Clinic n° 09 du 01/09/2023

 

Fiche pédagogique

Patients

Fadel BELLAKHDAR*   Sophie-Myriam DRIDI**  


*PH, Service de Médecine bucco-dentaire, GHU Henri-Mondor. Exercice libéral à Paris.
**PU-PH, Institut de Médecine bucco-dentaire Riquier, CHU Nice. Département de Parodontologie, UFR Odontologie, Université Nice Côte d’Azur.

Colorations ? Mauvaise haleine ? Déchaussement ? Oui bien sûr… Mais n’oublions pas aussi… Douleur post-opératoire, échec implantaire, cannabis et vapotage.

ET LE DÉCHAUSSEMENT ?

Le déchaussement des dents, que l’on nomme parodontite, correspond à une rétraction des gencives, en rapport direct avec une diminution du support osseux dans lequel les dents s’articulent. Il s’agit d’une maladie dont l’origine est bactérienne ; cependant, plusieurs facteurs peuvent aggraver son évolution, dont le tabagisme. En outre, l’effet vasoconstricteur de la nicotine réduit la tendance au saignement chez les fumeurs. Or, le saignement gingival est un signe clinique important de la maladie. Le tabac masque donc les symptômes et retarde ainsi le diagnostic de la pathologie.

ET LA MAUVAISE HALEINE ?

Oui, le tabac est l’une des premières causes de la mauvaise haleine. À part l’odeur propre à la nicotine qui se dépose sur les tissus buccaux (odeur de tabac froid), fumer provoque aussi une diminution du débit salivaire qui assèche la bouche. La sécheresse buccale va alors favoriser le développement de bactéries qui dégradent les protéines de l’alimentation en composés soufrés volatils qui sont tout simplement des gaz très malodorants. La sécheresse buccale favorise aussi le développement de champignons (à l’origine de mycoses) produisant les mêmes composés soufrés volatils.

Par ailleurs, l’accumulation des bactéries et des débris alimentaires peut s’observer sur le dos de la langue et être responsable de la sensation de « langue chargée » si souvent observée chez le fumeur.

ET LES COLORATIONS ?

Le tabac colore effectivement les dents. Cette coloration est variable d’un individu à l’autre, elle est bien évidemment fonction de la quantité de cigarettes fumées. Les dépôts de nicotine se produisent sur les dents (couronnes et racines), mais également sur les prothèses et les matériaux d’obturation esthétique (composite, résine). Par ailleurs, contrairement à ce que beaucoup de personnes pensent, le tabac n’est pas responsable de la formation du tartre mais il peut le colorer. Le détartrage permet d’éliminer ces colorations mais elles reviennent rapidement. Si un éclaircissement est envisagé, il faudra arrêter de fumer au moins pendant toute la durée du traitement.

SUITES POST-OPÉRATOIRES SENSIBLES ET DURABLES ?

Le tabagisme a, entre autres conséquences, la faculté de diminuer la vascularisation de la gencive et de l’os de support des dents : leur nutrition est alors altérée et leur cicatrisation est moins bonne. Le risque de suites opératoires douloureuses est également augmenté : en effet, la chaleur de la fumée perturbe la formation du caillot sanguin et brûle directement les muqueuses. Il est donc impératif non seulement, de ne pas fumer après une intervention chirurgicale en bouche mais aussi de cesser de fumer plusieurs semaines avant afin que la vascularisation des tissus s’améliore.

Ainsi, si vous devez bénéficier d’une chirurgie orale, c’est une excellente occasion pour prendre la décision d’arrêter de fumer tant pour votre santé bucco-dentaire que pour votre santé générale.

MON DENTISTE NE VEUT PAS ME POSER D’IMPLANT CAR JE FUME ? OUI, IL A 100 % RAISON !

Un implant dentaire est une racine artificielle en titane qui permet de remplacer une dent absente. Il est mis dans l’os de la mâchoire au cours d’une intervention chirurgicale. Or, le tabac augmente le risque d’échec de la thérapeutique implantaire car il entrave sérieusement la cicatrisation de l’os autour de l’implant. Chez le patient non fumeur ou ex-fumeur, le taux d’échec est d’environ 5 %. Chez le fumeur, ce taux peut être doublé ou triplé et il augmente avec la quantité de tabac consommée. De plus, si une greffe osseuse est envisagée avant la pose de l’implant, la situation est encore plus défavorable chez le fumeur.

Donc, si votre dentiste écarte la solution implantaire parce que vous fumez, c’est qu’il estime en tant que professionnel de santé que le rapport bénéfice/risque de l’intervention est défavorable.

ET LE CANNABIS ? ET LA CIGARETTE ÉLECTRONIQUE ?

Le cannabis est aussi impliqué dans le développement de la maladie parodontale mais selon des mécanismes différents du tabac. Un joint de cannabis serait l’équivalent de 10 cigarettes par jour ! En ce qui concerne la e-cigarette, il est difficile aujourd’hui de se faire une idée réelle de son impact en bouche du fait de la multiplicité des formes commerciales. Cependant, son innocuité ne fait plus débat et sa consommation hors phase de sevrage tabagique n’est pas recommandée.

EXISTE-T-IL UNE CORRÉLATION ENTRE LE TABAGISME ET LE CANCER DE LA BOUCHE ? BIEN SÛR QUE OUI !

Chaque année, plus de 20 000 nouveaux cas de cancer des voies aéro-digestives supérieures sont diagnostiqués. Le tabagisme et l’alcoolisme sont reconnus comme les facteurs de risque les plus importants puisqu’ils causent environ 75 % des cancers de la bouche et du pharynx. Chaque facteur peut individuellement favoriser l’apparition d’un cancer, mais les deux réunis ont un effet multiplicateur. Plus les consommations sont élevées et prolongées, plus le risque augmente. En raison de l’importance de la consommation d’alcool et de tabac dans notre pays, la France est au premier rang mondial pour la fréquence des cancers de la bouche qui sont responsables de plus de 60 000 décès par an sans compter les thérapeutiques lourdes et invalidantes qu’ils occasionnent.

Selon la Ligue contre le cancer, sans tabac et si la consommation d’alcool ne dépassait pas 1/2 litre de vin par jour et par personne (équivalent à 40 g d’alcool), environ 90 % des cancers des voies aérodigestives supérieures seraient évités. Les symptômes des cancers buccaux sont variés et généralement très discrets au début de la maladie. On peut citer une gêne ou une douleur d’un seul côté de la bouche, une zone de muqueuse bourgeonnante ou irritée ou creusée, saignant facilement et ne guérissant pas après un traitement purement dentaire, une gêne persistante au port d’un dentier ou une difficulté à avaler. Attention, la douleur n’est pas constante. En revanche, ce qui est sûr, c’est qu’un cancer traité précocement a nettement plus de chance de guérir. Alors, n’ayez pas peur d’en parler avec votre dentiste !

À PARTIR DE COMBIEN DE CIGARETTES LE TABAC A-T-IL DES CONSÉQUENCES SUR MA SANTÉ BUCCODENTAIRE ?

Les effets néfastes du tabac sur la santé bucco-dentaire augmentent avec la quantité de tabac consommé par jour mais surtout avec l’ancienneté du tabagisme. Il est prouvé que c’est dose-dépendant et temps-dépendant. Au-delà de 5 cigarettes par jour, il y a déjà une modification de la vascularisation, de la nutrition, de l’oxygénation et donc des capacités de défense de la gencive, des autres muqueuses buccales et de l’os des mâchoires. En revanche, l’arrêt du tabac permet en l’espace de quelques semaines une amélioration de la circulation sanguine de la gencive qui devient comparable à celle d’un non-fumeur : il n’est donc jamais trop tard pour arrêter de fumer. Et si vous le faites, ne vous inquiétez pas si vos gencives se mettent à saigner au cours du brossage ou si elles saignent plus que d’habitude : c’est normal car la vascularisation se régénère. Il est quand même préférable de consulter votre dentiste pour vérifier qu’il n’existe pas une maladie de la gencive qui était masquée par le tabac.

À VOUS DE JOUER !

Calculez votre score de dépendance à la cigarette (test de Fagerström) en répondant aux questions suivantes.

1. Combien de temps après vous être réveillé(e), fumez-vous votre première cigarette ?

• Moins de 5 minutes (3)

• 30 minutes (2)

• 31 à 60 minutes (1)

• Après 60 minutes (0)

2. Trouvez-vous difficile de ne pas fumer dans des endroits interdits (cinémas, trains…) ?

• Oui (1)

• Non (0)

3. Quelle cigarette trouvez-vous la plus indispensable ?

• La première (1)

• Une autre (0)

4. Combien de cigarette fumez-vous par jour ?

• 10 ou moins (0)

• 11 à 20 (1)

• 21 à 30 (2)

• 31 ou plus (3)

5. Fumez-vous de façon plus rapprochée dans la première heure après le réveil que pendant le reste de la journée ?

• Oui (1)

• Non (0)

6. Fumez-vous, même si une maladie vous oblige à rester au lit ?

• Oui (1)

• Non (0)

SCORE

Entre 0-2 : pas de dépendance

Entre 3-4 : dépendance faible

Entre 5-6 : dépendance moyenne

Entre 7-8 : dépendance forte

Entre 9-10 : dépendance très forte

À PARTIR DU SCORE 5, UNE AIDE AUPRÈS D’UN PROFESSIONNEL DE SANTÉ (DONT VOTRE DENTISTE) EST SOUHAITABLE

Pour plus de renseignements : Tabac info service : 0 825 309 310 ; www.tabac-info-service.fr

Votre chirurgien-dentiste est formé tout autant au traitement des maladies de la bouche et de leurs séquelles qu’à leur prévention. En complément du brossage biquotidien, un nettoyage professionnel et un examen des dents, naturelles ou prothétiques, permettent d’intercepter, voire d’enrayer, certaines maladies. Les organismes de santé recommandent une visite tous les 6 mois. Votre chirurgien-dentiste est un professionnel de santé… Avant tout traitement, prothétique ou autre, indiquez-lui les maladies que vous avez ou avez eues, les traitements que vous suivez et les médicaments que vous prenez afin d’éviter toute interférence et de bénéficier des soins les plus adaptés.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêts.