Clinic n° 10 du 01/10/2023

 

RENCONTRE AVEC JACQUES VERMEULEN

Dossier

Jérôme LIPOWICZ*   Marc BARANES**  

CLINIC : Depuis quand pratiques-tu la chirurgie guidée ?

Jacques VERMEULEN : J’opère sous assistance par ordinateur depuis 1999, soit presque un quart de siècle. Je suis un fervent défenseur de la chirurgie guidée depuis que j’ai affronté dans les années 2000 des remarques désobligeantes comme « les guides sont faits pour les dentistes qui ont deux mains gauches » ! Bien heureusement les études, dont celle que j’ai publiée dans le...


CLINIC : Depuis quand pratiques-tu la chirurgie guidée ?

Jacques VERMEULEN : J’opère sous assistance par ordinateur depuis 1999, soit presque un quart de siècle. Je suis un fervent défenseur de la chirurgie guidée depuis que j’ai affronté dans les années 2000 des remarques désobligeantes comme « les guides sont faits pour les dentistes qui ont deux mains gauches » ! Bien heureusement les études, dont celle que j’ai publiée dans le JOMI sur la précision par des chirurgiens expérimentés [1], ont prouvé que l’implantologie à main levée ne pouvait pas rivaliser avec l’implantologie guidée. Je suis heureux de constater que nos jeunes dentistes ont adopté en masse cette technique. Un diplôme universitaire d’Implantologie guidée maxillo-mandibulaire a même ouvert ses portes cette année à la faculté de médecine de Nice. Ne pas en profiter aujourd’hui serait en fait has-been.

Pourquoi t’es-tu intéressé à la navigation ?

La curiosité scientifique avant tout. J’ai jeté un œil circonspect en 2018 en l’essayant dans des conditions peu favorables jusqu’à ce qu’un technico-commercial maîtrisant parfaitement l’outil m’ait convaincu du potentiel pour enfin franchir le pas. J’ai très vite réalisé que l’avenir du guidage serait dynamique et que cette procédure ouvrait les portes à la réalité augmentée [2]. Persuadé de pouvoir conserver mes habitudes et jongler entre statique et dynamique, je n’ai finalement plus commandé un seul guide depuis !

Quels sont les points qui font réellement la différence avec une approche statique ?

La liberté du geste chirurgical est l’avantage numéro 1 ! Cela se traduit d’abord par une logistique plus simple car il n’y a plus besoin de préparer un guide ou de le commander au laboratoire plusieurs jours, voire plusieurs semaines à l’avance. Mais c’est surtout la possibilité de modifier la planification à tout moment. Une zone greffée douteuse ? Une densité osseuse faible ? En cours d’intervention, je garde une maîtrise totale du traitement en déplaçant en quelques clics la position d’un implant tout en conservant la possibilité d’adapter cet aléa chirurgical au projet prothétique directeur. Cette faculté d’adaptation per-opératoire est impossible avec un guide statique ! Et ce que j’apprécie réellement est la préservation de ma sensibilité tactile qui reste totale grâce à la navigation. Qui n’a jamais douté du torque et donc de la stabilité d’un implant à cause de la friction d’un guide, voire aussi d’emporter l’implant avec le porte-implant lors du retrait du guide ! Avec une approche dynamique, je connais le véritable couple d’insertion et juge la stabilité primaire comme en travaillant à main levée.

Le matériel est aussi radicalement différent. En quoi est-ce un avantage ?

Vous n’avez plus besoin de trousse spécifique de chirurgie guidée dont le tarif reste important. Vous pouvez utiliser vos kits classiques mais également des forets pour ostéo-densification ou soulevé de sinus. Non seulement vous réalisez une certaine économie en plus du coût de fabrication d’un guide chirurgical avec ses douilles, même imprimé chez soi, mais vous simplifiez le travail de vos assistantes dentaires et diminuez le risque d’erreur grâce à moins de matériel et je pense bien sûr au travail de Franck Renouard sur les facteurs humains.

Un autre point important qu’il nous arrive d’oublier lors de la planification implantaire est l’ouverture buccale : la chirurgie guidée statique impose une ouverture importante car non seulement le guide occupe de la place mais les forêts sont plus longs. La difficulté augmente alors avec des implants postérieurs, les tubéro-ptérygoïdiens et les angulations pour les All-on-4.

Les implants dans la zone mandibulaire antérieure ou pour le remplacement d’incisives latérales maxillaires sont parfois limités à la chirurgie guidée pilote avec un guide statique, du fait du manque d’espace pour une douille normale ; c’est pourtant dans ces zones où nous avons besoin d’une grande précision ! Ce sont des inconvénients que je ne rencontre plus avec l’implantologie guidée dynamique et cela a inconsciemment mais très probablement joué dans ma transition.

Parlons aussi d’un sujet qui n’est pas anodin : la navigation est peu polluante en comparaison avec la chirurgie guidée statique. L’impression 3D pose de vraies questions. Les résines utilisées pour créer nos guides sont de type PEEK, PEI, PPSU, PLA, ASA… des polymères haute performance biocompatibles mais très polluants.

Selon toi, quels sont alors les freins pour adopter l’implantologie dynamique ?

C’est évidemment le coût de revient important pour l’acquisition du matériel. Avec un budget initial de 45 000 €, cet investissement n’est pas rentable pour un cabinet posant moins de 100 implants par an. Avec une activité plus intense, il faudra par ailleurs multiplier les ancillaires stérilisables pour pouvoir enchaîner les interventions. Et avec une évolution rapide de cette technologie, il faut anticiper dans son business plan un renouvellement de l’équipement.

La courbe d’apprentissage est également bien plus sévère à escalader que celle d’un guide chirurgical, notamment pour travailler sur un écran sans regarder ce qu’il se passe en bouche, et il faut des mains expertes en chirurgie pour approcher la perfection. Mais quelle satisfaction ensuite ! On améliore considérablement sa vision dans l’espace en implantologie grâce à la navigation. Il existe cependant un phénomène générationnel et je constate que l’expérience requise est moins importante chez les jeunes confrères. Quant à son utilisation chez l’édenté complet, la mise en place reste encore complexe, notamment avec l’obligation de fixer des repères avec des vis d’ostéosynthèse.

En conclusion, quelles sont les évolutions du système que tu attends ?

L’édition 2023 du salon IDS de Cologne nous a apporté un lot d’innovations, et d’ailleurs pas moins de 5 nouveaux appareils ont été présentés ! La photogrammétrie est à mes yeux le premier « plus », en offrant une précision inégalée face aux empreintes optiques. La réalité augmentée est bien sûr l’avenir, avec cependant du matériel supplémentaire pour équiper les yeux du chirurgien. L’implantologie guidée dynamique est la solution d’avenir, comme s’est imposée la chirurgie guidée statique en 20 ans. Il faut cependant en accepter les contraintes économiques et changer radicalement ses habitudes pour en exploiter tout le potentiel. Je l’ai fait et je ne reviendrai jamais en arrière. À vous de jouer maintenant !

BIBLIOGRAPHIE

  • 1. Vermeulen J. The Accuracy of implant placement by experienced surgeons: Guided vs. freehand approach in a simulated plastic model. Int J Oral Maxillofac Implants 2017;32(3):617-624. [doi:10.11607/jomi.5065]
  • 2. Kivovics M, Takács A, Pénzes D, Németh O, Mijiritsky E. Accuracy of dental implant placement using augmented reality-based navigation, static computer assisted implant surgery, and the free-hand method: An in vitro study. J Dent 2022;119:104070. [doi:10.1016/j.jdent.2022.104070]