angle de contact [36]. De plus, une surface plus rugueuse peut également offrir une biocompatibilité supérieure [41]. En conséquence, il semble que le ciment BioRoot augmente l’adhésion, l’attachement cellulaire et l’adsorption des protéines [42]. En plus, le ciment prémixé (Ceraseal) a présenté moins de vides dans le système canalaire en comparant avec un ciment biocéramique poudre/liquide (figure 1).
Par ailleurs, le principal avantage d’un ciment pré-mélangé, comme EndoSequence ou Well-Root PT, consiste à obtenir un mélange homogène sans avoir à se préoccuper de la modification du rapport poudre/liquide [43, 44]. En effet, toute modification du rapport poudre/ liquide au cours de la procédure de mélange peut entraîner une altération de la résistance à la compression [45], de la solubilité [46] et de la force d’adhérence du ciment endodontique à la dentine [47].
Pendant la prise de la Biodentine, la résistance à la compression augmente de 100 MPa au cours de la première heure et de 200 MPa au bout de 24 heures. Elle continue à augmenter avec le temps pendant plusieurs jours jusqu’à atteindre 300 MPa après un mois [48], ce qui est comparable avec la résistance à la compression de la dentine naturelle qui est de 297 MPa [49]. Une étude menée par Grech et al. a montré que la Biodentine présentait la résistance à la compression la plus élevée par rapport aux autres matériaux testés en raison du faible rapport eau/ciment [50]. La résistance à la flexion de tout matériau dentaire est un facteur important car elle diminue le risque de fracture en utilisation clinique. Walker et al. ont constaté que la résistance à la flexion du MTA était de 14,27 MPa lorsque les échantillons étaient exposés à une humidité après 24 heures de temps de prise [51]. Cependant, la résistance à la flexion de la Biodentine enregistrée après 2 heures est de 34 MPa [52]. En tout cas, plusieurs études ont montré que la résistance à la compression des ciments endodontiques n’est pas importante lorsque ce ciment est appliqué dans la partie radiculaire. En revanche, d’autres études ont montré que les propriétés mécaniques de ces ciments sont importantes lorsqu’ils sont appliqués dans la partie coronaire [1, 38, 53, 54]. Une étude récente a montré que les propriétés mécaniques de ses ciments sont importantes dans la partie apicale afin de diminuer le stress distribué dans la racine dentaire [55].
Les propriétés physicochimiques, mécaniques et biologiques des ciments d’obturation canalaire à base de silicate de calcium dans les deux formulations, sealer et putty ont montré des bonnes capacités d’obturation, une meilleure biocompatibilité et une bonne bioactivité. Les matériaux endodontiques à base de silicate de calcium commercialisés présentent des réactions biologiques différentes et se comportent différemment avec les tissus dentaires et la zone péri-apicale. La connaissance de leur composition chimique, de leurs propriétés mécaniques et de leurs propriétés physicochimiques est nécessaire aux cliniciens afin d’obtenir le meilleur traitement pour les patients. Jusqu’à présent, les recherches scientifiques ont montré l’efficacité de ces ciments dans le traitement endodontique malgré les deux points négatifs de ses matériaux que sont leur solubilité élevée et leur désobturation difficile. Il est important pour les cliniciens d’utiliser des matériaux réputés à base de silicate de calcium qui ont montré des bons résultats cliniques (figure 2).
L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêts.