Clinic n° 12 du 01/12/2023

 

Dossier

Frédéric CHAMIEH  

Exercice exclusif en Parodontologie et Implantologie à Chartres.

La chirurgie guidée permet aujourd’hui de positionner des implants selon une planification chirurgicale et prothétique dans le but d’obtenir des profils d’émergences prophylactiques et esthétiques. Néanmoins, les résorptions osseuses post-extractionnelles nous contraignent souvent à placer des implants en position plus linguale, ce qui crée un sur-contour prothétique néfaste à long terme. Nous pouvons guider la position d’un implant mais comment guider la position de la greffe pour garantir un environnement tissulaire sain.

Les taux de survie et de succès en implantologie sont directement corrélés à la qualité et à la quantité des tissus péri-implantaires. Cependant, il est fréquent de constater d’importants déficits osseux horizontaux et/ou verticaux à la suite d’un traumatisme accidentel, d’une perte dentaire ou de maladies infectieuses sévères comme les parodontites. Ces atrophies sont majorées pour les patients édentés complets et porteurs de prothèses amovibles totales.

Les objectifs thérapeutiques d’un point de vue prothétique varient en fonction des différentes situations cliniques. Qu’il s’agisse de réhabilitation de type FP-1 [1] - pour laquelle la prothèse ne restaure que la partie coronaire des dents - ou de réhabilitations de type RP-5 - qui sont les prothèses amovibles muco-portées stabilisées sur implants -, les objectifs tissulaires restent les mêmes d’un point de vue biologique.

En implantologie, la précision des outils numériques nous permet aujourd’hui de planifier et de réaliser nos traitements de manière prédictible et reproductible [2]. Le recours à la chirurgie guidée statique et/ou dynamique paraît incontournable lorsqu’il s’agit de positionner un implant selon un projet prothétique. Il semble donc intéressant d’utiliser ces planifications prothétiques et implantaires pour planifier et réaliser une régénération osseuse respectant les caractéristiques biologiques.

PRÉAMBULE

L’utilisation de la chirurgie guidée statique et/ou dynamique est parfai tement codifiée, ce qui nous permet aujourd’hui d’atteindre des précisions inframillimétriques en termes de positionnement implantaire tridimensionnel [3]

Néanmoins, la quantité de tissus osseux reconstruits à l’aide de régénération osseuse guidée ou d’une autre technique de greffe est souvent dépendante de la technicité du chirurgien.

Encore aujourd’hui, ces reconstructions sont trop fréquemment réalisées avant même d’établir un projet prothétique et implantaire.

Il est admis que la réalisation d’un projet prothétique esthétique et fonctionnel est fondamentale pour planifier chirurgicalement la pose d’implants. Il paraît donc intéressant d’utiliser les technologies disponibles pour faire en sorte que la reconstruction osseuse soit en rapport avec cette planification.

Ces augmentations osseuses numériquement guidées sont aujourd’hui possibles grâce à des grilles en titane imprimées sur mesure.

Décrites par Sagheb et al. en 2017 [4], ces grilles en titane sont créées avec une technologie CAD/CAM afin d’être précisément adaptées aux défauts osseux. Celles-ci sont réalisées par frittage laser qui est une technologie additive d’impression de métaux, en l’occurrence, du titane. Cette adaptation extrêmement précise de la grille constitue un avantage majeur limitant les complications post-opératoires.

En effet, les angles et les bords créés pendant le modelage des grilles en titane conventionnelles, s’ils sont irréguliers et pointus, peuvent exposer les tissus mous à un traumatisme mécanique, ce qui peut conduire à la perforation du lambeau et à l’exposition du treillis [5, 6]. Cela peut être suivi d’une infection et d’une perte partielle ou totale de l’augmentation osseuse initiale. De plus, le volume de reconstruction planifié numériquement peut être issu d’un projet prothétique et chirurgical implantaire, ce qui permet alors de créer un environnement osseux adéquat péri-implantaire.

CAS CLINIQUE

Une patiente de 65 ans, en bonne santé générale, non fumeuse, se présente en consultation adressée pour une réhabilitation complète implanto-portée bi-maxillaire. La patiente porte une prothèse amovible complète maxillaire relativement stable et une prothèse amovible partielle mandibulaire stabilisée par des dents antérieures compromises (figure 1).

Le plan de traitement initial consistait en une réhabilitation maxillaire par prothèse amovible complète et par une prothèse fixe mandibulaire (figure 2). Suite à ce traitement et à la réhabilitation mandibulaire par prothèse fixe sur implants améliorant significativement sa qualité de vie, la patiente a finalement émis le souhait du même type de reconstruction pour le maxillaire.

