ALTERNATIVE NUMÉRIQUE DANS LE TRAITEMENT IMPLANTOPROTHÉTIQUE D’UN PATIENT ÉDENTÉ COMPLET MAXILLAIRE
Dossier
Solène LEFEVRE* Guillaume DROUHET** Olivier FROMENTIN***
*Ancienne Interne MBD.
**DUCICP, Université Paris Cité, Hôpital Rothschild (AP-HP).
***Attaché DUCICP, Université Paris Cité, Hôpital Rothschild (AP-HP).
****Exercice libéral à Paris.
*****PU-PH, Directeur du DUCICP, Université Paris Cité. Hôpital Rothschild (AP-HP).
Le projet implanto-prothétique déterminé pour un patient et une situation clinique constitue l’objectif thérapeutique à atteindre. Durant toutes les étapes de traitement, tant chirurgicales que prothétiques, l’assistance apportée par le recueil et le traitement des données cliniques sous forme numérique contribue à assurer la concordance entre le projet thérapeutique et sa réalisation. Dans les situations d’édentement complet, en complément de la planification implantaire et de la chirurgie guidée, l’empreinte optique inversée s’inscrit dans cet objectif.
En 2022, dans le rapport sur la « Prise en charge implanto-prothétique de l’édentement », la HAS et l’OMS estiment une prévalence de « environ 30 % d’édentés totaux d’ici 2030 » [1].
La prise en charge de ces patients est un problème de santé publique et représente un défi en termes de fonction masticatoire, d’esthétique et de qualité de vie. Pour traiter ces patients et compenser l’édentement complet, plusieurs options thérapeutiques existent, allant de la prothèse amovible complète conventionnelle au bridge fixé sur implants [1].
Des études ont montré que, du point de vue du patient, la prothèse fixe implanto-portée présente des résultats cliniques supérieurs aux prothèses amovibles conventionnelles, avec une stabilité et une fonction masticatoire améliorées ainsi qu’une augmentation de la satisfaction et de la qualité de vie rapportées par les patients traités [2, 3].
Néanmoins, la prise en charge reste complexe et demande de nombreuses séances prothétiques et de validation clinique. Avec le développement des techniques numériques, différents protocoles ont été décrits afin de faciliter les différentes étapes de ces traitements et en réduire la durée [4, 5].
L’objectif de cet article est de présenter un cas clinique illustrant l’utilisation des flux numériques dans le traitement implanto-prothétique d’un édentement complet maxillaire. Dans ce cadre, il décrit l’empreinte optique inversée comme alternative au protocole conventionnel d’empreinte physico-chimique.
Mme R., âgée de 53 ans, se présente à la consultation pour trouver une autre solution à l’instabilité de sa prothèse complète maxillaire. Elle rapporte également son insatisfaction vis-à-vis de son apparence esthétique.
La patiente est non fumeuse. Sur le plan général, elle est traitée par anti-TNF (adalimumab, 40 mg/semaine) pour un rhumatisme psoriasique [6].
Dans le cadre d’une potentielle thérapeutique implanto-prothétique, la prise d’anti-TNF peut entraîner un retard dans le processus de cicatrisation [7]. Après concertation avec son rhumatologue, il a été décidé d’un arrêt du traitement 3 semaines avant toute intervention chirurgicale et d’une reprise après cicatrisation muqueuse complète, sous couverture antibiotique (amoxicilline 1 g matin et soir).
Cliniquement, la patiente présente un édentement complet maxillaire et un édentement de 37, 45, 46, 47 non compensé. Sa prothèse amovible maxillaire d’usage présente un score inférieur à 50 selon les critères d’évaluation des prothèses amovibles complètes proposés par Sato et al. [8], indiquant sa réfection (figure 1).
Après un examen clinique et radiologique, en tenant compte du degré de résorption maxillaire, de l’amplitude du sourire et de la nécessité d’une fausse gencive pour assurer un support labial suffisant sur le plan esthétique, plusieurs options thérapeutiques ont été présentées à la patiente et la réalisation d’une prothèse fixée implanto-portée de type pilotis (FP-3 selon Misch et al. [9]) a été retenue.
Le plan de traitement proposé consiste en la mise en place de 6 implants au maxillaire, après comblement sinusien bilatéral (du fait du faible volume osseux dans les régions postérieures), et d’un implant mandibulaire. La mise en charge immédiate (MCI) maxillaire d’une prothèse transitoire transvissée précédera la réalisation de la prothèse d’usage, constituée d’une armature métallique supportant des dents artificielles du commerce et une fausse gencive en résine PMMA (poly méthacrylate de méthyle acrylique).
La première étape de son traitement a consisté en la réalisation d’une prothèse amovible complète transitoire, constituant la maquette initiale du projet prothétique tant sur le plan fonctionnel qu’esthétique [10] (figure 2).
Les chirurgies pré-implantaires d’élévation sinusienne par abord latéral ont immédiatement suivi la mise en place de cette prothèse amovible transitoire.
À 10 mois post-opératoire, une planification implantaire est effectuée en utilisant la prothèse amovible comme projet de la prothèse d’usage. Une technique double scan permet la confrontation du projet prothétique avec le volume osseux de la patiente [11].
Pour cela, un duplicata de la prothèse amovible complète est utilisé comme guide radiologique. Des repères radio-opaques sont placés sur ce guide (figure 3), qui est inséré dans la bouche de la patiente durant l’examen radiologique CBCT (tomographie à faisceau conique). Un CBCT du guide seul est secondairement réalisé. Les fichiers DICOM issus des acquisitions CBCT sont chargés dans un logiciel de planification implantaire (Simplant, Dentsply Sirona) et les repères radio-opaques visibles sur les 2 fichiers permettent leur superposition ou matching (figure 4a).
Le volume osseux disponible après les chirurgies d’élévation sinusienne permet la planification de 6 implants (Astra Tech Implant System EV, Dentsply Sirona) en position de 16, 14, 11, 21, 24 et 26 (figure 4b). À la mandibule, 1 implant (Astra Tech Implant System EV, Dentsply Sirona) est planifié en position de 46.
Afin d’assurer un maximum de fiabilité dans le transfert de la situation implantaire planifiée, une chirurgie complètement guidée est prévue en utilisant un guide chirurgical à appui muqueux. Ce guide est réalisé par stéréolithographie d’après la planification implantaire effectuée en fonction du projet prothétique.
Durant la chirurgie, il est stabilisé par 4 clavettes avant d’effectuer les forages nécessaires à la pose des 6 implants maxillaires planifiés [12, 13] (figure 5a).
Le guide est ensuite retiré (figure 5b) et le torque de chacun des implants est vérifié. La stabilité primaire de l’implant en 14 n’étant pas suffisante pour qu’il soit utilisé en MCI (< 15 N.cm), il a été décidé de l’enfouir.
Les piliers coniques, préalablement choisis sur la planification, sont mis en place et torqués à 25 N.cm sur les 5 autres implants. Le guide est remis en place puis des transferts de piliers coniques sont transvissés au travers du guide (figure 5c). Les transferts s’ajustent parfaitement au sein des douilles du guide sans nécessité de modification, attestant d’une très bonne concordance entre la planification et la chirurgie implantaire [14].
Les transferts sont ensuite solidarisés au guide chirurgical avec de la résine bi-acrylique chémopolymérisable (Duroc, Elsodent) (figure 5d), permettant ainsi d’enregistrer la position de ces piliers et de confectionner un modèle de travail nécessaire à la réalisation de la prothèse transitoire transvissée.
Le guide radiologique, issu du projet prothétique, est utilisé pour permettre le transfert de la situation du maxillaire et de la relation maxillo-mandibulaire sur un articulateur semi-adaptable. Deux puits sont percés dans ce guide, en regard des implants 16 et 24, et des piliers provisoires sont mis en place puis solidarisés à l’aide de résine bi-acrylique chémopolymérisable (Duroc, Elsodent).
Une régénération osseuse guidée de renfort est ensuite effectuée en regard des implants 11 et 21 et l’implant en position de 46 est posé.
Le jour de l’intervention, le laboratoire reçoit la prothèse complète transitoire de la patiente, le guide radiologique modifié servant de maquette d’occlusion, le guide chirurgical avec les transferts solidarisés comme empreinte de situation des piliers et le modèle mandibulaire (préalablement monté sur articulateur).
Toutes ces informations transmises au laboratoire permettent la transformation de la prothèse amovible complète de la patiente en une prothèse transvissée provisoire pour réaliser la mise en charge à 48 heures [15, 16]. Une fois cette prothèse insérée en bouche, le passage des brossettes, nécessaire à l’hygiène, et les contacts occlusaux sont vérifiés. Une radiographie panoramique de contrôle est réalisée (figure 6). La patiente reçoit des instructions post-opératoires concernant l’importance d’ajuster la texture des aliments pour réduire les contraintes mécaniques sur la prothèse transitoire. La cicatrisation à 1 semaine est satisfaisante (figure 7) et la patiente est revue en contrôle jusqu’à cicatrisation muqueuse complète.
La mise en fonction de l’implant en site de 14 est effectuée 8 mois plus tard et il est solidarisé à la prothèse provisoire en technique directe (figure 8).
Après obtention de l’ostéo-intégration, une empreinte de situation implantaire doit être effectuée pour réaliser la prothèse d’usage. Plusieurs options sont possibles : soit utiliser une technique conventionnelle d’empreinte physico-chimique, à l’aide de plâtre ou d’élastomères en utilisant des transferts, soit réaliser une empreinte optique intrabuccale avec des corps de scannage ou scanbodies.
Dans la littérature récente, l’empreinte optique intrabuccale est rapportée comme peu fiable dans les situations d’édentement complet [17, 18].
L’exactitude de l’empreinte optique est influencée par de nombreux facteurs [19-21]. Certains sont liés à des paramètres spécifiques (présence de salive, interférences des joues ou de la langue, luminosité excessive) et d’autres sont inhérents à la situation clinique comme dans le cas de l’édentement total (manque de repère anatomique).
L’alternative à l’empreinte physico-chimique ou à l’empreinte optique intra-orale, décrite par Rabiey et al. [22] et Liaropoulou et al. [23], consiste en une empreinte dite inversée.
Le principe est de réaliser une empreinte optique de situation en dehors de la bouche du patient. Elle permet de palier les facteurs d’imprécision et de conserver les informations validées par la prothèse transitoire. La première étape consiste à enregistrer la fibromuqueuse, qui peut avoir été modifiée du fait de la cicatrisation et de la maturation des tissus de soutien. Du matériau à empreinte, de type silicone élastomère de faible viscosité, est injecté sous l’intrados du pilotis provisoire avant son dévissage.
La prothèse provisoire est ensuite dévissée et équipée à l’aide de pièces spécifiques, des ScanAnalogs de piliers coniques (Set ZZ Base AS-EV-SA UA, Zirkonzahn), qui sont transvissés au travers de la prothèse (figure 9).
Une empreinte optique (Medit i700, Medit) de la prothèse provisoire avec ces ScanAnalogs est ensuite réalisée en dehors de la cavité buccale (vidéo 1). Ainsi, une acquisition numérique avec des repères fiables de la situation des piliers implantaires et de la prothèse est obtenue sans effectuer d’empreinte intrabuccale.
Puis la prothèse provisoire transvissée est replacée en bouche pour permettre un enregistrement du rapport d’occlusion avec l’arcade antagoniste préalablement enregistrée. Le logiciel du scanner intra-oral reconnaît les points communs des différentes acquisitions numériques et replace, virtuellement dans l’espace, la prothèse transitoire face à l’arcade antagoniste (vidéo 2).
Le laboratoire utilise cette combinaison d’acquisitions numériques (figure 10) pour connaître la position tridimensionnelle des piliers coniques et réaliser une prothèse d’usage en concordance avec le projet prothétique validé par la prothèse transitoire.
L’armature de la prothèse d’usage est modélisée par CAO (conception assistée par ordinateur) dans le volume prothétique de la prothèse provisoire puis usinée (figure 11). Elle est essayée et validée cliniquement ainsi que radiologiquement (figure 12).
Le montage des dents artificielles, le volume de la fausse gencive, la dimension verticale ainsi que le rapport intermaxillaire sont contrôlés. Puis les finitions de la prothèse d’usage sont effectuées au laboratoire.
Une dernière vérification des rapports dento-dentaires et de l’occlusion statique et dynamique (figure 13) est effectuée après transvissage de la prothèse d’usage terminée (figure 14). L’architecture prophylactique de l’infrastructure est également contrôlée (figure 15a) et les conseils d’hygiène sont prodigués à la patiente (figure 15b).
Le projet prothétique joue un rôle primordial en guidant la planification implantaire et la réalisation de la restauration implanto-prothétique.
Dans l’ensemble des étapes thérapeutiques, conserver toutes les caractéristiques du projet planifié en termes de volume prothétique, de situation précise des dents à remplacer, de leur morphologie et de leurs rapports avec l’arcade antagoniste, s’avère essentiel tant sur le plan fonctionnel qu’esthétique.
À ce titre, en complément de la planification implantaire et de la chirurgie entièrement guidée, l’empreinte optique inversée est une alternative judicieuse pour remplacer les protocoles intra-oraux d’empreinte, qu’il s’agisse de technique physico-chimique ou numérique.
Ainsi, l’utilisation des flux numériques durant les différentes étapes de traitement facilite la réalisation du projet implanto-prothétique en améliorant la précision et la prédictibilité du résultat thérapeutique attendu.
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêts.
Vidéo sur CLINIC.FR
Vidéo 1. Empreinte inversée. bit.ly/3iLcSb9
Vidéo 2 Enregistrement RIM. bit.ly/3iLcSb9