UNE PETITE BULLE ROUGE FUGACE
Dermatologie
Océane MÉRIAUX* Riffay MOUSSA BEN** David BRASME*** Ambroise JAGDEV**** Camille LEROY***** Émilie HASCOËT****** Marion MORCEL******* Anne-Gaëlle CHAUX******** Alexandra CLOITRE********* Philippe LESCLOUS**********
*Unité fonctionnelle de Chirurgie orale, Service d’Odontologie restauratrice et chirurgicale, CHU Hôtel-Dieu, Nantes.
Un patient de 22 ans est adressé dans le service de chirurgie orale par son orthodontiste pour l’avulsion de ses 4 dents de sagesse.
Le patient est en bonne santé et ne présente aucun antécédent médico-chirurgical notable, ni aucun traitement médicamenteux en cours. Il est non fumeur et déclare être allergique aux pollens.
L’examen clinique exobuccal ne révèle rien de particulier. Au niveau endobuccal, on remarque...
Un patient de 22 ans est adressé dans le service de chirurgie orale par son orthodontiste pour l’avulsion de ses 4 dents de sagesse.
Le patient est en bonne santé et ne présente aucun antécédent médico-chirurgical notable, ni aucun traitement médicamenteux en cours. Il est non fumeur et déclare être allergique aux pollens.
L’examen clinique exobuccal ne révèle rien de particulier. Au niveau endobuccal, on remarque d’emblée la présence d’une bulle hématique rouge foncée/noire (figure 1). Elle est unique, de petite taille (4-5 mm de diamètre environ), arrondie et bien délimitée, située sur la face interne de la joue droite en regard de 28, celle-ci étant en légère vestibulo-position. La palpation laisse une impression de lésion légèrement indurée. Par ailleurs, cet examen endobuccal ne montre rien d’autre de particulier. L’hygiène bucco-dentaire est bonne, avec un suivi régulier chez le chirurgine-dentiste traitant.
La découverte de cette lésion s’est effectuée de manière fortuite car le patient ne déclare aucune symptomatologie associée mais évoque une tendance à se mordre régulièrement la joue à la mastication. Il n’avait jamais remarqué cette lésion avant qu’on ne lui signale.
Une bulle manifestement hémorragique est une situation clinique assez rare car fugace mais qui est corrélée dans la majorité des cas à une cause traumatique (mastication, alimentation chaude et/ou épicée, soins dentaires, intubation…). Dans ce cas précis, c’est ce facteur causal qui est suspecté. Cela constitue donc, outre le motif orthodontique, une indication supplémentaire pour l’avulsion de la 28.
Le principal diagnostic différentiel d’une lésion manifestement d’origine vasculaire est une hémopathie bénigne ou maligne. Mais il convient également de considérer la possibilité de se trouver face à une lésion pigmentée d’origine mélanique ou un tatouage muqueux. L’hypothèse d’une telle lésion pigmentée est rapidement écartée, d’une part, car son aspect est franchement rouge et non brun et, d’autre part, parce qu’aucune cause de tatouage (restauration métallique en particulier) n’est retrouvée à proximité. Un désordre hématologique pourrait aussi être suspecté, en particulier une thrombopénie, mais celle-ci se manifeste plutôt par des points rouges multiples (pétéchies) que par une bulle unique. De plus, elle s’accompagne fréquemment de manifestations cutanées, ici absentes. En cas de doute, la prescription d’un bilan biologique (numération de la formule sanguine et numération plaquettaire) permettrait de rapidement évoquer un tel diagnostic.
Les maladies bulleuses, telles que le pemphigus, la pemphigoïde, l’épidermolyse bulleuse acquise ou l’érythème polymorphe, pourraient aussi être évoquées mais le siège, l’unicité de la lésion, son aspect uniquement hémorragique et l’absence de symptôme associé permettent d’écarter facilement ces hypothèses. En cas de doute, des tests tels que le signe de la pince, voire une biopsie pour un examen par immunofluorescence, pourraient orienter le diagnostic.
Le diagnostic de bulle hémorragique ou angine bulleuse hémorragique (Angina bullosa haemorrhagica) est uniquement basé sur l’examen clinique : il est facile lorsque le praticien observe l’aspect pathognomonique de la lésion. Mais la bulle est une lésion fugace qui se rompt rapidement après sa formation pour laisser place le plus souvent à une érosion non spécifique, de sorte qu’il est plutôt rare d’en visualiser une indemne, surtout au niveau de la muqueuse buccale.
Un drainage a été pratiqué avec la pointe d’une lame de bistouri n° 11 (lame droite), suivi d’une simple compression afin d’obtenir l’hémostase.
L’angine bulleuse hémorragique ne nécessite pas de traitement particulier car son évolution est spontanément favorable. Néanmoins, lorsqu’elle a été mise en évidence, il convient alors de procéder à la suppression de la cause traumatique. Le patient a été revu 3 semaines après l’avulsion de la 28, avec disparition complète de la lésion, sans cicatrice, ni récidive (figure 2).
La bulle hémorragique a initialement été décrite au niveau de la muqueuse pharyngée, d’où sa dénomination d’angine bulleuse hémorragique. Cette affection apparait le plus souvent soudainement au cours d’un repas ou après un traumatisme minime. Dans la cavité buccale, elle est préférentiellement localisée sur le bord de la langue, la région jugale postérieure et le palais mou. Quelques rares cas l’ont décrit au niveau de l’oropharynx, il convient alors de vérifier l’absence de risque d’obstruction des voies aréo-digestives supérieures (seulement 1 cas décrit à ce jour dans la littérature). De plus, pouvant être de grande taille (plusieurs centimètres), sa rupture provoque l’évacuation de son contenu hémorragique, ce qui peut paniquer le patient, sans toutefois provoquer d’hémorragie continue.
Lorsqu’elle est constatée indemne en bouche, son traitement consiste à la percer avec une lame de bistouri, sans enlever le toit de la bulle qui spontanément viendra se replaquer au plancher. Puis, une simple asepsie locale pendant quelques jours à l’aide d’un bain de bouche à la chlorhexidine est suffisante. Lorsqu’il est identifié, la suppression du facteur causal empêchera toute récidive.
Bien que son développement soit majoritairement corrélé à une cause traumatique, son étiopathogénie reste incertaine. Le traitement au long cours par des aérosols à base de corticoïdes aurait également été identifié comme facteur favorisant son développement ainsi que certaines affections systémiques (hypertension artérielle, diabète, lupus…) sans qu’aucune relation n’ait pu être établie.
Peu décrite dans la littérature car sûrement sous-diagnostiquée, la bulle hémorragique de la muqueuse orale est une affection bénigne rare, fugace et non symptomatique. Sa reconnaissance permet de pouvoir rassurer le patient sur son caractère bénin et son évolution favorable (spontanée ou provoquée) en quelques jours avec reconstruction ad integrum de la muqueuse orale. Toute récidive sans facteur traumatique associé identifié doit motiver une exploration sanguine.
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêts.