LA TECHNIQUE DE COMPACTION LATÉRALE ASSISTÉE
Endodontie
Ibrahima Sory BALDÉ* Yann TCHOROWSKI-PELLIZARI** Quentin GIRE*** Loïc MOURLAN**** Sylvie LÊ***** Marie GEORGELIN-GURGEL****** Franck DIEMER*******
*Hôpital prefectoral Coyah, République de Guinée.
**Exercice libéral au Canada.
***Interne en Médecine bucco-dentaire, Service Odontologie, UFR de Santé, CHU Rangueil Toulouse.
****UFR de Santé, CHU de Toulouse. Exercice libéral à Cazères.
*****CCU-AH, Service Odontologie, UFR de Santé, CHU Rangueil Toulouse.
******MCU-PH, Service Odontologie, UFR de Santé, CHU Rangueil Toulouse.
*******PU-PH, Service Odontologie, UFR de Santé, CHU Rangueil Toulouse. INSERM U1048, Institut des Maladies métaboliques et cardiovasculaires (I2MC), équipe INCOMM, Toulouse.
L’obturation canalaire constitue une étape importante du traitement endodontique. Elle vise à sceller l’endodonte afin d’éviter une contamination ultérieure par les micro-organismes ou de permettre la cicatrisation d’une parodontite péri-apicale. La technique de condensation latérale à froid ou manuelle reste la plus enseignée en France. Dans la perspective d’amélioration de cette technique, une nouvelle variante assistée mécaniquement a été mise au point.
Historiquement, l’obturation est considérée comme l’une des étapes cruciales du traitement canalaire et comme la principale cause d’échec du traitement quand elle est incorrecte. Plusieurs anciennes études ont montré que la plupart des échecs de traitement pouvaient être attribués à une obturation canalaire ou coronaire incorrecte [1, 2].
Depuis plus d’un demi-siècle avec Schilder en 1967, Grosman en 1970 et Marmasse en 1974 jusqu’à Schmalz en 2003, toutes les méthodes, techniques et matériaux d’obturation n’ont cessé de progresser [3]. Au cours des 20 dernières années, les évolutions des techniques et des matériaux d’obturation endo-canalaire ont permis d’améliorer l’acte endodontique en termes de qualité et de gain de temps. Il existe plusieurs techniques d’obturation canalaire mais la technique de condensation latérale manuelle reste la plus répandue. Elle est pratiquée en milieu libéral comme en milieu universitaire où elle est enseignée dans la plupart des institutions [2].
En 2000, Gound et al. ont mis au point une variante de cette technique en utilisant un fouloir actionné en réciprocité, par une pièce à main au lieu d’un fouloir manuel : c’est la technique de compaction latérale assistée mécaniquement [4]. L’objectif de cet article est de présenter les évolutions de la technique de condensation latérale.
Le premier objectif de l’obturation canalaire est de « remplir » dans ses moindres anfractuosités le réseau canalaire préalablement nettoyé et désinfecté par les procédures chimio-mécaniques endodontiques [5]. Elle consiste en l’alternance de compaction d’un cône de gutta-percha avec un fouloir et de remplissage de l’espace généré avec un nouveau cône, calibré sur le fouloir utilisé.
La technique de condensation latérale manuelle est relativement facile à mettre en œuvre. Elle est peu onéreuse, efficace, sûre et procure un bon contrôle de la longueur de travail et donc de l’intégrité de l’apex [5, 6].
Condou, dans la conclusion de sa thèse d’exercice publiée en 1995 comparant l’étanchéité de 4 techniques d’obturation à la gutta-percha (condensation latérale, gutta sur tuteur, thermomécanique et GP Multiphase), affirme que la technique de condensation, sans être la plus récente, est celle qui présente les meilleurs résultats. Elle reste ainsi tout à fait d’actualité associant simplicité et efficacité [7].
Le premier inconvénient de cette technique est l’hétérogénéité de la masse de l’obturation résultante avec la multiplication des interfaces de ciment de scellement et de gutta-percha (figure 1). En effet les cônes de gutta-percha forment des couches séparées les unes des autres par le ciment [7]. Plusieurs études comparant les différentes techniques d’obturation s’accordent à dire que la technique de condensation latérale manuelle donne une masse de gutta-percha moins homogène [5, -11]. Son second défaut est une obturation qui s’adapte moins bien aux parois internes des canaux [12-15]. Cela peut s’expliquer par la rigidité des cônes à température ambiante et buccale qui, non réchauffés, ne viennent pas épouser parfaitement les parois du canal.
Il faut noter que cette technique de condensation latérale manuelle est considérée comme la technique de référence [9]. Cependant, elle est longue, fastidieuse. Chu et al. en 2005 ont suivi la guérison des lésions péri-apicales d’origine endo-canalaire de plus de 70 dents (34 en condensation latérale et 37 en gutta chaude sur tuteur) pendant 3 ans. Ils ne montrent pas d’apparition de pathologie péri-apicale et donc de différence significative entre la condensation latérale manuelle et la technique de gutta sur tuteur (Thermafil, Dentsply Sirona) [6]. Cependant, ils notent un temps opératoire plus long, pour la globalité du traitement endodontique, de 20 minutes pour la technique de condensation latérale (traitement complet avec condensation latérale : 98 minutes contre 78 minutes avec tuteur) [6]. Le remplissage du canal peut toutefois être accéléré en utilisant un fouloir de conicité majorée (C ou D de Dentsply Sirona ou 4 % de Micro-Méga ou FKG). Pour diminuer le temps opératoire, une technique hybride a aussi été proposée en utilisant la CLM dans le tiers apical pour sécuriser cette zone et la thermo-compaction dans les deux tiers supérieurs du canal (figure 2).
Les autres inconvénients reprochés à cette technique restent la consommation d’un nombre important de cônes de gutta-percha et donc un coût qui augmente avec le nombre de cônes utilisés. Dans certaines indications cliniques telles que les courbures canalaires ou les résorptions internes, c’est une technique qui atteint ses limites.
Enfin, la CLM nécessite d’appuyer sur la gutta-percha et les parois dentinaires, ce qui génère un risque de fêlure radiculaire, notamment dans les racines fines et/ou grêles.
La recherche sur les nouveaux alliages a permis de proposer des fouloirs en nickel-titane (NiTi), certains même traités thermiquement. Bery et al. ont comparé des fouloirs en NiTi et des fouloirs en acier inoxydable. Ils ont montré que les fouloirs en NiTi pénétraient davantage dans les canaux courbes. Ils n’ont cependant pas trouvé de différence dans les canaux droits [16].
La technique de condensation latérale comporte plusieurs variantes dont la compaction latérale à chaud à l’aide d’un fouloir utilisant la vibration ultrasonique afin de chauffer et de compacter la masse de gutta. Deitch et al., dans une étude publiée en 2002 comparant la technique de condensation latérale manuelle à la latérale à chaud, ont conclu à une augmentation de la densité de l’obturation et de la pénétration du fouloir lors du premier et du deuxième passage (avec un gain respectif de 26,92 % et 5,95 %) [17].
Dans le cadre de l’amélioration de la qualité et de la simplification de cette technique de condensation latérale classique, Gound et al. en 2000 en ont décrit une modifiée par l’utilisation d’un fouloir monté sur une pièce à main en réciprocité : c’est la technique de compaction latérale assistée mécaniquement [4]. Cette technique a un double avantage : une simplicité d’exécution et un léger échauffement de la gutta-percha causé par la friction du fouloir qui tourne de façon continue ou en réciprocité. Dans cette étude de Gound et al., deux opérateurs différents utilisent cette technique de compaction latérale assistée (CLA) et la condensation latérale manuelle (CLM). La masse des échantillons (simulateurs en résine acrylique) mesurée après obturation (uniquement à la gutta-percha) était statistiquement plus importante avec la technique de CLA qu’avec la CLM [4].
Un an après, la même étude a été reconduite avec un unique opérateur mais en utilisant différentes tailles de fouloirs et de cônes accessoires. Dans tous les cas, la densité de gutta-percha ainsi que la pénétration des fouloirs étaient meilleures qu’en CLM. À noter que la meilleure densité était obtenue en utilisant un fouloir « medium-fine » et des cônes accessoires « fines », c’est-à-dire sous-calibrés par rapport au fouloir utilisé.
Shahriari et al. ont également testé la CLA sur 48 dents avec deux opérateurs différents. Ils ont mesuré la pénétration de colorant mimant la percolation bactérienne possible. Même si ce genre de méthodologie a été critiquée et ne semble pas avoir de pertinence clinique, ils ont trouvé que la CLA donnait de meilleurs résultats que la CLM [18].
En 2015, Mohammed et al. ont comparé la CLA avec un fouloir en NiTi traité thermiquement (M-wire) à la CLM avec un fouloir en acier inoxydable. Leurs résultats ont montré une meilleure pénétration des fouloirs traités thermiquement et, par conséquent, une meilleure densité de la gutta-percha [19].
Mourlan, dans l’étude réalisée pour sa thèse d’exercice comparant la CLM et deux CLA (une en rotation continue et l’autre en réciprocité) sur des dents naturelles, affirme que l’homogénéité de l’obturation est meilleure avec les deux CLA mais il ne montre pas de différence statistiquement significative de profondeur de pénétration du ciment canalaire dans les tubuli (autour de 400 µm) [20].
En 2004, Jarret et al. ont comparé, sur des racines palatines de molaires maxillaires sectionnées horizontalement à 2 et 4 mm de l’apex, 7 techniques d’obturation endodontique : CL, CLA, compaction verticale à chaud traditionnelle (CVC) et assistée, Système B, Simplyfill et Simplyfill modifiée, Thermafil. Ils ont évalué le pourcentage de gutta-percha par rapport à la surface totale du canal. D’une part, ils ne notent aucune différence entre la CLA, le Simplyfill et la CVC ; d’autre part, les meilleurs résultats sont obtenus avec la CLA et la CVC par rapport à la technique de compaction verticale en vague unique (respectivement 96,2 %, 96,1 % et 91,8 %) [21].
En plus du facteur qualité (densité et homogénéité) qui milite en faveur de la technique de CLA, il faut aussi noter son exécution dans un temps réduit par rapport à la CLM. Tchorowski-Pellizari montre, dans sa thèse d’exercice de 2019, d’une part, que la CLA permet de diminuer la durée du temps opératoire de 20,24 % par rapport à une condensation latérale à froid non assistée et, d’autre part, que le fouloir traité thermiquement la diminue aussi significativement de 12,06 % [22].
Briseno Marroquin et al. ont aussi chronométré les temps d’obturation des canaux. Pour un canal ils mesurent en moyenne 252,5 secondes avec un fouloir relativement équivalent (Fouloir C de Dentsply Sirona soit 24/100 pour 4 % de conicité [23]) mais avec des cônes accessoires fins (25/100, 2 %) [11] ; Tchorowski-Pellizari obtenait dans son étude 138,37 secondes avec un fouloir de 25/100 de diamètre de pointe pour une conicité de 4 % mais en utilisant des cônes accessoires calibrés sur le fouloir [22]. Cette différence peut aussi s’expliquer par l’expérience de l’opérateur mais surtout par la nécessité d’utiliser plus de cônes pour remplir l’espace endodontique lorsqu’un fouloir ou un cône fin est utilisé. La procédure de condensation est répétée plusieurs fois alors que seulement deux compactions suffisent dans l’étude avec des fouloirs de 4 % de conicité.
Tous les résultats de ces études comparant la CLA et CLM sont en faveur de la CLA. Pour pouvoir réaliser cette technique au cabinet dentaire, il suffit de disposer de fouloirs en NiTi et d’un moteur d’endodontie.
Actuellement, tout chirurgien-dentiste utilisant une technique de mise en forme canalaire mécanisée peut pratiquer la compaction latérale assistée. Cette technique permet non seulement de gagner en temps mais aussi en qualité au niveau de la densité de la masse de gutta-percha et de l’herméticité avec l’échauffement engendré par la friction des fouloirs en NiTi montés sur la pièce à main avec un moteur d’endodontie avec une faible vitesse (350-400 trs/min, voire plus) sur la gutta-percha (figures 3 et 4).
Actuellement aucun instrument n’est commercialisé avec un mandrin permettant de le monter sur un moteur d’endodontie (fonctionnant en rotation continue ou en réciprocité). Toutefois, il est possible de fixer un fouloir de condensation latérale manuel en NiTi de 4 % (Coltène, FKG…) sur une pièce à main M4 (Kerr-Sybron Endodontics) qui génère des mouvements alternatifs de 60° d’amplitude (figure 5).
Dans ce cas, après séchage du canal, mise en place du ciment de scellement endodontique et du maître cône adapté à la longueur de travail, le fouloir (n° 25 en 4 % par exemple) est présenté dans le canal en mouvement avec une très légère pression apicale jusqu’à LT-3 mm. L’espace généré est alors rempli avec un cône accessoire (n° 20 et 4 % selon cet exemple). Le fouloir est à nouveau activé pendant quelques secondes pour atteindre LT-6 mm et l’espace généré est rempli par un deuxième cône accessoire. Tous les cônes sont sectionnés à l’entrée du canal pour finir l’obturation.
Cette technique n’a actuellement fait l’objet que d’études d’évaluations in vitro, aucune étude clinique n’ayant été publiée à son sujet.
Finalement, l’obturation des canaux radiculaires par la technique de condensation latérale assistée permet non seulement de gagner en temps, en confort et en aisance, mais aussi d’obtenir une meilleure qualité d’obturation tridimensionnelle par rapport à la condensation latérale manuelle. Grâce à l’assistance rotative, une meilleure pénétration des fouloirs en NiTi montés sur une pièce à main est obtenue. Cette pénétration plus facile, associée à l’échauffement de la gutta-percha par la friction des fouloirs, permet au ciment canalaire et à la gutta-percha de fuser dans les canaux accessoires et d’obtenir une bonne herméticité au niveau des parois canalaires, une bonne densité et une bonne homogénéité de la gutta-percha.
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêts.