GESTION IMPLANTO-PROTHÉTIQUE D’UN PRÉMAXILLAIRE ATROPHIÉ
LA TECHNIQUE DU NASAL LIFT
Dossier
William GOUBIN* Julien HAMON** Patrick LIMBOUR***
*Ancien AHU, Service de Soins adultes, CHU de Rennes.
**Exercice libéral à Châteaugiron.
***Ancien AHU, Service de Chirurgie orale et Implantologie, CHU de Rennes.
****MCU-PH, Service de Chirurgie orale et Implantologie, CHU de Rennes.
***** Responsable du DU Implantologie, Université de Rennes.
Le nasal lift est une technique opératoire permettant d’améliorer les conditions anatomiques préalables à l’implantation dans un prémaxillaire atrophié. Elle doit être considérée comme une alternative à des greffes verticales d’apport au niveau antérieur avec une fiabilité similaire à celle des interventions d’élévation du plancher sinusien.
En fonction du volume osseux résiduel, le traitement implanto-prothétique des atrophies osseuses maxillaires peut être réalisé en utilisant des implants courts, extra-courts ou étroits. Si le volume osseux s’avère minimal tant verticalement que horizontalement, plusieurs techniques d’apport de tissus durs sont possibles.
Au maxillaire postérieur, en complément des possibilités de greffes osseuses par blocs ou par ROG, des techniques d’élévation du bas fond sinusien ou sinus lift ont été décrites.
Dans le secteur antérieur, différentes procédures ont été développées pour permettre la réalisation de réhabilitations implantaires en cas d’atrophie verticale du prémaxillaire (classes V et VI de Cawood et Howell) [1]. Cellesci incluent la greffe en bloc ou ostéotomie de Le Fort I avec interposition d’un bloc osseux, le plus souvent prélevé à la crête iliaque [2].
En 1985, Adell et al. [3] décrivent la technique d’élévation du plancher nasal (Nasal Floor Elevation ou NFE) qui consiste à transfixer un bloc cortico-spongieux iliaque dans les fosses nasales. En 1997, Garg rapporte une technique d’augmentation du volume osseux antérieur fondée sur la technique de l’élévation du plancher sinusien maxillaire [4]. Cette technique et ses modifications ultérieures consistent en la réalisation d’un lambeau de pleine épaisseur permettant l’exposition de l’épine nasale antérieure, puis le décollement de la muqueuse nasale (figure 1) et la mise en place de différents matériaux de greffes osseuses (figure 2). D’après l’auteur, elle permet la pose d’implants immédiatement si la hauteur osseuse initiale est comprise entre 8 et 10 mm et, à défaut, demande une approche en deux temps, en plaçant les implants après consolidation de la greffe.
En 2008, Rubo de Rezende et al. rapportent un cas clinique similaire à celui de Garg avec implantation simultanée [5]. Plus récemment, de nouvelles procédures en une étape ont été décrites en utilisant différents biomatériaux comme greffons [6-8]. Des procédures mini-invasives ont également été proposées telles que l’élévation de la muqueuse nasale par l’utilisation d’un ballon [9] ou par pression hydraulique [10].
L’évolution de la technique du nasal lift la plus récemment décrite dans la littérature réside dans l’abord transcrestal [10, 11] similaire à celui de la technique de Summers (1994) au niveau sinusien. Elle se caractérise par le décollement soigneux de la muqueuse des fosses nasales au travers du site implantaire après ostéotomie. Ensuite, différents types de matériaux (os autologue ou d’origine xénogénique) sont insérés avant la mise en place des implants.
Après avoir exposé les indications et les limites de la technique du nasal lift, le but de cet article est de décrire les étapes opératoires d’un soulèvement partiel du plancher des fosses nasales. Un cas clinique illustre cette description et oriente la discussion.
L’utilisation d’implants courts permet de traiter des situations cliniques où l’os résiduel présente une hauteur de 10 mm au niveau du prémaxillaire, sans avoir besoin de techniques supplémentaires [12-15]. La technique transcrestale prémaxillaire est indiquée lorsqu’il est nécessaire de poser des implants courts (moins de 8 mm) dans des épaisseurs résiduelles d’os de 2 à 7 mm [10]. Cette technique intéresse uniquement les canines et les incisives maxillaires.
En comparaison avec l’élévation de la membrane sinusienne, la muqueuse du plancher des fosses nasales s’avère plus épaisse et plus résistante, ce qui entraîne moins de risque de perforation membranaire durant le protocole opératoire [8]. De plus, l’os du prémaxillaire présente généralement une densité plus élevée et une plus grande épaisseur d’os cortical que dans les zones postérieures, améliorant la stabilité primaire implantaire.
Dans le protocole d’élévation du plancher nasal, l’augmentation de hauteur ne doit pas dépasser 6 mm afin d’éviter des interférences avec le cornet nasal inférieur [8]. Lors de gênes respiratoires chroniques préalables à l’intervention, certains auteurs préconisent une turbinectomie (ablation partielle des cornets inférieurs) afin d’aménager un volume suffisant compatible avec les futures greffes osseuses sous la membrane nasale [7].
Néanmoins, une turbinectomie chez un patient asymptomatique peut entraîner un syndrome du nez vide, qui s’exprime par la perte des fonctions nasales physiologiques (humidification, réchauffement et nettoyage de l’air inhalé) en raison de la réduction de la zone d’échanges en rapport avec la surface muqueuse [16].
De plus, la greffe intra-nasale permet d’améliorer l’ancrage implantaire apical mais n’exclut pas le besoin de compenser une hauteur insuffisante au niveau de la partie supérieure de la crête, imposant une greffe d’apposition verticale ou, à défaut, la réalisation d’une fausse gencive prothétique. Hors contre-indication chirurgicale générale, l’élévation de la membrane du plancher nasal est contre indiquée dans 3 situations :
- une rhinite ou une allergie chronique ;
- une épistaxis récurrente ;
- une réparation antérieure de la cloison nasale [8].
Un patient édenté complet au maxillaire demande une solution prothé tique fixée qui indique la mise en place d’implants répartis sur l’ensemble de la crête dans l’objectif de réalisation d’une prothèse transvissée sur pilotis.
L’examen clinique et radiologique révèle une atrophie maxillaire sévère (classe V de Cawood et Howell).
L’analyse des coupes radiographiques obtenues après CBCT montre qu’il n’existe aucun site présentant une hauteur osseuse suffisante pour l’insertion d’implants de longueur conventionnelle (figure 3). Dans les secteurs postérieurs, les épaisseurs osseuses varient entre 2 et 4 mm (classe SA4 Classification de Misch) [17]. Les sites d’implantation potentielle du prémaxillaire présentent des hauteurs inférieures à 7 mm.
Des aménagements osseux sont donc indiqués afin de recréer les impératifs biologiques indispensables à la stabilité implantaire. Il est décidé de réaliser des greffes sinusiennes et nasales puis, dans un second temps, d’effectuer la pose de 6 implants en mise en charge immédiate. Les élévations de la membrane du plancher des sinus et des fosses nasales sont effectuées dans le même temps opératoire, l’intervention ayant duré environ 1 h 30.
Dans le cadre de cet article, il n’est détaillé ici spécifiquement que l’intervention concernant l’élévation de la membrane du plancher des fosses nasale par voie latérale (ou frontale).
Le patient est en bonne santé et ne présente pas de contre-indications générales ou spécifiques au protocole opératoire d’élévation du plancher sinusien et des fosses nasales.
Une prémédication par antibiotiques, anti-inflammatoires et antalgiques est délivrée avant l’intervention selon les recommandations classiques.
Après anesthésie locale, une incision au sommet de la crête est réalisée. Un lambeau est récliné au-delà de l’épine nasale antérieure, puis la membrane nasale est soigneusement soulevée localement à l’aide d’élévateurs à bout mousse (figures 4a et 4b).
Un prélèvement d’os autogène à l’aide d’un SafeScraper (Meta) est effectué au niveau des bosses canines (figure 5a). Un mélange d’os particulaire autogène, allogénique (BioBank) et xénogénique (Bio-Oss, Geistlich) est compacté dans les espaces créés sous la membrane des fosses nasales (figures 5b et 5c). Puis des membranes Bio-Gide (Geistlich) (figure 5d) sont mises en place afin de prévenir la colonisation du site par les tissus mous et éviter la fuite de biomatériau en vestibulaire.
Le lambeau est suturé à l’aide de points simples séparés (fil résorbable 4-0). La prothèse amovible provisoire maxillaire est rectifiée au niveau du joint antérieur afin de supprimer les compressions sur le site greffé. L’ordonnance est à nouveau expliquée au patient afin de s’assurer que le traitement médicamenteux sera bien suivi et les conseils post-opératoires sont donnés. Le patient est mis en garde contre l’expulsion forcée de mucus par le nez pendant 7 jours.
Il est également invité à avoir une alimentation molle pendant 10 jours pour éviter les compressions prothétiques.
Le contrôle à 2 semaines ne montre pas de complications majeures à l’exception des hématomes jugaux. Les sutures résorbables sont déposées.
Six mois après l’intervention, le patient ne présente aucun symptôme et les images du CBCT de contrôle montrent un bon schéma de calcification du comblement qui remplit le plancher nasal (figure 6). L’analyse quantitative de l’apport des greffes montre une augmentation de la hauteur dans le sens vertical d’environ 5 mm au niveau du prémaxillaire.
Au niveau des 12 et 22, ces greffes permettent la mise en place de deux implants (NobelActive TiUltra, Nobel Biocare) respectivement de diamètre et longueur 4,3/11,5 mm et 4,3/10 mm (figures 7a et 7b).
Les six implants sont posés à l’aide d’un guide chirurgical en technique Full Guided (figures 8 et 9).
L’intervention est associée à la mise en charge immédiate d’une prothèse transvissée sur pilotis provisoire issue de la prothèse complète maxillaire transitoire (figure 10).
Une radiographie panoramique de contrôle est réalisée (figure 11). Un contrôle à 15 jours puis un autre à 3 mois sont effectués afin de vérifier la répartition des contacts occlusaux ainsi que l’efficacité de l’hygiène orale du patient.
Bien que la technique d’élévation de la membrane du plancher des fosses nasales (Nasal Lift Elevation ou NFE) ait été décrite depuis plus de quatre décennies, les données publiées dans la littérature scientifique concernant la survie ou le succès des implants associés à ce protocole sont encore rares.
Une revue systématique [18] parue en 2022 montre que les implants posés après une élévation du plancher nasal présentent un faible nombre de complications et un taux de survie d’environ 97,6 % à 32 mois. L’accès latéral et l’approche chirurgicale en un temps sont les plus largement documentés. Néanmoins, le manque de données concernant l’approche transcrestale ainsi que la procédure en deux temps comme présentée dans le cas clinique illustrant cet article ne permettent pas une comparaison des taux de survie implantaire entre les modalités opératoires.
Le biomatériau le plus fréquemment utilisé dans cette technique est la xénogreffe (79,5 %), d’origine bovine dans la quasi-totalité des cas, suivi de l’os autologue. Aucune différence n’a été observée en ce qui concerne la survie implantaire en fonction du biomatériau employé. L’utilisation d’os autologue provenant d’une voie extra-orale n’a été rapportée que dans deux études réalisées il y a plus de 20 ans [19, 20] et elle est associée à une morbidité élevée [21]. Pour de nombreux auteurs, l’utilisation de sites de prélèvements intra-oraux ainsi que l’utilisation de xénogreffes apparaissent actuellement comme des modalités à privilégier.
Dans ce protocole, les complications nasales associées à la greffe ou à la pose d’implants dans le prémaxillaire se manifestent par des saignements, des gonflements, des douleurs, des hématomes, des infections, des migrations implantaires ou des rhinites [8, 22]. Lorsqu’elles dépassent la sphère orale, l’exploration ainsi que le traitement doivent être réalisés par un otorhinolaryngologiste.
Certains auteurs ne rapportent pas de perforations de la membrane nasale [2]. D’autres signalent une inci dence des perforations de 15 % sur une série de 34 interventions [23]. Néanmoins, la plupart de ces auteurs s’accordent sur la résistance mécanique de la membrane nasale par rapport à la membrane sinusienne. Ainsi, aucune publication ne décrit de conduite à tenir en cas de perforation lors de la greffe ou de l’insertion implantaire. Des saignements nasaux postopératoires ont été décrits mais peuvent être contrôlés par de simples compressions [23].
Lors de la mise en place de l’implant, une perforation de la muqueuse nasale peut provoquer une rhinite nécessitant la dépose ou la résection de la partie apicale de l’implant [24]. La dépose invasive de la totalité de l’implant dentaire est possible mais présente un réel inconvénient concernant la répartition des contraintes fonctionnelles qui seront développées sur les implants supportant la prothèse transvissée prévue.
Dans cette situation implantaire stratégique, une ablation partielle de la partie apicale de l’implant dentaire par voie trans-nasale a été décrite [24, 25]. Un autre cas a également été rapporté sans dépose des implants [26]. L’aération et le drainage du sinus maxillaire ont été restaurés par uncinectomie inférieure partielle et antrostomie moyenne à l’aide d’un endoscope.
Cependant, il a été également signalé des situations de perforation de la muqueuse nasale par insertion d’implants, avec absence de signes cliniques ou de complications radiologiques, même après analyse par voie nasale endoscopique [27].
Comme dans la majorité des techniques chirurgicales, il apparaît que les complications diminuent avec l’expérience des praticiens [28].
L’élévation du plancher nasal est une méthode indiquée comme alternative ou en complément de greffes d’apposition verticale dans les situations cliniques où le prémaxillaire est fortement résorbé.
Bien que les données scientifiques soient limitées, en termes de taux de survie implantaire, la fiabilité de la technique s’avère similaire à celle des interventions de soulèvement de la membrane sinusienne [6]. Elle est également équivalente aux interventions implantaires dans un prémaxillaire faiblement résorbé où le taux de survie varie entre 96 et 100 % [29, 30].
Néanmoins, en fonction du projet prothétique, les options d’abstention d’implantation en secteur antérieur ou la mise en place d’implants de très faible hauteur doivent être envisagées comme alternatives à cette technique de comblement intra-nasal [31].
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêts.