EST-IL POSSIBLE DE COLLER SUR LES BIOCÉRAMIQUES ?
LE POINT DE VUE DU CHERCHEUR
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Naji KHAROUF* François REITZER**
*Professeur associé, DDS MSc PhD HDR, Faculté de chirurgie dentaire Robert Frank, INSERM UMR_S 1121, Strasbourg.
**MCU-PH, Département d’Odontologie conservatrice Endodontie, Faculté de chirurgie dentaire Robert Frank, Pôle de Médecine et de Chirurgie bucco-dentaire, Université et Hôpitaux Universitaires de Strasbourg.
Le matériau de restauration coronaire idéal n’existe actuellement pas. Depuis les années 1970, les cliniciens ont toujours essayé d’associer des matériaux de restauration entre eux pour combiner leurs propriétés afin de répondre aux impératifs et besoins cliniques. L’exemple le plus notable en la matière, décrit dans les années 1990, a été l’association de ciments verre ionomères (CVI) avec des résines composites dans les techniques dites sandwich [
Le collage d’une résine composite sur une biocéramique est tout à fait possible mais nécessite la mise en place d’un adhésif amélo-dentinaire. Si la situation clinique permet de réaliser la restauration d’usage dans la séance, l’adhésion sera réalisée à l’aide d’un adhésif auto-mordançant (préférentiellement universel) sans mordançage préalable à l’acide orthophosphorique. La mise en place d’un apport extrêmement localisé de la biocéramique (effraction pulpaire traumatique, exérèse carieuse sélective…) est suivie par la mise en place d’un adhésif universel à pH doux (contenant des monomères de phosphates acides tels que le 10-MDP) en mode auto-mordançant afin d’obtenir des valeurs d’adhérence satisfaisantes sans dégrader le ciment. Pour les collages différés (idéalement entre 48 h et 15 j, voire au-delà), impliquant souvent des apports plus importants de biocéramiques (pulpotomie, substitut dentinaire…), il est recommandé de mordancer au préalable la biocéramique avec de l’acide orthophosphorique à 37 % pendant 15 secondes avant d’appliquer le système adhésif afin d’augmenter la rétention micromécanique de l’adhésif dans le ciment.
Le matériau de restauration coronaire idéal n’existe actuellement pas. Depuis les années 1970, les cliniciens ont toujours essayé d’associer des matériaux de restauration entre eux pour combiner leurs propriétés afin de répondre aux impératifs et besoins cliniques. L’exemple le plus notable en la matière, décrit dans les années 1990, a été l’association de ciments verre ionomères (CVI) avec des résines composites dans les techniques dites sandwich [1]. Le premier, plus tolérant à l’humidité, est plus simple à mettre en place dans les situations cliniques difficiles ; le second quant à lui assure un meilleur rendu esthétique et des propriétés mécaniques plus importantes. Ces techniques sont nettement moins décrites et utilisées aujourd’hui pour deux principales raisons : la solubilisation et la dégradation (menant à la fracture) du CVI dans le temps ainsi que la fragilité de l’interface entre ces deux matériaux [2-4].
Aujourd’hui, on ne peut s’empêcher de faire le parallèle entre ces techniques sandwichs et l’association entre les biocéramiques et les résines composites. Si les propriétés mécaniques et esthétiques des résines composites ne cessent de croître, les biocéramiques sont aujourd’hui incontournables dans les procédures cliniques visant à préserver la vitalité pulpaire, voire même dans l’obturation canalaire suite à une biopulpectomie. La combinaison entre ces deux matériaux soulève plusieurs questions. Quel protocole clinique adopter lorsque l’on souhaite coller une résine composite sur une biocéramique ? Ce protocole peut-il être impacté ou est-il sujet à être modifié en fonction de la cinétique de prise de la biocéramique ? Les protocoles contemporains d’adhésion (adhésifs universel, sablage) peuvent-ils influencer les performances de cette adhérence ?
Les biocéramiques ne peuvent pas rester exposées dans la cavité buccale sur le long terme. La Biodentine, par exemple, possède un temps de prise initial de 12 minutes (données fabricant). Sa résistance à la compression est de 100 MPa après 1 heure, 200 MPa à 24 heures et 300 MPa à 1 mois (297 MPa en moyenne pour la dentine naturelle) [5]. Les propriétés intrinsèques du matériau permettent de laisser penser qu’il est un bon substitut dentaire dans les situations nécessitant la mise en place d’un matériau bioactif. Il doit, dans un délai maximum de 6 mois, être recouvert pour éviter toute dégradation (chimique ou physique) [6]. Le matériau de choix pour recouvrir la biocéramique reste la résine composite. De nombreuses études ont comparé les protocoles d’application de systèmes adhésifs sur des biocéramiques de première génération dérivées du ciment de Portland, utilisées pour restaurer la portion coronaire de la dent (Biodentine, MTA, Theracal LC), après un temps de prise compris entre 24 heures et 28 jours [7]. Le mordançage préalable avec de l’acide orthophosphorique 37 % pendant 20 secondes augmente significativement les valeurs d’adhérence entre le système adhésif et des matériaux tels que le MTA ou le Theracal LC (Bisico). Le mordançage à l’acide améliore la mouillabilité et donc la force d’adhérence avec la résine composite. En outre, dans un environnement acide, la porosité de la surface augmente, ce qui provoque des zones de micro-rétention favorables à l’imbrication micromécanique des matériaux en résine [8].
Concernant la Biodentine, l’utilisation d’un adhésif avec mordançage-rinçage ou d’un automordançant donne des valeurs d’adhérence acceptables [7]. La Biodentine laissée sans traitement présente une couche superficielle cristalline après 3 jours dans un milieu humide à 37 °C (figure 1a). À l’inverse, après un temps de prise initial de 48 heures, la surface mordancée avec l’acide phosphorique pendant 15 secondes (avant stockage de 3 jours/37 °C) n’a montré aucune réaction cristallographique (figure 1b). L’interface Biodentine/adhésif sans prétraitement est nette (figure 1c) tandis que, dans l’autre groupe, on observe une interface où les deux matériaux s’imbriquent entre eux (figure 1d).
La principale hypothèse avancée pouvant expliquer les valeurs d’adhérence satisfaisantes des adhésifs auto-mordançants sur la Biodentine est la possible interaction chimique entre la phase cristalline, riche en calcium, de la Biodentine et les monomères de phosphates acides de l’adhésif.
L’hétérogénéité des résultats observés dans les différents articles de la littérature vient comme souvent d’un manque d’homogénéité des produits utilisés, avec des adhésifs automordançants pouvant contenir différents types de monomères fonctionnels (10-MDP, PENTA…) à des cinétiques d’application différentes (allant de 1 à 28 jours post-placement de la Biodentine).
Qui dit ciment dit cinétique de prise qui n’est pas instantanée. Pour refaire un parallèle avec les ciments verre ionomères (qui n’ont en commun avec les biocéramiques que la dénomination ciment), une étude récente a montré que les valeurs d’adhérence entre un adhésif universel et un CVI étaient meilleures si l’adhésif était placé immédiatement sans attendre la prise complète du CVI. Cela favoriserait, d’après les auteurs, les interactions chimiques entre les particules de calcium contenues dans le CVI et les monomères de phosphates contenus dans l’adhésif [9].
L’évolution de la composition des systèmes adhésifs est donc à mettre en relation directe avec les procédures cliniques visant à coller sur les biocéramiques. En effet, le fait d’utiliser un adhésif universel à pH doux en mode auto-mordançant permet d’avoir des valeurs d’adhérence importantes immédiatement après une prise initiale de 12 minutes de la Biodentine [10]. Un pH élevé va être moins agressif avec le ciment hydraté encore peu cristallisé.
En revanche, l’utilisation d’un adhésif automordançant à pH bas ou d’un système mordançage rinçage (MR) n’est pas recommandée car cela affectera directement le processus de cristallisation et impactera donc de façon négative les valeurs d’adhérence.
Pendant ces 2 premières semaines de prise, la Biodentine continue sa cristallisation et devient plus dure, moins poreuse, ce qui diminue le potentiel de rétention micromécanique de l’adhésif. À ce stade, et afin d’améliorer la performance du collage sur une Biodentine, il est donc recommandé de réaliser un mordançage préalable de cette dernière avec de l’acide orthophosphorique pendant 15 secondes et de le rincer avant d’appliquer la résine adhésive.
Finalement, le collage d’une résine composite sur une biocéramique est tout à fait possible si un adhésif amélo-dentinaire est mis en place. Les valeurs d’adhérence retrouvées dans la littérature restent tout de même très hétérogènes (selon la nature des tests et des conditions de laboratoire) avec des résultats parfois contradictoires. Les protocoles publiés gagneraient à être davantage homogénéisés avant de pouvoir énoncer une fourchette de valeurs d’adhérence plus précise [10]. Globalement, la connaissance de la composition des matériaux utilisés, de la cinétique de leur prise et de leurs interactions permet de proposer des protocoles cliniques de plus en plus performants. S’il est aujourd’hui possible de coller sur les biocéramiques, des pistes d’amélioration sont explorées en recherche, incluant des techniques utilisées en dentisterie adhésive telles que le micro-sablage à l’oxyde d’alumine. Le sablage pourrait permettre d’éviter de perdre la part cristalline superficielle de la Biodentine (comme le provoque l’application d’acide orthophosphorique) tout en créant de la microrétention mécanique. L’adhésif universel pourrait donc exprimer tout son potentiel alliant micro- rétention mécanique et liaison chimique avec la biocéramique. Affaire à suivre…
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêts.