Clinic n° 09 du 01/09/2023

 

Santé générale

Carine VERDIER*   Patrick DUPONT**  


*Médecin tabacologue, Hôpitaux universitaires Paris-Saclay, AP-HP, Villejuif.
**Médecin tabacologue, Association Addictions-France, Evry.

Le tabagisme est la première cause de mortalité et de maladies évitables en France et dans le monde. Il est responsable de 75 000 décès chaque année en France [1], la fumée du tabac contenant de nombreuses substances toxiques responsables des maladies liées au tabagisme [2, 3]. Fumer est un comportement renforcé par une dépendance dont la...


Résumé

Le tabagisme, première cause de mortalité évitable et de morbidité, en France et dans le monde, est une préoccupation majeure de santé publique. Tous les acteurs de santé sont concernés par cette problématique. Le traitement par substituts nicotiniques avec une efficacité qui a été parfaitement démontrée, une sécurité et une simplicité d’emploi ainsi que l’absence de contre-indication, est le traitement de première intention. De nombreuses formes différentes existent dont l’association est conseillée pour améliorer l’efficacité du traitement. Ils peuvent être prescrits par de nombreux professionnels de santé dont les chirurgiens-dentistes.

Le tabagisme est la première cause de mortalité et de maladies évitables en France et dans le monde. Il est responsable de 75 000 décès chaque année en France [1], la fumée du tabac contenant de nombreuses substances toxiques responsables des maladies liées au tabagisme [2, 3]. Fumer est un comportement renforcé par une dépendance dont la nicotine est la principale substance responsable [4].

Six tentatives d’arrêt en moyenne sont nécessaires pour qu’un fumeur parvienne à arrêter de fumer de façon durable [5]. Aux États-Unis, 1 fumeur sur 2 fait une tentative d’arrêt chaque année, mais seulement 7,5 % sont parvenus à rester abstinents à 1 an et un tiers parmi eux seulement a utilisé des traitements validés d’aide à l’arrêt du tabac [6].

Des recommandations ont été établies pour la prise en charge du sevrage tabagique par la Haute Autorité de Santé (HAS) française en 2014 et, plus récemment, aux États-Unis [7-9]. Les substituts nicotiniques constituent le traitement de première intention [6, 7] car leur efficacité et leur sécurité d’emploi ont bien été démontrées. Par conséquent, ces substituts devraient être proposés à tous les fumeurs souhaitant arrêter de fumer [10], d’autant plus que de nombreux professionnels de santé, y compris les odontologistes, sont autorisés à les prescrire.

PRINCIPES DE LA SUBSTITUTION NICOTINIQUE

Les traitements de substitution nicotinique ont pour objectif de réduire les symptômes de sevrage de la nicotine et de faciliter le sevrage tabagique.

Plusieurs formes de substituts nicotiniques sont disponibles : les formes transdermiques à action différée et prolongée (patchs nicotiniques) et les formes orales à action rapide (gommes à mâcher, pastilles ou comprimés à sucer, comprimés sublinguaux, inhaleur, spray buccal). Toutes ces formes ont une efficacité comparable.

Dans une méta-analyse Cochrane de 2018, les traitements de substitution nicotinique augmentaient significativement les taux d’abstinence tabagique par rapport au placebo ou l’absence d’intervention (17 % versus 10 % ; RR = 1,55 ; IC 95 % : 1,49-1,61) [9, 10] (tableau 1).

Le patch permet une libération continue de nicotine sur 16 ou 24 heures selon les marques, avec un délai d’action retardé, alors que les formes orales ont un délai d’action plus rapide, avec un pic plasmatique atteint en 15 à 30 minutes.

Il est donc recommandé d’associer les formes patch et orales pour une meilleure efficacité, cette association permettant d’ajuster les apports de nicotine en fonction des besoins du patient [7].

Une méta-analyse regroupant 63 études et plus de 41 000 participants a d’ailleurs montré que l’ajout d’une forme à action rapide en complément d’un patch permettait l’augmentation des taux d’abstinence tabagique en comparaison au traitement par patch seul (16 % versus 13 % ; RR = 1,25 ; IC 95 % : 1,15-1,36) [10, 11].

DIFFÉRENTES FORMES, MODE D’EMPLOI ET EFFETS INDÉSIRABLES

Les substituts nicotiniques sont disponibles sans prescription dans les pharmacies [7, 11-13]. La plupart des spécialités peuvent être remboursées à 65 % par l’Assurance maladie depuis le 1er janvier 2019, s’ils ont été prescrits par un professionnel de santé habilité (médecin, médecin du travail, chirurgien-dentiste, sage-femme, infirmier, masseur-kinésithérapeute). La liste des spécialités remboursées se trouve sur le site internet de l’assurance maladie [12].

Patchs nicotiniques transdermiques

Les patchs délivrent la nicotine par voie transdermique de façon continue, ce qui permet une nicotinémie relativement constante (figure 1). Il existe des patchs de nicotine délivrant 7, 14, ou 21 mg sur 24 heures et d’autres délivrant 10, 15, ou 25 mg sur 16 heures. Ils sont à appliquer sur une peau sèche, sans lésion cutanée, à faible pilosité. La pharmacocinétique, différente d’un patch à l’autre, peut expliquer une tolérance variable d’une marque à l’autre. L’observance du patch est généralement assez bonne au regard de sa facilité d’utilisation. Les précautions d’emploi sont notamment d’éviter les sources de chaleur (bain chaud, sauna, exposition prolongée au soleil) et, après usage, de les jeter en les pliant face adhésive contre face adhésive.

Une réaction cutanée locale est possible mais peut être limitée en changeant le site d’application chaque jour. En cas d’allergie de contact avérée, un changement de marque est possible, de même que l’application d’un dermocorticoïde.

Formes orales ou à absorption buccale

Ces formes à action rapide permettent une auto-titration du patient en fonction de la survenue des signes de sevrage nicotinique ou de craving (envie impérieuse de fumer).

Gommes à mâcher

Les gommes à mâcher existent aux doses de 2 et 4 mg (figure 2). Le rendement n’est que de 50 % et, donc, la dose qui passe dans le sang n’est que de 1 mg pour les gommes dosées à 2 mg et de 2 mg pour les gommes dosées à 4 mg [13]. La nicotine délivrée est absorbée par voie transmuqueuse. Les gommes doivent être mâchées lentement, de façon intermittente, et être placées contre la muqueuse buccale entre la gencive et la joue pour une durée totale de 20 à 30 minutes.

Les effets indésirables possibles sont une irritation des muqueuses buccales et de la gorge, des hoquets, des brûlures épigastriques, effets qui peuvent être majorés en cas de mastication trop vigoureuse.

Les porteurs de prothèses dentaires peuvent rencontrer des difficultés à mâcher les gommes ; une autre forme de substitut oral sera donc préférable pour ces patients.

Pastilles ou comprimés à sucer

Selon les marques, les dosages des pastilles ou comprimés à sucer vont de 1 à 4 mg (avec un rendement qui serait, pour la plupart des pastilles ou comprimés à sucer, de 50 %, comme pour les gommes à mâcher) [13] (figure 3). Les comprimés ou les pastilles sont à sucer lentement et à laisser fondre pendant 20 à 30 minutes. L’absorption de la nicotine se fait également par voie transmuqueuse. Les effets indésirables possibles sont similaires à ceux des gommes à mâcher.

Comprimés sublinguaux

Le dosage des comprimés sublinguaux est de 2 mg. Le comprimé est à laisser fondre sous la langue (figure 4). La voie d’absorption étant sublinguale, elle est plus rapide que celle des formes précédentes. Les principaux effets indésirables observés sont les brûlures pharyngées.

Inhaleur

Il s’agit d’un dispositif médical contenant une cartouche de 10 mg de nicotine (figure 5). L’utilisation de ce dispositif consiste à aspirer lentement sur la pièce buccale, aussi souvent que nécessaire, et à garder la bouffée en bouche. L’absorption se fait également essentiellement par voie transmuqueuse au niveau buccal. Une cartouche ne permet la délivrance effective maximale que de 4 mg de nicotine (dont 50 % sont absorbés, soit un rendement de 2 mg par cartouche), si bien que le nombre de cartouches sera à ajuster en fonction des besoins du fumeur, jusqu’à 12 cartouches par jour. Les principaux effets indésirables observés sont une irritation des muqueuses buccales et de la gorge.

Spray buccal

Il s’agit de la forme qui permet la délivrance la plus rapide de la nicotine (figure 6). Le spray est à pulvériser sur la muqueuse de la joue (surtout pas dans le fond de la gorge, ce qui est très mal toléré). Chaque pulvérisation apporte 1 mg de nicotine : 2 pulvérisations par prise peuvent être nécessaires et, au maximum, 64 pulvérisations par jour.

Les principaux effets indésirables sont également les brûlures ou irritations bucco-pharyngées. Il est à noter que cette forme contient de l’éthanol et sera donc à éviter pour les patients présentant un antécédent de trouble de l’usage d’alcool.

QUELLE DOSE PRESCRIRE ?

Bien que cela n’ait pas été scientifiquement démontré, il est courant, pour initier le dosage du patch transdermique, de considérer que chaque cigarette fumée apporte au minimum 1 mg de nicotine (tableau 2). Il est recommandé d’y associer une forme orale pour plus d’efficacité, différentes études ayant démontré l’augmentation des taux d’abstinence en associant les différentes formes de substituts [7, 14]. Il est à noter que, en cas de consommation de tabac à rouler, les besoins en nicotine peuvent être plus importants.

Le dosage sera ensuite à ajuster à la hausse ou à la baisse en fonction de la survenue de signes de sous-dosage ou de surdosage (tableau 3).

COMMENT ET QUAND RÉDUIRE PUIS ARRÊTER LES SUBSTITUTS NICOTINIQUES ?

Bien que cela n’ait pas été scientifiquement démontré, il est communément admis que la durée de traitement par substituts nicotiniques doit être au minimum de 8 à 12 semaines. Cependant, aucune différence significative n’a été retrouvée dans la méta-analyse de Lindson et al. entre les différentes durées de traitement [14].

La diminution progressive puis l’arrêt des substituts nicotiniques doivent être envisagés uniquement quand l’arrêt du tabac est bien consolidé.

POPULATIONS PARTICULIÈRES

Femmes enceintes ou allaitantes

Que ce soit dans les recommandations françaises (HAS, 7) ou américaines [8, 9], les thérapies cognitivo-comportementales (TCC) restent recommandées en première intention, l’USPTSF (United States Preventive Services Task Force = groupe indépendant d’experts en soins primaires et en prévention qui examine systématiquement les preuves de l’efficacité d’une pratique et élabore des recommandations pour les services de prévention clinique) rapportant une augmentation des taux d’abstinence de 10,8 à 14,5 % par rapport au groupe témoin (RR = 1,31 ; IC 95 % : 1,16-1,47) avec les TCC [9]. Le Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF) a d’ailleurs émis les mêmes recommandations en 2020 [16].

Bien que les TNS aient obtenu l’autorisation de mise sur le marché pour la femme enceinte en France, les preuves d’efficacité de ces traitements pharmacologiques sont jugées insuffisantes dans cette population par les trois organisations précédentes pour les recommander en première intention.

Cependant, dans une méta-analyse Cochrane de 2018, le traitement par substituts nicotiniques chez les femmes enceintes montrait bien une supériorité d’efficacité par rapport au placebo concernant les taux d’abstinence tabagique à la fin de la grossesse (RR = 1,32 ; IC 95 % : 1,04-1,69) [10].

Population avec comorbidités psychiatriques

Les taux de succès sont en général inférieurs à ceux de la population générale même si aucune différence d’efficacité n’a été retrouvée dans cette population. Les recommandations ne diffèrent pas de celles des autres fumeurs concernant la prescription des traitements de substitution nicotiniques [9].

Il n’y a pas de contre-indication au sevrage tabagique ni à la prescription de traitements par substituts nicotiniques. L’étude EAGLES a démontré l’efficacité et la sécurité d’emploi des traitements du sevrage tabagique chez une population avec un trouble psychiatrique stable depuis au moins 6 mois, sans modification de traitement depuis au moins 3 mois et sans risque élevé d’automutilation ni de suicide [17].

Population avec comorbidités cardio-vasculaire

L’arrêt du tabac a un impact important sur la diminution du risque cardio-vasculaire et est donc particulièrement important dans cette population [18].

La sécurité d’emploi des substituts nicotiniques sur le plan cardio-vasculaire a été démontrée par plusieurs études. Une méta-analyse publiée en 2014 a montré l’absence de différence significative sur la survenue d’événements indésirables cardio-vasculaires majeurs entre les patients ayant reçu un traitement par substituts nicotiniques par rapport à ceux ayant reçu un placebo (RR = 1,38 ; IC 95 % : 0,58-3,26) [19].

Une étude rétrospective américaine récente, incluant plus de 27 000 patients dans 282 hôpitaux différents, a confirmé la sécurité d’utilisation des substituts nicotiniques chez les patients hospitalisés pour un syndrome coronarien aigu. Elle a montré une absence de différence entre les patients ayant reçu des substituts nicotiniques par rapport au groupe contrôle sur la mortalité (2,3 % versus 2,1 % ; p = 0,98), la durée d’hospitalisation (4,3 ± 3,5 jours ; p = 0,60) et les réadmissions à 1 mois (14,6 % versus 15,8 % ; p = 0,31). Les résultats étaient similaires que les patients aient bénéficié d’une angioplastie coronaire ou d’un pontage coronarien [20].

PRISE EN CHARGE ASSOCIÉE

La dépendance au tabac étant une dépendance à la nicotine mais également une dépendance psycho-comportementale [6], les études ont bien montré que la combinaison d’un traitement pharmacologique et d’une thérapie cognitivo-comportementale (TCC) augmente l’efficacité par rapport au traitement pharmacologique seul (se référer à l’article de Martelli et al.).

Dans la méta-analyse de Stead et al. (2016) regroupant plus de 2 500 patients, la combinaison des TCC aux traitements pharmacologiques (majoritairement les substituts nicotiniques dans les études) permettait une augmentation significative des taux de réussite du sevrage tabagique par rapport aux interventions minimales (RR = 1,83 ; IC 95 % : 1,68-1,98), ce qui a été confirmé dans une autre méta-analyse en 2019 [21, 22].

RÉDUCTION OU ARRÊT TOTAL

La plupart des études n’ont pas retrouvé d’effets (toutes causes dont les causes cardio-vasculaires) de la réduction de la consommation du tabac sur la mortalité contrairement à l’arrêt complet [23-28].

Les résultats de ces études concernant la mortalité après réduction ou arrêt complet du tabac sont résumés dans le tableau 4 [24].

Seul l’arrêt complet du tabac peut donc être recommandé pour réduire la mortalité en lien avec le tabagisme, même si la réduction peut être une étape intermédiaire vers l’objectif final, l’arrêt complet du tabac. On peut noter tout de même, en ce qui concerne la méthode du sevrage tabagique, qu’aucune différence significative n’a été retrouvée, au niveau de l’efficacité (taux d’abstinence), entre un arrêt brutal et un arrêt avec réduction progressive antérieure (avec substituts nicotiniques) [23]. La réduction progressive de consommation peut donc être choisie par le patient mais l’objectif final doit rester l’arrêt complet pour obtenir une réduction de la mortalité.

CONCLUSION

Tout fumeur devrait être interrogé sur sa consommation de tabac et se voir proposer une aide efficace pour l’aider à sortir du tabagisme à chaque rencontre avec un professionnel de santé. Les substituts nicotiniques ont montré leur efficacité et leur sécurité d’emploi dans l’aide au sevrage tabagique. Ils sont simples d’utilisation et peuvent être prescrits par de nombreux professionnels de santé.

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Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêts.