Clinic n° 09 du 01/09/2023

 

Santé générale

Carolina CROS*   Sophie-Myriam DRIDI**   Catherine MARTELLI***  


*MD, Département de Psychiatrie et d’Addictologie, AP-HP, Hôpital Paul-Brousse, Villejuif.
**PU-PH, UFR Odontologie Université Nice Côte d’Azur. Département de Parodontologie, CHU Nice.
***MD, PhD, Département de Psychiatrie et d’Addictologie, AP-HP, Hôpital Paul-Brousse, Villejuif. UR Psychiatrie-Comorbidités-Addictions (PSYCOMadd), Université Paris-Saclay, Villejuif. INSERM U 1299 « Trajectoires développementales en psychiatrie », École Normale Supérieure Paris-Saclay, CNRS UMR 9010, Centre Borelli, Gif-sur-Yvette.

La consommation de cannabis est un sujet qui suscite de nombreuses controverses et débats dans le monde occidental. Le cannabis représente le produit illicite le plus consommé en France, surtout par les jeunes : 9,1 % des collégiens de classe de 3e déclarent en avoir consommé en 2021 [1].

À l’origine, il s’agit d’une plante, Cannabis sativa, aussi appelée « chanvre », utilisée à des fins médicales...


Résumé

Le cannabis est considéré comme un produit addictif et dangereux sur les plans mental et physique. Principalement fumé, son principe actif - le tétrahydrocannabinol (THC) - se fixe sur les récepteurs cérébraux et extra-cérébraux cannabinoïdes. Son potentiel addictif peut être renforcé s’il est associé au tabac. Découvert à l’adolescence pour sa convivialité, ses propriétés anxiolytiques ou hypnotiques, le cannabis touche de plus en plus les sujets jeunes. L’addiction au cannabis se manifeste par une perte de contrôle pouvant entraîner des problèmes sociaux et judiciaires. Ses conséquences sont à la fois d’ordre psychique (bad trip, sentiment de « paranoïa ») et physique (baisse de l’immunité, pathologies cardio-vasculaires, broncho-respiratoires, orales…). S’il n’existe pas de traitement de substitution du cannabis, les thérapies comportementales peuvent être utiles en incitant le patient à substituer d’autres activités à la prise du stupéfiant.

La prise en charge de ce trouble lié à la consommation d’une substance nécessite une approche addictologique en collaboration avec d’autres professionnels de la santé, y compris les odontologistes.

La consommation de cannabis est un sujet qui suscite de nombreuses controverses et débats dans le monde occidental. Le cannabis représente le produit illicite le plus consommé en France, surtout par les jeunes : 9,1 % des collégiens de classe de 3e déclarent en avoir consommé en 2021 [1].

À l’origine, il s’agit d’une plante, Cannabis sativa, aussi appelée « chanvre », utilisée à des fins médicales depuis environ 2500 avant J.-C. par les Assyriens, en Chine et aussi en Inde. Plusieurs variétés existent, comme indica et ruderalis. Le cannabis contient plus de 500 molécules chimiques actives, dont plus de 100 cannabinoïdes, dont 10 % ont des effets psychoactifs. Parmi ces composés psychoactifs, les deux principaux sont le tétrahydrocannabinol (THC) et le cannabidiol (CBD). C’est la proportion de THC/CBD fumée ou ingérée qui détermine les effets psychoactifs sur le consommateur. En effet, le CBD atténue la toxicité du THC et module sa psycho-activité. Ainsi, chaque variété de cannabis a un rapport différent de THC/CBD. Par exemple en 2018, les souches de cannabis circulantes contenaient respectivement 15,6 % de THC et 0,27 % de CBD [2], c’est-à-dire nettement plus de THC.

Chaque partie de la plante de cannabis a une concentration de THC différente : plus importante dans les fleurs (sommités florales des plants femelles), elle diminue dans les feuilles, les tiges et les branches et est la plus faible dans les racines et les graines. Toutes ces parties sont consommées. À l’état naturel, Cannabis sativa contient entre 0,5 % et 5 % de THC.

L’absorption des cannabinoïdes est facilitée par une inhalation chauffée.

• Ainsi, les fleurs, tiges et feuilles séchées, surnommées « herbe, weed, beuh… » peuvent être fumées seules ou mélangées avec du tabac dans une cigarette roulée (joint, pétard, bédo, buzz) ou dans une pipe. Elles peuvent aussi être consommées en infusion ou cuisinée dans les gâteaux (space-cake). La concentration de THC varie entre 15 et 25 %. L’herbe est difficile à transporter en raison de son volume, c’est pourquoi sa production est le plus souvent locale et locorégionale.

• Le cannabis peut aussi être consommé sous forme de résine ou haschich, surnommé aussi « shit ou chichon », qui provient des fleurs préparées sous forme de pâte.

• L’huile de cannabis est obtenue à partir des feuilles et des fleurs par extraction à l’aide d’un solvant. La concentration en THC varie alors entre 45 et 55 % [3].

ÉPIDÉMIOLOGIE

La France est le premier pays en Europe en termes de quantité de cannabis consommée par habitant, alors que la législation y est la plus répressive depuis près d’un demi-siècle [4] en rendant illégale toutes les activités liées au cannabis, hors contexte de recherches médicales*. Toute condamnation donne lieu à une inscription sur le casier judiciaire [5].

La réalité du terrain est que le cannabis est actuellement très présent dans nos sociétés, sa consommation n’étant pas limitée à certains groupes sociaux ou ethniques. Toutefois, les adolescents sont plus exposés et plus vulnérables face au cannabis.

En 2018, l’expérimentation et l’usage régulier de ce produit, sous ses différentes formes, concernaient un grand nombre d’entre eux. En classe de seconde, l’expérimentation concerne 25,1 % des élèves et l’usage régulier 8,2 %. En classe de terminale, l’augmentation est nette : 42,4 % versus 4,2 % [6, 7].

La découverte du cannabis par les adolescents se fait donc, en général, dans une tranche d’âges de 14 à 17 ans, entre la fin du collège et le lycée, sachant que 37 % des jeunes scolarisés âgés de 16 ans estiment que ce produit est « très facile » ou « facile » à se procurer [6]. Sa consommation est plus fréquente chez les garçons bien qu’elle soit en constante augmentation chez les filles [5].

Ainsi, le cannabis est très apprécié des jeunes qui le considèrent comme convivial, au même titre que l’alcool. Pour une grande majorité d’entre eux, il est associé à la fête, à une expérience sociale, à un partage lors d’une discussion ou à une soirée entre amis. Si on interroge les jeunes sur la raison qui les pousse à consommer, un tiers déclare que c’est pour « se défoncer » et un quart pour « calmer leur anxiété » [5]. Les filles indiquent également une utilisation à visée hypnotique.

En outre, l’usage précoce et quotidien du cannabis est un facteur de risque de maintenir cette addiction à l’âge adulte. Effectivement, parmi les adolescents consommateurs, 17 % développeront une dépendance à l’âge adulte, proportion qui passe à 25 à 50 % pour les consommateurs quotidiens [8].

C’est en partie ce qui explique le nombre élevé de consommateurs adultes selon les résultats de la dernière enquête du Baromètre santé de Santé publique France qui interroge les usages de substances psychoactives illicites des adultes en France (18-64 ans) en 2021 :

- 47,3 % en ont déjà consommé au cours de leur vie ;

- 10,6 % ont consommé du cannabis dans l’année ;

1,7 % ont un usage quotidien.

Depuis 1992, on assiste à un vieillissement, en moyenne, des usagers dans l’année qui sont de plus en plus souvent, actuellement, des trentenaires et des quadragénaires [6].

MODES D’ACTION

De façon physiologique, le corps humain a son propre système endocannabinoïde : les cannabinoïdes endogènes sont libérées, sous l’effet d’un neurotransmetteur, par des éléments post-synaptiques dans les neurones et se lient à des récepteurs cannabinoïdes de type 1 et 2 (CB1 et CB2) présents à la surface de nombreuses cellules de l’organisme. Les principaux d’entre eux sont l’anandamide (contenu dans le chocolat noir par exemple) et le 2-arachidonoylglycerol. Ce sont des neuromodulateurs qui assurent une homéostasie neurochimique et qui participent au maintien d’un équilibre psychique optimal et à la régulation de plusieurs fonctions, telles que le sommeil, l’appétit, la mémoire, la douleur, l’immunité, l’humeur et la motricité [3].

Les cannabinoïdes exogènes du cannabis, s’ils sont ingérés ou fumés, interfèrent avec ce système endocannabinoïde. Ils sont agonistes partiels pour les récepteurs CB1.

Les cannabinoïdes synthétiques sont synthétisés en laboratoire (par exemple, Spice, K2, Buddha Blue). Ils ne contiennent pas de CBD (donc il n’y a pas de possibilité d’atténuation du THC) et ont des effets très puissants puisqu’ils sont agonistes complets pour les récepteurs CB1. Le risque d’épisodes psychotiques est majeur.

Ces trois types de cannabinoïdes se fixent sur les récepteurs CB1 et CB2 [9] (figure 1).

Mais, en fonction du type de récepteur sur lequel ils se fixent, le THC et le CBD n’ont pas les mêmes effets sur l’organisme.

• Le THC va se fixer essentiellement sur les récepteurs CB1. Il induit des effets psychoactifs : euphorisants, modification de l’état de conscience du sujet, troubles de la concentration, de la perception, de la motricité, de l’émotivité, de l’anxiété, du sommeil et de la satiété [3]. Il peut également se fixer sur les récepteurs CB1 situés sur d’autres organes et provoquer des effets tels que la sensation de faim, une xérostomie et une asthénie. Il peut aussi se fixer sur les récepteurs CB2 avec une action immunomodulatrice. Puisque le THC est lipophile, il passe les barrières hémato-encéphalique et hémato-placentaire puis s’accumule dans les tissus adipeux. Il reste alors présent dans l’organisme pendant des jours, voire des semaines (entre 7 et 14 jours après la dernière prise chez les consommateurs occasionnels, entre 7 et 21 jours chez les consommateurs réguliers) et n’est éliminé que lentement (80 % dans les urines, 20 % dans les fèces). Chez les consommateurs excessifs, le THC active le système de récompense par deux voies : l’activation des récepteurs cannabinoïdes CB1 du noyau accumbens et de l’aire tegmentale ventrale qui entraîne la libération de la dopamine (amine du plaisir et du désir) et déclenche la libération de peptides opioïdes, ce qui renforce le processus addictif [3]. Consommé seul, le potentiel addictif du cannabis est modéré. En revanche, lorsqu’il est associé au tabac, le risque d’addiction sévère est élevé [5].

• Contrairement au THC, le CBD n’est pas classé dans la catégorie des stupéfiants et sa vente est légale en France. Au niveau cérébral, cette molécule n’agit pas ou que très peu sur les récepteurs cannabinoïdes CB1. Elle se fixe sur les récepteurs à la dopamine D2 et D3, à la sérotonine 5HT1A, GABA et sur les systèmes glutamatergiques. Sa consommation peut donc quand même provoquer des effets de sédation, de somnolence et anticonvulsivants. Le CBD étant un puissant inhibiteur de plusieurs cytochromes enzymatiques comme CYP2B6, CYP2C19 et CYP3A4, qui sont des voies métaboliques de nombreux médicaments, des interactions ont été mises en évidence entre le CBD et des médicaments de type anti-épileptiques, anticoagulants (warfarine), immunosuppresseurs (tacrolimus) ou la méthadone (traitement de substitution aux opiacés) [10]. Sans oublier qu’il atténue une partie des effets toxiques du THC et module ses effets psychoactifs. Par ailleurs, le CBD aurait de potentielles propriétés thérapeutiques : anti-inflammatoires, analgésiques, antinauséeux, antiémétiques, antipsychotiques, anti-ischémiques, anxiolytiques et antiépileptiques. Ce dernier point explique en partie pourquoi sa consommation, sous toutes ses formes (fleurs pour infusion, gouttes, huile), augmente ces dernières années. Par ailleurs, il a été prouvé un effet anti-arthritique chez la souris [3].

En France, la culture du chanvre est autorisée à des fins médicales. Il contient majoritairement du CBD et doit contenir moins de 0,3 % de THC (arrêté du 30 décembre 2021). Cette variété est appelée chanvre textile, chanvre industriel ou chanvre cultivé. Il existe d’autres préparations plus fortement dosées en THC (comme le chanvre indien), mais celles-ci sont interdites dans l’Hexagone.

EFFETS DE L’ADDICTION AU CANNABIS À COURT ET À LONG TERMES

Une personne développe une addiction au cannabis par l’action conjuguée d’une consommation de plus en plus régulière et d’une perte progressive de contrôle.

Le potentiel addictif propre du cannabis est considéré comme modéré en comparaison avec d’autres produits, mais il est réel [8]. En effet :

- d’une part, un phénomène de tolérance s’installe rapidement chez les consommateurs réguliers : ils s’habituent aux effets du cannabis et ont besoin de davantage de produit pour obtenir le même effet ;

- d’autre part, un phénomène de sevrage apparaît à l’arrêt de la consommation : les symptômes de manque durent entre 2 et 3 semaines associant des troubles du sommeil, une irritabilité, une anxiété et des réactions dépressives. Ces symptômes sont liés à une régulation négative des récepteurs CB1 et CB2 avec diminution des taux de dopamine dans le noyau accumbens (apathie) et, par ailleurs, une augmentation des taux de corticotropine (molécule du stress). Ils nécessitent parfois la prescription d’un traitement temporaire et symptomatique pour apaiser ces symptômes.

Pour mettre en évidence une consommation problématique de cannabis, une échelle de repérage des consommations problématiques de cannabis (Cannabis Abuse Screening Test ou CAST) a été développée par l’OFDT en 2002 (tableau 1) [11],

Le cannabis entraîne des conséquences à court et long termes sur la santé physique et mentale de la personne consommatrice, d’autant plus si la consommation est régulière.

Effets à court terme résultant d’une consommation ponctuelle de cannabis

Les intoxications aiguës ne sont pas associées à un risque d’overdose mais il existe des complications somatiques immédiates (bien que rares) et des conséquences neurologiques et psychiatriques largement méconnues.

Deux phases caractérisent les effets cérébraux du THC.

• La première phase (high) :

- est caractérisée par une sensation de bien-être, d’impression de calme, de relaxation, de satisfaction, de gaieté, d’euphorie, jusqu’à l’hilarité ;

- augmente la sociabilité, la confiance en soi ;

- altère la perception du temps, de l’espace et de l’image de soi ;

- accentue les perceptions sensorielles (couleurs, musique, émotions, etc.) et les pensées magiques (impression erronée de pouvoir réaliser plus facilement une tâche ou une responsabilité).

• La deuxième phase (coming down) correspond à un état de ralentissement physique et mental apparaissant graduellement, en général une heure après le début de la consommation. En parallèle, des troubles cognitifs apparaissent avec :

- une diminution de la mémoire à court et à moyen termes, de l’attention, de la concentration et des fonctions exécutives [12] ;

- un affaiblissement des réflexes, un ralentissement du temps de réaction, une baisse de la capacité à accomplir des tâches complexes, des troubles de la coordination des mouvements et une baisse de la capacité à conduire un véhicule à moteur [5] (en France, il est interdit de conduire ou d’effectuer des tâches dangereuses nécessitant une certaine précision après avoir fumé du cannabis).

Ces effets comportementaux et cognitifs peuvent durer de 5 à 12 heures et sont fonction de la dose, bien qu’ils puissent s’observer après la consommation d’une dose relativement faible (5 à 10 mg de THC).

Des effets périphériques sont également observés. Le cannabis provoque généralement une hyperhémie conjonctivale, une sécheresse de la bouche, une dilatation des bronches, une accélération du rythme cardiaque et une baisse de la pression artérielle orthostatique.

En outre, d’autres effets sont possibles. Le cannabis augmente l’appétit (par hypoglycémie) ainsi que la libido. Il peut aussi générer une anxiété, ressentie à au moins une occasion chez 50 à 60 % des consommateurs, des crises d’attaque ou de panique, une altération du jugement, une somnolence, une désorientation, une confusion, une dépersonnalisation, des hallucinations, de la paranoïa et, plus rarement, une psychose aiguë (souvent chez les personnes vulnérables, plus sensibles aux effets des cannabinoïdes ou ayant des antécédents psychiatriques) [2].

Tous ces troubles durent plusieurs jours en raison de l’élimination lente du THC par l’organisme, mais ils sont réversibles dans la plupart des cas [12].

Effets chroniques

La consommation régulière de fortes quantités de cannabis est particulièrement délétère pour le système nerveux central. Elle peut entraîner des perturbations de l’attention, de la mémoire, de la capacité à traiter des informations complexes et de l’apprentissage qui peuvent persister plusieurs semaines, voire plusieurs mois après l’arrêt du cannabis. Ces troubles cognitifs sont souvent réversibles mais certaines altérations du comportement peuvent se prolonger au-delà de la période de consommation.

Il est important de noter que l’âge de début de la consommation est un facteur pronostique majeur : les consommations précoces de cannabis, avant 17 ans, sont plus nocives pour le développement du cerveau qu’après 17 ans [13].

Une étude prospective de cohorte en Nouvelle Zélande a permis de suivre 1 037 individus depuis leur naissance en 1972-1973 jusqu’à l’âge de 38 ans. Une diminution du QI variant de 5 à 8 points a été retrouvée entre 2 mesures pratiquées à l’âge de 13 ans et de 38 ans, via des tests neuropsychologiques, chez les individus qui ont commencé leur expérimentation au cannabis pendant leur adolescence et qui sont devenus ensuite des fumeurs réguliers (au moins 4 fois par semaine sur une longue période). L’arrêt ou la réduction de la consommation de la drogue à l’âge adulte n’a pas pu restaurer complètement les capacités intellectuelles des sujets. En revanche, une initiation plus tardive, à l’âge adulte, ne s’était pas accompagnée d’une baisse des performances aux tests de QI [12].

L’étude longitudinale de Albaugh et al., en 2021 [14], a étudié en IRM anatomique le développement du cerveau de 799 jeunes âgés de 14 à 19 ans (cohorte multicentrique européenne IMAGEN) en fonction de leur consommation de cannabis, sachant qu’à l’âge de 14 ans aucun sujet ne consommait de cannabis. Les résultats de cette étude ont montré que la consommation de cannabis était associée à une diminution de l’épaisseur du cortex préfrontal, en particulier dans les régions riches en récepteurs CB1 (figure 2). Ce phénomène serait associé à une altération du développement du cerveau et la relation serait dose-dépendante.

Selon Conrod et Nord [15], une diminution de l’épaisseur du cortex du cerveau est normale à l’adolescence. Quand le cerveau commence à se développer, l’apparition de ramifications dendritiques permet une croissance interne. Cependant, avec l’âge et l’expérience, il se produit un élagage des dendrites. Le cerveau se spécialise, il acquiert des habiletés, devient mieux organisé et s’adapte à l’environnement. Parallèlement, une migration de paquets de neurones vers des emplacements prévus se produit aussi, nommée guidage axonal. Le système cannabinoïde endogène jouerait un rôle dans ce phénomène.

Toutefois, les cannabinoïdes exogènes pourraient l’affecter : chez le fœtus, les enfants et les adolescents, le cannabis accentuerait le mécanisme d’élagage. La surstimulation des récepteurs CB par des taux supra-physiologiques de THC exogène altèrerait alors le processus naturel de maturation et de développement du cerveau et donc la façon dont les connexions se produisent. Ainsi, plus la consommation de cannabis est importante, plus le risque de psychose est grand. C’est préoccupant, même si les dommages potentiels sur le plan de la santé publique sont souvent minimisés [15].

Les effets à long termes d’un usage prolongé de cannabis dépendent de plusieurs facteurs : âge du début de la consommation, fréquence, quantité, nombre d’années de consommation et durée du sevrage.

COMPLICATIONS SOMATIQUES ET PSYCHIQUES DE L’ADDICTION AU CANNABIS

La consommation de cannabis affecte presque tous les systèmes de l’organisme [3]. Ses effets dépendent de la dose et de la voie d’administration de THC ainsi que de la santé générale de l’utilisateur.

Complications cardiaques

Les effets aigus du THC sur le système cardiovasculaire comprennent une tachycardie, liée à la dose pouvant atteindre 50 %, avec une vasodilatation généralisée. Une fréquence cardiaque élevée augmente la charge de travail cardiaque et la demande en oxygène du myocarde. Cela peut entraîner une ischémie cardiaque. La concentration de carboxyhémoglobine provenant du monoxyde de carbone absorbé est plus élevée en cas d’inhalation profonde et de longue durée lors de l’inspiration du fumeur, ce qui diminue également le taux d’oxygène dans le cœur. De plus, les propriétés analgésiques du THC peuvent retarder le traitement de la douleur thoracique liée à l’angor stable ou instable [16, 17].

Complications bronchopulmonaires

Le cannabis fumé fournit 50 % de plus de goudron que les cigarettes classiques (dont certains agents cancérigènes, notamment le benzopyrène et le benzanthracène). Par rapports aux sujets contrôles, les fumeurs chroniques de cannabis présentent des symptômes accrus de bronchite, y compris la toux, la respiration sifflante, la production de crachats, et d’emphysème [18].

Complications du système immunitaire

Les cannabinoïdes modulent la fonction des cellules immunitaires. Le THC a un effet immunosuppresseur sur les macrophages, les cellules tueuses naturelles, les lymphocytes T et B. Cela entraîne une diminution de la résistance de l’hôte aux infections bactériennes et virales [18].

Complications psychiatriques

Ces dernières sont liées à l’utilisation ponctuelle ou régulière du cannabis et sont nombreuses.

• Le bad trip : il s’agit d’une crise de panique déclenchée par une altération des sensations corporelles et auto-entretenue par l’anxiété et l’inquiétude liées à la recherche du produit. Ces symptômes peuvent être accompagnés d’une sensation d’étouffement ou de mort imminente. Cette complication est souvent sans gravité et peut intervenir même dans le cadre d’une consommation unique [5].

• Le sentiment de paranoïa ou trouble psychotique induit par une substance : la personne consommatrice ressent un environnement hostile avec un sentiment de danger qu’elle a du mal à mettre à distance et une anxiété [3]. Elle pourra ressentir des idées délirantes de mécanisme hallucinatoire, de thème persécutif le plus souvent. Par exemple, elle se sent « surveillée, suivie » dans la rue ou à son domicile.

• Le syndrome amotivationnel : il s’agit d’une complication connue et relativement fréquente chez l’adolescent ou l’adulte jeune, fumeur régulier de cannabis. Ce syndrome est caractérisé par un désintérêt global, une perte d’ambition, une apathie, un manque d’implication, une baisse des capacités d’initiatives, une passivité, un appauvrissement intellectuel, un retrait social, des difficultés de rendement dans les études et le travail. Ces symptômes sont le plus souvent dus à une imprégnation quasi continue par le cannabis, étant donné que le THC persiste longtemps dans le corps [5].

Cannabis et pathologies orales

Ces dernières années, la pratique des odontologistes, omnipraticiens ou spécialistes, est compliquée par un nombre croissant de patients souffrant du trouble lié à la consommation d’une substance.

Concernant le cannabis, les dernières publications scientifiques permettent de considérer la consommation régulière de cannabis comme un facteur de risque des maladies parodontales [19]. En effet, l’usage chronique de cette drogue se manifeste par des pertes d’attache et des poches profondes et par des récessions sévères et des accroissement gingivaux. Cinq études épidémiologiques menées sur des participants adultes en population générale ont indiqué un lien significatif entre la consommation et la fréquence de cannabis récréatif et la parodontite [20]. Le risque de maladies nécrotiques est également important [21] (figure 3). De même, cet usage augmente le risque de carie, de xérostomie, de leucœdème, d’infection à Candida albicans et de bruxisme [22] (figure 4).

Étant donné que la plupart des jeunes consommateurs associent le cannabis au tabac, il est souvent difficile d’identifier les effets propres du cannabis. Toutefois, plusieurs raisons peuvent être avancées pour expliquer ces dernières données.

L’inhalation plus profonde de la fumée du cannabis et le temps de contact plus prolongé de celle-ci avec les structures orales en est une [23].

Cet impact négatif est probablement lié aux produits de combustion. La fumée du cannabis serait associée à des modifications dysplasiques de l’épithélium des muqueuses buccales et aux lésions orales pré-malignes qui en découlent, notamment la leucoplasie et l’érythroplasie.

Par ailleurs, à l’instar du tabac, le cannabis contient de nombreuses substances néfastes pour les tissus oraux. Les cannabinoïdes, qui sont les principaux composants actifs du cannabis, peuvent supprimer d’importantes réactions biologiques liées à l’inflammation.

En outre, la consommation de cannabis est associée à des comportements à risque vis-à-vis de la cavité buccale : brossage dentaire moins fréquent et moins efficace par rapport à des patients contrôles fumant uniquement du tabac, consommation fréquente de boissons sucrées et de collations, consultation moins fréquente chez un odontologiste.

PRISE EN CHARGE DE L’ADDICTION AU CANNABIS

La prise en charge clinique des patients consommant des drogues illicites doit se faire selon une approche globale, en collaboration avec un professionnel de la santé spécialisé en addictologie.

Cette approche implique le repérage et la détection de la consommation de ces substances mais également l’entretien et le conseil en vue d’un sevrage et d’une abstinence [24].

