TABAC ET CAVITÉ BUCCALE : ÉTATS DES LIEUX
Santé générale
Anne-Laure EJEIL* Loredana RADOÏ** Sophie-Myriam DRIDI***
*Département de Chirurgie orale, UFR d’Odontologie, Université Paris Cité. Service de Médecine bucco-dentaire, Hôpital Bretonneau, AP-HP Nord.
**Département de Chirurgie orale, UFR d’Odontologie, Université Paris Cité. Service de Médecine bucco-dentaire, Hôpital Louis-Mourier, AP-HP Nord.
***Département de Parodontologie, UFR d’Odontologie, Université Nice Côte d’Azur. CHU Nice, Institut de médecine bucco-dentaire Riquier.
Selon le Baromètre santé de Santé publique France, en 2021, en France métropolitaine, 31,9 % des 18-75 ans déclaraient fumer, dont 25,3 % quotidiennement. La prévalence du tabagisme a augmenté depuis 2019, notamment parmi les femmes (de 20,7 à 23 %) et les personnes n’ayant aucun diplôme ou un diplôme inférieur au baccalauréat (de 29 à 32 %). Cette augmentation est probablement liée à la crise sanitaire et sociale liée à l’épidémie de Covid-19 [
Selon les données épidémiologiques actuelles, le tabagisme représente un facteur de risque majeur pour de nombreuses maladies orales dont certaines mettent en jeu le pronostic vital. De fait, tout odontologiste, omnipraticien ou spécialiste, est concerné par cette problématique de santé publique. L’objectif de cet article est de présenter ces maladies liées au tabac, à des fins de sensibilisation et d’aide au diagnostic.
Selon le Baromètre santé de Santé publique France, en 2021, en France métropolitaine, 31,9 % des 18-75 ans déclaraient fumer, dont 25,3 % quotidiennement. La prévalence du tabagisme a augmenté depuis 2019, notamment parmi les femmes (de 20,7 à 23 %) et les personnes n’ayant aucun diplôme ou un diplôme inférieur au baccalauréat (de 29 à 32 %). Cette augmentation est probablement liée à la crise sanitaire et sociale liée à l’épidémie de Covid-19 [1].
Le tabac présente un risque pour la santé quel que soit son mode de consommation. En effet, toutes les formes de tabagisme entraînent une dépendance à la nicotine et sont à l’origine de décès et de maladies. Le risque de développer une maladie liée au tabac augmente avec le nombre de cigarettes fumées chaque jour (intensité du tabagisme), mais surtout avec la durée du tabagisme [2]. Il s’agit d’un facteur de risque principal de plusieurs cancers (dont 70 % des cancers des voies aéro-digestives supérieures) [2], qui favorise également de nombreuses maladies cardiovasculaires (angine de poitrine, l’infarctus du myocarde, hypertension artérielle, accident vasculaire cérébral…), respiratoires (bronchopneumopathie chronique obstructive, asthme…), endocriniennes (diabète de type 2), inflammatoires et auto-immunes (maladie de Crohn, polyarthrite rhumatoïde, lupus…) [3]. En outre, fumer multiplie le risque de développer la maladie d’Alzheimer et une démence vasculaire, notamment si le tabagisme est associé au diabète, à l’hypertension artérielle, à l’obésité, à l’inactivité physique et à la dépression [3]. Les médecins rapportent également des répercussions néfastes sur la grossesse, la qualité de vie et le bien-être des patients.
Finalement, chaque année en France, le tabagisme représente la première cause de mortalité évitable, avec 75 000 décès, dont 45 000 par cancer [2]. La cavité orale n’est pas épargnée par ses effets néfastes. Par conséquent, en tant que professionnel de santé, l’odontologiste se doit de diagnostiquer et de traiter précocement les pathologies orales liées au tabac en plus d’aider le patient à prendre conscience de cette réalité.
Le cancer de la cavité orale fait partie des cancers des voies aéro-digestives supérieures (VADS) et représente le 6e cancer chez l’homme en termes de prévalence et d’incidence. Parmi eux, les carcinomes épidermoïdes sont les plus fréquents. En 2018, lors de son dernier rapport, l’Institut national du cancer rapporte 4 677 nouveaux cas par an en France dont 66 % chez l’homme [4]. Mais, entre 1990 et 2018 une tendance à la baisse des nouveaux cas chez ces sujets est observée de même qu’une diminution du nombre de décès. En revanche, chez la femme, le nombre de cas a plus que doublé pendant cette période. Cette hausse serait attribuable à l’augmentation des facteurs de risque mais également au vieillissement de cette population avec un risque de décès stable.
Le taux de survie, en fonction du stade du cancer, varie de 30 à 80 % et ce malgré les progrès des prises en charge [4].
La plupart des carcinomes épidermoïdes de la cavité orale sont attribuables à la consommation de tabac et d’alcool. Aujourd’hui, l’implication du tabagisme dans la cancérogenèse ne fait plus aucun doute et plusieurs effets cancérigènes dus aux composants du tabac sont en partie élucidés, que le produit soit fumé, chiqué, prisé ou associé au cannabis [4] (figure 1). De même, une association positive est retrouvée chez les patients exposés de façon indirecte à la fumée de tabac lors du tabagisme passif [5].
De nombreuse substances dérivées du tabac sont génotoxiques : par exemple, les hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP), le 4-(méthylnitrosamino)-1-(3-pyridyl)-1-butanone (NNK) et le N’-nitrosonornicotine (NNN) [6].
Le benzopyrène est le principal agent carcinogène de la classe des hydrocarbures aromatiques polycycliques. Son mécanisme d’action consiste, entre autres, à provoquer des mutations notamment au niveau du gène suppresseur codant la protéine p53. Lorsque cette protéine est mutée, elle ne peut plus bloquer le cycle cellulaire et induire l’apoptose cellulaire en cas d’anomalie apparaissant lors de la réplication. De fait, si d’autres frappes mutationnelles endommagent le matériel génétique, celui-ci sera alors transmis aux cellules filles. Ce processus est à l’origine de l’initiation tumorale.
NNN et NNK sont également de puissants carcinogènes, les plus représentés dans le tabac avant le réchauffement ou la combustion. Ces composés, une fois activés par des cytochromes, induisent des mutations délétères au niveau de certains oncogènes (gène dont l’expression est susceptible de conférer un phénotype cancéreux à une cellule normale) et de gènes suppresseurs de tumeur qui provoquent l’initiation tumorale. En parallèle, NNN et NNK sont connus pour déréguler les mécanismes de prolifération, de survie et de migration cellulaire, favorisant ainsi le développement tumoral.
Le carcinome épidermoïde (CE) est une tumeur maligne caractérisée par un néoplasme infiltrant de consistance ferme à différenciation pavimenteuse, prenant naissance au sein de l’épithélium de la muqueuse affectée par le processus tumoral [7]. Ses principales localisations sont la langue mobile et le plancher buccal, mais toutes les autres muqueuses peuvent être atteintes.
Cliniquement, 3 formes de cancers épidermoïdes prédominent et peuvent coexister :
- les formes ulcéreuses, végétantes et ulcéro-végétantes (les formes atypiques fissuraires, en nappe et infiltrantes sont plus rares). Elles sont très évocatrices avec un fond plus ou moins creusant et des bords surélevés ;
- la forme végétante, moins rencontrée, n’est pas ulcérée. Elle se présente telle une tumeur bosselée, papillaire et exophytique ;
- la forme ulcéro-végétante, très fréquente, associe un fond ulcéré entouré de bords éversés le plus souvent, qui prolifèrent au-dessus de la muqueuse voisine [8] (figure 2). Quelle que soit sa forme clinique, la lésion est chronique et repose sur une base indurée dépassant les limites de la lésion.
Toutes ces manifestations cliniques sont associées au carcinome épidermoïde (CE) que le tabac soit fumé (cigarettes, cigares, pipes, tabac à rouler, narguilés/chichas/shisha) ou non fumé tel que le tabac chiqué (mâché) ou sucé (snus, placé dans les vestibules).
À titre d’exemple, une revue systématique complétée par une méta-analyse d’études épidémiologiques d’Asie du Sud-Est a montré que le risque de développer un CE chez les utilisateurs de tabac non fumé était multiplié par 5 par rapport aux non-utilisateurs (OR = 4,7 ; p < 0,05) [9]. une revue de la littérature plus récente, consacrée à la pratique de la shisha, rapporte aussi un risque significativement plus élevé pour ce type de cancer oral chez les utilisateurs par rapport aux non-utilisateurs [10].
La consommation d’alcool associée au tabac (qu’il soit fumé ou non) est encore plus délétère [11]. Une revue systématique incluant 33 articles a conclu aux effets synergiques suivants : la consommation d’alcool et de tabac fumé augmente de plus de 4 fois le risque d’être atteint d’un cancer oral par rapport à un non-consommateur (OR = 4,74 ; IC 95 % : 3,51-6,40), celle associant l’alcool au tabac non fumé de plus de 7 fois (OR = 7,78 ; IC 95 % : 2,86-21,14), et celle associant l’alcool au tabac fumé et non fumé de plus de 16 fois (OR = 16,17 ; IC 95 % : 7,97-32,79).
Selon l’Organisation mondiale de la santé, 80 % des cas de CE se développent à partir de lésions dites à potentiel malin [12, 13]. Parmi ces lésions, la leucoplasie tabagique et la fibrose sous-muqueuse sont des lésions potentiellement malignes induites par le tabac.
Il s’agit de la lésion à potentiel malin la plus fréquente chez les patients fumeurs. Elle se présente cliniquement par une plaque blanche non détachable, homogène ou non, plus ou moins épaisse pouvant siéger sur toutes les muqueuses orales (figure 3).
Son risque de transformation est évalué en fonction des facteurs de risque. Lorsqu’elle présente une dysplasie, le risque est de 22 %. Les leucoplasies inhomogènes (nodulaires, en mosaïque ou verruqueuses) ont un risque de transformation 7 fois plus important que les leucoplasies homogènes [14] et, lorsque la taille est supérieure à 2 ou 4 cm2, ce risque est multiplié par 5 [14, 15]. Dans une étude rétrospective portant sur 120 sujets suivis pendant 16 ans, les patients ont été classés en 3 groupes - fumeurs, non-fumeurs et anciens fumeurs (arrêt du tabac depuis au moins 6 mois) - et les sites de la cavité orale classés en site à haut risque (plancher buccal, face ventrale et latérale de la langue, palais mou et piliers amygdaliens) ou site à bas risque (les autres sites) [15]. Les lésions blanches ont été mesurées et classées en fonction de leur taille (≤ 2 cm, de 2 à 4 cm, ≥ 4 cm). Les résultats de cette étude ont montré que :
- le risque de CE était plus élevé lorsque la leucoplasie avait une taille ≥ 2 cm et était inhomogène ;
- 12,5 % des anciens fumeurs présentaient des leucoplasies tabagiques ;
- le risque de transformation maligne était plus fréquent chez les patients présentant de multiples localisations, des lésions au niveau des sites à risque et lorsqu’une dysplasie était présente ;
- l’exérèse des lésions n’empêchait pas la récidive, qui apparaissait la plupart du temps au niveau de la même localisation, ce qu’avait déjà démontré Holmstrup et al. [14].
Ce type de fibrose s’observe chez les patients qui chiquent du bétel constitué de la feuille de bétel enveloppant un mélange de noix d’arec, de chaux, de tabac et d’épices. La chique de ce produit est encore pratiquée par certaines ethnies originaires d’Inde et du Pakistan, que nous sommes parfois amenés à traiter. Ses effets délétères aboutissent à une fibrose sous-muqueuse qui se manifeste initialement par des sensations de brûlure, une perte de souplesse de la muqueuse atteinte qui prend un aspect rose pâle ou blanchâtre. Le potentiel de transformation en carcinome épidermoïde est considéré comme important avec un taux de 7,6 % sur 10 ans [16] (figure 4).
Les maladies parodontales et péri-implantaires induites par la plaque dentaire (MPIP) ne sont pas de simples maladies inflammatoires d’origine bactérienne. Elles résultent d’interactions complexes entre le patrimoine génétique et immunitaire de l’hôte, les bactéries parodontopathogènes, les composantes cellulaire et matricielle des tissus et l’environnement.
Ainsi, les biofilms bactériens composant la plaque dentaire représentent seulement une condition nécessaire au déclenchement de ces maladies. Leur survenue, leur expression et leur progression sont surtout influencées par des facteurs de risque qui vont déterminer la qualité de la réponse de l’hôte (réponse à l’infection, réponse cicatricielle). Par conséquent, ces facteurs peuvent plus ou moins impacter les caractéristiques des MPIP. Ils sont soit inhérents à la personne (génétique, maladies systémiques…), soit liés à son comportement et à son environnement, comme le tabagisme.
Concernant le tabac au sens large, ses effets nocifs sur les tissus parodontaux sont scientifiquement prouvés depuis des décennies (figure 1). À partir des années 1980, plusieurs études épidémiologiques ont confirmé l’existence d’une corrélation positive entre les parodontites et cette addiction, quelles que soient l’origine des populations étudiées et les caractéristiques individuelles des sujets (âge, genre, …) [17-19].
L’étude prospective de Araújo Nobre et Malo, reposant sur une cohorte importante d’individus adultes originaires du Portugal, est révélatrice de ce point de vue. Les auteurs ont suivi pendant 3 ans, dans 4 cliniques dentaires privées, 22 009 patients incluant 9 035 hommes (41,1 %) et 12 974 femmes (58,9 %) dont l’âge moyen se situait aux alentours des 48 ans [20]. Au terme de cette étude, les auteurs ont pu montrer que l’usage du tabac fumé augmentait significativement le risque de parodontite et de péri-implantite. Pour ces deux types de pathologie aux mécanismes étiopathogéniques comparables, et après une analyse de régression multivariée, les odds ratio respectifs étaient élevés : OR = 1,90 (IC 95 % : 1,74-2,07) et OR = 1,84 (IC 95 % : 1,64-2,07).
Ainsi, d’après ces auteurs, l’excès de risque de développer une de ces deux pathologies chez un individu fumeur par rapport à un non-fumeur dépasserait 80 %.
Le tabac est également considéré comme un facteur de risque majeur pour les formes nécrotiques des maladies parodontales [21].
Les récentes revues systématiques de la littérature confirment ces données épidémiologiques et révèlent que les fumeurs, comparés aux non-fumeurs (qui n’ont jamais fumé) ou aux anciens fumeurs, présentent inévitablement plus de pertes dentaires et d’échecs implantaires précoces, de poches parodontales profondes (> 5 mm), de récessions gingivales, de pertes d’attache et osseuse sévères (alvéolyse > 30 %) [22, 23] (figures 5 et 6).
En outre, ces études permettent aussi de conclure que l’importance de la dégradation des paramètres cliniques est directement liée à la durée du tabagisme et à la quantité de tabac consommé par jour. En d’autres termes, l’effet négatif du tabac sur les altérations tissulaires parodontales ou péri-implantaires est temps et dose-dépendant.
Nonobstant, si ces données cliniques sont surtout associées à la consommation de cigarettes, elles restent d’actualité pour les autres modes de tabagisme avec ou sans fumée (cigare, bidis, narguilé, shisha, tabac à chiquer…) [24, 25] (figure 7).
Par ailleurs, les patients fumeurs présentent une réponse à la thérapeutique moins favorable que les patients non fumeurs ou anciens fumeurs. Cette constatation est valable pour toutes les thérapeutiques parodontales et implantaires, qu’elles soient non chirurgicales ou chirurgicales [26, 27]. Les complications ne sont pas rares (retard de cicatrisation, douleur, nécrose, surinfection, récidive) et les gains tissulaires sont généralement limités.
De même, la stabilité des résultats est compromise chez les fumeurs. L’étude prospective de Bergström et al. est riche de renseignements [28]. Ces auteurs ont pu suivre pendant 10 ans une cohorte assez homogène de patients incluant 16 fumeurs (qui ont continué de fumer pendant cette période), 28 anciens fumeurs (qui avaient cessé de fumer au moins 9 ans avant le début de l’étude) et 40 non-fumeurs. Initialement, tous les sujets présentaient une parodontite modérée qui a pu être stabilisée grâce à la thérapeutique parodontale. Ils ont pu bénéficier d’une maintenance parodontale régulière et présentaient un score de plaque peu élevé et comparable. Après dix ans de suivi, les résultats étaient sans appel. L’état parodontal s’était progressivement détérioré au fil du temps chez les patients fumeurs, indépendamment de leur âge et proportionnellement à leur consommation journalière de cigarettes. À la fin de cette étude, les fumeurs consommaient en moyenne 14 cigarettes/j depuis 32 ans. En revanche, les conditions parodontales ont pu être stabilisées pour les anciens fumeurs et améliorées pour les non-fumeurs. Grâce à ce type d’essai comparatif, les auteurs ont pu mettre en évidence non seulement les effets chroniques négatifs du tabac mais également, les effets positifs du sevrage au long cours sur les tissus parodontaux. Depuis, ces données ont été largement confirmées dans la littérature [29, 30].
L’halitose vraie définit la mauvaise haleine ressentie par une personne ou ses proches. L’halitose est générée par l’émanation de composés sulfurés volatiles (CSV) malodorants parmi lesquels sulfure d’hydrogène, méthyl mercaptan, diméthyle sulfide, diamines (putrescine, cadavérine), qui résultent de l’hydrolyse des protéines en acides aminés soufrés par des bactéries du microbiote oral. Ces protéines proviennent des débris alimentaires, des cellules épithéliales desquamées, du sang, de la salive et du fluide gingival. Il existe environ 80 espèces de bactéries du microbiote oral (hébergées par l’enduit de la face dorsale de la langue) qui sont impliquées dans la pathogenèse de l’halitose [31].
L’halitose a deux causes principales :
- orales : hyposialie et altération de l’auto-nettoyage des muqueuses, mauvaise hygiène bucco-dentaire, lésions carieuses, maladie parodontale… ;
- extra-orales : pathologies ORL, pulmonaires, digestives, hépatiques, rénales, prise de médicaments, alimentation…
Plusieurs études ont montré que le tabagisme est associé à l’augmentation de l’incidence et de la sévérité de l’halitose [32, 33]. Cela s’explique en grande partie par le fait que le tabagisme est associé à des taux élevés de CSV dans les poches parodontales ≥ 4 mm et qu’il a un effet nocif sur le parodonte [34]. Les causes présumées sont l’altération de l’équilibre des populations microbiennes dans la plaque sous-gingivale et l’augmentation du nombre absolu de bactéries productrices de CSV sous l’effet de la fumée de tabac [35]. En outre, la fumée de tabac contient elle-même des CSV et le tabagisme contribue à la diminution de la sécrétion salivaire et de l’auto-nettoyage des muqueuses. Une méta-analyse récente a montré un risque d’halitose 1,5 fois plus élevé chez les fumeurs par rapport aux non-fumeurs (OR = 1,49 ; IC 95 % : 1,15-1,92) [36].
Les mycoses orales superficielles sont des infections fongiques causées par l’une des espèces de Candida, le plus souvent le Candida albicans (80 % des cas), champignon endo-saprophyte du tube digestif. Il existe plusieurs facteurs responsables du passage du Candida de l’état saprophyte à l’état pathogène, soit par un déséquilibre du microbiote oral, soit par une diminution des défenses immunitaires de l’hôte, soit par les deux anomalies à la fois. Ces facteurs sont intrinsèques (liés à l’hôte) et/ou extrinsèques (iatrogènes), dont l’intoxication tabagique.
La fumée de cigarette, particulièrement la nicotine provenant de différentes sources (cigarette classique ou électronique, tabac mâché), peut affecter les caractéristiques pathogènes de C. albicans, y compris la croissance hyphale, la formation de biofilms, l’adhérence aux cellules épithéliales buccales et l’expression de gènes liés à la virulence [37, 38]. De plus, la baisse de la sécrétion salivaire induite par le tabagisme contribue à la diminution de l’auto-nettoyage des muqueuses et favorise l’adhérence du Candida aux tissus (figures 8 et 9). L’exposition au tabac modifie également le nombre et les fonctions des cellules présentatrices d’antigènes (en particulier les cellules dendritiques) dans les muqueuses orales, ce qui augmente la susceptibilité aux infections [39, 40].
La maladie carieuse est une maladie multifactorielle. Son étiologie est principalement liée à de mauvaises habitudes alimentaires et à une hygiène buccale insuffisante. De nombreuses études ont montré une relation entre le tabagisme et les modifications de la flore bactérienne cariogène. Les composants de la fumée de cigarettes, notamment la nicotine, provoquent une dysbiose et favorisent la colonisation et la croissance des micro-organismes cariogènes (Streptococcus mutans, Streptococcus gordonii, Lactobacillus, Actinomyces…) [41]. Le tabagisme influence la sécrétion salivaire en diminuant son pouvoir tampon, en altérant sa composition en agents antibactériens et en réduisant le débit salivaire, ce qui favorise un environnement propice au développement des lésions carieuses [41, 42].
Plusieurs études épidémiologiques ont montré un lien entre le tabagisme et l’augmentation de la prévalence des caries dentaires, avec un risque 2 fois plus élevé chez les fumeurs (OR = 1,84 ; IC 95 % : 1,64-2,07) [20]. Chez les utilisateurs de tabac non fumé, la prévalence des caries dentaires semble plus élevée que chez les consommateurs de tabac fumé, notamment chez les hommes et dans les secteurs dentaires postérieurs [43].
Par ailleurs, il est important de noter que certains patients fumeurs peuvent cumuler plusieurs pathologies orales liées au tabagisme (figures 8 et 10).
Quel que soit le mode de tabagisme, le tabac :
- génère des effets nocifs locaux et systémiques vis-à-vis de tous les tissus de la cavité orale ;
- augmente significativement le risque de cancer épidermoïde oral ;
- augmente significativement le risque des maladies parodontales et péri-implantaires sévères et évolutives ;
- augmente significativement le risque de carie, d’halitose et d’hyposialie ;
- est un facteur d’échec à court et long termes de toutes les thérapeutiques parodontales et implantaires et des chirurgies orales au sens large.
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêts.