Clinic n° 11 du 01/11/2023

 

Comprendre

Pathologie

Adrian LUSSI*   Brigitte MEGERT**   Peter SHELLIS***   Céline GAUCHER****  


*Professeur, Clinique de Médecine dentaire conservatrice et de Parodontologie, Clinique universitaire de Fribourg-en-Brisgau, Allemagne.
**Technicienne, Clinique de Médecine dentaire conservatrice, préventive et pédiatrique, Université de Berne, Suisse.
***Biochimiste, Bristol Dental School, University of Bristol, Bristol, Grande-Bretagne.
****PU-PH, UFR d’Odontologie, Faculté de Santé, Université Paris Cité. Service de Médecine bucco-dentaire, Hôpital Henri-Mondor, AP-HP.

Les atteintes non carieuses des tissus durs dentaires, telles que la perte érosive de substance dentaire, sont observées de plus en plus largement ces dernières années. La prévalence des atteintes clairement visibles est aujourd’hui estimée autour de 30 % [1].

Les raisons en sont notamment un changement de notre style de vie avec une alimentation plus acide, davantage de stress et de reflux, mais aussi une meilleure connaissance...


Résumé

Les pertes de substance dentaire liées à l’érosion s’observent de plus en plus ces dernières années. La déminéralisation puis l’amollissement (diminution de la dureté) des tissus durs dentaires correspondent au processus dit d’érosion. Dès qu’une perte de substance dentaire se produit en tant que résultat de processus abrasifs s’exerçant au niveau des surfaces amollies, on parle de perte ou d’usure érosive des tissus dentaires durs. Il est important de préciser ici que, sans « amollissement » préalable, la perte de substance par abrasion est pratiquement inexistante.

L’étude présentée a été publiée initialement dans le Swiss Dental Journal [3, 4]. Les auteurs ont étudié le potentiel érosif de 137 boissons, aliments, médicaments ou bains de bouche. Ces produits ont été testés sur des prémolaires et des molaires de lait. La dureté des échantillons d’émail enrobés d’une pellicule de salive humaine mature a été mesurée après immersion pendant 2 minutes dans la substance testée. Le potentiel érosif de chaque produit a ainsi été classé. Mais les auteurs ont également cherché à savoir quels étaient les composants intrinsèques aux différentes substances responsables des caractéristiques observées. La valeur du pH des différents produits a également été déterminée. Des différences considérables et parfois surprenantes ont été constatées entre les différents produits testés, ce qui a conduit les auteurs à proposer un schéma modifié relatif au potentiel érosif des différents produits, introduisant notamment la notions de peptides/protéines. Cette étude ouvre ainsi une nouvelle réflexion sur les facteurs étiologiques et les facteurs de risque de l’érosion dentaire et nous amène à intégrer ces données dans nos stratégies préventives personnalisées.

Les atteintes non carieuses des tissus durs dentaires, telles que la perte érosive de substance dentaire, sont observées de plus en plus largement ces dernières années. La prévalence des atteintes clairement visibles est aujourd’hui estimée autour de 30 % [1].

Les raisons en sont notamment un changement de notre style de vie avec une alimentation plus acide, davantage de stress et de reflux, mais aussi une meilleure connaissance des professionnels de santé qui conduit à un plus grand nombre de diagnostics de ces lésions. Lorsqu’une substance érosive entre en contact avec les dents, cela entraîne une déminéralisation. Les ions calcium et phosphate, entre autres, sont alors dissociés des tissus dentaires jusqu’à ce que l’équilibre de ces ions avec l’environnement immédiat soit atteint. La force causale du processus érosif se situe dans le liquide entourant la dent et non pas dans le biofilm environnant, comme dans le cas de la carie, car les érosions dentaires sont définies en tant que processus n’impliquant pas la participation de bactéries.

La valeur critique du pH à partir de laquelle la substance dentaire dure se déminéralise est donc variable, à la différence de la carie. De plus, cette seule notion de pH n’explique pas à elle seule la nocivité d’un produit en termes de potentiel érosif. Il est tout à fait possible qu’une boisson dont le pH est inférieur à 4 ne diminue pas la dureté de la surface dentaire. Une teneur élevée en calcium dans un produit a un effet « anti-érosion », même si son pH est bas. Les concentrations élevées de calcium s’opposent en effet à l’érosion car le liquide est saturé, voire même sursaturé par rapport aux tissus dentaires. Un produit peut également contenir des substances qui s’adsorbent sur la surface dentaire et inhibent la déminéralisation en empêchant la libération d’ions minéraux. Parmi ces substances inhibitrices figurent différents peptides et polymères naturels. Il résulte des considérations ci-dessus que le potentiel érosif d’un produit donné ne peut pas être déterminé à partir d’une seule propriété, telle qu’un pH bas, mais doit être mesurée à l’aide d’une méthode fiable. L’objectif de cette étude est de mettre en évidence ces données en utilisant une méthodologie in vitro cohérente et ce pour un maximum et une grande diversité de produits de consommation. Ce travail permet ainsi de donner un aperçu de l’érosivité, c’est-à-dire du potentiel érosif des boissons, aliments, médicaments et bains de bouche.

La connaissance du potentiel érosif d’une boisson ou d’un aliment est importante pour les patients et pour les professionnels de la santé médico-dentaire qui les conseillent, afin de prévenir les dommages dentaires. À cet égard, il faut rappeler ici que le potentiel érosif des substances énumérées ne représente qu’un élément d’un processus multifactoriel. La figure 1 montre un aperçu des différents facteurs étiologiques à considérer.

Ànoter que certaines des données présentées ici ont déjà été publiées précédemment [2].

MATÉRIEL ET MÉTHODES

Le « matériel et méthode » détaillé de cette étude peut être retrouvé dans les articles de Lussi et al. [3] et de Shellis et al. [4]. Les principaux aspects en sont présentés ici.

Substances et médicaments testés

L’étude a analysé le potentiel érosif de 137 boissons, aliments, médicaments et bains de bouche. Pour faciliter l’analyse de ce tableau au lecteur français, seules les substances commercialisées en France ont été retenues et sont présentées ici (tableau 1). Sur la base de leur composition et de leur utilisation, les différents produits ont été répartis dans les 11 groupes suivants :

- groupe 1 : eaux minérales, boissons gazeuses sans alcool, boissons rafraichissantes ;

- groupe 2 : boissons énergisantes, boissons sportives ;

- groupe 3 : fruits, jus de fruits, smoothies ;

- groupe 4 : produits laitiers ;

- groupe 5 : thé, thé glacé, café ;

- groupe 6 : boissons alcoolisées ;

- groupe 7 : médicaments ;

- groupe 8 : bonbons, chewing-gum ;

- groupe 9 : articles pour enfants ;

- groupe 10 : divers ;

- groupe 11 : solutions de rinçage buccal.

Pour certains produits, les auteurs ont testé 2 ou 3 fois le même produit mais issu de différents lots de commercialisation.

Mesure de la dureté de surface

Au total, 1 578 prémolaires humaines et 300 molaires de lait ont été incluses dans l’étude. La dureté de surface des échantillons d’émail (recouverts pendant 3 h d’une pellicule de salive humaine mature) a été déterminée à l’aide d’un diamant Vickers (force 50 mN pendant 15 s ; Fischerscope HM 2000 XYp, Helmut Fischer). La dureté Vickers a été calculée automatiquement à partir des dimensions des empreintes. Au total, 6 empreintes de référence ont tout d’abord été réalisées, à intervalles de 70 µm. Après avoir placé les échantillons d’émail dans les solutions respectives pendant 2 minutes sous agitation constante et à 30 °C, 6 autres mesures ont été effectuées immédiatement à côté des précédentes. Pour les calculs ultérieurs, la valeur moyenne obtenue pour chaque échantillon dentaire a été utilisée. Cette méthode a permis de tenir compte des variations de dureté dans une même dent [5].

RÉSULTATS

Le tableau 1 indique, pour chaque substance testée, les composants possibles (classés par ordre d’importance), la valeur du pH ainsi que la variation de la dureté de surface en pourcentage après 2 minutes d’immersion dans la solution testée correspondante. Il est également mentionné si une prémolaire ou une molaire de lait a été utilisée. Afin d’obtenir une vue d’ensemble du potentiel érosif des différents produits figurant dans le tableau, ceux-ci ont été classés en 3 groupes. Un produit a été classé comme non érosif (degré 0, une flèche horizontale) lorsqu’une augmentation ou une diminution de la dureté de 2 % au maximum a été observée après 2 minutes d’immersion. Les produits érosifs (degré 1, une flèche descendante) sont ceux qui provoquaient une perte de dureté allant jusqu’à 15 % après 2 minutes. Une diminution de la dureté de plus de 15 % après 2 minutes a été considérée comme un potentiel érosif significatif (degré 2, deux flèches descendantes).

Les résultats montrent que l’eau minérale, bien que légèrement acide, ne provoque pas d’amollissement de la surface de l’émail, ce qui est dû à sa teneur en calcium. L’ajout d’un arôme de citron n’a pas modifié cette caractéristique. En revanche, lorsque de l’acide citrique a été ajouté jusqu’à diminution du pH à 3,2, nous avons constaté un net amollissement de la surface de l’émail.

La plupart des boissons énergisantes et sportives ont présenté un potentiel érosif. Les valeurs du pH étaient comprises entre 2,9 (Gatorade) et 3,9 (Isostar). Certaines d’entre elles contiennent de la caséine ou du calcium et n’ont entraîné de ce fait pratiquement aucun amollissement. L’amollissement de la surface de l’émail provoqué par des myrtilles écrasées (pH 3,7) était nettement plus important lorsque celles-ci étaient mélangées à de l’eau.

L’adjonction d’eau entraîne une diminution de la viscosité du produit, ce qui permet un meilleur échange d’ions avec la surface de l’émail et, par conséquent, une diminution du pH plus importante. Sans adjonction d’eau, la diminution de la dureté de l’émail était de 11,7 % alors que, après adjonction d’eau (ratio 1:1), elle passait à 38,5 %.

Un autre exemple relatif à l’importance de la viscosité d’un produit est celui des sirops médicaments. Les sirops pour enfants sont très visqueux et très acides. Le sirop pharmaceutique Suisse étudié (pH 3,1) n’a pas provoqué d’amollissement de l’émail dentaire. Dans le même ordre d’idée, le jus de carotte avec un pH de 4,2 n’a pratiquement pas amolli la surface de l’émail. Les bonbons en spray Giant Candy Super Sour illustrent bien ce phénomène également : les valeurs de diminution de dureté sont passées de 23 % à 57 % puis à 58 % au fur et à mesure de la série de dilutions.

Tous les produits laitiers analysés étaient acides (pH compris entre 3,8 et 6,7) mais ils n’ont présenté aucun potentiel érosif. Le yaourt aux baies de la forêt, qui ne contenait pas de baies mais seulement des arômes, a même entraîné un net durcissement de la surface de l’émail, atteignant 5 %. Le thé de cynorrhodon (pH 6,3) n’a entraîné un amollissement de la surface de l’émail qu’avec ajout d’hibiscus (pH proche de 3,1).

En ce qui concerne les boissons alcoolisées, il est apparu que toutes les bières pures dont le pH était compris entre 4,1 et 4,4 ne provoquaient aucune modification de la dureté superficielle de l’émail. L’ajout d’acide citrique en faisait cependant une boisson érosive.

Les médicaments et les bonbons dont le pH est parfois bas, de l’ordre de 2,7, ont montré un potentiel érosif important. Un chewing-gum a également entraîné une nette diminution de la dureté amélaire superficielle. Dans notre sélection d’articles pour enfants fréquemment utilisés, il n’y en avait aucun qui ne diminuait pas la dureté de l’émail. Le pH des deux miels testés était respectivement de 3,6 et 4,2 et, pourtant, ils n’ont entraîné aucune modification de dureté. La choucroute, dont le pH se situait dans la même plage (pH 3,8), a présenté en revanche un potentiel érosif important. Le pH des solutions de bains de bouche était compris entre 3,3 (Listerine Smart Kidz) et 6,1 (Elmex Sensitive Professional) et, après 2 minutes d’immersion, certaines d’entre elles ont diminué la dureté de l’émail jusqu’à 6,5 %.

DISCUSSION

Le potentiel érosif des produits étudiés a été classé arbitrairement en 3 groupes (potentiel érosif nul, potentiel érosif modéré, potentiel érosif fort). Cette classification ne tient pas compte des nombreux autres facteurs qui doivent être pris en considération lors de l’évaluation du risque érosif et des dommages possibles sur les tissus dentaires.

Le travail présenté ici est une aide dans l’analyse des facteurs étiologiques face à des atteintes érosives dentaires. Il complète la réalisation d’un travail antérieur [2] dont les principaux aspects sont rappelés ci-après et dans la figure 1.

Facteurs inhérents aux patients : habitudes de consommation alimentaires et de boisson, nettoyage des dents, reflux et vomissements, salive, pellicule salivaire, tissus mous, médicaments

En raison du changement des habitudes alimentaires, les atteintes dentaires liées à l’acidité ont pris de l’importance aujourd’hui, bien que la carie soit encore la maladie bucco-dentaire la plus répandue. La perte d’émail et/ou de cément peut entraîner une exposition des tubules dentinaires et, donc, une hypersensibilité dentaire. Comme indiqué précédemment, les érosions sont initiées par un amollissement superficiel de la substance dentaire dure.

Le re-durcissement de la surface dentaire amollie est un processus lent (figure 2), car la salive naturelle contient non seulement les minéraux nécessaires à la reminéralisation mais aussi des protéines qui inhibent la reminéralisation. Il faut donc une durée relativement longue (de quelques jours à quelques semaines) pour que l’émail et la dentine soient suffisamment reminéralisés pour résister à l’abrasion par la brosse à dents [6-12].

L’étude épidémiologique de Bartlett et al., portant sur plus de 3 000 participants, a montré qu’il est nécessaire de renoncer à la recommandation d’attendre après le repas avant de procéder au nettoyage des dents. En effet, même après un délai d’attente allant jusqu’à 60 minutes avant le nettoyage des dents, aucune différence de perte érosive de substance dentaire n’a été constatée par rapport à l’absence de délai d’attente avant le brossage des dents [6].

Lorsque les tissus dentaires sont ramollis (déminéralisés), ils sont érodés par les forces mécaniques. Ces forces proviennent non seulement du brossage des dents mais aussi de la langue et du contact avec les joues. Il est donc important d’empêcher l’apparition des lésions dentaires érosives (prophylaxie primaire) en contrant l’acidité le plus rapidement possible. La méta-analyse de Hong et al. confirme que la recommandation d’attendre, avant de se brosser les dents après les repas, ne correspond plus à l’état actuel des connaissances [13] (figure 2).

La recherche d’un possible reflux gastro-œsophagien est importante en termes de santé générale, au-delà des érosions dentaires éventuelles. Le degré d’acidité du contenu gastrique varie en fonction des aliments ingérés mais, à jeun, il se situe approximativement entre pH 1 et pH 2. Outre l’acide chlorhydrique, la pepsine et les acides biliaires sont d’autres composants du suc gastrique qui jouent également un rôle dans l’érosion de la dentine. Dans la population générale, la prévalence du reflux gastro-œsophagien est comprise, selon les estimations, entre 20 et 30 % [14]. Il est important de se rappeler que, parmi les patients sans symptômes significatifs de reflux (aucun n’avait consulté un médecin généraliste ou un gastroentérologue pour des symptômes de reflux) mais avec des érosions dentaires diagnostiquées, 19 % présentaient une œsophagite visible à l’endoscopie [15]. En cas de reflux, la probabilité de souffrir d’hypersensibilité dentaire est augmentée de manière hautement significative [11].

Les facteurs de risque reconnus du reflux gastro-œsophagien sont certains aliments, comme les boissons gazeuses et caféinées, le chocolat, les produits contenant de la menthe, les agrumes, les tomates, l’alcool et les aliments gras. Le reflux gastro-œsophagien avec régurgitation pendant le sommeil peut entraîner des lésions érosives très sévères. Comme les patients considèrent souvent les régurgitations comme normales, ils doivent être interrogés et examinés minutieusement en cas de suspicion. En raison d’une préférence à dormir sur un certain côté, les lésions érosives peuvent être réparties unilatéralement, ce qui fournit un indice au chirurgien-dentiste sur leur étiologie. Le plus souvent, les patients ne se rendent compte de cette atteinte que lorsque des dents hypersensibles se manifestent, généralement en raison d’une perte érosive déjà avancée des tissus dentaires. Le reflux est mesuré de la manière la plus fiable par une mesure ambulatoire du pH du renvoi acide.

Les troubles alimentaires tels que l’anorexie mentale et la boulimie, ainsi que leurs formes mixtes, peuvent également être impliqués dans la survenue d’atteintes érosives des tissus dentaires. Le diagnostic n’est souvent pas difficile à poser chez les patients anorexiques présentant une insuffisance pondérale importante. En revanche, les patients boulimiques conservent généralement un poids normal, de sorte qu’il s’écoule souvent plusieurs années avant que leur maladie ne soit reconnue. Les vomissements chroniques entraînent souvent, mais pas exclusivement, des lésions au niveau des surfaces dentaires occlusales et linguales de la mâchoire supérieure (cf. l’article de Colon et al. de ce numéro).

Il est important, après avoir vomi ou régurgité, de se rincer la bouche avec de l’eau ou une solution de rinçage buccal non érosive (tableau 1). Cela entraîne une dilution de l’acide et protège ainsi contre une dissolution des tissus dentaires durs. Notre étude de 2012 réalisée après la consommation de jus d’orange montrait une réduction des ions H+ d’un facteur 9, lorsque la cavité buccale était rincée à l’eau après 2 minutes, et d’un facteur 4, lorsque le rinçage à l’eau était effectué après 5 minutes. Lorsque le rinçage avait été effectué immédiatement après l’attaque acide, la concentration des ions H+ était réduite d’un facteur 16 [16].

La salive (de par sa composition, son débit, sa viscosité) exerce une fonction protectrice lors d’une attaque acide et peut modifier un événement érosif. La formation plus ou moins importante de la pellicule de salive au niveau de l’arcade dentaire pourrait être en partie responsable des différences de répartition des lésions érosives. Les dents avec une pellicule salivaire plus épaisse (dents inférieures, face linguale) et davantage d’accumulation de salive présentent généralement moins d’érosions que les dents avec une pellicule salivaire plus fine (dents antérosupérieures, face palatine). De plus, la clairance des acides est meilleure dans la région de la mâchoire inférieure. Un effet protecteur possible par modification de la composition de la pellicule salivaire peut être évoqué au travers des exemples suivants : les bières sont acides (pH autour de 4) mais ne provoquent pas d’érosions ; le Cynar, une liqueur à base d’artichauts et de fines herbes, présente également un pH bas (pH = 4) mais ne provoque pas non plus de modifications érosives de l’émail (tableau 1). Il est à noter que, ces boissons n’ayant pas une teneur élevée en calcium, d’autres facteurs doivent donc exercer un effet protecteur important, très probablement des peptides ou des protéines, en modifiant l’adhérence de la pellicule salivaire, voire même la surface dentaire. Dans le même ordre d’idées, des protéines protectrices ont été isolées récemment dans la canne à sucre et leur effet positif contre l’érosion dentaire a été démontré [17].

Outre la radiothérapie dans la région cranio-cervicale, qui a souvent des effets secondaires négatifs indésirables sur les glandes salivaires, certains médicaments peuvent également entraîner une réduction de la sécrétion salivaire. Il s’agit notamment des sédatifs, des anticholinergiques, antihistaminiques, antiémétiques et antiparkinsoniens. Il est donc important de demander aux patients souffrant d’érosions dentaires s’ils prennent régulièrement des médicaments et d’en évaluer les effets secondaires.

La prise d’antidépresseurs entraîne souvent une diminution de la sécrétion salivaire et donc une plus grande vulnérabilité aux pertes érosives des tissus dentaires [6].

Enfin, il convient de noter que des contacts dentaires prolongés et fréquents avec des médicaments ou des bains de bouche à faible pH peuvent provoquer directement des érosions, ou du moins en accélérer l’apparition (tableau 1, Solutions de rinçage buccal).

Facteurs liés à l’alimentation : type d’acide, pH, effet tampon, peptides et protéines, adhérence, calcium, fluorure, viscosité

Le type d’acide, les valeurs du pH et la capacité tampon des aliments et des boissons sont interdépendants et ne sont pas abordés séparément. La valeur du pH est un facteur très important, même s’il n’est pas le seul qui détermine le potentiel érosif d’un produit.

Dans le tableau, des boissons rafraîchissantes, des boissons pour le sport mais aussi des médicaments qui sont acides ne provoquent pas d’érosions.

Contrairement à la carie dentaire, pour laquelle il existe une valeur critique définie du pH de 5,5-5,7 en ce qui concerne l’émail dentaire, l’apparition de l’érosion dentaire ne peut pas être associée à une valeur définie du pH [16]. La valeur critique du pH est définie comme la valeur du pH d’un liquide à laquelle la substance dentaire se trouve en équilibre lorsqu’elle est immergée dans ce liquide. À cette valeur de pH, le liquide est saturé par rapport à la dent et il n’y a donc pas de dissolution de la substance dentaire et pas de formation de nouveaux cristaux (reminéralisation). Cette valeur critique du pH est calculée à partir des concentrations des substances dissoutes dans le liquide. Lors du processus carieux, il s’agit (pour ce qui est du liquide entourant la dent) du liquide de la plaque dentaire qui a une composition à peu près uniforme chez une personne donnée, liée à son biofilm bactérien. Lors d’érosion, le liquide entourant la dent contient une concentration variable de substances dissoutes, ce qui ne permet pas de définir une valeur critique spécifique du pH. C’est non pas la valeur du pH qui détermine s’il y a ou s’il n’y a pas déminéralisation mais le degré de saturation des substances dissoutes dans le liquide qui est en contact avec les dents, à la valeur considérée du pH. Si la teneur de certaines substances dissoutes dans le liquide est trop faible, si le liquide est donc sous-saturé, il se produit une déminéralisation de la substance dentaire. Ce processus se poursuit jusqu’à ce que l’équilibre soit atteint et que le liquide soit saturé.

Cependant, si la teneur en substances dissoutes dans le liquide est élevée, c’est-à-dire si ce liquide est saturé, voire sursaturé, il n’y a pas de déminéralisation. Ce processus peut se produire à différentes valeurs de pH. Par conséquent, lorsque le pH du liquide est bas, il est possible que sa forte concentration en calcium empêche le processus érosif. Si les concentrations de calcium sont faibles, un pH plus élevé peut, à l’inverse, déjà entraîner une déminéralisation érosive des tissus dentaires. Les boissons telles que le jus d’orange enrichi en calcium [18] ou les aliments comme le yaourt ont une teneur élevée en calcium qui protège contre l’érosion. L’ajout de calcium a toutefois ses limites en raison de problèmes de solubilité, d’altérations du goût et des dispositions légales/médicales propres à chaque pays. Par exemple, lorsqu’une solution acide possède un pouvoir tampon élevé, elle met plus de temps à être neutralisée par la salive, ce qui entraîne un risque plus élevé d’amollissement de la surface dentaire [19].

La teneur en fluorure des boissons ou des aliments, en fonction de sa concentration, semble également avoir un certain effet protecteur en cas d’érosions, mais celui-ci est faible par rapport à la protection contre la carie. L’enrichissement en fluorure des aliments et des boissons afin de prévenir les érosions dentaires ne semble pas être une option pertinente en raison des effets secondaires potentiels du fluor [20].

La teneur en phosphate sous forme de PO43-, importante pour la reminéralisation des tissus durs dentaires, est très faible à des pH acides et n’a donc aucune signification clinique dans la prophylaxie des érosions [3]. En revanche il est important de rappeler que la concentration en calcium reste constante quelle que soit la valeur du pH, ce qui est important pour la protection contre la déminéralisation.

L’influence de l’adhérence d’une boisson à la surface dentaire est encore peu étudiée. On peut s’attendre ici également à une influence sur le potentiel érosif. Les substances dont l’adhérence est plus forte ont un temps de contact plus long avec les dents et, ainsi, un effet érosif peut s’exercer plus longtemps. Une influence réciproque semble également exister entre l’adhérence et la viscosité.

Plusieurs études [21-23] ont montré qu’une viscosité élevée a un effet protecteur car l’apport d’ions H+ à l’interface avec la dent est restreint. Cette caractéristique doit être mise en relation avec les autres paramètres susceptibles de favoriser l’érosion, comme le pH et le pouvoir tampon [24], mais également la température des boissons et des aliments. Cette dernière a une influence sur le degré de saturation. L’élévation de la température accélère les réactions chimiques, ce qui peut conduire à une dissolution érosive plus rapide des dents.

CONCLUSION

Ce travail [3] confirme s’il en était besoin qu’une anamnèse précise ainsi qu’un diagnostic précoce, incluant l’identification des facteurs étiologiques et des facteurs de risque relatifs à l’alimentation et au patient, sont les clés pour mettre en œuvre les mesures prophylactiques personnalisées adéquates et, ainsi, éviter ou stopper la progression des pertes de substances érosives des tissus durs dentaires (encadré 1).

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Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêts.

Encadré 1
PARLONS PRÉVENTION DU PROCESSUS ÉROSIF !

• Limiter la consommation des aliments et boissons acides, pendant et surtout en dehors des repas.

• Éviter de boire par gorgées, boire les boissons rapidement. Repérer les « tics » des patients comme le fait de siroter entre ses dents !

• En cas de vomissements, se rincer immédiatement la bouche avec de l’eau.

• Les gommes à mâcher sans sucres (fluorées) sont utiles pour stimuler la formation de salive, même en cas de régurgitation acide.

• Éviter les aliments favorisant le reflux, tels que les agrumes, les sauces au vinaigre, les aliments riches en matières grasses, les tomates, la menthe poivrée, le café, le thé noir, le chocolat.

• Éviter les gros repas avant de s’allonger.

• Utiliser des boissons et des aliments enrichis en calcium.

• Ne pas attendre après un repas ou une régurgitation avant de se brosser les dents.

• Jamais de brosse à dents dure.

• Utiliser régulièrement les dentifrices à base d’étain et de fluorure ainsi que les bains de bouche fluorés.