FLUX NUMÉRIQUE OU CONVENTIONNEL POUR L’ÉLONGATION CORONAIRE EN SECTEUR ESTHÉTIQUE
Dossier
Anthony ATLAN* Asselin BONICHON**
*DDS, MSc. Ancien AHU Université Paris Descartes. Co-fondateur du DentalClub. Exercice libéral à Paris.
**Laboratoire LNT à Paris.
L’élongation coronaire dans le secteur esthétique est une technique ancienne permettant de répondre simplement aux doléances de patients présentant une dysharmonie du rapport dento-gingival. Les nouvelles technologies permettent d’aborder ces procédures chirurgicales de manière plus sereine et plus sûre mais nécessitent un temps d’acquisition et d’analyse de données non négligeable. L’objectif de cet article est de montrer dans quelles situations il semble plus pertinent d’opter pour un flux numérique.
Lorsque l’indication d’élongation coronaire dans le secteur esthétique est posée [1], le praticien est confronté au choix :
- de la technique chirurgicale : avec ou sans lambeau [2, 3] ;
- du protocole : élongation coronaire conventionnelle (sans guide chirurgical) ou planifiée numériquement à l’aide d’un guide chirurgical.
Les outils numériques nous offrent aujourd’hui un niveau de planification et une finesse diagnostique inégalés [4-6]. Cela permet des traitements plus prévisibles. Cependant, ces outils impliquent l’enregistrement de données multiples (empreinte numérique, CBCT) et une expertise dans l’utilisation des logiciels de conception et de planification [7, 8]. Si, dans les cas de réhabilitation de grande étendue, leur utilisation se trouve largement justifiée, la question de leur pertinence se pose pour un certain nombre de situations. Des générations de praticiens ont réalisé pendant des décennies des techniques d’élongation dans le secteur esthétique avec des résultats optimaux sans aucun outil numérique.
L’objectif de cet article est de présenter ces flux de travail, leurs avantages et leurs limites au travers de cas cliniques.
Cette patiente consulte pour une doléance esthétique liée à la teinte et à un décalage des collets entre 12 et 22 (figures 1 à 7).
Un traitement par éclaircissement (protocole de Haywood) et une technique d’infiltration ont été réalisés pour gérer la doléance liée à la teinte des dents.
Seule la 22 nécessite une élongation coronaire. La gingivectomie est réalisée à main levée, à l’aide d’un bistouri électrique. La forme du collet de la 12 et la position du zénith gingival sont reproduites symétriquement.
L’espace biologique après gingivectomie n’étant pas respecté (distance avec la crête osseuse inférieure à 1 mm ici), une ostéotomie est nécessaire. Celle-ci est réalisée à l’aide d’un insert sonore diamanté sous irrigation (SF849, Komet).
Dans un cas unitaire comme celui-ci, la prise d’empreinte numérique, l’irradiation liée au CBCT et le temps dédié à l’analyse des données ne semblent pas pertinents en comparaison de la technique cliniquement guidée.
Cette patiente est adressée par son orthodontiste (Dr Pauline Haim) en fin de traitement (figures 8 à 26). Bien que les exigences orthodontiques soient totalement remplies, une doléance esthétique persiste par rapport au sourire gingival et à la forme apparente des dents. Le sondage et l’observation de la zone sous-gingivale marginale permettent d’objectiver un tissu gingival très épais, de grandes plages d’émail cervical recouvertes de gencive et une crête osseuse à proximité de la jonction amélo-cémentaire (JAC) [9].
Un diagnostic d’éruption passive altérée est posé. Il a été décidé de réaliser une élongation coronaire avec lambeau.
Une anesthésie est d’abord réalisée par technique para-apicale, avec chlorhydrate d’articaïne/adrénaline 1/200 000.
Afin de repérer le futur zénith gingival, 2 sondes sont utilisées. Une sonde placée dans le sulcus permet de détecter la JAC tactilement, par le léger ressaut induit par le profil d’émergence amélaire. La zone la plus apicale est recherchée, puis la gencive marginale est soulevée à l’aide de cette même sonde, en se décalant légèrement en distal pour l’obtention d’un zénith décalé lui aussi en distal, donnant une apparence plus naturelle. La pointe de la sonde apparaît par l’ischémie locale. La 2e sonde est alors utilisée pour pointer l’extrémité de la sonde parodontale au travers de la gencive marginale. Les zéniths gingivaux sont pointés ainsi, d’abord sur les centrales, puis sur les latérales et, enfin sur les canines.
Dans un second temps, la gingivectomie est réalisée à l’aide d’une lame 15C en joignant le zénith aux lignes de transition par un demi-cercle. L’utilisation d’un bistouri électrique donne des résultats équivalents sans saignement à cette étape.
Un lambeau d’épaisseur partielle au niveau des papilles puis d’épaisseur totale à leur base est levé, laissant apparaître une crête osseuse épaisse, bombée à moins de 1 mm de la JAC.
Une architecture osseuse physiologique et harmonieuse est recréée en 2 temps, à l’aide d’instruments rotatifs (kit élongation coronaire Paroplastic LD2726, Komet) :
- ostéotomie : afin de recréer l’espace biologique en position plus apicale au niveau radiculaire ;
- ostéoplastie : afin de recréer un contour osseux harmonieux au niveau interdentaire et d’affiner la crête osseuse reséquée. Sans ostéoplastie, le risque de récidive est plus élevé, l’ostéotomie seule ne gérant l’harmonie que dans le sens vertical.
Le lambeau est ensuite suturé au niveau des papilles à l’aide de points matelassiers verticaux. Les conseils post-opératoires sont remis au patient avec une ordonnance d’antalgiques de pallier 1 et des bains de bouche à commencer 48 heures après intervention.
Au contrôle, le contour gingival est amélioré mais certaines papilles apparaissent toujours trop épaisses. Une désépithélialisation est réalisée à l’aide d’une fraise boule diamantée.
Dans un cas comme celui-ci, où seule une élongation coronaire est envisagée, sans modification de la forme des dents, une analyse 3D numérique associant CBCT et empreinte optique aurait pu permettre de faire un guide de gingivectomie et d’ostéotomie, facilitant la chirurgie et assurant un résultat peut être plus précis. Mais encore une fois, le temps d’analyse des données et du design, l’irradiation et le coût paraissent excessifs au regard des avantages attendus.
Au contrôle à 3 mois, la patiente est parfaitement satisfaite du résultat obtenu et la difficulté clinique a été relative.
Ce patient consulte pour doléance esthétique par rapport à la forme de ses dents, ses diastèmes et son sourire gingival (figures 27 à 51).
Un bilan photographique, des empreintes optiques et un examen CBCT sont réalisés.
Un projet esthétique est proposé au patient. Il vise à fermer les diastèmes, diminuer le ratio hauteur/largeur des dents antérieures et diminuer le sourire gingival par élongation coronaire.
Pour valider esthétiquement le projet, un mock up de motivation est mis en place. Les photos et vidéos sont montrées au patient qui valide esthétiquement le projet.
Le plan de traitement associant facettes céramiques et élongation coronaire est validé.
L’analyse des données montre un espace biologique insuffisant après gingivectomie, ce qui indique donc une ostéotomie associée.
Un guide d’élongation coronaire est fabriqué en fonction des données du projet. Le rebord supérieur de la fenêtre de gingivectomie présente une largeur de 3 mm, créant ainsi un repère pour l’ostéotomie. Celle-ci peut être réalisée par des instruments rotatifs ou oscillants. Ici, l’instrument (SFS121, Komet) permet de réaliser l’ostéotomie guide en place.
Après fermeture du lambeau, les conseils post-opératoires sont donnés et une ordonnance d’antalgiques de pallier 1 et de bains de bouche est remise au patient.
Le patient est revu rapidement en contrôle à 4 semaines afin de reprendre une empreinte pour adapter le projet à la nouvelle situation. En effet, même si, dans le plan frontal, le projet reste le même, dans les cas d’élongation coronaire, le projet est forcément projeté en vestibulaire par rapport au projet final. Il y a donc un mock up de motivation et un 2e projet final, fonctionnel, physiologique, où les facettes sont beaucoup moins projetées en vestibulaire.
Si le mock up de motivation est pris comme référence après élongation coronaire, cela :
- impose un profil d’émergence très bombé et horizontal par rapport à la racine (figures 29 et 30) ;
- crée de fait un manque d’épaisseur de préparation en vestibulaire.
Une fois le projet de motivation modifié en projet final, les dents sont préparées à travers le mock up final pour minimiser les besoins de préparation.
L’empreinte est envoyée au laboratoire. Les facettes sont usinées (Empress CAD Multi B1), maquillées et polies.
La mise en place de la clef d’élongation coronaire sur le modèle de préparation montre une parfaite correspondance entre le projet, la gingivectomie réalisée et les préparations.
Les facettes sont essayées puis assemblées sous champ opératoire.
Le patient est revu en contrôle. Il est parfaitement satisfait. Le projet prothétique et chirurgical est parfaitement respecté car il a pu être contrôlé tout au long du traitement.
L’outil numérique apporte des avantages évidents en termes de planification et prédictibilité. Cependant, dans les cas où seule une élongation coronaire est prévue ou lorsque le traitement implique 1, 2, voire 3 dents, des techniques manuelles cliniques permettent d’obtenir des résultats satisfaisants. En revanche, lorsque qu’un traitement global multidisciplinaire est envisagé, associant chirurgie et restaurations prothétiques, des paramètres supplémentaires doivent alors être gérés simultanément. Le risque de perdre le contrôle est plus élevé. Un flux de travail numérique associant projet prothétique numérique et guide de chirurgie permet un contrôle optimal et réduit le stress pendant la phase chirurgicale, ce qui rend pertinents le temps et les ressources nécessaires à leur élaboration.
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêts.