SINUS LIFT À ABORD VESTIBULAIRE : COMPLICATIONS ET ÉCHECS
ON MAÎTRISE VRAIMENT UNE TECHNIQUE CHIRURGICALE QUAND ON SAIT GÉRER LES COMPLICATIONS ET LES ÉCHECS
Chirurgie
Pré-implantaire
Nicolas STRUBE* Léopold VIGOT-MATTER** Anne-Gaëlle CHAUX*** Alain HOORNAERT****
*Spécialiste qualifié en Chirurgie orale.
** Ancien AHU en Chirurgie buccale et Implantologie.
***PH attaché en Implantologie, CHU Nantes.
****Exercice libéral limité en Chirurgie orale et en Implantologie à Orvault.
*****Exercice limité en Parodontologie et en Implantologie à La Baule.
******PU-PH, UFR d’Odontologie, Université de Nantes.
*******Unité fonctionnelle de Chirurgie orale, Service d’Odontologie restauratrice et chirurgicale, CHU Hôtel-Dieu, Nantes.
********Chef du service Implantologie, CHU Nantes. Exercice libéral à Nantes.
La résorption alvéolaire post-extractionnelle ainsi que le phénomène de pneumatisation du sinus maxillaire entraînent une diminution des volumes osseux disponibles pour positionner des implants [1]. La réhabilitation des secteurs maxillaires postérieurs nécessite ainsi le plus souvent l’augmentation du volume osseux sous-sinusien. Ces procédures chirurgicales complexes conduisent parfois à des complications ou des...
L’apprentissage et la maîtrise d’une technique chirurgicale demandent parfois de nombreuses heures de travail, d’apprentissage, de formation et de lecture mais demeurent malgré tout à la portée de tous. Savoir gérer un échec demande de l’expertise, du recul, de la compassion et de l’humilité. L’analyse de la situation est indispensable et les connaissances bibliographiques sur la gestion des complications semblent encore plus indispensable que l’apprentissage de la technique initiale. Il faut impérativement s’imprégner de l’expérience des autres pour proposer la thérapeutique la plus adaptée et ainsi éviter « le suraccident ». La gestion des échecs serait donc de ramener le patient vers une situation connue par des moyens reconnus décrits dans la littérature afin de remettre en place un protocole que l’on maîtrise. Nous illustrons ces convictions en nous appuyant sur un cas clinique de complication infectieuse rencontrée lors d’un comblement sinusien par abord vestibulaire.
La résorption alvéolaire post-extractionnelle ainsi que le phénomène de pneumatisation du sinus maxillaire entraînent une diminution des volumes osseux disponibles pour positionner des implants [1]. La réhabilitation des secteurs maxillaires postérieurs nécessite ainsi le plus souvent l’augmentation du volume osseux sous-sinusien. Ces procédures chirurgicales complexes conduisent parfois à des complications ou des échecs.
Après un résumé de ce que l’on retrouve dans la littérature concernant les échecs et complications des sinus lifts, nous illustrerons notre synthèse par un cas clinique de complication de comblement sous-sinusien par voie d’abord vestibulaire. Cet article traite uniquement des complications per et post-opératoires des sinus lifts à abord par voie latérale.
Le sinus lift est une technique régulièrement étudiée et considérée comme fiable et prédictible. Une revue de littérature publiée en 2016 par Silva et al. [2] indique que le taux de complications est faible, que le taux de survie implantaire varie de 96 à 99,6 % sans constat de différence significative entre les techniques avec ou sans biomatériaux. La méta-analyse de Raghoebar et al. [3] parue en 2019 va dans le même sens. Ces auteurs ajoutent que la pose immédiate ou différée des implants n’influence pas le taux de succès, tout comme la présence d’édentement partiel ou complet.
Plus récemment, Molina et al. [4] ont fait le point sur les différentes complications liées au sinus lift : ils décrivent la perforation comme la plus fréquente des complications et parlent aussi de complications infectieuses, d’hémorragie par effraction de l’artère antrale ou d’obstruction de l’ostium.
La perforation de la membrane de Schneider est la complication la plus fréquente allant de 20 à 25 % [5].
De manière plus générale, différents facteurs semblent influencer le risque de perforation de la membrane sinusienne.
Tout d’abord l’anatomie du sinus : avec un sinus étroit, le risque de perforation de la membrane est augmenté [6]. Les différents auteurs s’accordent sur le lien entre la forme du sinus et la difficulté opératoire et visuelle qu’elle entraîne.
Plus la paroi antéro-latérale du sinus est verticale, plus le risque de perforation est élevé [6, 7]. L’épaisseur de la membrane sinusienne a aussi une importance. Une membrane de Schneider fine (0-1 mm) majore le risque de perforation [6, 8]. L’épaisseur de la paroi latérale sinusienne ne semble pas avoir d’influence sur le risque de perforation membranaire [9].
Certains auteurs mettent en évidence un risque plus élevé de perforation avec une membrane fine [10] et chez les femmes ; cependant, cette différence serait plutôt liée à l’épaisseur de la membrane sinusienne, plus fine chez la femme [11].
Une autre étude publiée en 2012 met en évidence un risque de perforation augmenté chez les patients présentant un biotype parodontal fin [12]. Les complications infectieuses, décrites comme des complications graves, arriveraient dans 4,2 % des interventions selon Kayabasoglu et al. [13]. Ce taux passerait à 31,4 % des interventions durant laquelle la membrane est perforée [14].
Dans leur revue systématique, Schlund et al. [15] parlent de la difficulté de tirer des conclusions sur ce volet à cause d’une grande hétérogénéité des études qui traitent de complications infectieuses. Testori et al. rapportent de 2 à 5,6 % de complications infectieuses [7].
En 2018, Khoury et al. [16] parlent de 0,48 % de complications infectieuses sur un échantillon de 1 874 patients ayant reçu une antibiothérapie prophylactique à la clindamycine à cause d’une allergie à l’amoxicilline. Les auteurs concluent que le traitement prophylactique de la clindamycine après des procédures d’augmentation des sinus semble être un facteur de risque d’infections et de perte de matériel de greffe suite à ces techniques chirurgicales.
L’étude rétrospective de Kim et al. [17] en 2013 rapporte 9,8 % de sinusites avec un effet néfaste de la perforation per-opératoire de la membrane ; de meilleurs résultats cliniques ont été obtenus dans le groupe recevant une thérapie médicale et chirurgicale combinée pour le traitement de l’infection.
Par ailleurs, il est nécessaire de différencier l’infection sinusienne de l’infection du comblement sinusien. Dans la majorité des cas il s’agit d’une infection du comblement sinusien et non d’une infection sinusienne [7]. Les infections du sinus ou du matériau de comblement peuvent avoir deux causes :
- la première correspond à une exacerbation d’un état inflammatoire ou infectieux liée à l’intervention chirurgicale. Le bilan dentaire pré-opératoire apparaît comme essentiel pour éviter toute pathologie silencieuse existante. Les états allergiques majeurs liés aux pollens sont aussi à considérer [7]. En effet, ces différentes conditions sinusiennes diminuent sa physiologie, son activité ciliaire et sa capacité de réponse ;
- la seconde correspond à une contamination du sinus via une déchirure de la membrane en per-opératoire et la migration de bactéries buccales ou la mise en place de biomatériaux contaminés.
Différentes études mettent en évidence un lien entre l’historique médical sinusien du patient et le risque de développer une sinusite postopératoire lors de sinus lift [18].
Les antécédents médicaux tels que les chirurgies paranasales et les allergies semblent affecter la réaction de la membrane sinusienne en post-opératoire. Lors d’examens radiographiques et endoscopiques les auteurs constatent des épaississements membranaires à moyen terme (6 mois) [19].
Patiente de 55 ans, allergique à l’amoxicilline. L’anamnèse médicale ne rapporte pas de pathologie sinusienne ni de gêne autre que des rhinites saisonnières traitées par antihistaminiques.
Motif de consultation : compensation de l’édentement secteur 1.
Projet prothétique de restauration en arcade courte (de 14 à 16).
La radio panoramique (figure 1) révèle une très faible hauteur osseuse sous-sinusienne
résiduelle. L’édentement secteur 3 est compensé par un stellite.
Le CBCT confirme la hauteur sinusienne très faible (figures 2 et 3) inférieure à 1 mm, le sinus est clair, la membrane du sinus est fine ; en revanche, le sinus relativement large et la paroi peu verticale sont des points favorables [7]. L’artère antrale présente un positionnement favorable : elle est suffisamment haute pour placer le volet en dessous (figure 2).
Les sinus maxillaires sont clairs et bien ventilés avec une perméabilité des ostiums (figure 4).
Sinus lift accès vestibulaire avec comblement avec une hydroxyapatite animale d’origine bovine ; 6 mois de cicatrisation puis mise en place de 3 implants site de 14, 15 et 16.
Prescription de pristinamycine - 2 g/j pendant 10 jours (allergie à l’amoxicilline) - et de budésonide - 64 µg en pulvérisation nasale pendant 5 jours. Paracétamol en antalgique post-opératoire et bain de bouche à la chlorhexidine durant 10 jours.
L’intervention se déroule sous analgésie locorégionale [1] (tubérositaire haute, canine haute, rappels palatin et vestibulaire alphacaïne 1/100) sans événement indésirable. La radio panoramique montre un comblement homogène (figure 5). Les suites opératoires sont simples, avec des douleurs inférieures à 3 durant 48 heures cédant au paracétamol. À 2,5 mois post-opératoire, la patiente consulte son médecin généraliste pour « un gros rhume » avec écoulement nasal bilatéral persistant. Elle bénéficie d’un traitement antibiotique à la pristinamycine 2 g/j pendant 10 jours avec amélioration. Le médecin l’adresse à un ORL si elle ne constate pas de disparition des symptômes. Deux mois plus tard, elle se plaint d’expulsion de caillots et décide d’aller chez l’ORL. Ce dernier ne constate rien d’inquiétant et lui conseille de consulter le dentiste qui a fait le sinus lift.
Le CBCT révèle une image radio-claire au centre de la zone augmentée avec un épaississement de la muqueuse sinusienne en regard de celle-ci (figures 6 et 7).
Infection du greffon.
Intervention pour curetage et exérèse du biomatériau contaminé comme le préconisent Estori et al. [7] et Schlund et al. [15].
Lors de la levée du lambeau mucco-périosté, on observe une fermeture presque complète de la fenêtre grâce au repositionnement du volet osseux lors de la première intervention (figure 8). Réalisation d’une nouvelle fenêtre pour accéder au greffon (figure 9).
On découvre alors un tissu inflammatoire et désorganisé au centre du volume greffé (figure 10). Les zones occlusale, mésiale et distale sont en voie de minéralisation, moins inflammatoire et peu friable.
Il n’y a pas d’effraction de la membrane de Schneider.
Un rinçage à la bétadine puis au sérum physiologique est effectué (figure 11).
Une membrane en collagène réticulé faiblement résorbable est positionnée pour fermer la fenêtre (figure 12).
La patiente rapporte un grand soulagement post-opératoire avec une disparition de la cacosmie décrite en pré-opératoire.
Un CBCT est réalisé 4 mois après cette intervention. La membrane de Schneider est radiologiquement beaucoup plus fine que lors de l’intervention d’assainissement (figures 13 à 15).
Il est donc prévu de programmer la pose des implants avec accès au sinus par volet vestibulaire.
Lors de la levée du lambeau de pleine épaisseur, la dissection est aisée ; seule une petite bandelette de tissu mou adhère à la membrane de Schneider (probablement un reste du collagène réticulé utilisé pour la fermeture de la fenêtre lors de l’intervention précédente) (figure 16).
La membrane sinusienne qui s’est régénérée se récline assez aisément, le décollement est délicat mais se déroule sans perforation (figure 17).
La membrane est protégée par une éponge en collagène résorbable et les implants sont positionnés dans la même séance sans ajout de biomatériau comme cela est fait dès que possible dans notre exercice [20, 21] (figures 18 et 19).
N’ayant pas fait de volet osseux il est impossible de le repositionner comme il est d’usage lors de ce protocole ; une membrane PRF sera donc utilisée pour fermer la fenêtre d’accès vestibulaire (figures 20 et 21).
Une radio panoramique de contrôle est réalisée (figure 22).
La patiente est revue à 1 mois post-opératoire et tout semble se dérouler normalement (figure 23). La patiente est revue en contrôle d’ostéointégration à 5 mois. Le CBCT petit champ ne révèle rien d’anormal (figures 24 et 25).
La prothèse est réalisée dans les semaines qui suivent et on revoit la patiente 4 mois après la pose de ses couronnes. L’examen clinique et la radio panoramique (figure 26) sont rassurants.
Nous sommes face à une infection du greffon secondaire à un comblement sinusien.
Cette complication est très bien décrite dans l’article de Testori et al. [7].
Il y a peut-être eu une petite perforation per-opératoire de la membrane de Schneider qui augmente significativement la risque de ce type de complication selon Schwarz et al. [14] et Kim et al. [17].
Une des autres étiologies possibles de cette contamination est une altération de la physiologie de la membrane de Schneider chez cette patiente qui présente un terrain allergique et qui doit souvent prendre des antihistaminiques pour traiter des rhinites.
L’efficacité des cellules ciliées est, on le sait, très altérée chez ces patients.
Il en ressort une physiologie sinusienne plus propice aux infections sévères pouvant contaminer le greffon [7, 18, 19].
Lors de ce type de complication, il est indispensable de réintervenir comme le suggèrent la plupart des études incluses dans la revue systématique de Kim et al. [17].
L’objectif du curetage chirurgical est d’éliminer tout ou partie du matériau contaminé impossible à atteindre par l’antibiothérapie per os car pas encore vascularisé surtout lors de l’utilisation de greffons acellulaires tels que l’allogreffe ou la xénogreffe. Testori et al. [7] décrivent même le traitement chirurgical comme étant la clé de voute de la prise en charge d’une telle complication.
• Il faut bien insister pour que les patients nous informent le plus rapidement des éventuels symptômes afin que l’infection soit prise en charge le plus rapidement possible comme le suggèrent Kim et al. [17].
• Tout au long de cette prise en charge l’idée directrice était de rassurer la patiente sur l’absence de gravité de la situation.
• Nous sommes rassurés d’avoir informé la patiente des risques de complications car les échecs et les complications sont toujours mieux vécus par un patient ayant bénéficié d’un consentement éclairé.
• Nous confirmons qu’il est nécessaire de réintervenir en cas de contamination et que le greffon qui n’est pas encore vascularisé ne pourra pas bénéficier d’un traitement antibiotique per os quel qu’il soit [7, 17].
• L’objectif de notre intervention était de revenir à une situation stable et connue : volume osseux sous-sinusien faible (3 mm) avec sinus sain permettant une élévation du plancher sinusien et mise en place des implants sans utilisation de substitut osseux [20, 21].
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêts.