Clinic n° 11 du 01/11/2023

 

Accompagner

Réhabiliter

Jean-François LASSERRE*   Chiara PASCALI**   Ivan CHAKALOV***  


*MCU-PH, Département de Prothèses, Université de Bordeaux.
**AHU, Département de Prothèses, Université de Bordeaux.
***Professeur associé, Département de Prothèses, Université de Sofia, Bulgarie.

Le traitement des usures dentaires représente l’un des défis majeurs de la dentisterie actuelle. L’attaque érosive, souvent combinée à des phénomènes concomitants d’abrasion et d’attrition, est à présent considérée comme l’un des principaux facteurs de perte tissulaire dentaire. Dans les cas les plus sévères et rapides, elle peut aussi s’accompagner d’une perte de la dimension verticale d’occlusion (DVO).

Le traitement étiologique de l’usure érosive,...


Résumé

La littérature scientifique offre peu d’articles de suivi clinique des restaurations collées dans les bouches érodées ou des bruxeurs. Au travers de cinq cas cliniques dont le suivi a été entre 7 et 15 ans, les auteurs illustrent la problématique du vieillissement de nos restaurations esthétiques. Ils proposent aussi des solutions céramiques de réparation comme des facettes ou des chips collés sur le support céramique détérioré. Une revue de littérature démontre un meilleur taux de survie des techniques indirectes par rapport aux techniques directes et un meilleur vieillissement des pièces céramiques par rapport aux composites qui s’émoussent, se fracturent ou se décollent, surtout dans les secteurs postérieurs. Dans les céramiques, celles au disilicate de lithium sont plus performantes en comparaison des céramiques feldspathiques sensibles à la fissuration. Les facteurs participant au vieillissement des réhabilitations sur substrat érodé, et en particulier dentinaire, sont la faible efficacité du collage à la dentine sclérotique et profonde, la dégradation hydrolithique des tags dentinaires et la plastification de la résine. Dans le cas où l’exposition aux acides poursuit aussi après le traitement, d’autres facteurs s’ajoutent, comme la dégradation des tissus dentaires résiduels et des matériaux restaurateurs utilisés.

Le traitement des usures dentaires représente l’un des défis majeurs de la dentisterie actuelle. L’attaque érosive, souvent combinée à des phénomènes concomitants d’abrasion et d’attrition, est à présent considérée comme l’un des principaux facteurs de perte tissulaire dentaire. Dans les cas les plus sévères et rapides, elle peut aussi s’accompagner d’une perte de la dimension verticale d’occlusion (DVO).

Le traitement étiologique de l’usure érosive, par l’arrêt de l’exposition des surfaces dentaires à l’attaque acide, demeure fondamental : il doit être si possible entrepris en tout premier lieu dans la prise en charge du patient érosif [1]. La réhabilitation, qui fait suite (traitement symptomatique), vise à rétablir les volumes dentaires lésés ou perdus.

Les moyens de restauration adhésifs à l’aide de matériaux esthétiques représentent aujourd’hui des alliés précieux dans la réhabilitation de ce type de patient. Si les restaurations directes en composite constituent la thérapeutique de choix de l’érosion légère, les restaurations indirectes (en résine composite ou en céramique) permettent la réhabilitation des cas plus sévères. Ces dernières offrent l’avantage d’associer des bonnes propriétés mécaniques avec un coût tissulaire de préparation faible.

Les études rétrospectives concernant le suivi et les performances cliniques des réhabilitations des cas d’usure érosive sont à ce jour très limitées.

Dans cet article, une revue de la littérature scientifique decrira les facteurs qui participent au viellissement des réhabilitations des cas d’usure. Par la suite, des cas cliniques illustreront les altérations possibles de ces réhabilitations, à moyen terme (5 à 7 ans) et à très long terme (15 à 20 ans). Les observations sur ces cas d’exception au niveau du suivi sont riches d’enseignement et parfois surprenantes.

REVUE DE LA LITTÉRATURE SCIENTIFIQUE

Vieillissement des restaurations dans l’usure sévère

L’utilisation de restaurations directes en composite pour la réhabilitation de l’usure sévère est controversée. Dans une étude rétrospective à 3 ans, réalisée sur 85 dents postérieures restaurées avec des restaurations directes en résine composite, Schmidlin et al. [2] décrivent un suivi favorable et un faible taux d’échec. Les restaurations montrent des détériorations mineures (colorations) du joint marginal et des signes d’usure occlusale. Loomans et al. [3] rapportent un taux de réussite de 94,8 % et un taux de survie de 99,3 % à 3,5 ans pour des réhabilitations globales à l’aide de restaurations directes. En contrepartie, Bartlett et Sundaram [4] décrivent un taux d’échec élevé à 3 ans pour les restaurations directes et indirectes en composite (22 % de fractures et 28 % de perte complète de la restauration).

Une autre étude rétrospective à 6 ans, sur des patients érosifs/attritifs ayant reçu une réhabilitation complète [5], a montré des bons taux de survie pour 406 restaurations directes en résine composite et indirectes en composite, céramique feldspathique et disilicate de lithium. Les échecs observés ont été classés dans 4 catégories : fracture de la restauration, usure importante du matériau (entraînant la perte de fonctionnalité de la restauration), reprise carieuse sous-jacente ou autres. Les taux de survie ont été de 97,3 % pour les restaurations directes, de 98,2 % pour les restaurations indirectes postérieures et de 100 % pour les restaurations indirectes antérieures (facettes). En se focalisant sur les matériaux utilisés, les taux de survie ont été de 97,8 % pour les restaurations en composite et de 100 % pour les restaurations en céramique. Les complications techniques (fracture partielle de la restauration, fissure dans le matériau, usure modérée de la restauration) ont été de 8,7 % pour la résine composite et de 10,7 % pour la céramique feldspathique et, ce qui est très intéressant, nulles pour les céramiques au disilicate de lithium. Les fractures partielles ont été détectées dans les restaurations en composite (78,5 %) et dans celles en céramique feldspathique (21,5 %). Les fissurations ont été constatées uniquement dans la céramique feldspathique (100 %). Les auteurs remarquent aussi que la forme anatomique initiale a été préservée plus fréquemment avec les matériaux céramiques qu’avec les résines composites et plus fréquemment avec les restaurations indirectes qu’avec les restaurations directes. L’adaptation marginale s’est montrée également meilleure sur les facettes que sur les restaurations indirectes postérieures.

Dans une étude rétrospective à 11 ans de réhabilitations globales à l’aide de restaurations partielles en céramique au disilicate de lithium chez des patients souffrant d’une usure érosive et/ou attritive sévère, Edelhoff et al. [6].rapportent un taux de survie de 100 % pour les 103 restaurations observées. Aucune complication n’est à signaler, à l’exception de colorations du joint marginal dans 4 restaurations et la formation d’une fissure marginale sur l’une d’entre elles.

Malament et al. [7] décrivent un taux de survie 95,6 % à 10 ans pour 556 restaurations en céramique au disilicate de lithium. Les échecs (fracture entraînant le remplacement de la restauration) n’ont concerné que les secteurs postérieurs. Dans cette étude, l’épaisseur de la restauration ne semble avoir aucune influence sur le taux de survie.

Pour des coiffes périphériques en disilicate de lithium, 3 études rétrospectives à 10 ans rapportent respectivement un taux de survie de 86,1 %, 85,5 % et 91 % [8-10].

Outre le choix du matériau, la géométrie et l’épaisseur adéquates des préparations ainsi que la préservation amélaire favorisant un collage à l’émail semblent avoir une influence positive sur la stabilité du collage [11-13].

En résumé dans l’usure sévère, on observe un meilleur taux de survie des techniques indirectes par rapport aux techniques directes et un meilleur vieillissement des pièces céramiques par rapport aux composites. Ces derniers s’émoussent, se fracturent ou se décollent, surtout dans les secteurs postérieurs. Pour les céramiques, celles au disilicate de lithium sont plus performantes en comparaison avec des céramiques feldspathiques qui sont sensibles à la fissuration.

Principaux facteurs de vieillissement des restaurations sur le substrat érodé

Collage sur la dentine érodée

L’un des problèmes majeurs des réhabilitations concerne le manque de performance du collage sur la dentine érodée. Dans les cas érosifs sévères, l’exposition de plages dentinaires importantes est fréquente et représente un facteur de vieillissement accéléré. Le cément peut également être impliqué lorsque la marge est située apicalement à la jonction amélo-cémentaire.

L’émail est un substrat contenant 92 % vol de phase minérale (hydroxyapatite). Au sein de ce tissu, les monomères de résine peuvent diffuser dans les microporosités engendrées par le mordançage et établir des liaisons micromécaniques et chimiques. De fortes valeurs d’adhérence sont facilement obtenues et elles sont durables dans le temps. Le processus érosif semble favoriser ultérieurement l’adhérence amélaire car il améliore la création de porosités et, par conséquent, la pénétration et la liaison de la résine [14].

Contrairement à l’émail, la dentine est un substrat humide et plus organique. La phase minérale (hydroxyapatite) ne constitue que le 45 % vol, tandis que la matrice organique (prévalence du collagène de type I) est de 33 % vol, le reste étant de l’eau. En raison de cette composition hétérogène et hydrophile, l’adhésion à la dentine demeure un processus complexe et moins prévisible. De plus, les changements physiologiques résultant du vieillissement de la dentine, ou en réponse à des lésions carieuses ou d’usure, augmentent le degré de minéralisation et diminuent la perméabilité aux adhésifs amélo-dentinaires. Les conséquences sont néfastes sur le processus du collage [15, 16].

L’interface adhésif/dentine est considérée comme le « maillon faible » de la longévité des restaurations adhésives. L’un des facteurs les plus importants contribuant à la dégradation des résines adhésives est leur polymérisation incomplète au sein de la couche hybride. Les systèmes adhésifs contemporains, incluant à la fois des composantes hydrophiles et hydrophobes, se séparent en nanophases et produisent des couches de résine hétérogènes. Le degré de polymérisation dans les nanophases hydrophiles est limité, ce qui les rend plus vulnérables à la dégradation hydrolytique [17-19]. De plus, le collagène non protégé peut souffrir d’une biodégradation accélérée induite par des enzymes, telles que les métalloprotéinases matricielles (MMP) et les cathepsines à cystéine. Ces enzymes peuvent être inhibées par plusieurs composés, qui sont souvent incorporés dans les adhésifs dentaires pour augmenter leurs performances [20, 21]. Parallèlement à la dégradation du collagène, l’hydrolyse de la résine peut également se produire suite au contact prolongé avec les fluides buccaux [22-24]. En effet, l’eau agit comme plastifiant entre les chaînes polymères des adhésifs et comme lubrifiant moléculaire. Ceci provoque une usure mécanique des adhésifs exposés [24, 25] et, par conséquent, une augmentation des échanges hydriques et enzymatiques ainsi qu’une accélération du phénomène de dégradation [25-28].

Une étude rétrospective à 12 ans de Gurel et al. [29] avait déjà mis l’accent sur les risques associés au collage dentinaire. Les auteurs avaient décrit, pour les facettes ayant des marges de préparation dentinaires, un taux d’échec 10 fois supérieur aux facettes présentant des limites amélaires. Le collage radiculaire était aussi déconseillé.

En particulier, la dentine sclérotique se montre très réfractaire au collage [30-32]. Dans les lésions cervicales d’origine non carieuse (LCNC), la dentine superficielle est souvent sclérotique et hyperminéralisée. Les tubules dentinaires sont partiellement ou complètement obstrués par des dépôts minéraux, ce qui entraîne une plus grande résistance à la dissolution acide lors du mordançage. Pour cette raison, l’imprégnation de la résine est altérée. L’examen morphologique de l’interface entre la résine et la dentine sclérotique montre une fine couche hybride et des tags résineux courts et peu développés. Il en dérive que les restaurations des LCNC sont exposées à un risque d’échec majeur. Une légère excavation de dentine sclérotique par sablage (Al2O3, 30 ou 50 µm) est conseillée. Réalisée préalablement au collage, elle améliore le taux de survie des restaurations [33-38].

L’utilisation d’inhibiteurs exogènes des métalloprotéinases matricielles (MMP) (tels que la chlorhexidine) a été préconisée pour améliorer la longévité des restaurations adhésives sur la dentine. Bien que de nombreuses expériences in vitro et in situ démontrent des effets positifs des inhibiteurs des MMP sur la stabilité du collage, les études cliniques n’ont signalé aucun avantage à leur utilisation [39].

Susceptibilité des matériaux restaurateurs

Si l’exposition acide perdure après la réhabilitation, la perte tissulaire se poursuit sur les tissus résiduels. Les matériaux employés peuvent également être sujets à dégradation [40-43].

Dans des études in vitro, un état de surface plus irrégulier est détecté pour des résines composites et des céramiques, suite à leur exposition à un milieu acide [44-49].

Bien que les céramiques dentaires soient considérées comme chimiquement inertes, elles peuvent présenter une certaine susceptibilité à l’attaque acide. La sévérité de la dégradation observée est fonction du caractère chimique de l’agent érosif, du temps d’exposition et des variations de température concomitantes [45, 50, 51]. Demirel et al. [52] rapportent des modifications de surface pour différentes céramiques suite à leur exposition à des boissons gazeuses. Tanwerr et al. [53] parviennent aux mêmes conclusions, après avoir étudié le comportement de céramiques de type nano-fluorapatite immergées dans des solutions à base de jus de citron, citrate, acide acétique et cola. Il a été supposé que ces modifications des surfaces dérivent de la lixiviation des ions alcalins, qui ont tendance à être moins stables dans la phase vitreuse que dans la phase cristalline. La surface céramique exposée finit par devenir rugueuse, favorisant ainsi l’accumulation de plaque, des changements de couleur et l’affaiblissement de la structure céramique. L’abrasivité vis-à-vis de la denture antagoniste augmente [54-56].

Dans une étude in vitro, l’effet combiné de l’attaque acide et de l’abrasion affecte négativement l’état de surface, la résistance à la flexion et la micro-dureté de plusieurs matériaux de restauration : le disilicate de lithium renforcé de zircone (DSLZ), les céramiques feldspathiques et hybrides et les réines nano-céramiques. Il favorise également l’accumulation du biofilm sur les ZLS [57]. Dans d’autres études, l’effet combiné érosion/abrasion semble impacter négativement l’état de surface, la couleur et la brillance des feldspaths et du disilicate de lithium, mais pas leurs propriétés mécaniques. La zircone monolithique se démarque pour une vulnérabilité réduite à ces attaques [58, 59].

En contrepartie, dans une étude de Picos et al. [61] l’exposition à un milieu à pH 6 (mimant un mélange de salive et acide gastrique) altérerait de façon significative les surfaces dentaires, mais il n’aurait aucun impact sur l’état des composites et des céramiques.

Il est regrettable que, face aux nombreuses données in vitro concernant l’érosion des tissus dentaires et des matériaux restaurateurs, seul un nombre très restreint d’études ait confirmé ces effets in situ et in vivo [62, 63]. Les modèles in vitro, ne reproduisant pas l’environnement oral et ses composantes biologiques (telles que le biofilm et la salive), ne peuvent être extrapolés pour des recommandations cliniques.

En résumé, les facteurs qui contribuent au vieillissement plus important des réhabilitations sur substrat érodé sont : la dégradation hydrolytique des tags, la plastification de la résine et la faible efficacité du collage à la dentine sclérotique et profonde. Dans les cas de persistance de l’exposition aux acides, la dégradation des tissus dentaires résiduels s’aggrave. Les matériaux restaurateurs composites et céramiques subissent aussi de sévères altérations de surface qui deviennent rugueuses avec une diminution de leurs propriétés mécaniques.

CINQ CAS CLINIQUES

Cas clinique n° 1

En 2016

Une jeune femme alors âgée de 35 ans consulte pour le changement de couleur de ses dents antérieures et la transparence des bords de ses incisives maxillaires. Elle souhaite avoir des facettes de céramique et elle a une demande très forte de dents blanches. Elle présente des lésions érosives de stade moyen mais généralisées. Sur les secteurs latéraux, des lésions occlusales et cervicales sont visibles (figures 1 et 2). En antérieur, les faces palatines des incisives maxillaires ont perdu beaucoup d’émail ; à ce niveau, une combinaison d’usure érosive et attritive est évidente (figures 3 et 4). On confirme un régime alimentaire inapproprié justifiant l’érosion (citron et aliments acides), associé à un brossage violent avec, quotidiennement, des boisons sodées.

Après un éclaircissement, une légère augmentation de la DVO est décidée (de 3 mm au niveau inter-incisif) et 10 facettes en disilicate de lithium (e.max, Ivoclar) sont réalisées au maxillaire. À la mandibule, pour des raisons économiques, des overlays postérieurs en composite (Tetric CAD Cerec, Ivoclar) sont produits par CFAO. Les bords usés des incisives et canines mandibulaires sont remontés en composite (Essentia, GC) en méthode directe (figures 5 et 6). Des recommandations alimentaires sont faites à la patiente.

En 2023

En mai 2023, soit 7 ans et demi plus tard, la patiente est vue pour un contrôle de maintenance par le Dr. Ivan Chakalov (Sofia). Celle-ci est toujours très satisfaite de son sourire (figures 7 et 8). Le contrôle révèle cependant des fractures et la perte de certains éléments au niveau des overlays de composite postérieurs (figures 9 et 10). La patiente ressent d’ailleurs une gêne occlusale du côté gauche.

Ce cas illustre les résultats de la revue introductive qui montre un taux de survie inférieur des restaurations de composite (qu’elles soient directes ou indirectes) par rapport aux restaurations de céramique collées. Les fragmentations et les pertes les plus importantes se situent sur les deuxièmes molaires mandibulaires qui sont soumises aux contraintes occlusales les plus fortes car les plus proches de l’axe charnière.

Au niveau incisivo-canin (figures 11 et 12), il est surprenant de voir que les composites directs réalisés sont peu altérés (marges légèrement plus visibles et aspect émoussé des bords) (figures 12b et 12c) malgré la fonction d’incision et l’abrasivité du disilicate de lithium antagoniste. Les forces mises en jeu au niveau incisif sont cependant bien inférieures aux forces masticatoires entre les dents cuspidées, avec une proprioception que Orthlieb image par le terme de « téléguidage mandibulaire » lors de la fonction antérieure [64]. La supériorité des restaurations de céramique collées (encore plus lorsqu’elles le sont au disilicate de lithium) est ici parfaitement illustrée, les 10 facettes n’ayant subi aucune altération visible.

À 7 ans et demi, le calage postérieur composite de l’augmentation de DVO est menacé, risquant de provoquer des altérations ou des migrations sur les dents antérieures. Le Dr Ivan Chakalov, correspondant de Sofia (Bulgarie), a repris sur cette patiente les restaurations postérieures défectueuses en réalisant des composites en méthode directe.

Cas clinique n° 2

En 2007

Une jeune femme alors âgée de 21 ans consulte pour améliorer l’esthétique de son sourire. Elle demande en particulier la fermeture de ses diastèmes et l’amélioration de la forme de ses incisives maxillaires. Elle présente des lésions érosives modérées sur les incisives et les canines en rapport avec une forte consommation de boissons sodées (figures 13 et 14).

Quatre facettes feldspathiques sont réalisées en 2007 sur revêtement réfractaire avec la technique de carottage des DIE mise au point par Willi Geller (figure 15a). Elles sont collées avec un composite flow (Variolink, Ivoclar) avec un prétraitement à l’HF et au silane bi-composant du côté céramique et un traitement MR3 photopolymérisé (OptiBond FL, Kerr) du côté des tissus dentaires (figure 15b). Le résultat esthétique immédiat satisfait pleinement la patiente (figure 16).

En 2017

En 2017, soit 10 ans plus tard, la facette sur 21 se fracture. Le fragment est recollé en urgence mais le contexte érosif buccal découvert est alors devenu sévère avec des atteintes généralisées à l’ensemble des arcades (figures 17 et 18). Les changements occlusaux qui en résultent ont très certainement joué un rôle dans la fracture de la facette céramique incisive. La patiente est devenue végétarienne avec un goût prononcé pour les aliments et les boisons acides (citron, vinaigrette, vin blanc) [65].

Le process de dissolution acide a augmenté après la réalisation des facettes. Les cupules de dissolution ont dégagé les limites palatines de la céramique qui apparaît alors en relief. De ce fait, les trajets dynamiques occlusaux interfèrent sur les marges, favorisant leur fissuration et leur fragmentation puis des micro-fractures (perte d’un fragment palatin sur la 12) (figure 18a). Les incisives mandibulaires présentent elles aussi des lésions érosives avec un creusement de la dentine exposée mais elles ont, de plus, subi une attrition forte du fait de l’abrasivité de la céramique antagoniste dont la microstructure cristalline favorise l’effet de « pierre-ponce », créant des facettes d’usure nettes et brillantes dans l’émail (figure 18b).

Le Dr Ivan Chakalov, correspondant de Sofia (Bulgarie) qui suit actuellement la patiente, a réalisé une réhabilitation de toutes les faces occlusales des dents postérieures par des overlays de composite avec une augmentation de la DVO. Il envisage de refaire les 4 facettes de céramique. Un traitement étiologique est cependant indispensable. Il est essentiel de modifier l’apport exogène d’acides en rééduquant la patiente sur un régime alimentaire plus équilibré pour stabiliser les phénomènes destructifs.

Cas clinique n° 3

Une jeune femme de 41 ans vient en consultation pour la réalisation de facettes (figure 19). Le chirurgien-dentiste qui l’envoie lui a signalé des problèmes d’érosion dentaire généralisée qui justifieraient aussi la réalisation de restaurations sur les dents postérieures. La patiente a une forte demande d’améliorations esthétiques et a réalisé par ailleurs plusieurs chirurgies esthétiques du visage.

L’examen des obturations présentes montre un très fort décalage avec les tissus dentaires érodés (figure 20). Les obturations de composite (qui ne sont pas très anciennes) sont en saillie et nous font suspecter une érosion rapide.

L’aspect de l’émail, observé avec les aides optiques, présente de fines striations blanchâtres (figure 21a) témoignant d’une déminéralisation active qui suit les stries de croissance du tissu. Sur les faces palatines des incisives maxillaires, l’émail est par endroit dissout jusqu’à la dentine (figure 21b). Une origine acide endogène (reflux gastrique ou régurgitation de la boulimie/anorexie) doit être aussi envisagée.

Avant d’aborder le traitement restaurateur et symptomatique des lésions d’usures, qui chez cette patiente consisterait en un traitement très important de réhabilitation totale avec une augmentation de la DVO, il est essentiel de savoir si les lésions sont anciennes et stabilisées ou si elles sont toujours actives. Dans ce dernier cas, un traitement étiologique est souhaitable. La communication n’a pas été très fructueuse pour comprendre les causes de l’érosion, la patiente évitant des réponses claires lors de l’entretien clinique. Notre choix a été pour l’instant un suivi tous les 6 mois, en donnant quelques conseils comportementaux et alimentaires, ainsi qu’une abstention thérapeutique sur le traitement restaurateur global.

Cas clinique n° 4

En 2010

Cet homme, alors âgé de 45 ans, vient consulter car il s’inquiète de l’usure importante de ses incisives. Il souhaite un traitement global avec réfection des soins et des prothèses défectueux. Il présente un profil hypo-divergeant et des angles goniaques saillants, des plages dentinaires d’usure sur l’intégralité des faces palatines des incisives et canines maxillaires et de nombreuses fractures amélaires sur les dents naturelles mandibulaires (figures 22b et 22c). Les courbes occlusales sont altérées du fait de phénomènes compensateurs à l’usure intense, avec un effondrement postérieur de la courbe de Spee et une inversion de la courbe de Wilson (figure 22a). Le patient décrit un serrage interdentaire diurne intense et des grincements dentaires nocturnes, ce qui signe un bruxisme sévère. Il existe aussi une composante érosive dans l’anatomie de ses lésions.

Une réhabilitation globale maxillaire et mandibulaire lui est proposée avec une augmentation de la DVO de 3 mm au niveau molaire, soit 6 mm au niveau inter-incisif. Le traitement prothétique comporte des couronnes et des bridges céramo-métalliques (alliage riche en or) sur les secteurs latéraux (figures 23a et 23b).

Les couronnes sont solidarisées pour répartir les contraintes. Seules les 15 et 16 ont des restaurations unitaires partielles (inlay céramique sur 16 et composites directs sur 15) car leur face occlusale s’intègre dans la nouvelle proposition de courbes occlusales (figure 23c). Tous les traitements endodontiques sont repris, suivis du scellement d’inlay-cores. Des couronnes unitaires à infrastructure In-Ceram (Vita) sont réalisées sur les incisives et canines maxillaire. À la mandibule, des facettes feldspathiques recouvrant tous les bords occlusaux sont collées de la 33 à la 43. Le traitement, qui s’est terminé par la mise en place d’une gouttière de protection neuro-musculaire (à porter toutes les nuits et aussi en journée en période de stress) (figure 24a), s’est déroulé sur 11 mois (figure 24b).

En 2017

Le patient, qui suit parfaitement son programme de maintenance (de 2 séances annuelles), reprend rendez-vous pour la fracture d’une facette sur la 42(7 ans après sa réalisation). Nous expliquons l’incident par la très forte sollicitation de la 42 par la 13 dans la latéralité droite du fait d’une classe 2 très marquée (figures 25a à 25c). La facette est refaite en céramique au disilicate de lithium dont la ténacité est supérieure aux céramiques feldspathiques (figure 25d).

En 2018

L’année suivante, le patient nous signale une douleur en haut à droite avec un renflement de la gencive au niveau de la première molaire. L’examen clinique révèle une fracture de la racine mésio-vestibulaire de la 26 (figure 26).

Les options thérapeutiques sont :

- soit l’extraction de la dent et la réalisation de deux implants en 25 et 26 ;

- soit la réfection d’un grand bridge de 24 à 28, incluant la racine palatine de 27 (déjà amputée de ses racines vestibulaires en 2010) et les racines disto-vestibulaire et palatine de la 26 (figure 27a).

Les implants constituant des ankyloses osseuses sans pouvoir adaptatif, et le patient étant bruxeur, nous privilégions (pour éviter des fractures de céramique sur les couronnes implanto-portées et leurs antagonistes) une solution conservant la proprioception desmodontale et l’amortissage visco-élastique de son desmodonte. Ce bridge céramo-métallique sur parodonte affaibli est réalisé avec des profils d’émergence parodontaux les mieux adaptés aux formes radiculaires complexes (figure 27b).

En 2023

Plusieurs éclats de céramique se sont produits entre 10 et 13 ans de fonction sur le secteur 4. Il semble que ce patient sollicite plus ses contacts occlusaux du côté gauche (mastication et/ou para-fonction potentielle). Les plus petits éclats sont repolis avec des DiaCeram (Komet) jusqu’à un poli miroir (45). Les gros éclats sont réparés avec la réalisation de chips en céramique au disilicate de lithium (36 et 37 cuspides vestibulaires) pour rétablir une fonction occlusale optimale (figure 28).

Cet exemple clinique de bruxeur sévère illustre bien les possibilités de maintenance d’une réhabilitation totale soumise à des dégradations plus ou moins importantes après plus d’une décennie de fonction. Le sérieux sur son planning de maintenance ainsi que la forte motivation de ce patient à contrôler son bruxisme (port de gouttière de protection et exercices musculaires) ont permis d’avoir encore une réhabilitation totale très esthétique et fonctionnelle à 13 ans du traitement initial (figure 29).

Cas clinique n° 5

En 2004

Ce patient âgé de 55 ans consulte du fait de l’altération esthétique de ses incisives mandibulaires. Des lésions d’usure sévères sont visibles sur toutes ses dents antérieures dans un contexte de supraclusion forte. Le patient présente un bruxisme diurne et nocturne. Les lésions d’usure sont comme toujours plurifactorielles : attritives (serrage et frottement dents contre dents) et érosives (suspicion de reflux gastro-œsophagien) avec une accélération de l’usure abrasive (à 3 corps) sur les plages dentinaires dénudées comme le montrent les creusements d’îlots dentinaires sur les prémolaires (figures 30 et 31).

Le traitement commence en 2005. Après de légères élongations coronaires sur les incisives maxillaires, une réhabilitation prothétique étendue est réalisée comportant :

- 2 éléments céramo-métalliques de contention sur alliage riche en or de 24 à 21 (22 pontique et brasure secondaire à l’or entre 23/24) et de 11 à 13 (figure 32) ;

- 1 facette céramique vestibulaire sur 14 ;

- 10 couronnes céramo-céramiques unitaires à infrastructures In-Ceram Alumina (Vita) de 35 à 45 ;

- 4 overlays molaires également en In-Ceram, qui sont collés, après dépose des volumineux amalgames, sur 36-37-46 et 47 (figure 33).

Cette répartition a permis une augmentation de DVO (3 mm au niveau inter-incisif) afin de diminuer la supraclusion (figure 34). L’augmentation a été réalisée aux dépens de l’arcade mandibulaire dans la mesure où sa surface occlusale totale a pu être réhabilitée (figure 35) (les dents cuspidées maxillaires, à l’exception de la facette vestibulaire sur 14 et d’une couronne sur 24, n’ayant subi aucune réfection de restauration) (figures 34 et 36). La reconstruction occlusale est faite en relation centrée avec un concept dynamique de protection canine.

Des conseils comportementaux ont été donnés au patient ainsi que la prescription de séances de kinésithérapie spécialisée. Une gouttière de protection neuromusculaire a été réalisée en fin de traitement (figure 37). Son port systématique nocturne a été recommandé. On recommande au patient 2 séances de maintenance par an.

En 2016

Une fracture occlusale transversale survient sur l’overlay 47. Celui-ci est refait en e.max Press monolithique et maquillé (figure 38). Une facette céramique de réparation du bord incisif de la 22 détérioré est également envisagée (figure 39).

En 2019

À 15 ans du traitement initial et après une interruption depuis plus de 2 années de ses séances de maintenance, le patient revient consulter pour des éclats de céramique sur les bords incisifs mandibulaires (figure 40).

Il nous dit porter un appareil anti-apnée du sommeil depuis plus d’un an et dont il est très satisfait pour traiter ses problèmes d’apnée et de ronflements sur prescription d’un médecin ORL. Il s’agit en fait d’une orthèse (de type bielle) d’avancée mandibulaire (figure 41). Portée toute les nuits, l’orthèse souple qui n’englobe pas les 17 et 27 a eu une action scoliodontique sur les dents, ce qui est responsable des éclats de céramique récents.

On observe (figure 42) :

- une ingression des molaires et prémolaires là où s’interpose l’orthèse ;

- un engrènement mésial qui persiste même après le retrait de l’orthèse faisant penser à un processus de remodelage condylien distal ;

- des versions antérieures de incisives maxillaires (des deux blocs incisivo-canins) et mandibulaires avec ouverture de diastèmes médians inter-incisifs.

Tout dispositif inter-occlusal partiel entraîne des déplacements dentaires rapides par des mécanismes de compensation alvéolo-dentaires. Pour préserver le positionnement des dents, une orthèse devrait toujours être rigide et couvrir la totalité de arcades. Cela ne met pas cependant à l’abri, sur des durées de port longues en antéposition mandibulaire, de remodelages articulaires transformant l’engrènement initial en engrènement mésial. Dans le cas d’une réhabilitation dentaire aussi importante et complexe, une concertation pluridisciplinaire aurait été indispensable lors du traitement des apnées nocturnes pour préserver le confort occlusal et ne pas détériorer les restaurations céramiques. Même si l’amélioration du pronostic vital est un argument choc volontiers mis en avant par les médecins ORL ou les spécialistes du sommeil, le traitement ne doit pas se faire au détriment des restaurations dentaires. Une dysfonction occlusale peut elle aussi entraîner de sérieux problèmes musculaires et articulaires chroniques tout aussi handicapants pour le patient.

CONCLUSION

Les soins que nous prodiguons sont des « instantanés inter-occlusaux ». Parfaits le jour de leur réalisation, ils vont, soumis aux agressions du milieu buccal, plus ou moins rapidement se dégrader et d’autant plus en milieu érosif. Dans les grandes réhabilitations, les problèmes à long terme sont plus complexes :

- usures différentielles par le mélange des matériaux créant des couples antagonistes divers (ex. : alliages métalliques/céramique, céramique/composite, dents naturelles/céramique) ;

- déplacements dentaires ou de prothèses sectorielles avec ouverture de diastèmes proximaux secondaires du fait de l’altération des mécanismes compensateurs naturels (contentions partielles, dents à faible valeur parodontale, apparition de dysfonctions temporo-mandibulaires) ;

- perte de l’équilibre viscoélastique des arcades lors de de la combinaison (aujourd’hui fréquente) de secteurs prothétiques implanto-portés et dento-portés, problème que nous n’avons pas pu aborder dans cet article mais qui constitue l’une des dysharmonies majeures qui augmente les contraintes et dégrade les matériaux restaurateurs dans le temps. Les implants qui sont des ankyloses osseuses sidèrent la compensation alvéolodentaire, ce qui entraîne des décalages importants avec les secteurs dentés (pour les implants : décalages verticaux négatifs antérieurs, ouverture de diastèmes et infraclusions postérieures).

L’observation attentive de nos réhabilitations à long terme est riche d’enseignements. Même si le vieillissement des céramiques au disilicate de lithium est remarquable, aucune de nos restaurations composite ou céramique ne vaut la dent naturelle. La nature nous rappelle à l’ordre et nous incite toujours à l’humilité, encore faut-il savoir l’observer et l’écouter avec sagesse.

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Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêts.