LE MATÉRIEL ANCILLAIRE DES TROUSSES DE CHIRURGIE GUIDÉE COMME SOURCE D’IMPRÉCISION ?
REVUE DE LA LITTÉRATURE
Dossier
Felix BISMUTH* Ahmed RABIEY** Olivier FROMENTIN***
*Attaché DUCICP.
**Exercice libéral à Longjumeau.
***Ancien attaché DUCICP.
****Exercice libéral à Chartres.
*****PU-PH, Responsable du DUCICP, Université Paris Cité, Hôpital Rothschild (AP-HP).
Pour améliorer la précision de la position implantaire, les outils informatiques de planification ont remplacé les protocoles analogiques et les guides chirurgicaux artisanaux ont cédé la place aux guides imprimés. Cependant, des différences dans les composants des trousses de chirurgie guidée disponibles peuvent influencer la précision de l’ostéotomie et la position implantaire finale, ce qui nécessite une attention particulière lors du choix de ce matériel ancillaire.
Pour garantir l’esthétique et la pérennité des restaurations prothétiques supra-implantaires fixées, il est indispensable de positionner les implants le plus fidèlement possible selon la planification implantaire réalisée. Pour cela, les outils informatiques développés autour de l’implantologie assistée par ordinateur ont permis de construire un flux de travail entièrement numérique, depuis l’acquisition des données cliniques grâce à une empreinte optique jusqu’à la réalisation de la réhabilitation prothétique usinée par CFAO [1]. Dans ce flux de travail, les logiciels de planification implantaire ont avantageusement remplacé les protocoles analogiques par manipulation de planches radiologiques et de calques implantaires, tout comme le guide chirurgical fabriqué artisanalement disparaît peu à peu au profit du guide imprimé par stéréolithographie. Ce dernier représente le maillon physique de la transition entre la simulation virtuelle de la situation implantaire et l’acte chirurgical permettant de reproduire cette planification.
En 2020, la méta-analyse de Tattan et al. [2] a montré que la position tridimensionnelle d’un implant placé avec un protocole de chirurgie guidée était plus fidèle à la planification qu’une chirurgie partiellement guidée en utilisant seulement un forage pilote ou à main levée sans recours à un guide.
De nombreuses études scientifiques [3-5] ont évalué l’exactitude obtenue lors de chirurgies implantaires guidée.
Cette exactitude est mesurée par l’écart dimensionnel ou la fidélité entre la position spatiale finale de l’implant mis en place et sa situation planifiée dans le projet implantaire virtuel réalisé à l’aide d’un logiciel de planification. Ainsi, pour Guentsch et al. en 2023 [6], selon le système de chirurgie guidée utilisé, cette déviation maximale peut atteindre respectivement 1,7 mm au niveau du col implantaire et 0,82 mm à l’apex de l’implant. De même, une déviation angulaire maximale de 3,5° est mesurée.
Cette déviation constatée est la résultante de multiples petites imprécisions issues des différentes étapes de traitement, depuis la réalisation du guide chirurgical jusqu’à la pose de l’implant dans le site d’ostéotomie [7].
Concernant le protocole de forage au travers d’un guide chirurgical, un matériel ancillaire spécifique a été développé pour limiter la variabilité des pratiques en améliorant l’ergonomie des trousses chirurgicales. En ce sens, différents dispositifs (forets, douilles, cuillères, butées) ont ainsi été imaginés dans les systèmes implantaires qui proposent ce type d’assistance à la chirurgie implantaire.
Toutefois, quelques travaux récents semblent montrer qu’il existe des différences importantes dans ces matériels en termes de conception qui influeraient sur la précision de l’ostéotomie réalisée et donc sur le niveau d’exactitude de la position implantaire projetée par rapport à l’ostéotomie réalisée [6, 8, 9].
L’objectif de cette revue de la littérature est de synthétiser les connaissances récentes concernant l’impact du matériel ancillaire des trousses de chirurgie guidée sur la précision de la situation implantaire finale après ostéotomie et insertion implantaire, au travers du guide issu d’une planification numérique.
Une recherche électronique des publications a été effectuée sur la base de données MEDLINE-PubMed. La dernière recherche a été réalisée en avril 2023. La combinaison suivante de mots-clés et de mot MeSH associés à des opérateurs booléens a permis de construire l’équation de recherche suivante (encadré 1) :
(((surgical guide) OR (guided implant surgery) OR (guided surgery [MeSH Terms]) OR (computer guided surgery) OR (stereolithographic surgical guide) OR (stereolithographic surgical template) OR (drilling system)) AND ((deviation) OR (errors) OR (accuracy) OR (tolerance)) AND ((dental implantology) OR (dental implant) OR (dental implant [MeSH Terms])))
Une restriction de recherche a été appliquée sur la langue des articles (seulement en anglais) et les articles publiés avant 2008 n’ont pas été retenus dans cette revue de littérature.
Pour retrouver des éventuels articles manquants, une recherche manuelle dans les sommaires des revues internationales traitant d’implantologie ainsi que dans les bibliographies des articles retenus a été effectuée.
La recherche initiale dans PubMed a permis de retrouver 733 publications et 13 articles supplémentaires ont été ajoutés après recherche manuelle. La lecture des titres et résumés a permis d’éliminer 687 articles ne correspondant pas au sujet précis étudié ; 26 publications ont été lues entièrement et 18 publications ont été exclues puisqu’elles ne traitaient pas explicitement du matériel ancillaire des trousses de chirurgie guidée (figure 1). Finalement, 8 publications ont été incluses dans la présente revue de littérature.
Les travaux retenus ont été publiés entre 2010 et 2023. Il s’agit de 5 études in vitro [10-14] et 2 études cliniques rétrospectives [15,16]. Une méta-analyse [17] complète les publications retenues (tableau 1).
D’après les résultats des études sélectionnées, quelques caractéristiques du matériel ancillaire spécifique à la chirurgie guidée auraient une influence sur l’exactitude finale du positionnement implantaire.
Ainsi, par rapport à la planification, la précision et la fidélité seraient significativement supérieures lorsqu’un système de cuillères est utilisé (figure 2) par rapport aux forets guidants [13, 14]. Selon Sittikornpaiboon et al. [13] l’architecture en self locking des cuillères type « VeloDrill » (VeloDrill Guided Surgery, Straumann) entraînerait significativement moins de déviations linéaires et angulaires du col ainsi que de l’apex implantaire, comparées aux cuillères conventionnelles.
D’après Cassetta et al. [15], la tolérance ou clearance correspondant au « jeu » entre le foret et la douille influencerait la précision de la position implantaire. La tolérance est indispensable pour éviter un échauffement du foret lié à la friction entre les pièces métalliques. Ceci est en accord avec les travaux de Raabe et al. [12] qui montrent que, en réduisant au maximum la tolérance dans un système de guide sans douille, ils obtiennent une précision accrue de la position implantaire. En effet, le contact intime entre le foret et la résine du guide sans douille n’induirait pas d’échauffement comme lors du frottement entre la douille métallique et le foret (figure 3).
De plus, selon Kopp et al. [11], la précision du positionnement implantaire serait significativement augmentée lorsque des douilles longues (6-7 mm) sont utilisées en comparaison avec des douilles plus courtes (4 mm ou moins).
Par ailleurs, la compensation verticale ou offset, correspondant à la distance entre la partie coronaire de la douille et la position du futur col implantaire, est un paramètre influant également sur la précision de l’ostéotomie et donc sur l’exactitude de la position implantaire finale. Cette valeur est définie par le fabricant et les forets du système de chirurgie guidée sont conçus spécifiquement selon cette valeur d’offset. Ainsi, d’après les travaux de Apostolakis et al. [10] et ceux de Cassetta et al. [16], l’augmentation de cette compensation verticale se traduit par une déviation significativement augmentée.
Toujours selon Cassetta et al. [15], la qualité de la fixation du guide chirurgical dans les situations de guide à appuis muqueux ou à appuis mixtes en situation d’arcade dentaire réduite apparaît également comme un facteur important de déviation entre la position finale de l’implant et sa situation planifiée (figure 4).
Enfin, d’après Bover-Ramos et al. [17], la précision du positionnement implantaire serait significativement améliorée lorsque l’implant est inséré au travers du guide après forage, en comparaison d’un implant posé à main levée après une séquence de forage guidée.
À l’issue de cette revue de la littérature, au-delà de l’architecture du guide en termes de recouvrement de la surface d’appui, la littérature montre qu’il existe des facteurs potentiels d’imprécision de la situation implantaire finale en rapport avec le matériel ancillaire utilisé lors de ces protocoles de chirurgie guidée.
Une trousse de chirurgie guidée idéale devrait être ergonomique et contenir le matériel ancillaire permettant de contrôler les facteurs d’imprécision entraînant une variation des résultats obtenus en termes de situation implantaire [13].
De nombreux guides de chirurgie guidée sont conçus pour être utilisés avec des cuillères de guidage ou hand key drill [14]. Dans cette situation, une douille calibrée, spécifique du système de cuillères utilisées, est collée dans le guide chirurgical stéréolithographié. Pour chaque foret utilisé, une cuillère spécifique est insérée dans la douille, maintenue manuellement pour permettre le guidage lors de l’ostéotomie. L’architecture de ces cuillères et leur maintien par la main de l’opérateur joueraient un rôle dans la variation de la précision finale obtenue [13].
Récemment, il a été proposé des forets comportant une partie travaillante associée à une partie guidante cylindrique qui s’insère directement au travers de la douille, évitant ainsi l’utilisation d’une cuillère. Cette partie guidante est conçue avec une butée d’enfoncement limitant la profondeur de forage.
La précision et la fidélité seraient significativement supérieures lorsqu’il est utilisé un système de cuillères par rapport aux forets guidants [13]. Ces résultats sont en accord avec d’autres travaux publiés [6]. Ainsi, les cuillères en self-locking entraîneraient significativement moins de déviations du col implantaire, de l’apex et moins de déviation angulaire comparées aux cuillères conventionnelles puisqu’elles sont « clipées » dans la douille, ce qui réduit d’autant le jeu de l’assemblage. Si le système de chirurgie guidée utilisé propose des forets guidants moins précis que le système de cuillères, le recours à un guide sans douille permettrait d’améliorer la précision. À notre connaissance, aucune étude scientifique n’a comparé la précision obtenue avec un système de cuillères et un système composé de forets guidants utilisés sans douille.
Logiquement, dans l’ergonomie du système, il est industriellement prévu un jeu entre les pièces pour permettre leur assemblage sans friction et la rotation sans échauffement excessif.
Cette tolérance de conception est néanmoins facteur d’imprécision lors du protocole de forage par le léger déplacement potentiel du foret induit par le jeu entre les pièces (douilles, forets et cuillères). Ainsi, de nombreux auteurs rapportent l’importance de l’insertion et du maintien du foret strictement dans l’axe ou parallèlement à la douille pour limiter « l’erreur intrinsèque » de positionnement lors du forage en rapport avec la tolérance du système mécanique de guidage [14, 18].
Pour Cassetta et al. [19], la réduction de cette tolérance améliorerait la précision du guide sans qu’il soit fait mention de l’augmentation potentielle de l’échauffement du dispositif par frottement entre les pièces métalliques en rotation. Dans cette optique, Lee et al. [20], ont développé un système de chirurgie guidée sans douille. Le foret s’insère et travaille directement au travers du guide chirurgical, sans l’intermédiaire d’une douille de guidage. Les auteurs ne précisent pas la tolérance paramétrée entre le diamètre du puits du guide en résine et celui du foret s’y insérant, mais ils rapportent l’absence de déformation et d’échauffement permettant, grâce à cette tolérance minimale, d’améliorer la précision de la situation implantaire. Les résultats de cette étude [20] sont en accord avec ceux de travaux publiés récemment [12, 21, 22].
Par ailleurs, d’après la littérature, il apparaît préférable d’utiliser une douille longue dont le positionnement vertical dans le guide permet de minimiser l’espace entre la base de celle-ci et le site d’ostéotomie [10, 11, 15]. Paradoxalement, l’utilisation des douilles longues (7 mm) n’impose pas une ouverture buccale plus importante que celle d’une douille standard (4 mm) pour permettre le passage des forets. En effet, la partie coronaire de la douille dépend de l’offset défini par le fabricant et cette valeur est toujours identique indépendamment de la hauteur de la douille utilisée.
En termes d’ergonomie des systèmes de guidage implantaire, il s’avère donc pertinent d’avoir la possibilité de choisir des douilles de hauteur variable, dont la tolérance mécanique est prévue pour être minimale, et de pouvoir paramétrer précisément leur situation verticale lors de la conception virtuelle du guide. De plus, au-delà du choix spécifique du matériel ancillaire, la stabilisation du guide chirurgical sur la surface d’appui dans une situation strictement similaire à celle retenue pour la planification est un facteur essentiel de la précision de ces protocoles [16]. Ceci impose d’utiliser un système de fixation du guide efficace et fiable.
Classiquement, des clavettes ou des vis d’ancrage permettent de stabiliser le guide chirurgical. Elles nécessitent un forage osseux préalable en fonction de la planification effectuée avant d’être insérées dans l’os au travers d’une douille spécifique intégrée lors de la conception du guide. Quelques travaux ont montré que l’utilisation de ces clavettes améliorait la précision du résultat obtenu en termes de situation implantaire [23, 24].
Inversement, Verhamme et al. [25] n’ont pas montré d’amélioration significative de la précision lors de l’utilisation de clavettes. Dans cette étude, cellesci étaient utilisées dans des situations d’édentement total où les guides à appui exclusivement muqueux étaient positionnés sans calage préalable grâce à l’arcade antagoniste, contribuant ainsi à l’imprécision du positionnement initial avant clavetage.
En complément d’utilisation de ces clavettes, certains systèmes implantaires proposent des clés d’ancrage ou stabilisateurs qui permettent d’améliorer la stabilité du guide en cours d’intervention, après le forage d’un premier site implantaire. Le stabilisateur est choisi en fonction du diamètre de forage puis vissé dans le site d’ostéotomie au travers du guide. L’ajustage précis entre le stabilisateur vissé et le guide ajoute un point d’appui et renforce ainsi la stabilisation initiale apportée par les clavettes périphériques d’ancrage. Ce stabilisateur peut être agrégé également sur un implant déjà en place. Ainsi, cette technique est utilisée pour stabiliser des guides sur des implants déjà ostéo-intégrés, afin d’améliorer la précision des ostéotomies implantaires complémentaires [26].
Enfin, il apparaît que l’insertion implantaire après forage guidé est également un facteur d’imprécision du transfert de la position implantaire planifiée. L’implant doit être inséré au travers du guide chirurgical et non à main levée après la dépose du guide [17, 27].
En termes d’ergonomie, ceci implique que, dans le système implantaire utilisé, le porte-implant présente une architecture axiale guidante et qu’il présente une butée d’enfoncement similaire à celle des forets afin de pouvoir visser l’implant au travers du guide tout en respectant l’enfouissement planifié.
Au-delà de ces critères de conception du guide chirurgical associé au matériel spécifique utilisé pour réduire les variations de positionnement implantaire, il apparaît clairement que, pour de nombreux auteurs des publications retenues dans cette revue de la littérature, la courbe d’apprentissage de ces proto coles de chirurgie guidée représente un des facteurs clés de la maîtrise du transfert de la situation implantaire projetée.
Le recours à la chirurgie guidée n’influence aucunement le taux de survie implantaire [2] mais amène plus de prédictibilité quant aux résultats des traitements implanto-prothétiques en favorisant un transfert précis de la situation implantaire planifiée numériquement.
En ce sens, le choix raisonné d’un matériel ancillaire contribue à l’amélioration de la précision du positionnement implantaire par rapport à la situation projetée. L’utilisation d’une douille de guidage d’un diamètre unique permettant l’insertion d’une série de forets autoguidants munis de butées d’enfoncement paramétrables apparaît comme une amélioration ergonomique intéressante dans certains systèmes de chirurgie guidée disponibles actuellement.
Mais c’est également dans la compréhension des modalités de conception informatisée de ces guides et la réalisation de ces protocoles de chirurgie que le praticien trouvera une source significative d’amélioration des résultats opératoires en termes de précision attendue du positionnement implantaire.
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêts.
• #1 surgical guide OR guided implant surgery OR guided surgery [MeSH Terms] OR computer guided surgery OR stereolithographic surgical guide OR stereolithographic surgical template OR drilling system
• #2 deviation OR errors OR accuracy OR tolerance
• #3 dental implantology OR dental implant OR dental implant [MeSH Terms]
• #1 AND #2 AND #3