Dans ce processus de prévention, l’implication de l’odontologiste est aussi essentielle que celle du médecin généraliste car la prise en charge buccodentaire des sujets qui consomment des substances illicites devient de plus en plus courante en pratique clinique quotidienne.

La décision d’arrêter l’usage du cannabis peut être prise du jour au lendemain par un consommateur, sans aide médicale, à la suite d’un entretien médical, d’un accident, d’une sanction judiciaire, d’une exclusion scolaire, des tensions intrafamiliales ou en raison d’une pression parentale. Le sevrage du cannabis permet une amélioration franche des symptômes mentionnés auparavant, dont beaucoup sont réversibles, en particulier ceux qui affectent le plan psychique. Toutefois, il est important de notifier que cela peut prendre plusieurs semaines.

Mais parfois, à la suite de tentatives infructueuses d’arrêter seule, la personne dépendante au cannabis est contrainte de s’orienter vers un professionnel de santé spécialisé en psychiatrie et addictologie. Le sevrage peut alors se faire dans le cadre d’un accompagnement ambulatoire avec un traitement ponctuel symptomatique pour atténuer les symptômes de sevrage pendant 2 à 3 semaines. Une psychothérapie de type thérapie comportementale et cognitive peut aussi être nécessaire afin d’augmenter les chances d’une abstinence de longue durée [13].

Dans un nombre plus restreint de cas où ces mesures s’avèrent inefficaces, une hospitalisation à temps complet pour sevrage dans un service spécialisé peut être indiquée. L’approche pluridisciplinaire et le diagnostic différentiel avec les comorbidités psychiatriques et les troubles de personnalité permettent, en effet, la mise en place d’un accompagnement adapté et personnalisé. À l’heure actuelle, il n’y a pas de traitement de substitution pour le sevrage du cannabis, le traitement restant symptomatique et individuel. Il vise à atténuer les troubles du sommeil, de l’humeur, et d’autres manifestations du sevrage cannabique. L’objectif est de stimuler le patient à reprendre des activités autres que la consommation, qu’il pourrait avoir abandonnées depuis longtemps. Sortir de l’isolement, reprendre contact avec des proches et des amis peut aussi aider à éviter la rechute. Il faut parfois plusieurs mois, ou même quelques années de recul pour savoir si la personne addict a tourné la page de la consommation du cannabis. Effectivement, les événements de vie peuvent fragiliser la personne, favoriser le craving, cette envie irrépressible de consommer la substance addictive, et conduire à une éventuelle rechute. Le patient est donc encouragé à garder une certaine vigilance et un contact avec son équipe soignante [13].

Dans le cas où la consommation de cannabis est combinée avec celle de tabac, une prescription d’un traitement de substitut nicotinique aide le patient à franchir le cap de l’abstinence (cf. article de Verdier et al.).

Pour les adolescents et jeunes adultes qui n’acceptent pas l’hospitalisation, des structures de soin de type « hôpital de jour » sont proposées. Ces prises en charge durent en moyenne entre 3 et 6 mois. C’est le cas à l’hôpital Paul-Brousse (94800 Villejuif).

CONCLUSION

Sur la base de données scientifiques limitées, il semble justifié de conclure qu’avec l’augmentation de la prévalence de la consommation de cannabis, les odontologistes doivent être conscients des effets secondaires oraux associés au cannabis, indépendamment de la consommation de tabac, tels que la xérostomie, le leucœdème et une susceptibilité accrue aux infections (maladies parodontales, caries, candidose). Ces professionnels de santé doivent identifier les sujets consommateurs de cannabis dès l’entretien médical afin, d’une part, de les informer des effets néfastes de cette substance, sur la santé en général et en particulier sur les tissus oraux et, d’autre part, de les inciter au sevrage en les orientant si nécessaire vers un tabacologue ou un addictologue.

* En mars 2021 et pour une durée de 2 ans, la France a lancé un essai clinique relatif à l’usage médical de cannabis pour 5 indications thérapeutiques [6] :

- douleurs neuropathiques réfractaires aux thérapies accessibles (médicamenteuses ou non) ;

- certaines formes d’épilepsie sévères et pharmaco-résistantes ;

- certains symptômes rebelles en oncologie liés au cancer ou à ses traitements ;

- certaines situations palliatives ;

- spasticité douloureuse de la sclérose en plaques ou des autres pathologies du système nerveux central.

BIBLIOGRAPHIE

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Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêts.