Clinic n° 12 du 01/12/2023

 

Dossier

Romain DOLIVEUX  

Spécialiste qualifié en Chirurgie orale.Education Delegate ITI France.ITI Fellow, Speaker.Exercice implantaire exclusif à Mulhouse. Black Forest Oralchirurgie, Neuenburg am Rhein, Allemagne.

Les augmentations osseuses représentent un défi important lors de la réhabilitation implantaire des maxillaires. Parmi les nombreuses techniques existantes, la greffe autogène en coffrage proposée par Khoury offre beaucoup de sécurité et de reproductibilité grâce à l’usage et à la préparation spécifique de blocs osseux d’origine rétromolaire mandibulaire. Ce faisant, cette chirurgie est associée à une courbe d’apprentissage longue et reste une chirurgie à main levée, tant lors du prélèvement osseux que de la greffe elle-même. L’intégration du flux digital dans les augmentations osseuses en bloc permet de rendre cette chirurgie plus prédictible, plus accessible au plus grand nombre. Enfin et surtout, la shell technique 2.0 permet de planifier l’augmentation osseuse en fonction du projet prothétique déterminé en amont.

Qu’elle soit d’origine traumatique, parodontale, carieuse ou autre, la perte dentaire est souvent responsable de l’apparition d’un défaut osseux après cicatrisation alvéolaire. Ce défaut peut avoir une taille variable en fonction des différents paramètres en jeu. Le temps de cicatrisation, le nombre de dents manquantes, le port d’une prothèse partielle amovible à appui muqueux, les chirurgies iatrogènes préalables éventuelles… sont autant de facteurs qui peuvent influencer la taille du défaut à reconstruire [1]. Lors d’une reconstruction osseuse autologue, les phénomènes d’ostéo-induction, d’ostéo-conduction et d’ostéogenèse permettent une bonne régénération du matériel greffé [2].

Le greffon peut être prélevé d’un site extra-oral, mais la morbidité et les risques sont démultipliés. D’où l’intérêt d’utiliser un greffon d’origine intra-orale. Pour ce qui est des blocs de grande taille, les sites donneurs intra-oraux sont la symphyse mentonnière ou la branche montante de la mandibule [3]. Il est ainsi très aisé et très rapide de prélever un bloc de la ligne oblique externe rétro-molaire mandibulaire, au moyen de la piezochirurgie ou de la MicroSaw [4, 5]. Plusieurs risques anatomiques sont associés et la technique de prélèvement doit être adaptée pour minimiser les risques.

La technique biologique de greffe ou shell technique, ou encore Split Bone Block Technique (SBBT) développée il y a plus de 25 ans par Khoury, optimise les capacités de régénération de l’os autogène d’origine rétro-molaire, sans avoir recours à des biomatériaux ou membranes. Ainsi, le bloc osseux n’est pas utilisé tel que. Après prélève ment, il est séparé en deux dans son épaisseur. Les deux lamelles osseuses sont ensuite encore affinées de manière à collecter de l’os autogène.

Ces fines lamelles osseuses sont alors fixées à distance du site receveur afin de créer un coffrage tout en redonnant les contours de la crête. Ce coffrage est alors comblé avec de l’os autogène en particules.

L’intérêt majeur de cette préparation réside en la rapidité de la revascularisation (3 mois) et en une meilleure régénération. À la réouverture, un os rouge, revascularisé et vivant est disponible pour la pose d’un implant dans les meilleures conditions osseuses [6-8]. Néanmoins, la technique de prélèvement ainsi que la technique de greffe elle-même restent des gestes chirurgicaux extrêmement délicats et opérateur-dépendants, ce qui constitue une limite nette de cette technique.

L’objectif de cet article, au travers d’un exemple clinique, est de proposer une alternative, appuyée sur les outils digitaux et les guides chirurgicaux statiques, afin de planifier le geste de greffe en fonction du projet prothétique et de le sécuriser.

MATÉRIEL ET MÉTHODE

Le patient sélectionné pour ce cas clinique est non fumeur et en bonne santé. Il présente un édentement postérieur monolatéral terminal mandibulaire droit. Le défaut osseux sélectionné a une composante horizontale uniquement, ce qui signifie qu’il y a suffisamment d’os en hauteur pour poser les implants 46 et 47 mais pas suffisamment d’os en épaisseur.

Initialement, une acquisition numérique du patient est réalisée :

- empreinte optique (3Shape TRIOS 5) de la mandibule et du maxillaire antagoniste ;

cone beam de la zone à augmenter et de la région rétro-molaire ;

- photographies intra-orales.

À l’aide de ces éléments, le laboratoire de prothèse réalise un wax up digital des couronnes 46 et 47 manquantes (Logiciel Exocad). Le fichier du wax up, le fichier initial de l’arcade et le fichier du CBCT sont exportés sur le logiciel de planification implantaire coDiagnostiX (Dental Wings). Les fichiers des empreintes optiques et de l’empreinte de la situation initiale sont superposés sur le fichier du CBCT grâce au logiciel coDiagnostiX.

Deux implants en position 46 et 47 sont planifiés en fonction du wax up des couronnes 46 et 47, mais absolument pas en fonction de l’os disponible (figure 1). Un guide chirurgical implantaire statique est élaboré à l’aide de l’intelligence artificielle du logiciel ; le fichier correspondant au guide est exporté. Il est alors imprimé (imprimante P10, Rapid Shape) en résine chirurgicale (P pro Surgical Guide Clear, Straumann).

Ensuite, un bloc virtuel est conceptualisé en 3D afin de simuler une greffe osseuse en largeur en position 46 et 47. En accord avec la technique de greffe originale de la shell technique, le bloc virtuel a une épaisseur totale de 1 mm et est à distance du site receveur de manière à créer un coffrage. Sa forme épouse parfaitement le site receveur à ses extrémités et recrée le contour de l’os manquant en vestibulaire des implants 46 et 47 (figure 2). Ce fichier est également exporté puis imprimé (imprimante P10, P pro Surgical Guide Clear).

L’étape suivante consiste à préparer virtuellement un guide de greffe autour du bloc sur le site receveur. Ce guide a un appui dentaire et une clavette osseuse distale pour assurer sa stabilité. Des fenêtres vestibulaires destinées au placement des vis d’ostéosynthèse sont réalisées. Le fichier du guide de greffe est exporté puis imprimé (imprimante P10, résine P pro Surgical Guide Clear).

Le bloc virtuel est ensuite déplacé et superposé sur la zone de prélèvement grâce au logiciel. Un guide chirurgical de prélèvement est dessiné à son tour sur la zone rétro-molaire mandibulaire en fonction de la taille du bloc à prélever et de la position intra-osseuse du canal mandibulaire. Une clavette distale et l’appui dentaire assurent la stabilité du guide pendant le prélèvement (figure 3). Le fichier du guide de greffe est exporté puis imprimé (imprimante P10, résine P pro Surgical Guide Clear).

Tous ces éléments en résine chirurgicale - bloc, guide de greffe, guide de prélèvement - sont décontaminés pendant 10 minutes dans un bain de chlorhexidine 0,12 % avant la chirurgie. Le jour de la chirurgie, une anesthésie locale est réalisée de même qu’une sédation intraveineuse. Un lambeau de pleine épaisseur est préparé. L’émergence mentonnière et la ligne oblique externe sont exposées (figure 4).

Le guide de prélèvement est inséré et stabilisé au moyen de la clavette chirurgicale. Le prélèvement est réalisé au moyen de la piezochirurgie (Piezosurgery Touch, Mectron) (figures 56 à 7). Après luxation, le bloc est validé par le patron imprimé. Sa préparation est conforme au protocole de la shell technique : le bloc est coupé en deux dans l’épaisseur, puis chacun des deux blocs est affiné encore dans son épaisseur au moyen d’un gratte-os (SafeScraper, Meta) (figures 89 à 10). Ainsi, deux blocs fins sont obtenus ainsi qu’une grande quantité d’os autogène particulaire. L’un des deux blocs est inséré dans le guide de greffe qui est positionné sur les dents antérieures. Il est verrouillé sur le site au moyen de la clavette distale (figures 11 et 12). Plusieurs vis d’ostéosynthèses de 1 mm de diamètre viennent stabiliser le bloc au travers des fenêtres aménagées dans le guide de greffe (Micro Screw, Meisinger). Puis le guide est retiré (figure 13).

L’opérateur n’a plus qu’à combler le coffrage obtenu avec l’os autogène en particules scrapé sur les blocs (figure 14). Le second bloc est repositionné et stabilisé sur le site donneur au moyen de collagène afin de reconstruire la zone prélevée.

Après 3 mois de cicatrisation, le site est réouvert et deux implants full guided (Bone Level Tapered SLActive, Roxolid, Straumann) sont installés en accord avec le projet prothétique intial, grâce au guide de greffe et au guide implantaire. La qualité de l’os régénéré est équivalente à celle obtenue lors de la shell technique conventionnelle (figures 15 et 16).

CONCLUSION

La technique de greffe autogène en coffrage de Khoury associée aux guides chirurgicaux issus du flux digital apparaît ici comme fiable et prédictible.

La morbidité du site donneur est diminuée grâce à l’identification précise du volume à prélever et moins risquée du fait de l’identification exacte de la position du nerf alvéolaire inférieur lors de la conception du guide de prélèvement. En revanche, le lambeau doit être un peu plus étendu de manière à permettre l’insertion correcte du guide de prélèvement.

Grâce au guide, les erreurs de positionnement du bloc greffé à main levée sont supprimées et, par là même, les risques d’exposition du bloc diminués.

Le temps chirurgical est optimisé et la technique semble accessible à un plus grand nombre de chirurgiens. Enfin le flux digital permet de planifier la greffe exactement en fonction des besoins de la prothèse : c’est enfin la prothèse qui guide la greffe. Ces premiers résultats sont particulièrement prometteurs mais des investigations plus approfondies sont nécessaire pour valider ce protocole de shell technique 2.0.

Liens d’intérêts

L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêts.

BIBLIOGRAPHIE

  • 1. Esposito M, Grusovin MG, Coulthard P, Worthington HV. The efficacy of various bone augmentation procedures for dental implants: A Cochrane systematic review of randomized controlled clinical trials. Int J Oral Maxillofac Implants 2006;21:696-710.
  • 2. Doliveux R, Khoury F. Réhabilitation de crêtes alvéolaires atrophiées à l’aide de prélèvements osseux intra-oraux. Titane 2015;12 (4): 303-312.
  • 3. Nkenke E, Radespiel-Tröger M, Wiltfang J, Schultze-Mosgau S, Winkler G, Neukam FW. Morbidity of harvesting of retromolar bone grafts: A prospective study. Clin Oral Implants Res 2002;13 (5):514-521.
  • 4. Hanser T, Doliveux R. Microsaw and piezosurgery in harvesting mandibular bone blocks from the retromolar region: A randomized split mouth prospective clinical trial. Int J Oral Maxillofac Implants 2018;33 (2):365-372.
  • 5. Miron RJ, Gruber R, Hedbom E, Saulacic N, Zhang Y, Sculan A, et al. Impact of bone harvesting techniques on cell viability and the release of growth factors of autografts. Clin Implant Dent Relat Res 2013;15 (4):481-489.
  • 6. Khoury F. The bony lid approach in pre-implant and implant surgery: A prospective study. Eur J Oral Implantol 2013;6 (4):375-384.
  • 7. Khoury F, Hanser T. Mandibular bone block harvesting from the retromolar region: A 10-year prospective clinical study. Int J Oral Maxillofac Implants 2015;30 (3):688-697.
  • 8. Zaffe D, D’Avenia F. A novel bone scraper for intraoral harvesting: A device for filling small bone defects. Clin Oral Implants Res 2007; 18:525-533.

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