AUGMENTATION DE LA DIMENSION VERTICALE D’OCCLUSION : Y A-T-IL DES PATIENTS « À RISQUE » ? - Clinic n° 06 du 01/06/2023
 

Clinic n° 06 du 01/06/2023

 

DVO

Mickael COTELLE  

Président du CNO. Exercice libéral en Occlusodontie exclusive à Arras.

NOTION DE PATIENTS À RISQUE

Peuvent être considérés « à risque » les patients susceptibles d’avoir des difficultés, voire une incapacité, à s’habituer au changement de DVO de façon durable. Si un inconfort ou des symptômes sont parfois signalés par les patients ayant bénéficié d’une réhabilitation globale avec gain de DVO, ils sont majoritairement résolus spontanément en 2 semaines en moyenne [1].

En...


Résumé

Plusieurs situations cliniques peuvent amener le praticien à se poser la question de la nécessité ou de l’obligation de devoir augmenter la dimension verticale d’occlusion (DVO). Certains mythes ont laissé place à un relatif consensus sur la faisabilité de la modifier ainsi que sur les techniques d’évaluation, de réhabilitations transitoires puis définitives.

Une question mérite tout de même d’être posée avant d’engager les interventions : le patient a-t-il les capacités à s’adapter à ce changement ou, autrement dit, le patient présente-t-il un risque de ne pas s’habituer à cette nouvelle DVO ?

Afin de répondre à cette question, il est nécessaire de décrire ce que peut être un « patient à risque », en évoquant les aspects articulaires, musculaires, occlusaux et posturaux.

L’objectif de ce dépistage préalable est bien sûr de limiter les risques d’échecs qui, survenant en cours mais surtout en fin de traitement, seront source de désillusion et de contrariété pour tous.

NOTION DE PATIENTS À RISQUE

Peuvent être considérés « à risque » les patients susceptibles d’avoir des difficultés, voire une incapacité, à s’habituer au changement de DVO de façon durable. Si un inconfort ou des symptômes sont parfois signalés par les patients ayant bénéficié d’une réhabilitation globale avec gain de DVO, ils sont majoritairement résolus spontanément en 2 semaines en moyenne [1].

En effet, le système neuro-musculo-articulaire possède de grandes capacités d’adaptation aux modifications de la DVO, y compris aux augmentations brusques [2, 3].

Cependant, certains états articulaires, musculaires, occlusaux, voire posturaux, pourront altérer cette capacité d’adaptation.

Dans ces situations cliniques le patient pourrait manifester, de façon plus durable, inconfort, myalgies, arthralgies, voire une exacerbation d’un bruxisme déjà présent [4].

En plus des différents terrains prédisposants qui vont être évoqués, le terrain émotionnel (aspect bio-psycho-social ou axe II) ainsi que l’aspect biologique (axe III) [5] sont reconnus, tout comme pour les dysfonctions temporo-mandibulaires (DTM), comme facteurs qui prédisposeront à une difficulté d’adaptation du patient aux modifications effectuées. Ces facteurs ne doivent donc pas être négligés ; ils doivent être dépistés et pris en charge (figure 1).

CONTEXTE ARTICULAIRE À RISQUE

Physiologiquement, les articulations temporo-mandibulaires (ATM) ont la capacité de s’adapter à toutes les modifications verticales et sagittales de la position mandibulaire mais de façon beaucoup plus limitée aux modifications transversales (figure 2), qu’elles soient en lien avec un changement de position mandibulaire dans le plan frontal ou à une instabilité transversale résiduelle (vidéo 1).

Cliniquement cela se traduit par le fait qu’un changement de dimension verticale d’occlusion sera en général sans conséquences articulaires, ou avec des conséquences transitoires et réversibles [6], notamment pour une modification comprise entre + 2 et + 5 mm en inter-incisif. Il faut cependant que la position finale mandibulaire soit peu éloignée de la position initiale dans le plan frontal, qu’il n’y ait pas de prématurité (figure 3) sur le chemin de fermeture et que l’OIM soit unique, aisément trouvée et stable.

Si la position initiale devait être corrigée dans le plan frontal, du fait d’un latéro-glissement acquis dans le temps, il conviendra d’être extrêmement prudent et de tester l’adaptation articulaire durablement via l’étape des restaurations transitoires et/ou lors d’une phase de port de gouttière occlusale.

Cependant, et malgré le respect de ces règles de base, certains états limiteront tout de même considérablement les capacités d’adaptation des ATM [5, 7, 8], à savoir :

- DTM en phase aiguë ;

- antécédent de désunion condylo-discale (figure 4) ;

- présence de remaniements dégénératifs, y compris anciens et non algiques (figure 5) ;

- maladie systémique inflammatoire.

Le dépistage de ces états doit donc être effectué systématiquement avant une réhabilitation globale augmentant la DVO. L’anamnèse, l’examen clinique ainsi que la radio panoramique suffisent en général [9]. Le CBCT complétera l’analyse en cas de doute sur la présence d’une pathologie de grade IV ancienne et sourde, qui pourra alors ne provoquer aucun signe clinique typique d’une DTM (bruits, algies, dyskinésie) [10].

En cas de DTM aiguë, la réhabilitation sera évidemment différée et la prise en charge de cette dysfonction mise en place. Une réhabilitation globale avec gain de DVO n’est pas une option thérapeutique de prise en charge des DTM de première intention ; il s’agit tout au plus d’une option de traitement stabilisateur.

Dans les trois autres contextes précédemment décrits, il est conseillé de vérifier l’adaptabilité articulaire par une prise en charge transitoire et, donc, réversible et évolutive.

Le port d’une orthèse occlusale répond aisément à ces impératifs, en simulant un gain de 2 mm en moyenne [11, 12]. À noter cependant que le port d’une « gouttière », même bien réalisée, ne permet pas toujours d’obtenir un confort musculo-articulaire équivalent à celui obtenu par une phase de mock up [1].

Valider le futur schéma fonctionnel ainsi que l’adaptabilité articulaire via une phase transitoire (mock up) est donc un impératif dans ces contextes à risque. Cela permet de vérifier la bonne intégration articulaire à la nouvelle DVO, la stabilité de l’OIM créée ainsi que l’adaptation à un cycle masticatoire forcément modifié du fait du passage de faces occlusales ayant perdu du relief (sinon ces travaux full arcade ne s’imposent pas en général) à des restaurations en présentant forcément davantage.

La nécessité de recréer ni trop (sous peine d’une difficulté d’adaptation et/ou de chipping futur) ni trop peu (sous peine d’instabilité transversale et de manque d’efficacité masticatoire) de relief modifie forcément l’enveloppe fonctionnelle initiale et impose donc cette étape transitoire de validation, idéalement durant plusieurs semaines, voire jusqu’à 3 mois [13]. Ce laps de temps est une précaution clinique praticien-dépendante plus qu’une valeur scientifique universelle.

Bien évidemment, toute douleur articulaire durant cette phase doit amener une réflexion et un report de la phase de réhabilitation définitive.

Enfin, pour conclure sur l’étape transitoire, il est parfois conseillé de réaliser le gain de DVO non pas en une étape (one shot) mais en plusieurs phases de gains successifs [14], ce qui faciliterait l’adaptation dans un contexte articulaire à risque. Ceci n’est qu’une préconisation, complexe à réaliser évidemment (déposes et reposes de plusieurs jeux de mock up, coûteuses et chronophages), ce qui fait qu’elle est peu respectée en pratique.

CONTEXTE NEURO-MUSCULAIRE À RISQUE

Là encore, certains états (myalgies, myopathies, psychopathies, maladies systémiques neurologiques, patients âgés, fibromyalgie ?) [7] prédisposent le patient à une difficulté d’adaptation alors que, physiologiquement, le système neuro-musculaire possèderait pour de nombreux auteurs de grandes capacités d’adaptation pour un gain de DVO inférieur à 1 cm, avis contesté par Dawson [15].

Dans un contexte de myalgies pré-existantes, il convient de les gérer. Ceci est parfaitement codifié et relativement aisé lorsque l’étiologie est liée aux para-fonctions et/ou aux bruxismes [16, 17].

Lorsque l’étiologie n’est pas identifiable, il convient de rester prudent et même de différer la réhabilitation. Il en est de même dans les contextes de neuropathies.

Concernant les patients fibromyalgiques, qui présentent en général une altération globale du système musculo-articulaire, la rigueur et/ou l’abstention thérapeutique sont de mise tant le confort musculaire final est hypothétique.

Les maladies systémiques neuro-musculaires doivent également être prises en considération et amener à un report des travaux ou à la plus grande prudence.

Tout comme pour les contextes articulaires à risque, la prise en charge sera donc étiologique de première intention, quand cela est possible, puis transitoire (gouttière de libération occlusale, mock up) afin de vérifier l’adaptabilité neuro-musculaire. Là encore des étapes successives de gain de DVO sont préconisées, avec les mêmes inconvénients que précédemment décrits.

Enfin, la stabilité occlusale finale semble être un critère déterminant dans la bonne adaptabilité musculo-articulaire [18].

CONTEXTE OCCLUSAL À RISQUE

• Le contexte occlusal initial étant intégralement modifié dans les cas de réhabilitation globale, il ne devrait pas être évoqué comme facteur de risque. Une exception à cela : la dysesthésie occlusale. Chez les patients qui présentent une perception anormale de leur occlusion, souvent associée à un contexte psychologique perturbé [19], il apparaît évident qu’une prise en charge globale de l’occlusion n’est pas indiquée, tant les répercussions sont aléatoires et potentiellement délétères de surcroît.

• Concernant le contexte occlusal final, tous les patients seront à risque si la réhabilitation finale ne respecte pas les règles de bases en occlusion : une OIM unique, aisément trouvée et calée, des contacts statiques simultanés, des faces occlusales intégrées au sein d’arcades respectant les courbes de compensation physiologiques (figures 6 et 7), l’absence de prématurité sur le chemin de fermeture, des angles fonctionnels favorisant une cinématique symétrique et à faibles contraintes musculo-articulaires (cycles de mastication certes plus étroits mais faiblement modifiés par rapport aux cycles pré-existants).

Pour mémoire, une OIM unique, calée et stable (notion de calage) nécessite des rapports cuspides/fosses [20] (figure 8) ainsi que des contacts antérieurs (hors cas d’infraclusie). Ces contacts doivent être correctement positionnés, le plus symétriques possible et surtout simultanés. Cette dernière notion, pourtant d’une importance capitale, est peu souvent abordée.

En effet, si les contacts droite et gauche ne se font pas de façon simultanée, le patient cherchera tout de même une stabilité frontale. Ceci se fera alors au prix d’une contraction musculaire asymétrique, d’une pression articulaire asymétrique (compression d’un côté et étirement de l’autre) et d’une instabilité transversale de fin de fermeture, autant de facteurs largement prédisposants à l’incapacité d’adaptation musculo-articulaire, voire aux DTM [21].

Sur le plan dynamique, la restauration de reliefs occlusaux engendrera forcément une modification des angulations des mouvements de diduction et du cycle de mastication, celui-ci devenant plus étroit et plus vertical que le cycle pré-existant, devenu large du fait de la perte de reliefs. Si la verticalisation des cycles de mastication apparaît sans conséquences au niveau articulaire, elle peut aisément induire un inconfort musculaire dans ces situations à risque [4].

Le contexte occlusal final étant à risque, il convient là encore de le valider via la phase de mock up. Toute répercussion dentaire (décollements, casses, usure rapide), musculaire (inconfort, myalgie) ou articulaire (dyskinésie, arthralgie) doit amener à une réévaluation de l’occlusion statique et/ou dynamique avant le passage aux réhabilitation définitives. Une fois le schéma occlusal validé, il devient très intéressant de l’enregistrer afin que les réhabilitations définitives le respectent, limitant ainsi les retouches occlusales et pérennisant l’adaptation obtenue.

Enfin, dans les cas de réhabilitation full arcade avec gain de DVO, il va sans dire que la position mandibulaire doit être réévaluée, la position mandibulaire initiale étant rarement conservée comme position de référence du fait d’un pro et/ou d’un latéro-glissement fréquent [18] lors de la perte des références occlusales.

Le praticien devra alors envisager une réhabilitation en relation centrée (RC) ou en relation centrée myo-stabilisée (RCMS) [22] ou, encore, en position physiologique de repos musculaire (PPRM) selon ses convictions et ses compétences [4, 7]. Aucune de ces positions de référence n’est validée par l’Evidence Based Medecine (EBM).

CONTEXTE POSTURAL À RISQUE ?

Le lien entre occlusion, malocclusion, DTM et posture ne faisant pas consensus [23], il ne sera proposé ici qu’une courte préconisation clinique.

Celle-ci se justifie d’autant que même les personnes émettant des réserves sur une telle relation (Robin, Manfredini, Michelotti) admettent aujourd’hui un lien fréquent entre troubles cranio-cervicaux et DTM, cette relation de cause à effet pouvant aller dans les deux sens.

La prudence est donc recommandée chez des patients présentant, notamment, des troubles cranio-cervicaux aigus ou chroniques (céphalées temporales, sensation d’ébriété, occipitalgies, névralgie cervico-brachiale). Un avis médical (organique ou postural) préalable peut avoir un intérêt afin de prendre en charge ces douleurs, quand cela est possible, et d’optimiser les capacités d’adaptation du patient. Échanger avec les confrères sur le côté opportun de mettre en œuvre une réhabilitation globale présente un intérêt.

Un patient pluri-symptomatique devra également éveiller un soupçon [24].

Là encore, une phase transitoire est indispensable afin de vérifier l’absence de dégradation des troubles posturaux initiaux, voire éventuellement, leur amélioration. Le ressenti du patient ainsi que l’avis d’un spécialiste de la posture seront à prendre en compte et influenceront la suite du traitement.

CONCLUSION

Certains contextes dento-neuro-musculo-articulaires limitent les capacités d’adaptation aux variations de l’occlusion en général, en particulier aux réhabilitations globales avec gain de DVO. Si l’évolution des techniques de collage présente de nombreux avantages (pérennité, dentisterie minimalement invasive), elle présente aussi deux inconvénients majeurs : la complexité à réaliser un essayage fonctionnel pour les travaux à faible rétention mécanique et l’énorme difficulté à revenir en arrière en cas de problème. Un dépistage rigoureux des patients à risque ainsi qu’une phase transitoire de validation fonctionnelle prennent donc toute leur importance afin d’effectuer ces travaux, complexes, avec plus de sérénité.

BIBLIOGRAPHIE

  • 1. Abduo J, Lyons K. Clinical considerations for increasing occlusal vertical dimension: A review. Aust Dental J 2012;57:2-10.
  • 2. Carlsson GE, Ingervall B, Kocak G. Effect of increasing vertical dimension on the masticatory system in subjects with natural teeth. J Prosthet Dent 1979;41:284-289.
  • 3. Hellsing G. Functionnal adaptation to changes in vertical dimension. J Prosthet Dent 1984;52: 867-870.
  • 4. Abjean J. L’occlusion en pratique clinique. Ploemeur : Bodadeg Ar Sonerion éditions, 2002.
  • 5. Orthlieb JD, Giraudeau A, Jeany M, Ré JP. Prise en charge des DTM. EMC-médecine buccale, 2007;12(4):1-11.
  • 6. D’incau E, Brocard D, Laluque JF. Lésions d’usure et bruxisme chez l’adulte. Rev Odont Stomat 2004;43(3):308-324.
  • 7. Contrepois M, Laluque JF, Brocard D. Modifier la DVO : quand, comment, pourquoi ? Stratégie Prothétique 2020;20:112-126.
  • 8. Garrido L. DVO thérapeutique : critères de décision et impératifs cliniques. Thèse de second cycle. Bordeaux, 2017:39-43.
  • 9. Savignat M, Cotelle M, Behin P. Dépistage d’une dysfonction temporo-mandibulaire avant réhabilitation implanto-portée chez l’édenté postérieur. Info Dent 2021;17:48-60.
  • 10. Schifmann E, Ohrbach R, Truelove E, et al. Diagnostic Criteria for DC/TMD for Clinical and Research Applications : Recommendations of the International RDC/TMD Corsortium Network and Orofacial Pain Special Interest Group. Journal of Oral and Facial Pain and Headache 2014; 28(1):6-27.
  • 11. Robin O. Physiologie clinique oro-faciale. Paris : Éditions CdP, 2021.
  • 12. Vanheusden A. Approche prothétique rationnelle et conservatrice d’une usure dentaire avancée. Rev Odont Stomat 2014;43(3):251-268.
  • 13. Étienne O. Gestion occlusale des restaurations postérieures collées dans le cadre des traitements de l’usure. Stratégie Prothétique 2020; 20:127-139.
  • 14. Orthlieb JD, Ehrmann E. Dimension verticale d’occlusion : des mythes et des limites. Real Clin 2013;24(2):133-138.
  • 15. Dawson PE, Liger F, Perelmuter S, Samama Y. Les problèmes de l’occlusion : évaluation, diagnostic et traitement. Paris : Julien Prélat éd, 1977.
  • 16. Cotelle M, Van Bellinghen X. Orthèses occlusales. CLINIC 2021;42(403-404):686-690.
  • 17. Alvarado C, Chanlon A, Fougeront N, Gil H, Draut R, Sulukdjian A. Traitements non occlusaux. CLINIC 2021;42(403-404):682-685.
  • 18. Orthlieb JD, Ehrmann E. Dimension verticale d’occlusion : des mythes et des limites. Real Clin 2013;24(2):99-104.
  • 19. Robin O. Physiopathologie de la sensibilité occlusale : implications pour l’équilibration occlusale. Les Cahiers de Prothèse 2019;47:270-276.
  • 20. Le Gall M, Lauret JF. La fonction occlusale : implications cliniques, Coll. JPIO, 3e éd. Paris : Éditions CdP, 2011;291p.
  • 21. Moreno Hay I, Okeson JP. Dysfonctionnement de l’appareil manducateur et dimension verticale : revue de littérature. Real Clin 2013;24(2):93-98.
  • 22. Orthlieb JD, Ré JP, Perez C, Darmouni L, Mantout B, Gossin G, Giraudeau A. La relation centrée myostabilisée. Les Cahiers de Prothèse 2008;141;1-9.
  • 23. Darthez A. Évaluation posturale. In : Saulue P, Palla S, Michelotti A, Laluque JF, eds. Asymétrie et fonction. Paris : Quintessence Publishing, 2017: 145-152.
  • 24. Cotelle M. Interrelation entre dysfonction cranio-mandibulaire et posture : mythe ou réalité ? Rev Odont Stomat 2017;46;154-176.

Liens d’intérêt

L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêts.