LES MÉTHODES DE SEVRAGE TABAGIQUE SANS DÉLIVRANCE DE NICOTINE SONT-ELLES EFFICACES ?
Santé générale
Catherine MARTELLI* Alexandra LUTEYN**
*MD, PhD, Département de Psychiatrie et d’Addictologie, AP-HP, Hôpital Paul-Brousse, Villejuif. UR Psychiatrie-Comorbidités-Addictions (PSYCOMadd), Université Paris-Saclay, Villejuif. INSERM U 1299 « Trajectoires développementales en psychiatrie », École Normale Supérieure Paris-Saclay, CNRS UMR 9010, Centre Borelli, Gif-sur-Yvette.
**MD, Département de Psychiatrie et d’Addictologie, AP-HP, Hôpital Paul-Brousse, Villejuif.
La dépendance tabagique est une maladie chronique incurable, souvent acquise avant l’âge de 20 ans, et le sevrage est considéré comme une rémission complète, bénéfique quel que soit l’âge de la personne et dont l’intérêt réside principalement dans la réduction des risques de morbidités multiples associées au tabagisme (maladies cardiovasculaires, respiratoires, cancers…) [1].
Compte tenu de ces risques, tout...
Dans le sevrage tabagique, les traitements médicamenteux alternatifs aux traitements de substitution nicotinique ont une certaine efficacité, bien que limitée, dans le sevrage au tabac et le maintien de l’abstinence à 6 mois. Les seules thérapies brèves validées par la HAS sont les thérapies cognitivo-comportementales. Elles permettent un apprentissage de stratégies pour faire face à l’envie de fumer : « une vie sans tabac, libre de ne plus fumer ». Alors que la thérapie brève par hypnose nécessite encore des évaluations scientifiques pour faire ses preuves, elle bénéficie déjà d’un certain recul et donne des résultats intéressants à l’échelle individuelle. L’hypnose peut être bénéfique sur les aspects physiques et émotionnels lors du sevrage. Ainsi, l’association optimisée d’un traitement pharmacologique et non pharmacologique est de plus en plus indiquée pour une prise en charge globale du patient dans le sevrage tabagique.
La dépendance tabagique est une maladie chronique incurable, souvent acquise avant l’âge de 20 ans, et le sevrage est considéré comme une rémission complète, bénéfique quel que soit l’âge de la personne et dont l’intérêt réside principalement dans la réduction des risques de morbidités multiples associées au tabagisme (maladies cardiovasculaires, respiratoires, cancers…) [1].
Compte tenu de ces risques, tout professionnel de santé se doit d’inciter au sevrage un fumeur identifié. Ce simple conseil professionnel d’arrêt augmente considérablement ses chances de réussite. Le généraliste est l’acteur clé de cette démarche mais l’odontologiste peut également y participer de manière active en orientant le patient et en répondant à ses craintes et à ses questions.
L’orientation vers une consultation par un spécialiste du sevrage tabagique (tabacologue, addictologue) peut aussi être envisagée après discussion avec le patient et selon ses caractéristiques propres (co-consommation tabac-alcool, tabac-cannabis, désir du patient…) [2]. Dans ce cas, l’identification au préalable d’un réseau spécifique, reposant sur des ressources internes à l’établissement lorsqu’elles existent (Équipes hospitalières de Liaison et de Soins en Addictologie ou ELSA) et sur des ressources externes présentes sur le territoire de vie du patient, est nécessaire. Pour information, une liste des consultations de tabacologie par département est disponible sur le site tabac-info-service. En cas d’impossibilité, il est recommandé d’orienter le patient vers un accompagnement téléphonique par la ligne téléphonique tabac-info-service (d’autant plus efficace que les rendez-vous sont nombreux et fréquents) [2].
Quel que soit le type de consultation, les experts de la HAS recommandent que la prise en charge du sujet fumeur s’effectue dans le cadre d’une consultation spécifique dont les objectifs seront, d’une part, d’évaluer sa motivation et son degré de dépendance et, d’autre part, de cerner les moyens thérapeutiques pouvant répondre le plus efficacement possible à ses besoins [3].
Dès lors, en plus des traitements médicamenteux, le praticien peut préconiser d’autres supports thérapeutiques qui permettent d’accompagner et de soutenir psychologiquement le sujet en demande d’aide au sevrage.
L’objectif de cet article est de faire le point sur ces principaux axes.
En 2018, une revue Cochrane de 133 études, contrôlées et randomisées, a comparé les traitements de substitution nicotinique (TNS) à un placebo ou à un groupe témoin non-TNS chez 64 640 personnes fumant au moins 15 cigarettes/jour et qui souhaitaient arrêter de fumer (registre des essais du groupe Cochrane). Les résultats ont montré que les personnes fumeuses augmentaient leurs chances de réussir un sevrage à plus de 6 mois d’environ 50 à 60 %, avec toutes les formes homologuées de TNS (gomme, timbre transdermique, vaporisateur nasal, inhalateur et comprimés/pastilles sublinguaux) comparées aux personnes des autres groupes. De plus, l’efficacité relative des TNS semblait être indépendante de l’intensité du soutien supplémentaire fourni à l’individu [4]. Le rapport efficacité/tolérance était également plus élevé pour les substituts nicotiniques comparés à la varénicline ou au bupropion.
Il est donc recommandé d’initier le sevrage tabagique avec les substituts nicotiniques [5, 6] qui soulagent les symptômes de sevrage, réduisent l’envie de fumer et préviennent les rechutes (cf. l’article de Dupont et al.). En cas d’échec, de refus d’utiliser des substituts nicotiniques ou d’intolérance (allergie), les autres traitements médicamenteux peuvent être indiqués en deuxième intention : en première ligne la varénicline qui présente un bon rapport bénéfice/risque puis en deuxième ligne le bupropion [7].
La varénicline (Champix) est commercialisée depuis 2007 en France. Il s’agit d’un agoniste partiel du récepteur nicotinique de l’acétylcholine α4β2 et d’un agoniste complet du récepteur nicotinique de l’acétylcholine α7 du système nerveux central. Comme agoniste, cette molécule diminue le manque en saturant le récepteur nicotinique. Comme antagoniste, elle diminue le plaisir de fumer. Ainsi, la varénicline réduit les symptômes de sevrage et le craving (envie compulsive) induits par l’abstinence tabagique [8] (figure 1).
Les effets secondaires les plus courants sont les nausées, les troubles du sommeil, les cauchemars et les céphalées (chez plus de 1 patient sur 10). Ils diminuent avec le temps [9] et sont dose-dépendants, d’où l’intérêt d’une administration à dose progressive.
Des effets secondaires de type neuropsychiatrique sont également possibles, tels que des troubles du comportement, de l’humeur, une agitation, un état anxieux ou des idées suicidaires.
Par conséquent, la prudence est recommandée chez les patients présentant des antécédents de maladie psychiatrique sévère (schizophrénie, troubles bipolaires, dépression caractérisée sévère). Néanmoins, une étude a montré que des patients en sevrage sous varénicline, ayant vécu un épisode dépressif récent ou traités par antidépresseur, ne présentaient pas plus d’exacerbation dépressive ni d’idée suicidaire que les contrôles sans troubles psychiatriques [10].
Après avoir défini une date d’arrêt du tabac avec le patient, la varénicline est introduite 7 à 14 jours avant la date d’arrêt fixée, sur une durée d’environ 12 semaines, à dose progressive afin de limiter les effets secondaires.
Le bupropion (Zyban) est un inhibiteur sélectif de la recapture de la noradrénaline et de la dopamine (figure 2). Son action est minime sur la recapture de la sérotonine. Cette molécule agit aussi comme antagoniste des récepteurs nicotiniques de l’acétylcholine.
L’effet secondaire le plus fréquemment observé est l’insomnie dans 30 à 40 % des cas. En outre, des patients ont parfois rapporté les effets suivants : bouche sèche (10 %), agitation, anxiété, irritabilité, dépression, tremblements, maux de tête, vertiges, tachycardie, douleurs thoraciques, douleurs abdominales, nausées, constipation, éruption cutanée transitoire, urticaire et très rarement des crises convulsives (risque de 1 sur 1 000). Il est déconseillé d’utiliser ce médicament en cas d’hypersensibilité au produit, de trouble grave du comportement alimentaire ou de sevrage d’alcool [11].
Après avoir défini une date d’arrêt du tabac, le bupropion est commencé entre 7 et 14 jours avant cette date pendant 7 à 9 semaines.
L’association du bupropion avec des substituts nicotiniques est possible mais une plus grande efficacité de cette association versus bupropion seul n’est pas encore démontrée scientifiquement.
En 2008, une première méta-analyse a pu montrer les avantages de la varénicline [9]. Dans cette étude, 14 essais contrôlés et randomisés, totalisant 6 166 patients, portaient sur les agonistes partiels aux récepteurs nicotiniques. Finalement, la varénicline avait multiplié par 2,27 les chances de succès du sevrage tabagique à 6 mois par rapport aux tentatives de sevrage sans assistance pharmacologique, tout en réduisant l’incidence des événements indésirables. En outre, plus de participants avaient réussi à arrêter le tabac avec la varénicline qu’avec le bupropion. Deux essais en ouvert comparant la varénicline à la TNS ont suggéré un bénéfice modeste de la varénicline, mais les intervalles de confiance n’ont pas exclu l’équivalence. Ces résultats ont permis aux auteurs de suggérer que la varénicline pouvait avoir un rôle à jouer dans la prévention des rechutes.
En effet, à 6 mois, le maintien de l’abstinence au tabac était de 29,7 % pour le groupe varénicline, de 13,2 % pour le groupe placebo et de 20,2 % pour le groupe bupropion. À 12 mois, ces taux étaient respectivement de 23 %, de 10,3 % et de 14,6 % [12]. L’efficacité à court et à long termes de la varénicline avait dépassé celle du placebo et du bupropion.
En 2022, 3 études contrôlées et randomisées ont confirmé ces résultats en montrant que la varénicline était plus efficace pour arrêter de fumer que le placebo ou le bupropion [13-15].
Pour conclure, l’efficacité des traitements médicamenteux est réelle mais elle reste limitée. C’est pourquoi l’association de ces derniers avec un traitement non médicamenteux est régulièrement préconisée pour augmenter les chances de succès.
Les thérapies cognitivo-comportementales (TCC) dans le sevrage tabagique correspondent à une prise en charge psychothérapeutique, avec un apprentissage « à vivre sans tabac » et à retrouver sa « liberté de ne plus fumer » [16, 17].
Ces thérapies permettent d’apprendre aux patients des stratégies pour faire face à leur envie de fumer (stratégies d’évitement, de remplacement, etc.). Elles permettent aussi de penser le sevrage du tabac à long terme, dans la perspective d’une meilleure qualité de vie.
L’accent est mis sur la connaissance et la maîtrise de ces stratégies, dans le but d’augmenter la confiance que le sujet possède dans ses capacités à atteindre l’abstinence [18].
Utilisées seules, les TCC aident 20 % des patients à arrêter de fumer pendant 1 an [19]. Dans ce contexte, elles sont plus efficaces que le placebo et que l’arrêt spontané sans aide qui a une efficacité de 4 à 8 %. Néanmoins, l’effet bénéfique des TCC semble comparable à celui du patch de nicotine, de la varénicline ou du bupropion [7].
En revanche, lorsqu’elles sont associées à un substitut nicotinique, à la varénicline ou au bupropion, leur efficacité est doublée : à 1 an, 40 % des patients maintiennent le sevrage tabagique dans ces conditions [5, 20, 21].
Avant d’initier les TCC, la motivation du fumeur est évaluée grâce à une « balance décisionnelle » à l’aide de deux colonnes : les avantages et les inconvénients (figure 3).
En effet, le sevrage tabagique est une question de motivation et non de volonté.
Les conditions pour la motivation au changement sont : que ce soit important pour le patient, qu’il ait confiance dans sa capacité d’arrêter de fumer en faisant appel à son auto-efficacité et à sa foi en sa propre capacité, que ce soit le bon moment pour lui et qu’il puisse utiliser des stratégies concrètes permettant de maintenir et de consolider l’arrêt du tabac [22].
Afin de renforcer sa confiance dans sa capacité de réussite, 4 approches thérapeutiques sont mises en avant.
• Traiter l’ambivalence. En effet le fumeur connaît bien les inconvénients et les risques du tabac mais il perçoit aussi des avantages à cette habitude comme la concentration, la psycho-stimulation, le plaisir du geste, la relaxation, le soutien et le besoin absolu de l’habitude acquise. Il faut donc l’aider à mesurer le poids réel des « bénéfices » et des inconvénients.
• Renforcer le sentiment de liberté de choix, notamment en le laissant utiliser des stratégies d’évitement (gommes à mâcher, inhalateur…).
• Rassurer sur la capacité de réussite en augmentant le sentiment « d’efficacité personnelle ».
• Lever tous les obstacles, par exemple la peur de la prise de poids ou du syndrome de sevrage.
Les TCC combinent ainsi des méthodes comportementales et cognitives, en influençant les idées, les pensées (cognitions), le comportement, l’expérience et donc les sentiments de la personne par rapport au tabac (figure 4). Elles consistent en une psychothérapie brève qui se déroule sur une vingtaine de séances, d’une durée d’environ 45 minutes chacune, pendant 3 à 6 mois à raison de 1 à 2 séances par semaine. La thérapie doit être structurée. Le thérapeute et le patient se mettent d’accord sur un contrat en début de séance qui met en évidence les thèmes abordés. La participation active du patient est sollicitée car celle-ci représente le socle de la thérapie. La relation thérapeutique doit être empathique. Le thérapeute soutient et renforce le sentiment d’efficacité personnelle ; il utilise des questions ouvertes et valorise l’écoute active et réflective.
Le thérapeute formé aux TCC effectue une analyse fonctionnelle qui permet de définir et de comprendre le fonctionnement d’une personne ici et maintenant (analyse synchronique) et dans le passé (analyse diachronique).
Pendant la séance, la technique d’entretien motivationnel permettant l’alliance thérapeutique est celle des 4R [23] : reformulation, résumés réguliers, recontextualisation et renforcement positif. Après avoir donné l’information, le changement est obtenu en faisant percevoir au patient les risques tout en faisant apparaître les doutes et en faisant émerger les contradictions entre le comportement actuel du patient et ses valeurs.
À la fin de séance, le thérapeute demande au patient la restitution de celle-ci (la HAS propose quelques exemples de conseil d’arrêt du tabagisme en encadré 1 [7].
Puis, le thérapeute prescrit les tâches comportementales et cognitives selon un agenda « d’auto-évaluation », pour la prochaine séance.
Le traitement comportemental vise à modifier les comportements problématiques par l’apprentissage de nouveaux comportements [24, 25]. Il repose sur la relaxation, l’exposition in vivo ou en imagination, voire en réalité virtuelle. Le traitement cognitif agit sur les pensées, les émotions et les comportements avec la modification des pensées automatiques.
Le patient doit identifier :
- une situation qui le pousse à fumer : « ce que je fais » (conflit familial) ;
- des émotions associées : « ce que je ressens » (anxiété) ;
- des pensées automatiques : « ce que je me dis (ça va me détendre de fumer, fumer aide à supporter la frustration, je vais me faire plaisir) » ;
- des pensées alternatives et la nouvelle émotion engendrée (« la cigarette calme à court terme, c’est seulement une impression, après ça va me manquer ; je peux arriver à m’en passer, beaucoup y sont arrivés ; le soi-disant goût agréable du tabac est généré par le manque, en réalité, ça pue ») ;
- un comportement avec la pensée modifiée et la nouvelle sensation (utiliser le casque de réalité virtuelle, prendre une gomme à la nicotine avec un patch, manger une pomme, prendre l’air…).
Les résultats sont ensuite analysés, tâche par tâche, à chaque séance, avant, pendant et après la thérapie par des échelles d’auto et hétéro-évaluation [26], le test de Horn [27] et le test de Fagerstrom [28].
NB : L’Association française de thérapie comportementale et cognitive (AFTCC) est l’organisme national qui répertorie tous les thérapeutes formés aux TCC en France.
Au moins un quart des fumeurs qui ont l’intention d’arrêter de fumer s’intéressent à l’hypnothérapie [29].
L’arrêt du tabac par hypnose repose sur le mécanisme de la suggestion et le concept de l’empreinte. Il existe en chaque fumeur une part qui désire et a toujours désiré se délivrer un jour du tabac. Le thérapeute amplifie cette part, si infime soit-elle, en donnant l’avantage à des pensées et à un discours différent qui redonnent à la personne une sensation de liberté. Ainsi, l’apprentissage de l’autohypnose permet d’autonomiser le patient dans sa modification des perceptions.
Dans le cas du sevrage tabagique, il s’agira pour l’individu de dépasser la sensation de plaisir procuré par la cigarette et de passer de : « Fumer me donne du plaisir et me fait du bien » à « Cela me blesse et a des conséquences néfastes sur mon corps ; je n’aime pas cette dépendance » ou bien « Je ne peux plus supporter cette odeur ». L’hypnose permet alors d’associer cette odeur à du dégout et de susciter une impression de bien-être lorsque le patient ne fume pas.
Pour ce faire, le thérapeute puise parfois dans des réflexes désagréables ressentis dans le passé, comme « l’enfant qui tousse et a les yeux qui piquent en présence de la cigarette ». Il s’agira de réveiller ces réflexes anesthésiés.
C’est donc le ressenti qui est à l’œuvre plus que la volonté.
Pour que la personne s’éloigne de la cigarette, le praticien pourra également lui rappeler une rupture amicale ou amoureuse : « Cette personne, je l’idéalisais mais nous n’étions pas faits pour nous entendre et j’ai réussi à la quitter ». Le patient pourra alors faire la même chose avec la cigarette [16].
Par conséquent, l’hypnose est un processus actif et dynamique. Sous hypnose, le cerveau fonctionne comme si on vivait l’histoire et l’expérience. Le patient est séparé de la réalité environnante pour s’immerger dans un changement suggéré par l’imagination. C’est une expérience sensorielle et émotionnelle : le patient est physiquement là, son esprit est ailleurs [30].
À ce jour, il n’existe pas suffisamment de preuves pour déterminer si l’hypnothérapie est plus efficace pour le sevrage tabagique que les autres formes de soutien comportemental ou d’arrêt sans aide [31]. Bien que cette méthode thérapeutique présente un bénéfice, les preuves actuelles suggèrent qu’il est faible et appellent à davantage d’études en la matière.
Or, la conception des études disponibles est hétérogène : peu d’essais contrôlés et randomisés, suivi variable, manière de pratiquer l’hypnose différente…
Par exemple, l’étude d’Elkins et Rajab [32] (2004), évaluant un traitement individuel par hypnose en 3 séances sur 21 fumeurs, a trouvé que 81 % de ces patients avaient déclaré avoir arrêté de fumer à l’issue du traitement et que 48 % avaient déclaré être abstinents à 12 mois. Mais cette étude n’était pas contrôlée et son niveau de preuve était faible.
Pour l’heure, seules deux méta-analyses sur l’hypnothérapie à des fins de sevrage tabagique ont montré une efficacité relative de l’hypnothérapie [33, 34]. De son côté, Riegel [35] n’a pas montré de différences statistiquement significatives entre un traitement par hypnothérapie de groupe ou individuelle, pour 85 fumeurs. Les taux d’abstinence étaient faibles, respectivement de 19,6 % contre 13,8 % [35].
En revanche, lorsque l’hypnose est associée au TNS, les résultats en termes de sevrage tabagique sont nettement meilleurs [36]. Une récente étude pilote comparative randomisée avec des groupes contrôlés renforce cette donnée clinique. Menée sur 30 patients, elle a pu montrer que l’hypnose influence la réduction du nombre de cigarettes fumées et que les TNS agissent sur les marqueurs de la dépendance physique et psychique [37].
In fine, l’hypnose seule ne peut pas être recommandée en première intention pour le sevrage tabagique mais cette approche thérapeutique peut être utile dans la prise en charge globale de certains patients. Une complémentarité de l’hypnose et des TNS est une alternative thérapeutique intéressante. Les substituts nicotiniques, en réduisant l’intensité des symptômes de sevrage au tabac permettraient d’être « dans de meilleures dispositions pour l’hypnose » et l’hypnose améliorerait les aspects physiques et émotionnels nécessaires à un sevrage médicamenteux réussi [38] (figure 5).
L’hypnose est une méthode thérapeutique non spécifique, consistant à faciliter la survenue d’états modifiés de la conscience, qu’on appelle la transe hypnotique, en vue de soulager les souffrances d’un individu tout en stimulant ses compétences psychobiologiques [39].
Cette méthode permet de faire redécouvrir au patient ce qu’est « la vie sans la conduite addictive ». L’hypnose mobilise ses ressources personnelles, vise à son autonomie et à la reprise de sa liberté.
Le thérapeute crée une alliance dans un climat de sécurité et de confiance dans un environnement confortable et apaisant pour les deux protagonistes.
Le thérapeute privilégie une écoute attentive et réalise un premier bilan préalable d’environ 45 minutes pour évaluer :
- les antécédents personnels et familiaux du patient ;
- son mode de vie ;
- l’histoire de sa maladie addictive et des autres addictions comportementales ou liées à un produit et leur prise en charge antérieure ;
- les comorbidités somatiques et psychiatriques comme la dépression et l’anxiété ;
- sa motivation au changement ;
- le soutien de l’entourage familial et professionnel ;
- les effets recherchés sur le plan physique, émotionnel, psychologique et mental (bien-être, effet anxiolytique, antidépresseur, stimulants, euphorisants). Ces effets entrent dans la catégorie des états modifiés de la conscience.
L’objectif de cet entretien est de mettre au point la stratégie d’hypnose déterminant les suggestions conduisant au traitement « anti-tabac ». Lors de la séance, le patient expérimente une détente profonde, explore sa capacité de modifier sa perception en toute sécurité afin de diminuer sa réactivité aux stimuli : stress, dépression, craving…
Le thérapeute incite le patient à créer en lui un état/lieu sécure ou safe place, associant la représentation d’une scène agréable et valorisante avec une sensation corporelle agréable et rassurante liée à un mouvement.
À distance, lors de sensations liées au manque (lors de craving), le patient pourra utiliser cet ancrage (safe place, sensation et mouvement associés), en autohypnose, pour retrouver les sensations positives sans produit.
Cette thérapie brève permet en 1 à 4 séances espacées en général de 3 à 4 semaines d’aboutir à un changement durable (encadré 2).
• Un fumeur est une victime. Face aux risques de comorbidités associées au tabac, il est primordial de l’inciter au sevrage tabagique.
• Pour les fumeurs dépendants, le traitement dont l’efficacité est prouvée repose sur les TNS qui sont indiqués en première intention. Les autres traitements médicamenteux, à base de varénicline ou de bupropion, sont indiqués en deuxième intention chez les sujets fortement dépendants.
• L’association d’un traitement non pharmacologique est également recommandée pour augmenter les chances de succès.
• Le soutien psychologique par téléphone (ligne Tabac infoservice 3989) et les outils d’autosupport (site tabac-info-service.fr) ont une efficacité démontrée.
• Les TCC seules aident 20 % des patients à arrêter et à maintenir leur sevrage tabagique pendant 1 an. Elles sont donc plus efficaces que le placebo et que l’arrêt spontané sans aide mais leur efficacité ne dépasse pas celle du patch de nicotine, de la varénicline ou du bupropion seul. En revanche, associées à un traitement médicamenteux, elles permettent d’optimiser la prise en charge du fumeur.
• L’hypnose n’a pas suffisamment fait ses preuves dans le sevrage tabagique au niveau scientifique mais elle bénéficie d’un certain recul et n’a pas montré de risque pour la santé. Elle donne des résultats très intéressants à l’échelle individuelle tout en associant une prise en charge des symptômes de sevrage.
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêts.
• Il est important que vous arrêtiez de fumer et je peux vous aider si vous le souhaitez.
• Arrêter de fumer est la décision la plus importante que vous pouvez prendre pour protéger votre santé.
• Il n’est jamais trop tard pour arrêter et c’est encore mieux si on arrête tôt.
• Je peux vous aider à arrêter de fumer. Ce sera surement plus facile que d’essayer tout seul.
• Arrêter de fumer pendant que vous êtes malade est une bonne décision, ce peut être l’occasion de reprendre votre liberté face au tabac.
• Fumer occasionnellement ou en faible quantité est encore dangereux.
• Continuer à fumer aggravera votre bronchite ou votre asthme […] ; en revanche, arrêter de fumer pourra améliorer votre santé de façon importante.
• La fréquence des infections respiratoires des enfants est supérieure dans un environnement fumeur.
La séance débute par « Je vous propose d’utiliser vos ressources profondément enfouies qu’on va aller mobiliser en hypnose ».
Pré-induction : présentation de l’hypnose dès la première rencontre, tests de suggestibilité.
Induction (position assise dans un fauteuil) : elle se se caractérise par une réduction du champ de conscience (technique d’hyper-focalisation), une introspection et une perte des repères spatio-temporels. Elle consiste à :
- focaliser l’attention du sujet en utilisant les techniques d’ici et maintenant et du VAGOK (utilisation des 5 sens, différentes sensations corporelles, sensation de pesanteur et d’engourdissement), fixation d’un point au-dessus de l’horizon ;
- développer la dissociation entre le corps et l’esprit ;
- l’absorption, avec « suspension partielle » de l’éveil. On retrouve cet état lors d’actions automatiques telles que la conduite automobile. Par exemple, c’est le cas lorsqu’on parcourt plusieurs kilomètres sans s’en rendre compte en pleine conscience.
Approfondissement avec utilisation :
- du langage métaphorique (la montgolfière qui s’élève ou le train qui passe de gare en gare en déchargeant les fardeaux qui nuisent au changement) ;
- de techniques de confusion/dissociation qui permettent par un effet de saturation que le patient traite l’information à un niveau de conscience modifié tout en se fondant sur ses émotions et sensations propres. Par exemple, « vous notez cette sensation de chaleur qui migre dans votre corps, votre cerveau conscient voit cette chaleur pendant que votre cerveau inconscient peut participer à son cheminement » [39] ; « Roulez cette cigarette entre vos doigts comme l’industrie du tabac vous a roulé ». La confusion permet d’éliminer les filtres qui pourraient faire barrage au changement ;
- de suggestions adaptées qui inspirent au sujet une explication. Les suggestions sont répétées plusieurs fois :
- découvrir en soi la capacité d’exclure le tabac, avoir de l’aversion (nausées, vomissements, céphalées) via la vue, l’odeur, à l’évocation du tabac ;
- modifier le comportement : gestes, images du tabac et le fait de fumer font partie du passé. L’utilisation du mode passé suggère que l’action est terminée : par exemple, « quand vous fumiez… », « vous pouvez oublier la cigarette comme vous avez su oublier le biberon enfant », « le corps mérite d’être protégé de la fumée » ;
- redécouvrir le plaisir de vivre, de respirer l’air frais, se projeter dans un avenir sans tabac… Par exemple, « je me demande à quelle vitesse vous vous débarrasserez du tabac » ;
- utiliser des techniques d’ancrage (associations, images mentales) permettant d’installer la personne dans des situations positives. Par exemple, « après ce voyage, vous pouvez récupérer cette plume ou fermer le poing, main dans la poche, et à chaque fois que vous verrez une cigarette, vous prendrez cet objet ou ferez ce geste ce qui vous rappellera l’émotion positive de cette expérience vécue ».
Réveil, retour dans le temps présent et félicitation du travail effectué (ratification) tout en réalisant des mouvements, étirements, marche.
Post-séance : les commentaires en fin de séance sont nécessaires pour questionner le sujet :
- en quoi cela a été utile ?
- quels changements allez-vous observer ?
- comment vous allez ré-utiliser cette expérience ?
Terminer la séance et reprogrammer si nécessaire.