L’examen clinique révèle une atrophie sévère de type Cawood V [7] incompatible avec la mise en place d’implants.

La prothèse amovible nouvellement réalisée sert de projet prothétique validé cliniquement, tant d’un point de vue fonctionnel qu’esthétique.

Compte tenu de la nécessité d’une reconstruction osseuse sous-jacente, un implant provisoire (Mini Sky, Bredent) est posé de manière à pouvoir décharger la prothèse amovible et limiter le risque d’exposition et de remodelage de la greffe osseuse (figure 3). Puis, l’objectif est de superposer la prothèse amovible complète validée cliniquement et numérisée - qui constitue le projet prothétique - aux volumes osseux résiduels. Cette superposition s’effectue par un protocole de « Dual Scan » [8] et nécessite des repères fixes identifiables facilement. Pour cela, plusieurs points de résine composite ou d’autres éléments radio-opaques sont positionnés sur l’extrados de la prothèse ou d’un duplicata de celle-ci. Deux tomographies volumiques à faisceau conique (CBCT) seront nécessaires.

La première sera celle du patient, portant la prothèse ou le duplicata traité, en occlusion. Il est important à ce stade que la prothèse, ou le duplicata, soit parfaitement positionnée et immobile ; c’est pourquoi il est conseillé d’effectuer au préalable un mordu à l’aide d’un silicone de haute viscosité, rigide, permettant de stabiliser la prothèse lors de l’exposition. Le deuxième CBCT consistera à radiographier uniquement la prothèse (ou duplicata) avec les repères radio-opaques. Deux fichiers DICOM seront ainsi obtenus et partageront les mêmes repères visuels.

Ces points de concordance, dont la position spatiale est identique, permettront aux logiciels de planification de superposer le volume tridimensionnel de la prothèse amovible complète au volume tridimensionnel osseux (figure 4). La planification implantaire sera alors réalisée en rapport avec un projet prothétique validé sur le plan esthétique et fonctionnel.

Ensuite, la planification implantaire est réalisée afin de confronter le volume osseux disponible au projet et à l’éventuelle nécessité de reconstruction osseuse (figure 5). En effet, il est indispensable d’obtenir un minimum de 2 mm d’os en vestibulaire de l’implant et de 1 mm en palatin afin de limiter le remodelage osseux et de ne pas exposer l’implant à de futures péri-implantites [9, 10].

Les fichiers DICOM ainsi que la planification implantaire sont adressés à la société ReOss pour une demande de modélisation de grilles sur mesure (figure 6).

Il est demandé de réaliser 2 grilles séparées pour la réhabilitation du secteur 1 et du secteur 2 dans le but de limiter le risque d’exposition et de ne pas altérer l’environnement tissulaire de l’implant provisoire (figure 7). Ces grilles, modélisées sur mesure, sont réalisées avec une sur-correction de 1 mm en horizontal par rapport aux objectifs de volume osseux finals afin de compenser un éventuel remode lage. Seule une reconstruction horizontale de crête est programmée, permettant ainsi de positionner des implants pour une prothèse de type FP-3 [1] avec compensation gingivale prothétique.

La modélisation est ensuite validée et les grilles sont imprimées puis stérilisées au sein du cabinet.

La chirurgie consiste à positionner les grilles après lambeau muco-périosté afin de valider la bonne adaptation (figure 8). Des évents ont été demandés afin de faciliter la compaction franche des biomatériaux au sein de la grille.

Afin de limiter la contraction de cicatrisation et donc l’exposition des grilles, un mélange d’os allogénique (BioBank) et xénogénique (Bio-Oss, Geistlich) a été utilisé comme matériau de substitution osseuse. Les grilles sont fixées à l’aide de vis d’ostéosynthèse auto-forantes (Global D) et une membrane résorbable réticulée (Creos) est positionnée (figure 9).

La prothèse amovible est alors largement déchargée pour qu’elle repose exclusivement sur l’implant provisoire et sur les tubérosités.

Différents rendez-vous de contrôle sont programmés pour veiller à la bonne cicatrisation de l’intervention.

Sept mois après cicatrisation, la même prothèse provisoire est réadaptée sur la crête de manière à réaliser un nouvel examen cone beam selon le protocole du Dual Scan [8] (figure 10).

Une nouvelle planification implantaire est réalisée avec la situation osseuse actuelle, reposant sur le projet prothétique initialement validé (figure 11). La pose de 4 implants est planifiée avec une mise en charge différée.

Pour cela, le protocole de guide à étages [11] permet la mise en place des implants ainsi que l’empreinte précise des implants nouvellement positionnés afin de réaliser la mise en charge prothétique au moment de la mise en fonction des implants.

Un guide d’incision permet de réaliser un lambeau muco-périosté minimalement invasif mais suffisant pour accéder aux grilles afin de les déposer (figure 12). Quatre implants (BLT NC x 14, Straumann) ont été positionnées avec un torque de 20 à 25 N (figure 13) puis une seconde régénération osseuse guidée a été effectuée à l’aide d’os xénogénique (Bio-Oss) associée à un gel d’acide hyaluronique et de polynucléotides (Regenfast, Geistlich) afin de potentialiser la cicatrisation (figure 14).

Cinq mois plus tard, la cicatrisation révèle un volume osseux stable ; néanmoins, les tissus mous sont atrophiques (figure 15). La mise en fonction est réalisée à l’aide d’un lambeau déplacé apicalement selon la Split technique [12] (figure 16). La cicatrisation de deuxième intention permet de reconstruire un volume de tissus kératinisé important (figure 17). Après 2 mois de cicatrisation, une prothèse complète fixe de type FP-3 est finalisée [1] (figure 18).

DISCUSSION

Il est aujourd’hui admis que les technologies de chirurgie guidée statique ou dynamique permettent de positionner des implants de manière fidèle à la planification. Néanmoins, dans les cas d’atrophie, aucun moyen précis ne permettait de réaliser une reconstruction osseuse fondée sur un projet prothétique initial.

Le recours à une technologie CAD/ CAM offre cette possibilité grâce à l’impression de grilles en titane sur mesure. Ces grilles sont modélisées sur des fichiers STL issus de la planification et du projet prothétique virtuel, ce qui permet de combiner les contraintes prothétiques aux contraintes biologiques implantaires.

Un second intérêt majeur à l’utilisation de ces grilles est d’obtenir une forme et une adaptation des grilles extrêmement précises, ce qui réduit le risque de complications post-opératoires connues avec les grilles en titane façonnées. La durée de l’intervention est alors fortement réduite.

Les gains osseux vertical et horizontal moyens après reconstruction sont en moyenne, respectivement, de 4,78 ± 1,88 mm (intervalle de 1,00 à 8,90 mm) et de 6,35 ± 2,10 mm (intervalle de 2,14 à 11,48 mm) [13].

Néanmoins, des précautions importantes sont à prendre pour limiter le risque d’exposition de ces grilles, notamment avec les prothèses provisoires.

Ciocca et al. [14] rapportent jusqu’à 66 % d’exposition dans une étude préliminaire sur 9 patients. L’étendue de la reconstruction influe significativement sur le risque d’exposition. C’est pourquoi, dans les cas de réha bilitation globale, il est préférable de scinder la grille.

Par ailleurs, le risque d’exposition est significativement plus important au maxillaire qu’à la mandibule (66,7 versus 8,3 %, p = 0,009) [4].

L’ajout d’une membrane de collagène sur la grille améliore de manière limitée les résultats de la régénération et la réduction du risque d’exposition [15].

Enfin, l’abord chirurgical par Poncho semblerait réduire significativement le risque d’exposition [14] mais impacte le risque de lésions nerveuses iatrogènes.

Une explication potentielle de ces expositions fréquentes est la réduction du soutien de la grille par les biomatériaux due à leur contraction lors de la cicatrisation. La gencive repose sur une grille rigide avasculaire et peut, dans certains cas, s’operculiser.

C’est pourquoi, dans ce cas, il a été choisi de combiner des substituts osseux allogéniques et xénogéniques dans le but de limiter cette contraction de cicatrisation. Le soutien mécanique et biologique de la grille et des tissus mous est alors assuré par l’os de reconstruction.

CONCLUSION

Il est communément admis que le projet prothétique guide la mise en place d’implants. L’objectif d’une planification implantaire précise est de pouvoir obtenir une prothèse esthétique, fonctionnelle, et dont l’émergence est compatible avec un bon contrôle de plaque. Les contraintes biologiques en rapport avec la mise en place de ces implants impliquent souvent des aménagements osseux et gingivaux. Recourir à des outils numériques afin de positionner l’os de greffe en fonction du projet prothétique paraît incontournable. L’utilisation de grilles en titane sur mesure permet de remplir cet objectif chirurgical et prothétique.

Liens d’intérêts

L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêts.

BIBLIOGRAPHIE

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