PROTHÈSE VISSÉE SUR IMPLANT EN ZIRCONE : LE TOUT CÉRAMIQUE, UNE ALTERNATIVE AU TITANE ?
Dossier
Grégory STEPHAN* Luc CHEVÈNEMENT** Chloé MENSE*** Thomas STEPHAN**** Frédéric SILVESTRI*****
*MCU-PH, Faculté des Sciences Médicales et Paramédicales, École de Médecine dentaire, Marseille.
**Service de Réhabilitations orales, Hôpital Timone, Pôle Odontologie, Marseille.
***Ancien interne en Médecine bucco-dentaire, Faculté des Sciences Médicales et Paramédicales, École de Médecine dentaire, Marseille.
****MCU-PH, Faculté des Sciences Médicales et Paramédicales, École de Médecine dentaire, Marseille.
*****Laboratoire ADES, Aix Marseille Université, CNRS, EFS, ADES UMR 7268, Marseille.
******Service de Réhabilitations orales, Hôpital Timone, Pôle Odontologie, Marseille.
*******Externe, Service de Réhabilitations orales, Hôpital Timone, Pôle Odontologie, Marseille.
********MCU-PH, Faculté des Sciences Médicales et Paramédicales, École de Médecine dentaire, Marseille.
*********Laboratoire ADES, Aix Marseille Université, CNRS, EFS, ADES UMR 7268, Marseille.
**********Service de Réhabilitations orales, Hôpital Timone, Pôle Odontologie, Marseille.
La demande en réhabilitation implanto-portée sans métal ainsi que les propriétés particulièrement intéressantes de la zircone (excellente intégration tissulaire, faible affinité pour la plaque dentaire et résistance mécanique) ont naturellement conduit les industriels à proposer des implants dans ce matériau. Contrairement aux implants « monoblocs » usinés déjà existants, le système NobelPearl (Nobel Biocare) autorise des réhabilitations transvissées sans ciment et sans métal indiqué pour les réhabilitations unitaires ou plurales et postérieures, selon un protocole de mise en charge différée exclusivement. Les avantages des restaurations transvissées et de la zircone se cumulent pour offrir une intégration tissulaire des restaurations remarquable.
Après des décennies d’un règne quasi sans partage du titane en implantologie, des matériaux alternatifs comme la zircone sont restés d’usage anecdotique. L’idée d’avoir du métal dans le corps a souvent dérangé les patients, voire les praticiens, pour des raisons biologiques ou esthétiques. C’est ainsi que sont apparus les premiers implants en céramique [1, 2] qui, pour une meilleure résistance, étaient « monoblocs », usinés en une seule pièce. En raison de problèmes mécaniques (fractures) et conceptuels (prothèses scellées), les implants en céramique n’ont pas réussi à percer un marché où le titane avait le monopole. Cependant, depuis quelques années, l’intérêt de la zircone en implantologie n’a fait qu’augmenter en raison de ses propriétés (excellente intégration tissulaire, faible affinité pour la plaque dentaire et résistance mécanique) [3, 4].
La présence de particules issues de la corrosion d’implants métalliques dans certains organes, les exigences esthétiques toujours plus pointues ainsi que la tendance metal-free ont relancé l’intérêt pour ce matériau. Une demande croissante en réhabilitation sans métal est apparue depuis quelques années. Le concept de « tout céramique » s’est ainsi développé car jugé plus sain et plus esthétique.
L’implant NobelPearl (Nobel Biocare) est récemment apparu sur le marché, signant par la même occasion le retour de la céramique en tant que matériau constitutif des implants dentaires [5]. Cet implant en céramique permet des réhabilitations prothétiques transvissées sans ciment et sans métal, y compris les vis de pilier (Viscarbo) constituées d’un mélange PEEK (Poly Ether Ether Ketone) et fibre de carbone (figure 1).
La zircone est une biocéramique inerte de formule chimique ZrO2 (dioxyde de zirconium) qui apparaît comme un solide blanc réfractaire. Elle présente d’excellentes propriétés biologiques et mécaniques, particulièrement adaptées à son usage en implantologie (tableau 1).
Les différentes formes de zircone n’ont montré, in vitro, aucun effet indésirable ou effet cytotoxique en général [6]. Outre le fait d’être, contrairement au titane (tableau 2), insensible à la corrosion, le principal avantage de la zircone est de permettre une
excellente intégration tissulaire grâce en partie à sa faible affinité pour la plaque dentaire [7]. Le respect du parodonte dépend de la capacité du matériau à être directement ou indirectement à l’origine d’une inflammation. Une étude comparative sur la colonisation bactérienne à la surface d’échantillons en zircone et en titane de même rugosité a montré une quantité de plaque bactérienne moindre pour les échantillons en zircone [3, 8]. Cette adhérence réduite du biofilm génère moins d’inflammation des tissus mous péri-implantaires et permet ainsi une meilleure intégration des composants prothétiques. La rugosité de surface est un élément déterminant dans la qualité de l’attache hémi-desmodontale entre parodonte et zircone [9]. L’état de surface parfaitement poli de la zircone permet une adhésion des hémi-desmosomes qui forment une néo-attache avec l’oxyde de zirconium (assimilée à une attache rampante) [10, 11]. Par ailleurs, la couleur « blanche » de la zircone permet d’éviter l’aspect grisâtre de la gencive péri-implantaire chez les patients avec un biotype fin et/ou un sourire gingival [12].
En revanche, contrairement à une idée très répandue, la zircone ne permet pas une meilleure osteìo-inteìgration. Une étude chez l’animal a montré qu’il n’y avait aucune différence significative d’ostéo-intégration, en termes de taux de contact os/implant entre les différents matériaux implantés (alumine, céramique, zircone, titane) [13]. En 2008, Depprich et al. ont réalisé une autre étude consistant aÌ mettre en place 48 implants en zircone et en titane dans les tibias de 12 mini-porcs [14]. Quatre semaines après implantation, le taux de contact os/implant observé est de 45,3 ± 15,7 % pour les implants en zircone et de 58,6 ± 9,5 % pour les implants en titane. À 12 semaines, il s’élève à 71,4 ± 17,8 % pour les implants en zircone contre 82,9 ± 10,7 % pour les implants en titane. Aucune différence significative en termes d’ostéo-intégration n’a pu être mise en évidence : le taux de contact os/ implant entre les implants en zircone est comparable à celui des implants en titane [15, 16]. En 2014, de Manzano et al. ont montré que les différences significatives en termes de BIC (Bone-to-Implant-Contact) et RTQ (Removal Torque) étaient attribuables aux différents traitements de surface et microporosités des surfaces implantaires et non aux matériaux euxmêmes (zircone ou titane) [17].
Les zircones modernes sont plus élastiques et possèdent une résistance à la fracture supérieure à celle du titane.
Cette grande résistance à la fracture est notamment obtenue grâce au processus HIP (Hot Isostatic Post compaction). Dans ce processus, la zircone est rendue plus dense par frittage dans un four aÌ très haute pression (2 000 bars) pendant 3 jours. Lors du refroidissement et du retour vers l’état monoclinique, on observe des variations dimensionnelles (expansion de 3 à 4 %) souvent à l’origine de fracture. Pour éviter cela, la zircone est dopée à l’oxyde d’yttrium (Y2O3), permettant ainsi la stabilisation du matériau sous forme tétragonale (zircone Y-TZP, Yttria Tetragonal Zirconia Polycrystal).
Le vieillissement des zircones Y-TZP, matérialisé par le passage des cristaux de la forme tétragonale à la forme monocyclique, se produit au contact de l’eau (hydrolyse) à basse température (< 400 °C). Ce vieillissement se traduit mécaniquement par une réduction de la résistance à la flexion des céramiques [19].
Le NobelPearl, biocompatible selon la norme ISO 10993 [20], est la dernière génération d’implant céramique, de forme cylindro-conique, qui a pour particularité principale d’être en 2 pièces (implant et pilier), avec une connectique interne, comme la plupart des implants titane actuels, autorisant ainsi les restaurations transvissées dont la biocompatibilité est supérieure à celle des restaurations scellées.
Les différents composants du système NobelPearl, implant et pilier, d’une part, et vis prothétique, d’autre part, sont non métalliques.
L’implant et les piliers prothétiques sont en zircone renforcée à l’alumine (ATZ : Aluminia Toughened Zirconia) et présentent une meilleure résistance à la torsion que la zircone Y-TZP (tableau 3).
L’implant NobelPearl est obtenu par usinage d’un bloc de zircone ayant préalablement subi un processus de compression isostatique à chaud (CIC). Selon les données du constructeur, la résistance à la flexion de l’implant serait de 2 000 MPa contre 950 MPa pour le titane. Par ailleurs, la surface du corps de l’implant est sablée, mordancée et hydrophile (Zerafil) afin d’obtenir une meilleure ostéo-intégration. Le col, quant à lui, est partiellement usiné sur 0,6 mm pour obtenir une attache épithéliale de qualité. Les composants sont usinés dans des blocs de zircone où n’intervient plus aucun procédé de transformation, ce qui évite les variations dimensionnelles et permet une extrême précision.
Les vis et piliers de cicatrisation sont en PEEK biocompatible. La vis prothétique Viscarbo, permettant la liaison mécanique entre l’implant et le pilier dans le système NobelPearl, est constituée d’un polymère composé de PEEK renforcé en fibres de carbone (ratio 40 % / 60 % respectivement). Au sein de la vis, les fibres de carbone sont orientées de manière longitudinale et continue, parallèlement au grand axe de la vis, ce qui permet une meilleure résistance aux forces de traction. Le serrage de la vis prothétique nécessite l’utilisation d’un nouveau tournevis spécifique avec un couple maximal de 25 N/cm, que ce soit pour les piliers droits, angulés à 15° ou personnalisés. Un torque de 15 N/cm maximum est recommandé pour les piliers provisoires.
Le système NobelPearl propose une solution de restauration sans métal composée d’un implant et d’un pilier prothétique assemblés par une vis prothétique. Ces composants autorisent des restaurations soit scellées (coiffe scellée/pilier), soit vissées (coiffe avec puit d’accès collée sur une embase prothétique zircone par le laboratoire). Une des particularités de cet implant NobelPearl réside dans sa connexion interne Inter-X spécialement conçue pour les implants en céramique. Cette connectique interne autorise la réalisation de prothèses implantaires unitaires et plurales transvissées (figure 2).
Le système NobelPearl est indiqué pour les réhabilitations unitaires ou plurales et postérieures, indifféremment au maxillaire ou à la mandibule, selon un protocole de mise en charge différée exclusivement. La période recommandée de cicatrisation par le fabricant est de 3 mois à la mandibule et 6 mois au maxillaire.
Ces implants sont proposés en 3 diamètres : NP (Ø de 3,5 mm) disponible de 8 à 12 mm, RP (Ø de 4,2 mm) dispo nible de 8 à 14 mm, WP (Ø de 5,5 mm) de 8 à 12 mm. Les dimensions de l’implant ne tiennent pas compte du col implantaire de 1,6 mm (figure 3).
Le fabricant recommande de positionner le col en situation supracrestale à + 1,6 mm au-dessus de la crête osseuse. Une butée d’enfoncement (drill stop) fixée sur les forets implantaires permet de calibrer l’enfouissement du col à 1,6 mm ou 0,6 mm selon l’épaisseur des tissus parodontaux. En cas de parodonte fin, il est recommandé de positionner le col implantaire à + 0,6 mm. Les positionnements juxta-crestaux et infra-crestaux ne sont pas contre-indiqués.
Les couples d’insertion implantaire recommandés sont compris entre 20 et 30 N/cm à 20 tr/min. Lors de l’insertion de l’implant, le couple d’insertion ne devra pas excéder 45 N/cm, au risque de fracturer le porte-implant qui comporte une gorge de rupture calibrée pour céder à 50 N/cm.
La patiente opérée est une jeune femme de 28 ans, sans antécédents médicaux, avec une bonne hygiène orale. Après une tentative de retraitement endodontique infructueuse, sa première molaire mandibulaire droite (36) a dû être extraite et son remplacement envisagé grâce à une prothèse sur implant. Lors de l’entre tien, la patiente a demandé à bénéficier d’une restauration sans métal. Le remplacement de la dent par une solution « tout céramique » grâce au système NobelPearl nous a semblé parfaitement indiqué.
Après passage du CBCT, une planification numérique a été réali sée à l’aide du logiciel d’imagerie 3D (Planmeca Romexis) (figure 4). Un implant NobelPearl RP 4,2 × 0 mm a été commandé de même que la séquence de forets et un pilier de cicatrisation en PEEK 5 × 4 mm.
Pour la phase chirurgicale, la patiente a été anesthésiée grâce à des inje tions para-apicales vestibulaires et linguales (articaïne 4 %, Ad 1/100 000, Septodont) complétées par des rappels au niveau des papilles bordant le site opératoire. Après incision crestale et réclinaison du lambeau, la séquence de forage a été réalisée selon le protocole recommandé par le fabricant à 800 tr/min sous irrigation constante de sérum physiologique (figure 5). Le passage de la corticale a été réalisé classiquement à l’aide d’une fraise boule 2 mm, puis l’axe a été déterminé par le passage du foret de 2,3 mm (figure 6) et contrôlé grâce au guide de direction (figure 7). À ce stade, la butée d’enfoncement (drill stop) a été placée sur le foret suivant (4,2 × 10 mm) du côté 0,6 mm (figure 8) en raison d’une faible hauteur de gencive crestale. Ce protocole permet ainsi de positionner l’implant en position supra-crestale avec le col dépassant de 0,6 mm. Pour finir, le taraud équipé de la bague stop à 0,6 mm est utilisé à 20 tr/min (figure 9).
L’implant est saisi à l’aide du mandrin porte-implant (figure 10) et mis en place en augmentant le couple de serrage progressivement à chaque blocage ; dans le cas présent, un couple de 35 N/cm a été nécessaire pour la mise en place de l’implant (figure 11).
Il est important de noter que le mandrin porte-implant comporte une gorge prévue pour fracturer préventivement si un couple supérieur à 50 N/cm est utilisé. Après mise en place du pilier de cicatrisation, le site est refermé à l’aide de points simples (Flexocrin 4/0, B. Braun) (figure 12).
Après 3 mois de cicatrisation (figure 13), la phase prothétique débute par une prise d’empreinte. Une première empreinte optique a été enregistrée à l’aide d’une caméra intra-orale (Trios, 3Shape). Le transfert d’empreinte optique (NobelPearl Position Locator) placé sur l’implant permet la cap ture numérique tridimensionnelle de la position de l’implant (figure 14).
Malheureusement, nous avons appris par la suite par le laboratoire que les analogues numériques d’implants n’étaient pas encore disponibles. Nous avons donc été contraints de réaliser une deuxième empreinte, physique cette fois, selon la technique classique à l’aide d’un transfert (figure 15).
Le céramiste a ensuite réalisé le montage de la céramique avant collage sur le pilier prothétique en zircone (figure 16). Après essayage et contrôle de la prothèse (figure 17), la coiffe a été mise place en serrant la vis prothétique à 25 N/cm (selon les recommandations du fabricant), puis l’obturation du puit d’accès a été réalisée avec de la résine composite (figures 18 et 19).
Au cours de la réalisation de ce cas, il nous est apparu nécessaire de faire un point sur nos impressions. La pratique du système NobelPearl nécessite l’acquisition de trousses chirurgicale et prothétique spécifiques, obligeant les praticiens, mêmes ceux possédant déjà une trousse de prothèse, à investir pour pouvoir travailler avec ces implants en céramique. Même s’il existe des offres, elles sont conditionnées en général à l’achat d’implants, qui n’intéresseront pas les praticiens correspondants adressant leurs cas de chirurgie. Par ailleurs, le coût des implants (450 €) et des différents composants (embase prothétique zircone : 250 €) sont également des freins au développement de ce produit.
Concernant la mise en œuvre, le protocole de forage est simple avec relativement peu de forets et ne pose pas de problèmes particuliers si ce n’est l’utilisation de la butée d’enfoncement à 0,6/1,6 mm qui peut générer des difficultés lorsque les niveaux d’os crestal, mésial et distal, ou lingual et vestibulaire, ne sont pas à la même hauteur ; la bague bute alors sur le relief le plus haut (par exemple en lingual) et on se retrouve alors du côté vestibulaire avec un col qui dépasse plus que souhaité.
Malgré les indications étendues aux secteurs antérieurs avancées par le fabricant, elles nous semblent limitées pour plusieurs raisons :
- le positionnement supra-crestal du col de l’implant limite son utilisation dans les secteurs antérieurs aux patients possédant un capital gencive important ;
- le fabricant déconseille tout protocole de mise en fonction immédiate avec cet implant ;
- les diamètres proposés (4,2 et 5,5 mm) sont assez larges et ne sont pas forcément adaptés aux secteurs incisifs.
Les piliers de cicatrisation en PEEK se déforment assez facilement au niveau de leur sillon cruciforme lors des manipulations de vissage/dévissage. Le principal atout de ce produit reste la qualité de cicatrisation des tissus mous péri-implantaires et la parfaite intégration de la restauration. De plus, il faut souligner l’avancée technologique [21] que représente ce produit qui permet des restaurations non seulement sans métal, répondant à une demande croissante d’une patientèle de plus en plus exigeante, mais également en 2 parties assemblées grâce à une vis.
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêts.