Clinic n° 02 du 01/02/2024

 

Prothèse

Implantaire

Hélène LE HÉCHO*   Cécile HOORNAERT**   Alain HOORNAERT***  


*AH, Service du Dr Hoornaert, CHU Nantes.
**Membre ITI et Fellow ITI.
***Ambassadrice WIN France.
****Exercice libéral à Liré Orée-d’Anjou.
*****Exercice libéral à Nantes.
******Chef du Service Implantologie, CHU Nantes.
*******Exercice libéral à Nantes.

Dans notre pratique quotidienne, certains patients se présentent en consultation avec des délabrements importants de la cavité buccale, en recherche de solutions pour retrouver une mastication et une esthétique correctes. À l’heure actuelle, l’évolution de l’implantologie et de la prothèse implanto-portée (fixe et amovible) offre au praticien un plus large choix thérapeutique pour répondre à l’attente de ces patients.

Le plan de traitement choisi doit prendre en...


Résumé

Nos réhabilitations prothétiques implanto-portées obéissent à un cahier des charges selon des critères esthétiques, fonctionnels et biologiques. Elles sont ensuite soumises à des programmes de maintenance visant au respect et au maintien de l’ensemble implanto-prothétique dans le temps.

Dans ce cas réalisé au CHU de Nantes, notre démarche diagnostique semblait répondre à ce cahier des charges pour notre patient. Nous avons proposé une prothèse complète maxillaire implanto-portée sur télescopes et des prothèses unitaires fixes à la mandibule. Cependant, dès les premières étapes du traitement, des complications biologiques type mucosites et péri-implantites ont été observées et traitées. Cela n’a pas empêché de réaliser une prothèse d’usage au maxillaire et à la mandibule. Ces réhabilitations ont ensuite échappé à une maintenance régulière par le fonctionnement intrinsèque du CHU, par l’éloignement du patient, par la crise du Covid conduisant à une série d’échecs mécaniques et biologiques malgré une prise en charge qui semblait répondre aux besoins initiaux de notre patient.

Dans notre pratique quotidienne, certains patients se présentent en consultation avec des délabrements importants de la cavité buccale, en recherche de solutions pour retrouver une mastication et une esthétique correctes. À l’heure actuelle, l’évolution de l’implantologie et de la prothèse implanto-portée (fixe et amovible) offre au praticien un plus large choix thérapeutique pour répondre à l’attente de ces patients.

Le plan de traitement choisi doit prendre en compte les impératifs, mécaniques, fonctionnels, esthétiques et financiers…

L’adéquation n’est pas toujours obtenue et les solutions choisies se soldent parfois par des échecs. Voici un exemple d’échec thérapeutique avec le cas de M. V. qui est suivi au Centre de soins dentaires du CHU de Nantes par les étudiants du DUIO (diplôme universitaire d’implantologie orale) depuis 2018. Pour comprendre cet échec [1], il faut reprendre le cas depuis le début de la prise en charge. De nombreux patients viennent de loin pour réaliser leur réhabilitation prothétique car ils ne trouvent pas de solution près de chez eux. M. V. est venu en avril 2018 en première consultation ; il réside à 200 kilomètres de Nantes et se trouvait en errance thérapeutique. Il avait en bouche des prothèses amovibles partielles maxillaires et mandibulaires non tolérées et instables qu’il souhaitait remplacer. Il ne fume pas et déclare ne pas être diabétique.

Les premières analyses après l’examen clinique et radiologique indiquent une conservation de ses dents restantes discutable, notamment au maxillaire (figure 1). Un plan de traitement global pour rétablir une fonction et une occlusion (figure 2) pérennes était nécessaire pour répondre à sa demande. M. V. présentait en sus une perte de dimension verticale non compensée.

ÉTUDE PROTHÉTIQUE

Le plan de traitement aboutissant au projet prothétique a été élaboré suivant cette chronologie : assainissement chirurgical et parodontal, reprise de l’éducation à l’hygiène, choix de la relation intermaxillaire de référence et de la dimension verticale d’occlusion, rétablissement des courbes d’occlusions et rétablissement du calage postérieur.

Le projet sera mis en place en amont par des prothèses transitoires afin de tester les nouveaux paramètres de l’occlusion.

Pour M. V., le projet prothétique retenu est une prothèse complète inamovo-amovible stabilisée sur implants sur attachement télescopes (PACSI) au maxillaire et une prothèse fixe conventionnelle sur dents naturelles ainsi que des implants pour les zones postérieures à la mandibule.

Le choix de la PACSI trouve de nombreuses indications et répond aux exigences anatomiques [2], financières et biologiques du patient. Pour M. V. particulièrement :

- l’accès aux implants pour une meilleure hygiène bucco-dentaire ;

- la stabilité quasi équivalente à celle d’une prothèse fixe grâce à l’appui muqueux répondant à ses exigences de confort ;

- un espace prothétique suffisant ;

- une compensation de la perte tissulaire postérieure et une correction des rapports occlusaux et du décalage des bases squelettiques ;

- un coût moindre qu’une prothèse transvissée fixe ;

- un résultat esthétique satisfaisant.

PLAN DE TRAITEMENT

Les dents restantes au maxillaire ont été extraites puis une prothèse amovible complète provisoire maxillaire a été réalisée. Concomitamment, un bridge complet provisoire de laboratoire a été réalisé sur les dents restantes mandibulaires (figures 3a et 3b). Celles-ci étant calcifiées, elles ont été préparées en préservant la vitalité pulpaire. La livraison et le réglage de ces prothèses provisoires effectués, la phase chirurgicale a pu commencer (figure 3c).

Une imagerie tridimensionnelle maxillaire et mandibulaire a été réalisée, assistée par des guides radiologiques (conçue à l’aide de duplicata des prothèses transitoires) afin de planifier les chirurgies implantaires (figures 4a à 4d).

La phase chirurgicale a été réalisée en deux temps : d’abord la chirurgie maxillaire avec la mise en place de 6 implants [3] Bone Level Astra EV (Dentsply Sirona) puis la chirurgie mandibulaire avec la pose de 4 implants Tissue Level (Straumann) (figure 4e).

Le choix des systèmes implantaires est fonction de la situation parodontale à la mandibule et de la chaîne prothétique au maxillaire Atlantis Conus concept (Dentsply Sirona).

Après un délai de cicatrisation de 4 mois pour une ostéo-intégration optimale [4], le patient est revu pour un contrôle et pour commencer la réalisation des prothèses d’usages.

Cependant, après réalisation des radiographies rétro-alvéolaires de contrôle et de l’examen clinique, on constate un défaut osseux sur l’implant en position de 47 et un défaut muqueux sur l’implant en position de 13 [5] (figure 5). Lors de la découverture des implants maxillaires, une greffe de conjonctif enfouie vestibulaire est réalisée en regard de l’implant en position de 13 (figure 6a).

En site de 47/46, un débridement sous lambeau est accompli afin de retrouver un site propice à la réalisation des prothèses (figure 6b).

Une fois la cicatrisation des sites réopérés obtenue, la phase des empreintes est mise en œuvre (figure 7). Une empreinte à ciel ouvert réalisée à l’Impregum (3M) à l’aide du duplicata qui a servi pour l’imagerie et la chirurgie permet d’obtenir un maître modèle dont la précision est contrôlée à l’aide d’une clé en plâtre transvissée (figure 8). Celui-ci est mis en articulateur en utilisant l’arc facial et le duplicata de la prothèse maxillaire pour la relation intermaxillaire.

Le laboratoire de prothèse scanne le maître modèle et réalise par CFAO les piliers coniques individualisés, les cupules de recouvrement et une grille de renfort pour la prothèse complète. Les piliers sont placés et torqués sur les implants, puis la grille de renfort est essayée et directement liée en bouche aux cupules en or pour une précision optimale (figure 9).

Une empreinte de report est à nouveau réalisée et l’ensemble est renvoyé au laboratoire. Suivent l’essayage dent sur cire et la vérification de l’occlusion.

Après validation, le laboratoire de prothèse réalise la mise en moufle et les finitions de la PACSI (figure 10).

En parallèle, l’empreinte pour la réalisation des prothèses unitaires et du bridge antérieure mandibulaires est envoyée au laboratoire pour lancer leur fabrication. La mise en place des prothèses d’usages et leur réglage fonctionnel (figure 11) sont effectués en juin 2019 après 14 mois de traitement (figure 12).

SUIVI DU PATIENT ET ALÉAS THÉRAPEUTIQUES

M. V. est revu dès la rentrée scolaire en septembre ; il a perdu son implant en position de 47 malgré le traitement de la péri-implantite.

Le patient est transmis à une nouvelle étudiante du DU pour la suite de sa maintenance et l’éventuelle repose de son implant. Il cherche à contacter l’étudiante mais ils ne parviennent pas à convenir d’une disponibilité commune. Au mois de janvier, l’étudiante s’arrange pour le rediriger vers un autre étudiant susceptible de la prendre en charge.

Il sera finalement reçu le 3 février 2020, mais pas dans le cadre du DU, et il est constaté en vacation une usure anormalement rapide de la PACSI : la cosmétique de 12 à 22 est abimée ; de plus, 34 et 35 se sont descellées.

Il est décidé de le revoir afin de remplacer les dents sur la prothèse et de revoir la rétention trop importante de la PACSI qui parfois se bloque et que le patient ne parvient pas à enlever correctement. Il y a donc eu en l’espace de 6 mois des problèmes d’ordre biologique et mécanique [6, 7]. M. V. doit revenir dans le service d’implantologie pour les réparations et autres soins de suivi mais la pandémie de la Covid-19 arrive et il ne sera pas revu avant juillet 2020.

Il nous dit avoir bloqué sa prothèse maxillaire depuis plusieurs mois… Celle-ci présente une

usure extrême (figures 13a et 13b). À la mandibule le bridge antérieur est cassé, les prothèses fixes sur implants en position de 36/37 sont dévissées, les dents 44/45 sont mobiles et l’implant sur 46 s’est désostéointégré (figures 13a et 13c). Lors de cette consultation d’urgence en secteur d’implantologie, on débloque la PACSI et, lors de la dépose, l’implant en position de 13 reste sur la prothèse (figure 14).

À ce stade du suivi de notre patient, plusieurs problèmes sont confirmés : une hygiène buccodentaire insuffisante et défaillante malgré nos conseils, une puissance masticatoire sous-évaluée lors de l’examen initial conduisant à des problèmes mécaniques et une prédisposition biologique à la péri-implantite.

L’usure des dents en résine a entraîné une perte de DV et augmenté la puissance exercée sur nos prothèses. De plus, le contexte social lié à la pandémie a pu retentir sur le moral de notre patient et la gestion de son stress.

Après les analyses de cet échec, il est décidé de refaire une prothèse télescope maxillaire avec un renfort métallique plus conséquent pour la rigidifier. La perte de l’implant 13 favorise une plus grande facilité d’usage et évite le blocage de la prothèse. Après un détartrage et une motivation à l’hygiène, on rétablit le calage postérieur à l’aide d’une prothèse amovible transitoire mandibulaire (figure 15).

Les étapes prothétiques sont reprises depuis le début pour la réfection de la PACSI maxillaire dès le mois de septembre mais, durant l’été, l’état de la réhabilitation mandibulaire se dégrade graduellement, l’implant en position de 36 est perdu. Durant l’automne, les dents 44 et 45 s’infectent et doivent être extraites en urgence. Pour éviter de compromettre irrémédiablement l’implant restant, la couronne est déposée et remplacée par une vis de cicatrisation. Le plan de traitement évolue vers une prothèse complète mandibulaire stabilisé par les dents restantes et l’implant en position de 37. La réfection des prothèses se termine en avril 2021 (figure 16) mais, après seulement quelques semaines, c’est un nouvel échec mécanique (figure 17).

Cet échec va induire un changement de stratégie prothétique en repassant sur une prothèse fixe au maxillaire avec un design particulier pour prévenir plus efficacement les problèmes mécaniques.

Durant la prise des empreintes primaires de cette nouvelle prothèse, l’examen clinique nous révèle un début de péri-implantite sur l’implant en position de 23 accentuée par un « pincement » de la PACSI télescope lors de la mastication (figure 18).

Après le débridement de l’implant 23, le nouveau plan de traitement est finalisé en février 2022 (figure 19).

L’occlusion permet des contacts uniformisés sur toute la prothèse sur les surfaces coulées, une absence de contact en propulsion, en bout à bout, et une absence de guidage est réglée pour éviter toute casse du matériau cosmétique.

Au contrôle à 1 mois, en mars, tout se passe bien pour le patient qui retrouve du confort. Mais, en juillet 2022, c’est le bloc incisif mandibulaire qui présente une inflammation parodontale importante (figure 20).

Après vérification par cliché radiographique, il n’y a pas de foyers infectieux en regard de nos racines mandibulaires ; une décharge de la PAP et une médication appropriée règlent le problème.

Le dossier de M. V. est transmis en septembre 2022 à un nouvel étudiant pour le suivi.

M. V. a été vu en janvier 2023 : il a appelé pour une fracture des dents résine sur 21/22 (figure 21). L’étudiant a réalisé un cliché panoramique révélant une péri-implantite sur les implants en position de 23 et 25 (figure 22). L’implant en position de 25 va venir dans la prothèse lors de son démontage. La prothèse a été réparée et l’implant, en position de 23, traité [7-9] (figure 23).

CONCLUSION

Le patient ne présente pas de problèmes de santé générale connus. L’analyse initiale des conditions locales amène à penser que la perte des dents est consécutive à un manque d’hygiène et à une prise en charge tardive des problèmes carieux, ce qui a abouti à une situation où la perte de calage, la réduction de la dimension verticale et la perturbation des courbes occlusales ont augmenté les contraintes sur les dents et prothèses en place et accéléré leur dégradation. Le parodonte est épais résistant, les volumes osseux sont importants, la perte des dents n’est pas liée à une maladie parodontale. Le choix d’une prothèse télescope au maxillaire permet de rétablir facilement les paramètres de l’occlusion et facilite l’hygiène en comparaison avec une solution fixe. Celui d’un bridge monobloc mandibulaire liant les dents restantes et l’implant dans les secteurs postérieurs édentés semblait pouvoir faire face aux pressions occlusales développées par le patient. La suite des échecs liée à l’excès de forces occlusales a montré le contraire.

Il faut souligner que la maintenance et l’observance sont deux clés essentielles de la pérennité des traitements que nous effectuons. L’éloignement du patient et les conditions de prise en charge au sein d’un centre de soins dentaires universitaires ont contribué à cette série d’échecs.

Le patient, toujours suivi, finira probablement par porter des prothèses amovibles complètes bi-maxillaires.

Liens d’intérêts

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêts.

BIBLIOGRAPHIE

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