LES CIMENTS BIOCÉRAMIQUES À BASE DE SILICATE DE CALCIUM, DE QUOI PARLE-T-ON ?
Endodontie
Davide MANCINO* Maryline MINOUX** Youssef HAÏKEL***
*PU-PH, Département d’Odontologie conservatrice Endodontie, Faculté de chirurgie dentaire Robert Frank, Université et Hôpitaux Universitaires de Strasbourg.
Le terme « biocéramique » désigne un groupe de céramiques biocompatibles, chimiquement stables et non corrosives. Elles peuvent être bioactives ou bio-inertes, déclenchant ou non, respectivement, une réaction biologique au sein du tissu hôte. En médecine, les céramiques bio-inertes sont notamment utilisées pour la fabrication des prothèses articulaires et des valves cardiaques tandis que les céramiques bioactives sont utilisées comme substitut osseux ou...
L’objectif de ce numéro de CLINIC est de décrire l’utilisation des biocéramiques en endodontie, plus scientifiquement et correctement appelées ciments à base de silicate de calcium (CBSC), et de détailler leurs applications et leurs propriétés à la lumière de notre expérience clinique et des études réalisées par notre équipe et d’autres, in vitro et in vivo. Ces matériaux s’imposent à présent comme la référence dans la gestion des procédures de préservation de la vitalité pulpaire, dans le traitement des dents permanentes immatures nécrosées, dans le traitement des perforations, iatrogènes ou induites par une résorption, dans les traitements endodontiques chirurgicaux avec obturation par voie rétrograde ; par ailleurs, ils tentent de détrôner les techniques traditionnelles d’obturation canalaire orthograde de leur position dominante. Cependant, il est nécessaire de comprendre qu’aucune technique, ni aucun matériel « miracle » ne peut pallier les principes fondamentaux de l’endodontie : mise en forme, désinfection, et obturation.
Le terme « biocéramique » désigne un groupe de céramiques biocompatibles, chimiquement stables et non corrosives. Elles peuvent être bioactives ou bio-inertes, déclenchant ou non, respectivement, une réaction biologique au sein du tissu hôte. En médecine, les céramiques bio-inertes sont notamment utilisées pour la fabrication des prothèses articulaires et des valves cardiaques tandis que les céramiques bioactives sont utilisées comme substitut osseux ou dans les thérapeutiques de régénération osseuse [1, 2].
En 1997, à la suite de nombreuses études précliniques concluantes, la Food and Drug Administration (FDA) a autorisé l’utilisation chez l’homme d’un nouveau matériau minéral bioactif, le Mineral Trioxide Aggregate (MTA) [3], le premier à avoir été commercialisé étant le ProRoot MTA (Dentsply Sirona) composé de silicates di et tricalciques, d’aluminates tricalciques, de gypse, d’alumino-ferrite tétracalcique et d’oxyde de bismuth (qui lui confère sa radio-opacité) [4]. Le MTA est en réalité un dérivé du ciment de Portland ; l’histoire de ce ciment remonte à l’époque romaine où il était utilisé en raison de sa capacité à durcir sous l’eau, ce qui permettait de construire des ponts, des ports et des aqueducs.
Par la suite, en raison de certains inconvénients du MTA, tels que l’induction de dyschromies, un temps de prise long et une manipulation difficile, plusieurs modifications ont été apportées et de nouvelles formulations ont été développées [4]. Le premier de ces nouveaux ciments a été la Biodentine (Septodont) qui représente un progrès par rapport au MTA en termes de temps de prise, de manipulation et de dyschromies mais qui a l’inconvénient de ne pas être suffisamment radio-opaque.
Initialement, ces nouvelles formulations étaient disponibles uniquement en consistance dite putty avec des indications identiques à celles du MTA, incluant :
- les procédures de préservation de la vitalité pulpaire ;
- le traitement des dents immatures nécrosées ;
- le traitement des perforations, iatrogènes ou induites par une résorption ;
- les traitements endodontiques chirurgicaux avec obturation par voie rétrograde.
Dans ces situations cliniques particulières, ces matériaux communément appelés de la famille des « biocéramiques » s’imposent à présent comme la référence.
Plus récemment sont apparus sur le marché des ciments à base de silicates de calcium de type sealer destinés à l’obturation endodontique. Ils tentent de détrôner les techniques traditionnelles de leur position dominante pour l’obturation endodontique réalisée par voie orthograde.
À noter que le terme biocéramiques couramment utilisé pour décrire ces matériaux a tendance à prêter à confusion puisque, comme mentionné plus haut, les biocéramiques englobent un large groupe de matériaux céramiques utilisés in vivo, non spécifiques aux ciments composés de silicates dicalciques ou tricalciques. On préfèrera donc utiliser le terme de ciments à base de silicate de calcium (CBSC), ces CBSC pouvant être classés en fonction de leur composition, de leur mécanisme de prise et de leur consistance.
Les CBSC présentent un certain nombre d’avantages :
• une très bonne biocompatibilité [5, 6] ;
• une puissante action antibactérienne du fait de leur pH alcalin autour de 12 [7] ;
• une très bonne stabilité dimensionnelle pendant la réaction de prise [8] ;
• un caractère hydrophile [9], ce qui contribue à leur tolérance à l’humidité. Ils sont par ailleurs dits hydrauliques car, de par leur constitution, ils vont prendre (durcir) en présence d’eau ;
• une bioactivité :
- les silicates dicalciques et tricalciques réagissent avec les molécules d’eau pour aboutir à la formation d’un gel de silicate de calcium hydraté et d’hydroxyde de calcium. Des ions silicium, calcium et hydroxyle vont ensuite être libérés. Les ions calcium vont réagir avec les ions phosphate présents dans le milieu pour former ce qui a été identifié comme de l’hydroxyapatite (apatite carbonée) ou pseudoapatite, déclenchant une réaction de minéralisation de la dentine avec création d’une couche d’infiltration minérale contribuant à optimiser l’adhésion du ciment aux surfaces dentinaires [4, 10]. Cette propriété explique les très bonnes propriétés d’étanchéité et d’adhésion à la dentine de ces matériaux (figure 1).
En théorie, lorsque le ciment entre en contact avec les fluides intra-tubulaires, une réaction de précipitation de cristaux d’apatite pourrait améliorer l’étanchéité de l’obturation, y compris en présence d’un hiatus [11] ;
- les CBSC activent l’expression de gènes et de protéines impliqués dans l’angiogenèse et l’ostéogenèse au niveau des fibroblastes du ligament alvéolo-dentaire, stimulant ainsi la réparation des tissus péri-apicaux [12-14] ;
- ils sont par ailleurs capables d’induire une apposition cémentaire [15] et, lorsqu’ils sont utilisés comme matériau de coiffage pulpaire, d’induire la création de ponts dentinaires [16]. En revanche, une des problématiques réside dans leur sensibilité à l’acidité du milieu. En effet, lorsqu’ils sont placés au niveau d’un site inflammé et infecté, certaines de leurs caractéristiques peuvent être affectées du fait d’une acidification du milieu [17, 18]. La présence d’un pH acide peut notamment entraîner une augmentation du temps de prise et, par conséquent, une amplification du phénomène de wash-out (le CBSC subit un « lessivage » qui peut aller jusqu’à sa dissolution complète) [19]. De plus, au niveau microstructural, en présence d’un pH acide, le CBCS peut présenter d’importantes porosités après la réaction de prise, qui représentent de véritables canaux de passage pour les bactéries et pourraient avoir un effet néfaste en termes d’étanchéité. Dans ce cas, au microscope électronique à balayage (MEB), ces matériaux présentent un aspect caractéristique en nid d’abeille (figure 2).
Ces phénomènes sont surtout observés pour les CBCS conventionnels qui ont un temps de prise long ; ils sont moindres pour les CBCS de nouvelle génération à prise rapide comme la Biodentine, le Well-Root PT (Vericom) ou le TotalFill BC RRM Fast Set Putty (FKG).
Le développement de nouvelles formulations a permis de s’affranchir des inconvénients liés aux CBSC conventionnels, telles que la survenue de dyschromies ou des temps de prise longs.
Cependant, la présence de ces nombreux produits, qui diffèrent par leur consistance (putty ou sealers), par leur présentation (pré-mixés ou à mélanger), ainsi que par leur composition chimique, rend le choix difficile pour le praticien. Vu la popularité croissante de l’utilisation des CBSC, notamment des CBSC sealers, il est important de rappeler la nécessité d’une bonne connaissance de ces produits pour éviter une utilisation inappropriée, d’autant que les protocoles cliniques varient parfois d’une formulation à l’autre.
Par ailleurs, les études cliniques à large échelle et/ou à long terme font défaut pour les produits les plus récents. Alors que le MTA a fait ses preuves, les études devront s’atteler à définir si l’utilisation des différents CBSC putty de nouvelle génération présentent effectivement des performances cliniques équivalentes et si les CBSC sealers offrent des performances comparables aux techniques d’obturation endodontique conventionnelles, en déterminant éventuellement des situations cliniques pour lesquelles leur utilisation serait particulièrement appropriée. De plus, leur composition chimique variée, notamment le pourcentage total de silicates de calcium, qui peut aller de moins de 20 % pour les CBSC à faible teneur en silicate à plus de 40 % pour les CBSC à haute teneur en silicate [20], fait que les données obtenues pour l’un ne pourront pas être généralisées aux autres.
Les articles de ce numéro ont pour objectif de décrire l’utilisation des CBSC en endodontie et de discuter leurs applications et leurs performances, à la lumière de l’expérience clinique et des études in vitro et in vivo.
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêts.